Je ne fais pas allusion à la victoire de Bordeaux devenu champion de France de la Ligue 1 de football, au grand dam des commentateurs de Canal Plus qui avaient du mal à cacher leur déception, tant le chauvinisme pro-marseillais est devenu la règle. Mais Laurent Blanc, un entraîneur de classe à tous points de vue, et son équipe n'en ont eu cure et ont triomphé.
Ce que je désire aborder est beaucoup plus sérieux et fait réfléchir sur les mécanismes de décision au sujet d'une réalité reconnue intolérable par tous. Il s'agit du dépôt au Palais de justice de Paris. Son insalubrité et le caractère dégradé et dégradant de ses locaux n'ont jamais été contestés mais on s'en accommodait, comme pour les prisons, parce que les personnes qui y étaient entassées n'appelaient pas autre chose qu'un apitoiement formel. Elles étaient là, certes, dans des conditions indignes mais elles ne faisaient que passer à cet endroit et au fond on n'était pas loin de penser qu'elles l'avaient bien mérité. La dénonciation du dépôt faisait partie de ces discours qui rassurent la bonne conscience sans donner mauvaise conscience à l'inaction. On se défaussait sur la Préfecture de police. L'administratif permettait au judiciaire de demeurer tranquille.
Bien sûr, ce n'était pas un sujet assez noble pour ces éminences grises murmurant dans les allées du Pouvoir et qui pour une fois auraient pu user de leur influence pour une bonne cause en faisant débloquer les fonds nécessaires à la transformation de ce lieu. La garde des Sceaux, elle, avait d'autres soucis en tête.
Je n'ai pas suivi en détail toutes les phases de ce combat mais il est manifeste que la hiérarchie judiciaire n'y a pratiquement pas participé. Il y a eu le rôle du Syndicat de la magistrature et des associations accoutumées à protester avec lui, il y a eu certaines interpellations médiatiques fortes, il y a eu surtout, à un moment donné, la conjonction d'un double mouvement de résistance à la passivité.
Ce qui a été décisif, en effet, ce sont les heureux coups de force du barreau de Paris, de son bâtonnier, des secrétaires de la conférence du stage, de tous ces avocats dont il me plaît de dire du bien dans la mesure même où par ailleurs je ne suis pas fanatique de leur attitude collective sur le plan judiciaire. Sans eux, il est clair que les choses seraient restées telles quelles. Ce qui s'est ajouté à leur détermination, c'est le regard parlementaire sourcilleux et sévère qui est venu se poser sur le dépôt en déclarant ce dernier nauséabond et indécent pour une démocratie. Le dernier qui y est passé - et cela n'étonnera personne - est André Vallini qui, lui, aurait constitué une belle prise pour l'ouverture. Il est réellement socialiste et il est compétent (Le Monde, Le Parisien).
Cependant, si on veut bien analyser le phénomène jusqu'au bout, le ressort fondamental du bouleversement positif dont depuis quelques semaines nous étions les témoins résulte de l'irruption du droit dans cet espace. Sans plusieurs décisions ayant tiré les conséquences de cet état de fait en annulant des procédures de comparution immédiate, certes à la demande d'avocats, je suis persuadé que le déclic ne se serait pas produit et que nous aurions encore mis longtemps à répudier l'inacceptable. Il est frappant de constater que la démarche juridique ne devient pleinement une arme qu'en s'opposant, qu'en faisant sauter en éclats un dispositif qui, quotidiennement avalisé, aurait prolongé son agonie honteuse. Pour peu que l'Etat de droit batte en brèche, par ses jugements, l'Etat et son inertie, la justice et sa résignation, il constitue un moyen redoutable de renaissance.
Rachida Dati a débloqué un million d'euros pour la réfection du dépôt et des magistrats chargés de vérifier si les aménagements ordonnés avaient été accomplis ont répondu positivement.
Ils ont gagné, les uns et les autres. Une telle victoire, qui ne fait perdre personne, est révélatrice et exemplaire. Son processus collectif et non partisan, la puissance de l'activité juridictionnelle, le concert de volontés et d'énergies tendues vers un même but humain pourraient utilement servir de levier ailleurs.
Qu'est-ce qu'on attend ?
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