Il y a une malédiction du journalisme politique français. En face du chef de l'Etat, il est décevant. Sans sa présence, il sait être pugnace.
Ce n'est pas faute de vouloir manifester de l'audace ni désir à tout prix d'éviter les sujets sensibles. Le bel échec de cet entretien dont on a beaucoup parlé avant, au point qu'on en attendait rudesse, aspérités et vigueur, est d'autant plus à souligner qu'il a été conduit par deux personnalités libres, indépendantes et dont personne n'a jamais mis en doute l'intelligence critique. Et pourtant ! Le problème n'est pas pour un hebdomadaire de gauche (?) de solliciter le président de la République pour obtenir des réponses aux questions fondamentales que se posent tous les citoyens, sensibilités confondues (nouvelobs.com, Marianne 2 ). Il est de déterminer les modalités de cet échange, de le rendre le plus vrai, le plus complet possible, de ne pas s'arrêter en chemin, un thème à peine effleuré, pour passer au suivant. Le lecteur est d'autant plus impatient que dans leur courte présentation Denis Olivennes et Michel Labro précisent que Nicolas Sarkozy est loin de les avoir convaincus. En même temps, ils affichent leur volonté de principe d'éclairer grâce à cet entretien non seulement les inconditionnels contrastés du sarkozysme ou de l'anti-sarkozysme mais tous les autres qui aspirent aux nuances, aux relances et aux approfondissements.
Force est d'admettre que sur ce plan ces pages qui montrent tout de même qu'on a pris le temps laissent beaucoup sur leur faim intellectuelle et politique. Comme si les médias français, le Nouvel Observateur en tête, étaient si heureux d'avoir pour invité le président de la République que l'honneur et le profit escompté les dispensaient de venir au coeur des choses, de s'engager dans un questionnement où tous les coups démocratiques seraient permis, et l'arsenal est immense ! Il suffit pour s'en persuader d'écouter le soupir extasié de Laurent Joffrin heureux des fleurs que l'habileté du président a su lui envoyer ! Il m'a semblé que Jean Daniel ayant servi d'éclaireur - enchanté qu'il avait été de se voir distingué pour accueillir il y a quelques semaines la communication présidentielle -, Olivennes et Labro, moins flattés, ont tout de même suivi un chemin déjà balisé. C'est une grande différence avec l'empoignade républicaine qui avait opposé, dans Libération, des journalistes au candidat Sarkozy, celui-ci l'ayant nettement emporté. Cette joute n'avait été entravée par rien et aucun souci tactique ou esquisse de rapprochement ne l'avait polluée.
Surtout, peu ou prou, n'avaient été évoqués que les problèmes de sécurité et la vision à la fois personnelle et sociale qu'en avait le candidat. Pour Le Nouvel Observateur, je crois que l'entretien a gagné en étendue, en amplitude ce qu'il a perdu en intensité et en capacité d'opposition. Aussi brillants que soient Labro et Olivennes, ils ne sont pas omniscients. Leur volonté de tout "couvrir" avec le président les conduit à une superficialité continue mais inévitable et eux-mêmes sont victimes de leurs lacunes dans certains domaines, pour ne citer que celui de la justice et de son indépendance. On aboutit à ce paradoxe, qui n'est pas nouveau dans l'espace médiatique, que la première réponse compte pour rien, que le véritable dialogue ne commencerait qu'avec une seconde question s'appuyant sur la réponse qui vient d'être formulée, riche d'une multitude d'interrogations à venir si la relance et le droit de suite, sans hargne mais avec entêtement, honoraient notre journalisme. Cette démarche limitée permet au président de "se balader" et, sans craindre d'être repris ou poussé dans ses retranchements, de pouvoir tenir des propos avec lesquels ses interlocuteurs seront peut-être en désaccord dans leur for intérieur, mais jamais de manière ostensible. Cela donne au président de la République une totale tranquillité d'esprit alors que l'inquiétude et le malaise sont les ferments des rares entretiens politiques réussis. Le Nouvel Observateur a préféré "un petit bonhomme de chemin" sur beaucoup de sujets, sans cibler ni réagir.
Deux exemples seulement dont j'ai pu remarquer, dans la quotidienneté et la proximité civiques, qu'ils intéressaient beaucoup.
L'affaire dite du Fouquet's. Contrairement à ce que les interlocuteurs de Nicolas Sarkozy laissent croire, ce n'est pas le caractère festif et somptuaire de la soirée présidentielle dans cet endroit qui a choqué. C'est le fait qu'elle a eu lieu alors que la masse populaire ayant élu le président attendait patiemment place de la Concorde et que clairement il avait été décidé de la reléguer au second plan. On a le droit d'adorer les riches mais il faut bien choisir son moment. Cette maladresse, presque une humiliation démocratique, n'a rien de commun avec la conférence de presse organisée par Charles de Gaulle à l'hôtel La Pérouse et je regrette que sur cette comparaison absurde on n'ait pas "titillé" davantage Nicolas Sarkozy.
Sur le plan judiciaire et pénitentiaire, comment se satisfaire d'une réponse qui rappelle qu'il a fait de "l'humanisation des prisons une priorité de son mandat", alors que nous sommes déjà en juillet 2009 et que la future loi pénitentiaire, même peu ambitieuse, peine à être votée ? Pourquoi ne pas questionner plus avant quand le président, après avoir vanté "l'indépendance d'esprit notoire" des deux juges dans le dossier Clearstream, souligne à propos du renvoi de Dominique de Villepin que "le parquet pouvait dire non. Il a dit oui. les juges pouvaient dire non. Ils ont dit oui" ? Formellement, Nicolas Sarkozy a raison mais derrière cette relation nette, on aurait aimé, pour la beauté de l'interview, que surgisse cette interrogation : le parquet pouvait-il dire non ?
Tout à l'avenant. Sous les pensées, j'aurais attendu que soient débusquées les arrière-pensées. Sinon, l'exercice est trop facile pour une personnalité comme Nicolas Sarkozy à l'argumentaire parfaitement rôdé. Il n'y a jamais de grains de sable dans le mécanisme. Ce n'est pas drôle.
Qu'on ne s'y trompe pas. Ce billet relève de l'analyse technique et dépasse les clivages partisans. Ce qui fait défaut à cet entretien manque à la démocratie qui a besoin de plus, de toujours plus d'explications. Ce qui a été manqué dans cet échange est une perte pour tous. Qu'on soit pour ou contre Nicolas Sarkozy. Enthousiastes, réservés ou déçus. Si les journalistes sont en effet des sentinelles de la République, encore faut-ils qu'ils accomplissent leur mission, entre révérence et souci de vérité, sans laisser la première brimer le second.
Le Nouvel Obs est trop bien élevé.
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