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18 juillet 2009

Commentaires

tchat

Je trouve cet article vraiment très intéressant, merci beaucoup pour ces informations.

henriparisien

« Ne pas nuire au autres, rien de plus »…

Ha, que le monde serait simple si une règle de comportement de quelques mots permettait de réguler notre vie. Mais elle bute sur le même obstacle que la précédente « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse. » : c’est à l’individu qu’est confiée la définition de la nuisance.

Pour pallier ce problème, la société s’est arrogée le droit de définir ce qui était le bien de chaque individu : interdiction du suicide puisqu’il autoriserait le meurtre…

La nouvelle définition permettrait d’assouplir ses règles. La définition de la nuisance resterait de la responsabilité des individus mais ne serait que préalable. La victime ne pourrait être qu’autrui (adieu le délit de toxicomanie). La société n’agissant que pour trancher des litiges entre individus : l’installation d’une antenne relai nuit-elle ou non aux riverains ?

Mais les règles qu’imposait la société à ses membres avaient un avantage. Elle lui permettait de définir des sujets (ou des citoyens) aptes à coordonner leurs efforts et à produire les richesses nécessaires à sa perpétuation.

Alors, l’adoption de cette nouvelle maxime est conditionnée par la réponse à une question : sommes-nous suffisamment riches pour permettre à chacun d’être aussi excentrique qu’un Lord anglais ?

jmarcio

C'est une question plus intéressante qu'elle en a l'air. J'ai trois réflexions.

On a des exemples et des contre exemples. Et on peut facilement imaginer des exemples dont la réponse n'aura pas l'unanimité. Encore d'autres où la réponse dépendra du moment où la question sera posée. Parfois le même acte sera bénéfique, voire indispensable à l'un et nuisible à l'autre. La raison est simple : l'être humain est trop complexe pour que la morale puisse être complètement définie d'une façon aussi simple.

Une autre réflexion est en rapport avec un concept plutôt mathématicien : décidabilité. Nous sommes en train d'évaluer cette nouvelle morale et nous demander si elle n'est pas meilleure que la morale actuelle. Mais pour cela nous utilisons la morale que nous avons déjà en nous. Or, si nous arrivons à une réponse, peu importe laquelle, cela veut dire que la morale que nous avons déjà est plus puissante et que ce n'est pas la peine de changer. Pour avoir une réponse objective il ne fallait pas s'appuyer sur ce que nous avons déjà. Contradictoire, n'est-ce pas ???

Mais dans la pratique, cela pourrait constituer non pas une morale, mais juste un mode de vie. Il suffirait tout simplement que la question "Est-ce que je suis en train de nuire à quelqu'un ???" soit posée plus fréquement pour que les rapports entre les gens deviennent plus sains.

M. Bilger, avez-vous lu "Godel, Escher, Bach - Les Brins d'une Guirlande Eternelle" de Douglas Hofstadter ?

etonne

Pour information, un éditorial paru le 28 juillet dans Ouest France signé par Jean-François Bouthors, écrivain et éditeur


http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Ne-pas-nuire-a-autrui-ne-suffit-pas...-_3633-1018124_actu.Htm

Catherine JACOB

@Mike
En fait, il semblerait que le Confucius d'Anne Cheng se situe dans l'optique d'une infinie perfectibilité, tandis que notre philosophie socratique se contente d'essayer de nous faire devenir ce qu'il est en nous de pouvoir devenir. Autrement dit, un confucéen pensera qu'il n'y a pas de nuls mais seulement de futurs bons et même excellents, tandis qu'un disciple de Socrate aurait plutôt tendance à penser qu'il est inutile de tenter de faire un mauvais mathématicien d'un bon juriste et vice et versa. Les deux points de vue se discutent il me semble.

Catherine JACOB

@DM
"(Attention : je n'ai pas dit que je soutenais cette solution. J'ai dit qu'elle apparaît assez logique en conséquence de vos propres souhaits.)"

N'importe quoi.
En revanche, une autre solution pourrait être de libérer deux suspects détenus à titre provisoire par accusé effectivement condamné. De la sorte, il est satisfait doublement au respect de la Justice. Pourquoi une telle proportionnelle me direz-vous? Tout simplement pour arriver progressivement à un taux d'occupation décent!
Reste le problème de la sélection des détenus provisoires pouvant bénéficier de la mesure proposée.
Pourquoi ne pas constituer une liste d'attente comme pour les dons d'organes, sur la base du temps de détention provisoire d'ores et déjà effectué combiné non pas à un coefficient d'urgence mais à un coefficient de dangerosité potentielle déterminé par un expert en criminologie.

mike

Que ne lit-on pas les "Entretiens de Confucius", traduction de Anne Cheng ?
On y trouve en synthèse des principes de sagesse et d'harmonie.

DM

Deux constats à la lecture de votre blog :

1) Vous déplorez la surpopulation carcérale (qui ne la déplore pas !).

2) Vous trouvez salutaire la théorie morale minimaliste de Ruwen Ogien, qui est essentiellement ce que me disait ma maman quand j'étais petit « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse », toutefois assorti de l'additif « et le reste on s'en fiche, c'est ton affaire personnelle ».

En France, nous réprimons divers délits sans victimes, notamment la consommation de certaines drogues en privé entre adultes consentants. (Nous réprimons également la conduite en état d'ivresse, qui est un acte dangereux pour autrui)

Une conclusion assez logique serait pour vous de promouvoir la dépénalisation des drogues. Qu'en pensez-vous ? Une bonne partie de la petite délinquance génératrice de surpopulation en maisons d'arrêt n'est-elle pas liée au trafic de stupéfiants ?

(Attention : je n'ai pas dit que je soutenais cette solution. J'ai dit qu'elle apparaît assez logique en conséquence de vos propres souhaits.)

Alex paulista

Sur ce principe moral particulier défini par la négative d'une chose trop imprécise, Aïssa pose bien le problème :
si on y souscrit, on ne fait plus rien, même pas soigner les vieux...

On a déjà assez de mal avec "Tu ne tueras point" pour savoir si avorter c'est tuer, puis savoir si... c'est tromper.

Alors "nuire"... autant lire Kant.

Un cas pratique : ma belle-soeur a failli mourir car, atteinte d'une tumeur cardiaque maligne foudroyante, aucun chirurgien ne voulait prendre le risque de l'opérer ni de commencer une chimio lourde sachant qu'il avait de grosses chances de la tuer ou de lui pourrir les quelques semaines estimées avant que tout ne soit obstrué.
Heureusement elle a trouvé à São Paulo un médecin avec assez de réputation et de confiance en lui pour tenter un traitement nouveau et très fort venu de Houston... qui a marché. En trois mois la tumeur a été divisée par 10 et devient opérable, elle a des chances sérieuses de s'en sortir et se sent beaucoup mieux.

J'ai bien peur que ce principe moral ne fabrique une société "morale" et bien-pensante qui regarde mourir son prochain, et qui perçoit toute personne qui dénonce cela comme un donneur de leçons.
Un peu ce que reproche SR à Cali dans un de ses commentaires.

Jean-Dominique Reffait

Alex, je laisse volontiers Freud que je n'ai jamais adopté qu'avec beaucoup de méfiance, contrairement à ce que je puis vous laisser paraître.

Je ne veux pas quitter le fil du billet de Philippe, qui nous entraîne déjà fort loin.
Nous sommes donc d'accord sur le fait qu'une éthique, nécessairement située dans le temps, dans l'espace, qui est perméable aux situations particulières des individus et des sociétés ne peut qu'aller vers une anarchie des moeurs si elle n'est pas consubstantiellement liée - et de manière transcendante - à un principe moral universel qui constitue sa seule source. Je ne balaye pas l'éthique, chacun se doit d'en avoir une, mais à la condition nécessaire que cette éthique particulière soit adossée aux principes moraux universellement admis.

Sans cette nécessaire transcendance morale, l'éthique devient un catalogue privé de valeurs éparses. Les bandes ont leur éthique, Fofana a son éthique, les terroristes ont leur éthique. Sans définition de principes moraux universels, chacun fait sa soupe dans son coin, elle est bonne ou infecte mais on s'en contente.

Le ressentiment, vous avez raison est la barrière morale à l'origine des entorses continuelles aux principes moraux et cela rejoint le coeur du billet. Mais cela n'infirme pas pour autant la validité du principe moral. Je puis éprouver un grand sentiment d'injustice, de frustration, de jalousie et être donc tenté de m'affranchir de principes moraux qui m'enferment dans cet état : toutefois je refuserais de m'avilir au point de rejeter tout principe moral et tenterais donc d'établir un équilibre entre mon éthique fondée en morale et la transgression que je pense nécessaire pour sortir de mon ressentiment.

L'affaire du juge Keil, évoquée ici, est très révélatrice de cette attitude. Face à une montagne de dettes et d'échecs personnels, une personne va tricher dans la limite de son besoin immédiat, sans aller au-delà. Parce qu'il est pénétré d'une éthique fondée en morale, le juge Keil n'a pas cherché à s'enrichir pour s'enrichir, au dépens de toute déontologie, mais il a triché pour sortir de son ressentiment, sans se départir de son sens moral.

C'est ce qui manque à ces jeunes qui sont gratuitement violents : ils ne sont évidemment pas moraux, mais ils ne sont pas immoraux, ce qui sous-entendraient qu'ils se situent consciemment dans le Mal. Ils sont amoraux et n'ont aucune conscience de principes moraux collectifs, même si, par ailleurs, ils ont une éthique : les mêmes qui tabassent sans raison un quidam seront les premiers à vilipender leur soeur si elle est habillée trop sexy. C'est en cela que je dénonce les dérives d'une éthique déconnectée des principes moraux. C'est en cela que je salue le retour, a minima, de principes moraux tels "Ne pas nuire", car si l'on ne peut pas demander à une population de se taper Kant ou Benjamin Constant, on peut rappeler quelques principes simples et universels.

J'ai suivi, in illo tempore, un cycle de conférences de René Girard sur le désir, appuyées sur Proust (que je n'avais pas lu à l'époque...). Je souscris à sa critique de Freud sur le désir.

Laurent Dingli

"ordures bienfaisantes", jolie formule, cher Aïssa Lacheb-Boukachache.

Alex paulista

J'aimerais revenir sur les violences gratuites et le désir mimétique (Aïssa, vous êtes payé, vous ne rentrez pas dans cette catégorie).
Ces violences sont gratuites si on les considère comme un désir d'avoir, alors qu'elles sont au moins autant un désir d'être. Plus concrètement, le but n'est plus tellement de posséder un bien, mais devient un manège à trois entre l'acteur, la victime et un tiers qui fait office de miroir. Ce tiers peut être constitué par une bande, mais aussi par les médias qui jouent le rôle pervers de diffuser l'image du criminel comme de la terreur qu'il génère, avec les surnoms adéquats.

Il n'y a donc pas de violence gratuite, la plus gratuite imaginable sera quand même pour se renvoyer l'image à soi-même qu'on est capable de violence gratuite. Soi-même c'est un peu juste, du coup on se filme avec un portable, on diffuse sur internet. C'est le happy slapping.

A l'heure des médias à sensations et des politiques qui utilisent la peur, on conçoit le cercle vicieux dans lequel on rentre.

Fofana et la société en redemandent. Plus de spectacle !

On est très loin du rationalisme. Celui-ci ne sert qu'à presser toujours plus le travailleur pour faire une industrie parfaite, que les actionnaires jouent ensuite à la roulette comme André Citroën.

Quant à la future catastrophe climatique qui s'annonce, les comportements n'évolueront pas rationnellement non plus, exactement comme le simple individu sait qu'il va mourir mais ne le croit pas.

Je vous laisse, je dois gagner ma vie à optimiser les harnais des chevaux fous de la finance avec lesquels on va s'envoyer dans le décor...

Aïssa Lacheb-Boukachache

Voyez-vous, mon cher PB, vous qui êtes procureur, accusateur public, je vous fais une réelle confidence qui vous donnera, je l'espère, à méditer longtemps: J'ai la certitude maintenant, la conviction désormais, le sentiment le plus fort qui soit, après observation, exercice et comparaison, que j'étais moins malfaisant, infiniment moins malfaisant, quand je braquais des banques que depuis que je suis soignant infirmier en institution gériatrique exerçant comme on me le demande et impose ma profession ... Jamais je n'ai ressenti avec une telle violence cette impression sordide d'être un pourri de chez pourri et pourtant on me félicite, on me paie, je suis devenu honnête, je ne transgresse plus la loi, j'accomplis au possible mon travail, je paie mes impôts, il ne viendrait à l'idée de personne aujourd'hui de me mettre en prison pour mon travail accompli selon les règles et moyens dispensés par la Nation ...


Aïssa.

Aïssa Lacheb-Boukachache

Revenir sur le «pas nuire et rien de plus» dont j'ai dit toute l'absurdité en mettant l'accent plutôt, pour rejoindre un tant soit peu ces chers Jean-Dominique et Alexandre en leur discussion intéressante quoique trop théorique pour trouver une quelconque application concrète immédiate en la société, sur cette autre parole tirée des Evangiles «Vous croirez faire bien et vous ferez mal et inversement ...» … Cette parole biblique réduit à néant le propos précédent en ce sens qu'elle pose d'emblée que ce que nous penserons bien ou mal ne sera pas forcément ce que nous en penserons et que les choses des interactions humaines ne sont pas aussi simples et évidentes que d'aucuns le disent en leurs conclusions … Cas concret: Depuis deux ans -et j'en ai ma claque- je suis soignant au sein d'une institution dite de retraite, une maison à cet effet. Je puis donc penser légitimement et en toute honnêteté vis-à-vis des autres et de moi-même que je ne -au moins ça- nuis pas. Et pourtant, seul soignant infirmier quoique je n'aime pas ce dernier terme et j'ai dit pourquoi mais en l'occurrence il me permet d'exclure les aide-soignants et autres personnels de service qui participent du fonctionnement quotidien de l'institution, seul soignant infirmier donc lorsque j'y prends mon poste, j'ai à moi seul, en ce domaine des soins infirmiers, donc en théorie du bien, du «ne pas nuire», la responsabilité d'environ 100 personnes âgées, hommes et femmes confondues, malades à peu malades, grabataires à très grabataires voire «légumes» (qu'on me pardonne l'expression mais c'est la plus explicite), désorientées, confuses à démentes voire très démentes, etc. Moi seul professionnel paramédical en ces choses du «ne pas nuire» en cet endroit. Et pourtant … C'est une maison publique, donc en théorie où la Nation est impliquée et investie et me délègue en ces choses son pouvoir et ses moyens. Je ne puis donc, ne suis censé faire que le bien; autrement je serais un maltraitant, malfaisant voire un criminel … Mais cette délégation et ces moyens publics sont tellement inadéquats, réduits, comptés, restreints, absents, définis en théorie comme une loi précise dont aucun décret d'application ne permet en rien ou à peine de l'appliquer, qu'il ne m'est donné d'autre possibilité que de faire mal dans ce bien que je penserais et affirmerais faire et opposerais ainsi à tous qui m'interpelleraient en ces actes, s'il ne m'était donné cette faculté personnelle de m'observer à chaque instant et de me «juger». Je n'entrerai pas dans des détails qui seraient sordides et plus que cela pour appuyer ma démonstration, c'est inutile mais on aura compris, je suppose ou deviné, on aura déjà vu des reportages sur ce sujet à la télévision, entendu, lu des témoignages … Ainsi, on pourra affirmer que c'est l'institution et par delà elle la société entière qui me met en situation de ne pas nuire mais de faire mal … Et effectivement, je ne nuis pas mais je fais mal, je ne puis pas faire, ainsi que toutes et tous mes collègues des institutions gériatriques de ce pays, autrement que mal. Nous sommes -et je pèse mes mots- devenus des «ordures bienfaisantes» et la société entière manifestement y trouve son compte puisque que souvent elle nous félicite et dit que nous accomplissons la plus belle mission qui soit, le plus beau métier du monde ... D'où le «vous croirez faire bien et vous ferez mal et inversement ...». «Inversement ...», justement, qu'est-ce? qu'est-il? qu'est-elle cette inversion singulière? que serait-elle? En cet exemple précis, par exemple, mais il en est d'autres, innombrables puisque tout serait -et a priori avec vérité- ainsi … Je crois que c'est la question la plus dure qu'on puisse poser et y répondre serait déjà mettre des mots à cet endroit comme on pose enfin une équation mathématique avant de la résoudre.


Aïssa.

Didier

Monsieur Bilger,

Les deux "philosophes" auxquels vous vous référez ne peuvent pas être jetés d'un revers de la main. Pas par leur insignifiance ou la pauvreté de leur pensée, mais parce qu'ils représentent un sommet dans l'évolution de la pensée libérale. Ils ont atteint la conclusion logique de cette révolution des moeurs, des esprits, des idées et de je ne sais quoi d'autre.
Avec eux, la religion n'a vraiment plus rien à faire. Avec eux, le socialisme ne peut plus libérer. Avec eux, les défenseurs de la finance mondiale ont une place légitime dans le monde. Ce sont ceux qui relient les gens. Avec eux, nous sommes de retour dans le libéralisme le plus pur, celui qui a lancé la révolution industrielle.
Ils sont dans l'air du temps. Ils reflètent la pensée de la gauche et de la droite en une seule phrase. Ils sont des chambres d'écho de la société actuelle.
Vous avez raison. Ces gens doivent être écoutés. Ils nous racontent nous et notre monde.
Cela donne tous les pouvoirs à l'argent. Cela donne l'illusion atroce d'une liberté seul dans son coin. Cela donne toutes les violences réciproques pour résoudre des conflits dont on a oublié une façon de les résoudre. Cela donne tout pouvoir aux tribunaux et à l'Etat pour réguler tous nos actes et savoir lesquels sont inoffensifs pour les autres.
J'ai sérieusement envie de considérer le succès de tels auteurs comme l'acte de décès de la philosophie occidentale. Socrate est mort.
Quelqu'un a traité cette "pensée" dans de petits ouvrages clairs et concis. Je vous recommande Jean-Claude Michea. Il examine l'origine et les conséquences des idées analogues à ces auteurs.
Ma première réaction à votre texte était dans le site de Marianne2. J'ai été un peu plus sec. Voir cette pensée s'étaler m'a choqué. En plus, j'ai oublié de situer l'argent dans cette histoire. L'argent en devient la vie, la liberté, la réalisation de soi, etc...

Surcouf

@Ludovic
Merci à Alex Paulista et à J.D. Reffait pour la qualité de leur match philosophique. Mais qui est le vainqueur ?

Mais le lecteur bien évidemment, qui se délecte de cette joute amicale.

Alex paulista

Cher JDR
Je comprends enfin ce que vous voulez dire, et je suis assez d'accord en fait. Sauf sur quelques points. Vous êtes très freudien…
Et j'aimerais revenir sur la violence gratuite, la montée d'un nouveau type de Mal, que Philippe Bilger n'a pas évoquée par hasard à la suite de cette recherche de principe moral.

Einstein, pour moi, n'est surtout pas un philosophe. C'est parce qu'il a su faire abstraction de la philo qu'il a pu voir ce qui aurait dû crever les yeux de tout le monde: si on veut que les lois physiques soient égales dans un train en mouvement uniforme, notamment que la lumière se propage à la même vitesse, il faut que le temps dépende de la position. Quand il a commencé à se sentir sûr de lui et qu'il a dit que pour lui "Dieu ne joue pas au dés", il a dit sa plus grosse bêtise, comme tout bon physicien qui conjecture sans expérience. Car la réalité n'a pas souvent le bon goût de correspondre à notre imagination.
La science moderne n'est pas miscible avec la philosophie, où très vite on arrive à dire que la Mécanique Quantique, en faisant passer un électron par deux trous en même temps, à contribué aux septicémies évoquées par Aïssa. Les déconstructionnistes nous font à peu près ce type de raisonnement à partir des systèmes mathématiques indécidables.

Si je conçois comme vous que le principe moral est nécessaire en ce qu'il structure l'individu (le moi/surmoi comme dirait Sigmund), on ne peut pas faire l'impasse de l'éthique car
- le principe moral ne rend pas compte de certains dilemmes complexes. Il doit être dépassé. Je vous citais le fils prodigue en exemple de principe moral de l'époque dépassé par le christianisme.
- la société, la justice, dans la pratique, n'a pas à juger des intentions (souvent inaccessibles) mais des situations réelles établies par des faits. C'est là que les anglo-saxons nous diffèrent par leur intérêt pour la philosophie pragmatique. Il serait temps de nous y intéresser, au risque de les voir rester spécialistes du faire, et nous de commenter. Dans cette perspective les défauts de l'éthique deviennent des qualités. C'est orienté vers la décision, vers l'action.

Quand au nouveau type de Mal qui monte, c'est celui du ressentiment. Contre lui, on sait que le principe moral a échoué à l'endiguer au sein de l'individu. Les exactions commises sont clairement identifiées comme mauvaises par les criminels, ce n'est pas un problème qu'un nouveau principe moral résoudra.
La raison ne peut pas grand-chose contre ce ressentiment qui imagine, invente.

J’aimerais vous inviter à laisser un peu Sigmund, son Moi (et son obsession pour le sexe an alpha et omega de tout), pour appréhender René Girard et sa théorie du désir mimétique. L’envie d’un objet est en fait l’envie du sujet d’être ce qu’il imagine qu’est une personne qui possède l’objet.
Cette théorie qui débouche sur le bouc émissaire est un outil à mon sens plus puissant pour comprendre notre société que celle de Freud bâtie sur les frustrations sexuelles et les névroses du 19ème. Elle la complète sur certains pans capillotractés, à mon avis.
Girard, je trouve, est le penseur moderne le plus fécond.

Ludovic

Merci à Alex Paulista et à J.D. Reffait pour la qualité de leur match philosophique. Mais qui est le vainqueur ?

Jean-Dominique Reffait

Alex, je pense que vous lisez une ligne sur deux, ou que je n'écris qu'une ligne sur deux, d'où les malentendus... Je n'ai pas écrit les mots de relativisme ni de relativité car telle n'était pas ma pensée à propos d'Einstein. Einstein se situe à la jonction de ce qui a confondu science et philosophie. Pour faire court, il serait le premier post-moderne.

Les principes moraux ne sont pas rationnels, ils sont admis par la raison (Kant y a consacré 700 pages, je ne vais pas y revenir). Tragédie anglo-saxonne des réductions scientifiques des années 60 à la psychologie et qui, justement, avec les errements PNL et consorts, a abouti au triomphe de l'éthique sur la morale.

Là où j'ai fait un raccourci malheureux, c'est dans le rapprochement avec les dix commandements, pour faire court. Les dix commandements sont un code éthique et non des principes moraux. Le principe moral ne peut se réduire à un libellé, il s'agit d'un mécanisme dialectique entre l'intention, la causalité, la finalité et un acte.

"aucune éthique satisfaisante ne peut se baser sur l'application d'un principe purement rationnel". 100% d'accord à la nuance près que justement, l'éthique est la rationalisation prétendue de la morale réduite à l'acte. C'est ce qui définit l'éthique en tant que mode d'organisation du comportement, déconnecté des intentions. Exemple très parlant pour chacun : la bio-éthique. Comme on ignore les intentions des chercheurs, on établit un processus téléologique qui substitue la conséquence supposée à l'intention, ce qui est une inversion morale. On ne part de l'intention qui initie un acte et qui induit ses effets. On part des effets supposés pour déterminer quels actes sont admis, sans se préoccuper des intentions bonnes ou mauvaises.

Je n'ai évidemment pas dit que le Christ faisait fi des philosophies grecques et latines : je galègeais sur le fait que vous ne remontiez pas plus haut - et plus fondamentalement - que le Christ qui manipulait suffisamment de latin pour faire des calembours (tu es Petrus...).

Par rapport à la règle éthique du refus d'avortement, je faisais court là aussi, trop sans doute : il s'agit d'établir une hiérarchie entre un principe moral, qui n'est pas une loi, et un principe éthique qui interdit ou contraint. Un principe moral ne recèle aucune contrainte, aucune sanction : il s'énonce et s'admet. Il n'a aucune portée téléologique, il n'a pas de finalité externe, son énoncé est sa finalité. En découle une somme de comportements individuels ou sociaux qui forment l'éthique, d'où proviennent collectivement les lois, et individuellement les consciences d'interdit, d'autorisé, de récompense et de punition, jusqu'au tabou.

Pour revenir au propos de Philippe, il s'est passé que, justement, la rationalisation réductrice des post-modernes a abouti, d'un côté à un formidable essor des mathématiques, parties à la conquête des arts, de la musique, de la philosophie logique, mais de l'autre à une contamination de la morale et, surtout, du libre-arbitre. Alors que le principe moral doit être à l'origine de toutes les déductions comportementales individuelles ou collectives, cette tendance a annulé cette nécessité de recourir au principe moral parce qu'il semblait alors possible de construire une éthique sans morale (je fais court), du moins en s'exonérant des contraintes dialectiques de celle-ci grâce à la rationalité logique. D'où la dictature apparemment rationnelle qui en découle. Ainsi le principe moral qui célèbre la vie est-il déconstruit dans sa dialectique complexe au profit de règles éthiques multipliées et contraignantes : euthanasie, avortement, contraception, etc. (Notez qu'en parlant de dérive éthique, je ne porte pas de jugement de valeur sur le bien-fondé, mais la dérive est celle qui substitue l'éthique seule à la morale)

Et donc, le retour du principe moral simple, "ne pas nuire" par exemple, constitue une résurrection certes minimaliste mais symboliquement forte de la construction dialectique du principe moral, lequel avait disparu.

Moins de 20 pages avais-je dit...

Alex paulista

J'essayais de penser quel philosophe a le mieux décrit ce que Philippe Bilger appelle la violence gratuite.
C'est probablement Kant et sa théorie du ressentiment, le Mal Radical. Face à sa capacité d'imagination on ne donne pas cher d'un quelconque principe rationnel.

Je crois avoir lu un article qui montrait comment cette théorie épousait à merveille la dialectique des terroristes.

Alex paulista

Cher Jean-Dominique Reffait

Vous confondez tout:

- relativisme et relativité: vous ne revenez pas là-dessus, je pense que vous avez perçu l'absurdité de votre amalgame.

- philosophie sociale et "nouvelle" philosophie...
Ce qu'on appelle philosophie sociale ou philosophie morale est plus répandu outre-Atlantique. A la suite des différentes théories de justice sociale (celle de Rawls est connue) pour donner un cadre rationnel au capitalisme moderne et à la prospérité qui en découle, de nombreux chercheurs, cogniciens, épistémologistes (...) se sont penchés sur des problèmes de logique pour essayer de définir des principes moraux. A chaque fois qu'ils en trouvaient, ils trouvaient sous peu un paradoxe qui demandait une exception à la règle. La conclusion unanime est qu'aucune éthique satisfaisante ne peut se baser sur l'application d'un principe purement rationnel. Autrement dit toute règle appliquée d'une manière purement logique aboutit à une atrocité, et on ne peut qu'essayer d'apporter des réponses au cas par cas.
Ces conclusions sont le fruit d'échanges entre logiciens, parfois à l'aide de formalisme pour assurer la rigueur. Vous voyez, on est plus près de Sokal et Bricmont que de BHL, et tout ce que vous ne connaissez pas n'est pas équivalent.

Quant à la morale chrétienne, elle est très inspirée (jusque dans son idiome, l'araméen) des penseurs grecs. Elle en diffère car n'est pas construite autour d'un rationalisme mais autour du concept d'Amour.

Quant à dire d'un côté que le christianisme est l'application directe de règles simples (tu ne tueras point) puis que le refus de l'avortement est une dérive éthique, c'est illogique. En l'occurrence c'est justement parce que le christianisme nous apprend à considérer le problème dans son ensemble que l'on peut, en bon chrétien, se poser en nous-mêmes la question du droit à l'avortement. Même si l'Église est opposée à ce droit aujourd'hui.

Enfin, vous associez le concept d'égalité au Christ, après avoir dit qu'il faisait fi de tous les penseurs grecs. Il me semble que là encore vous faites un contre-sens, l'égalité étant un concept des Grecs, repris et dépassé par la morale chrétienne.
Le retour du fils prodigue est un exemple de ce que l'Amour est plus important que la justice dans la pensée chrétienne.

Entendez bien que je ne dis pas qu'il n'y a pas un Bien et un Mal (ça c'est Nietzsche qui le dit), je dis que selon les chrétiens la distinction ne se fait pas en appliquant des tables de loi. Ce serait bien pratique mais non.

Tout cela n'est pas pour vous convaincre, mais juste pour clarifier tout ce que je trouve illogique dans vos propos. Paradoxal pour quelqu'un qui croit tant dans le rationnel !

Vous trouverez quelques références sur la philosophie morale au lien suivant:
http://www.ccic-cerisy.asso.fr/philomor98.html
R. Ogien y participait, même si je connais mieux le contenu de l'intervention de Jean-Pierre DUPUY: L'éthique est-elle rationnelle?
En gros c'est NON.

Cordialement

Jean-Dominique Reffait

Cher Alex Paulista,

On me dit également qu'un faux Alex Paulista sévirait sur ce blog, professant, vous allez rire, de revenir aux bases du christianisme et de faire fi, adonc, de Socrate, de Platon pour ce qu'il en reste, du stoïcisme et de l'aristotélisme. Méfions-nous des zuzurpateurs, Alex !

Le même Alex Paulista, le faux, pas vous, va jusqu'à affirmer que la philosophie sociale (ach ! Concept creux s'il en fut) a démontré plein de choses depuis 50 ans. Je suppose que vous êtes mort de rire comme moi ! Vous savez comme moi qu'une philosophie non systémique ne peut être, au mieux, qu'un conglomérat d'observations sans causalité première et sans finalité dernière. C'est ce qui a fait que la philosophie des 50 dernières années s'est éparpillée en pseudo-sciences sociologiques, psychologiques et autres politologies en grand nombre qui s'affairent dans leur monde clos sans éprouver de complexe à l'égard d'une globalité insaisissable. Et la nouvelle philosophie est à la pensée ce que le nouveau roman est à la littérature : un tabouret comparé à un fauteuil Louis XV.

Hélas, la bouillie infâme est le travers congénital de ceux qui furent à l'école de Spinoza, de Leibniz, de Kant ou pire, d'Hegel ou d'Heidegger, qui s'y entendaient en matière de bouillie indigeste. C'est pas sexy la philo.

Bon, que je sache, la pensée de Kant n'a jamais provoqué la moindre crucifixion et un principe moral n'est pas une règle collective mais un principe admis par chacun. Le cambrioleur est porteur du principe moral et sait que ce qu'il fait est mal : il ne transgresse pas le principe moral dont il sait la validité puisqu'il accepterait mal lui-même d'être cambriolé. Il transgresse la règle collective, peu ou prou issue du principe moral (mais sans lien nécessaire avec celui-ci) et c'est cette transgression de la règle qui lui vaudra la crucifixion. Et c'est justement la dilution de la morale dans l'éthique qui vaut à nos sociétés une telle inflation de fausses valeurs édictées en lois. Ne mélangeons pas les concepts : un principe moral n'est pas une loi même s'il peut être, accessoirement et à la marge, toujours à la marge, à l'origine de celle-ci.

Enfin, concevoir la doctrine du Christ comme une éthique et non comme une morale : ah non ! Si le Coran est lui un véritable code d'éthique, avec les problèmes inhérents à son histoire, sa sociologie comparée à l'évolution des sociétés modernes, le message du Christ est absolument intemporel et universel, il réside dans des principes moraux simples et forts que chacun peut admettre, même celui qui n'en applique aucun, en dehors de toute croyance. Là encore ne confondons pas : l'énoncé du droit des hommes à vivre également est un principe moral, le refus de l'avortement est une dérive éthique. Et c'est cette éthique qui est dictatoriale, répressive, qui alimente les bûchers, pas la morale.

Alex paulista

Et je suis bien d'accord avec Denis Monod-Broca : plutôt que proférer des âneries, autant revenir aux bases du Christianisme.

Avec 2000 ans d'avance, JC nous prévenait que toute règle appliquée absolument comme une loi extérieure aboutissait à crucifier des innocents.
La vérité est intérieure, et sur cet aspect le concept d'éthique (essayer d'évaluer ce que les gens pensent être le Bien sur un sujet précis sans chercher à totaliser ni globaliser) est très chrétien.

La pierre de touche est en nous, et pas dans des règles bidon (fussent-elles édictées par le Ministère de l'Identité Nationale)...

Alex paulista

Jean-Dominique, faites attention.

Quelqu'un utilise votre pseudo pour produire une bouillie infâme mêlant Nietzsche, Freud, Sartre, Nintendo, même Einstein (mais que diable fait-il dans cette galère, est-ce la sonorité de "relativisme" ?).
Il croit qu'on fait de l'éthique par plaisir et voudrait passer la réalité à la moulinette pour la réduire à quelques principes moraux universels, des petites recettes bien pratiques pour que les enfants du 21ème siècle se massacrent poliment comme leurs grands-parents.
C'est faire fi de tout ce que la philosophie sociale a démontré pour sûr depuis 50 ans, revenir aux erreurs (pas uniquement) socialistes.
Le tout en pestant contre l'acculture ambiante, et menaçant d'en faire 20 pages...

Jean-Dominique Reffait

Je reviens au fond du sujet, quoique tardivement : je suis lent pour ce qui nécessite une construction philosophique compréhensible en moins de vingt pages...

A la lecture des commentaires, je redoute un contre-sens, induit, il est vrai par le qualificatif de morale de "pauvre".
Je vais donc, très rapidement, essayer de décrire ceci :

Une morale de pauvre vaut mieux qu'une éthique de riche, et je m'explique.

Le XXème siècle a consacré la mise à mort de la morale philosophique, initiée par les géniales intuitions de Nietzsche, vérifiée par Einstein, Freud et incinérée par l'existentialisme sartrien. Disparition de la métaphysique des moeurs, disparition des concepts absolus de Bien et de Mal, submergés par le relativisme individuel qui substitue à la Morale des comportements relatifs et incohérents entre eux sous le nom générique d'éthique. Si la morale, au sens kantien, est absolue, valide à toute époque et en tous lieux, l'éthique est un assemblage de règles circonstantielles qui se multiplient exponentiellement à raison des conforts individuels ou collectifs, sans nécessité de passer par la Raison et l'Universel. Les religions, qui servaient tant bien que mal de socle à un corpus moral cohérent, n'ont plus prise sur une société atomisée et acculturée et les individus sont laissés à l'état de petits singes dans un enclos, bien obligés de se déterminer des règles conjoncturelles sans lien nécessaire entre elles mais qui permettent de ne pas se marcher sur les pieds en permanence. C'est ainsi que se multiplient les "valeurs", occasionnelles et à géométrie variable. Les valeurs de la République, par exemple, sont aussi indéfinies que fluctuantes et les individus sont égarés dans un enchevêtrement de règles que l'on pare des vertus d'une valeur pour les rendre admissibles par nécessité, sans avoir le besoin de les démontrer. Les règles portent sur les actes (rouler à 200 km/heure est mal, sur une autoroute indistinctement déserte ou fréquentée) et non sur les intentions ou les conséquences. S'ensuivent une accumulation de règles "déraisonnables" en ce sens qu'elles ne se fondent pas sur la raison mais sur l'immédiateté de leurs conséquences supposées. Personne ne peut s'y retrouver et le pauvre en esprit moins que tout autre.

Ce qui est proposé par ce retour au "primum ne nocere" (D'abord ne pas nuire) d'Hippocrate, ne constitue pas, comme je le lis ici, à une réduction de la morale, laquelle a disparu au profit de l'éthique, mais à la réhabilitation de la morale dans son fondement primitif : les dix commandements. Les règles morales sont, par définition, universelles dans le temps et l'espace, elles ne subissent pas l'altération des modes, des circonstances sociales et économiques : elles valent pour le papou et le PDG du Nasdaq. Cette universalité dépouille la morale de toute la gangue parasite de l'éthique pour revenir à quelques concepts élémentaires (élémentaire compris comme "élément constituant" et non comme simpliste) qui sont nécessairement en petit nombre pour être valides pour tous.

Car rien ne saurait être plus simple à énoncer et plus compliqué à mettre en oeuvre que cette notion de "ne pas nuire". Certes, au lieu de passer au crible une infinité de règles éthiques, mâtinées de lois et de sanctions qui les encadrent, les actes sont confrontés à une simple question "Est-ce nuisible ?". Cette simplicité apparente fait bloc, elle fait barrage mieux qu'un milliard de règles éthiques et de lois circonstantielles.

L'exemple suivant concernant la liberté d'expression est évidemment incidente à la prémice "ne pas nuire". C'est l'acte qui doit être estimé au prisme de la nuisance ou non, et non pas le cheminement éthique qui prétend tout lier depuis une intention extérieure jusqu'à un acte délictueux. Notre société s'est accordée des alibis commodes : si j'ai agi ainsi, c'est en raison de ce qui a précédé mon acte et qui est l'oeuvre d'autrui. J'ai joué sur ma Nintendo et j'ai donc tué ma voisine, je partage la responsabilité du crime avec Nintendo, voire c'est Nintendo qui a eu l'intention du crime et je n'étais que son bras armé. Un comité d'éthique ad hoc statuera sur les censures à apporter à Nintendo pour qu'il n'incite plus au crime.

La proposition vise donc à une inversion salutaire qui n'est pas, à proprement parler, l'avènement d'une morale de pauvre, mais de la morale universelle.

Imaginons deux entonnoirs : le premier, celui avec lequel nous vivons aujourd'hui, voit s'entasser dans sa partie large tout un fatras de règles désordonnées, circonstantielles et ces règles qui forment l'éthique, nous devons les compresser pour en faire sortir un acte simple, acceptable par la société au regard de la purée éthique que nous y avons introduit. Personne ne disposant de tout le corpus éthique, le risque est grand que l'acte qui sort de cet examen partiel et aléatoire des règles aura des effets néfastes.

Le deuxième entonnoir se présente à l'envers : une règle morale simple, "ne pas nuire" par exemple, entre par le petit bout simplement, sans triturage, sans inconfort. Il en ressort, par le bout le plus large tout le champ des actes possibles au regard de cette simplicité morale introduite a priori. Mes actes ne sont ainsi pas nuisibles puisque le matériau initial contenait cette prémice.

J'ai fait aussi court que possible...

Denis Monod-Broca

A votre titre "Vive les esprits forts !" je préfère l'affirmation : "bienheureux les pauvres en esprit".

A l'idée de pas nuire à autrui quitte à se nuire à soi-même, je préfère le "commandement" : aime ton prochain comme toi-même.

Aux philosophies et à leurs recettes-miracles, je préfère la pensée biblique et la révélation évangélique car elles nous mettent en face de nos responsabilités : soit la mauvaise imitation, celle de la violence, soit la bonne imitation, celle de l'amour...

Ludovic

@Surcouf,

Je n'ai pas beaucoup d'empathie et c'est peu dire pour BHL, mais pour une fois il ne me semble pas avoir complètement tort. J'ai le plus souvent voté pour le PS mais ce parti, plombé sempiternellement par ses divisions internes et ses courants, faute d'un leader charismatique, me semble avoir perdu toute crédibilité. Incapable de tirer la leçon de ses échecs consécutifs, le PS me fait pitié. Je rêve d'un grand parti d'alternance, d'une force de proposition, mais le PS n'incarne plus rien d'autre que ses propres dissensions. Pourquoi serait-il risible de vouloir passer à autre chose?

Ludovic

@Eolas,

Bonjour cher Maître,

Ravi de vous croiser en ces lieux, je lis vos billets quotidiennement et avec beaucoup d'intérêt. Je ne vous ai encore jamais commenté, simplement parce que vous entrez systématiquement dans des considérations juridiques et techniques que je ne maîtrise pas.Votre blog est passionnant mais, que trouver à vous répondre lorsque l'on est pas juriste ? Je me contente donc de vous lire.
Bien à vous

Aïssa Lacheb-Boukachache

«Ne pas nuire aux autres, rien de plus» aurait été plus judicieux ainsi: «Ne pas nuire aux autres et plus» … Dans ce «plus» ajouté est contenu tout le reste de la vie en ce qu'elle a d'inédit, de farfelu, d'époustouflant, de merveilleux … De navrant aussi tels les accidents, les maladies … Ce «rien de plus», au contraire, est d'une lâcheté, d'une misanthropie et d'un égoïsme infinis … Nietszche lui aurait craché à la gueule, ce Ogien sorti d'on ne sait où… Passons.

Sans transition

Les attaques du CRIF contre PB s'expliquent en ce que certains de celui-là le voient antisémite latent, sourd, en sommeil voire, plus singulier, qui s'ignore, comme ils ont vu de même de Gaulle … On sait tous maintenant l'admiration indéfectible de ce cher PB pour le général. Mais qui ne se souvient de ceci: «Les Juifs, ce Peuple arrogant, sûr de lui, dominateur ...» … Ils inscrivent PB dans ce sillage malheureux de l'adhésion totale et aveugle à un homme, ses paroles, ses écrits et son action, c'est une grave erreur et certes si de Gaulle a récompensé et décoré Papon entre autres pour avoir «si brillamment» servi la Nation en certains temps pénibles, ils ne leur vient pas que ce même «grand serviteur de l'Etat» aurait subi le plus total et implacable réquisitoire de la part de celui qui est par eux accusé aujourd'hui si ce grand procès avait eu lieu à Paris et s'il y avait été en charge du ministère public.

Ces mêmes ne voient pas plutôt qu'il est extrêmement difficile et infiniment courageux de s'exposer ainsi, par des écrits publics reflétant plus qu'une pensée technique et juridique comme il aurait pu se contenter de le faire, reflétant tout un homme même quand il voudrait en garder un peu pour lui, ne pas tout donner … PB se livre ici et, comme dans tout exercice d'écriture, nos vérités nous échappent souvent qu'on ne remarque pas même longtemps après mais que d'autres voient et, malheureusement, en tirent des conclusions par trop brutes, violentes parfois, sans recul, sans nuance … PB est jugé comme à froid par le CRIF et ses chefs, sans enquête préliminaire pourrait-on dire, c'est une véritable erreur judiciaire dont le responsable, comme souvent, n'est nul autre avant tous que celui qui la subit …

Quant à ceux qui font adhérer l'ensemble de la communauté juive de France aux thèses erronées de Prasquier et d'autres responsables du CRIF à l'encontre de l'avocat général sous le seul argument que la majorité de celle-ci a élu ceux-là, il n'est que de répondre qu'élire n'est jamais approuver et tout approuver a priori des futurs élus … Car s'il en était ainsi, on pourrait alors aisément leur opposer que ceux qui pensent cela sont dans le même procès inique dont ils accablent le procureur. Ainsi, parce que lui admire de Gaulle qui a exprimé une chose des Juifs, il serait, de même que lui, un antisémite; eux seraient tous pareillement dans le harcèlement et l'iniquité la plus folle parce qu'ils ont élu ceux qui aujourd'hui en sont plus que tout … Mais j'ai la conviction chevillée en moi que la très grande majorité des Juifs français ne sont pas si paradoxaux pour ne pas dire stupides que cela. On peut être un chef, un brillant chef même et induire des erreurs voire des fautes de jugement que l'on s'efforcera, parmi les troupes, de mettre en évidence, de corriger, d'empêcher autant qu'il se pourra. Ainsi de Gaulle hier, ainsi Prasquier aujourd'hui … L'inverse vaut également et c'est là alors que se révèlent les grandeurs d'intelligence, les vrais chefs, les esprits forts ...


Aïssa.

Guzet

Ruwen Ogien est un doux utopiste. Le vrai philosophe des temps nouveaux - son succès médiatique le prouve - est Michel Onfray et son axiome, dont on peut constater chaque jour la mise en oeuvre du haut en bas de la société. "Chacun doit être à lui-même sa propre norme".

panoptique

Oui, "pauvre" ce principe. Bonne base, condition indispensable du respect de chacun dans une communauté nationale, mais insuffisant je trouve. Comme toutes les prescriptions négatives.
"Ne pas nuire aux autres" ; d'accord à cent pour cent, mais que lui fait-on à la place, à l'autre? Il faut bien lui faire quelque chose, on ne peut pas s'en empêcher...
Finalement, c'est un peu la parole du juge pénal ou administratif : "Fais pas ci ; là tu débordes ; non, ça, c'est interdit, excessif..."
Je trouve que ça nous empêche juste de nous détruire. Ca nous fait survivre, mais certainement pas vivre.

Surcouf

Prenant quelques nouvelles sur le web, en cette fin d'après-midi, je viens de découvrir qu'un esprit malin ou fort, un troll en quelque sorte, venait de frapper une nouvelle fois.
La nouvelle idée de notre nouveau philosophe, j'ai nommé BHL.

Le PS doit disparaître, annonce-t-il avec toute l'outrecuidance qui est la sienne.

Il faut "dissoudre" le PS, "en finir, le plus vite possible maintenant, avec ce grand corps malade", souhaite Bernard-Henri Lévy, qui estime que "sans des primaires à la française, sans une vaste consultation ouverte, populaire, jamais ne s'enclenchera le processus aboutissant à ce nouveau parti de gauche qui rompra avec la machine à perdre".
(source Le Monde)

Enfin une bonne dose d'hilarité dans ce
dimanche un peu trop tranquille.
Je descends à la cambuse sabrer une bonne bouteille de champagne.

Eolas

«Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, a déploré que la délinquance ait cessé de baisser au premier semestre 2009 ».

Rectification : les chiffres de la délinquance ont cessé de baisser. La réalité, rétive aux mesures scientifiques, n'intéresse plus personne au ministère depuis longtemps.

Yves

La difficulté pratique vient de ce que les auteurs de violences ne lisent pas systématiquement la littérature philosophique du CNRS.
L'agressivité non crapuleuse de jadis n'a pas disparu, qui avait des causes aussi futiles qu'une place de stationnement pour automobile, les beaux yeux d'une valseuse, ou la discussion après boire sur le meilleur moyen de gouverner le pays...
Au fil des années, se sont ajoutés de nouveaux faits divers. Une relation amoureuse peut attirer les foudres d'une famille se jugeant déshonorée ; des secteurs de cités ne sont pas accessibles à tous ; une critique collective, même anodine, même artistique, n'est pas tolérée ; une nouvelle forme de tension est apparue lors du croisement de deux personnes sur un trottoir : "il m'a regardé mal !"...
Notre pauvre pays a-t-il pris à la légère l'accueil de nombreuses populations nouvelles dont il n'ignorait pourtant pas la psychologie collective ?

La Sasson

Monsieur l'avocat général,
Vous dites : "Ruwen Ogien. Celui-ci, auteur de "La Vie, la Mort, l'Etat", propose une morale minimaliste excluant les devoirs envers soi-même et dont le seul principe, qu'il qualifie lui-même de "pauvre", est le suivant : "ne pas nuire aux autres, rien de plus". Il ajoute que "de ce point de vue, les torts qu'on se cause à soi-même, qu'on cause aux choses abstraites ou à des adultes consentants n'ont pas d'importance morale".

Lorsque le tort qu'on se cause à soi-même est l'alcool, la drogue ou tout autre addiction, certes on se le cause à soi-même mais on peut également le causer aux autres : violences physiques diverses et variées, violences morales (jamais agréable de constater impuissant la déchéance de celui (celle) qu'on aime), violences verbales et j'en oublie certainement.

Je ne suis pas sûre que ce principe simplifierait la vie en société. Il faudrait certainement y mettre des "amendements" et nous reviendrions ainsi assez vite à la situation actuelle ....

Sinon, Monsieur l'avocat général, c'est toujours un plaisir de vous lire et de vous écouter ! Et surtout, ne lâchez rien !

Alex paulista

@ Catherine Jacob
Intéressant, ce rappel de la critique des déconstructionnistes français qui font rire le monde entier.
Ah le sketch sur le théorème de Gödel que nous font Derrida, Serres ou Debray.
En poussant la bienveillance au maximum, tous ces philosophes me font penser à des artistes français des yéyés comprenant l'anglais par bribes, rajoutant du yaourt et des lalala en français et revendant le tout aux Chinois en s'excusant que la musique soit triturée car c'est de la chanson à texte.
Cela n'empêche pas que le résultat puisse être artistiquement intéressant car les bidouilleurs ont quelque talent, mais faut s'accrocher, surtout si on aime les Beatles.
Après cela, comment en vouloir à BHL. Lui n'a sorti aucun concept à part son philo-marketo-événementiel. Un artiste d'easy-listening, doublé d'un virtuose de la distribution.
Au fond n'est-ce pas lui le vrai créatif ?

La maxime d'Ogien a un sens, qualité trop peu estimée de nos jours.

Eric

La contribution de SR justifie à elle seule les propos de Ruwen Ogien. Une question abordée par SR par le plus petit bout possible de la lorgnette. Sous couvert de lutte nord-sud, il faudrait penser que personne n'est doté d'intelligence et d'autonomie au point que tout choix personnel serait la seule conséquence d'une inégalité économique. Passons vite sur le fait que la réalité sur laquelle se sont penchées par exemple Betsy Aigen ou Elly Teman nous dit une tout autre musique. Mais la question la plus importante à se poser sur ces propos de la dénonciation est : les actes que certains condamnent sur le plan moral peuvent-ils uniquement s'expliquer par une misère économique et nous autorisent-ils à affirmer que des personnes du fait d'une misère économique agissent sans esprit, sans âme ni cœur ? N'est-ce pas une affirmation imbibée de colonialisme mal digéré ? Une dénégation d'humanité ? Car si nous pensons que la misère est un obstacle au libre arbitre, ne devrions-nous pas porter nos efforts sur un meilleur partage des richesses avant de se permettre un jugement moral à distance ? Car qui est le plus coupable ? Ceux, et ils sont majoritaires, qui achètent à prix attractifs des marchandises fabriquées par des femmes ou des enfants payés 1/50ème de notre salaire dans des conditions indignes ou la femme qui porte l'enfant d'autrui en recevant dix années de salaire ? Il me semble que le grand risque de l'argumentation de SR est de mélanger deux débats : la question d'une juste rétribution qui permette le développement économique ET humain dans les échanges internationaux (et il y a beaucoup à faire) et la question du don dans des rapports humains qui engagent. Pour cette dernière, je pense que le respect d'autrui et la place qu'on lui donne sont fondamentaux et n'ont rien à voir avec une morale par définition inhumaine que met à jour Ruwen Ogien. Quand nous parlons de dignité, la décence serait de la promouvoir et non d'accuser nos semblables d'en manquer. Mais ceci est beaucoup moins facile...

liberté-égalité-fraternité

@Jean-Dominique Reffait

M. Reffait,
Sauf le respect que je n'ai pas pour vous, qui êtes-vous pour dire que je porte mal mon pseudo ?
En parcourant rapidement vos participations, je ne peux m'empêcher de me poser la question suivante : qui êtes-vous à nouveau pour parler au nom de la communauté juive que vous qualifiez de "silencieuse" ? Celle qui, selon vos dires toujours, ne pense pas comme la "minorité" que vous évoquez, ou alors a pris ses distances ?
Permettez-moi, avec beaucoup de modestie, de vous signaler que si le CRIF en est arrivé à être élu comme l'organisation officielle représentant l'ensemble de la communauté juive de France, avec le pouvoir d'influence médiatique et politique que nous lui connaissions et qui éclate maintenant jusque dans les plus hautes sphères du Gouvernement, cela ne s'est pas fait avec 2% des voix des juifs.
Par pitié, ayez la modestie de laisser la "majorité" des juifs que vous évoquez s'exprimer, qui selon vous toujours, est en désaccord avec le lobby du CRIF.
Et si elle ne se décide pas à parler, pour l'amour d'une justice française indépendante au service de ses citoyens, je peux modestement vous avancer qu'elle est en accord avec l'action du CRIF, pour ne citer qu'elle.
J'aime la France, mon pays d'adoption que je sers chaque jour que l'on veuille bien m'accorder, et je ne lui souhaite qu'une chose: "justice au singulier".

SR

L'altruisme sera établi lorsqu'une bourgeoise du nord acceptera de porter l'enfant d'une pauvre du sud. En attendant, on parle d'argent nuisible à autrui car il permet de tout acheter jusqu'à l'utérus d'une femme. Une violence non crapuleuse où l'humain friqué peut être capable de s'adonner au pire pour organiser son droit à l'enfant objet dans une société de consommation.

Aïssa Lacheb-Boukachache

Tiens, une leçon de philo proposée calmement par le professeur Bilger, comme c'est singulier … Ca me rassure, vous n'étiez donc pas au bord de la crise de nerf, cher PB … Cependant, qu'est-ce que c'est que cet auteur à la noix que vous êtes allé pêcher là? Ruwen Ogien, un de ces si nombreux penseurs faciles, je suppose, je ne le connais pas ni n'ai l'envie d'en savoir plus, ils prolifèrent, si vous saviez, par tous les temps troublés, autrement dit de toute éternité …
«Ne pas nuire aux autres, rien de plus», tiens donc … J'ai la réponse, simplet: Ne pas venir au monde, point barre ou retourner aussi sec à l'état virtuel! Par sa seule présence, on nuit déjà à quelqu'un et il n'est pas une seconde de la vie d'un être qui ne soit une nuisance pour un autre … Dès la naissance, on lutte et toute sa vie tient en ce combat. Quand on cesse, c'est qu'on est mort … Je préfère relire et vous proposer en saine lecture plutôt cette grande petite femme qui n'était pas une philosophe, elle, qui ne pensait pas des choses compliquées pour se donner des airs graves d'intelligence mais qui était Anne Franck simplement Anne Franck et la dernière ligne de son ultime ouvrage que je ne saurais assez vous recommander de lire à haute voix tel votre serviteur mais en vous regardant bien dans les yeux face à un miroir l'effet est plus prégnant, vif et coupant comme le froid des pôles, à haute voix ainsi que Flaubert en son gueuloir: «Celle que j'aimerais tant être, celle que j'aurais pu être si il n'y avait pas d'autres gens sur terre ...» … Allons, cher PB, lâchez cette prose de cet Ogien bien étrange et saugrenu et ressaisissez-vous, je vous en prie … Ce n'est pas parce que vous retrouvez le sourire qu'il faut verser dans n'importe quoi.


Aïssa.

liberté-égalité-fraternité

Monsieur Bilger,
je ne sais pas si je saurais enrichir votre point de vue, mais vous avez enrichi le mien, et je vous en remercie.

Eric

Les propos de Ruwen Ogien sont salvateurs au sens où ils décapent la couche d'intégrisme religieux qui se dépose sur nos démocraties. Pourquoi parler d'intégrisme religieux ? Car c'est une démarche prosélyte qui tend à imposer comme des normes sociales des interdits dont la transgression ne porte préjudice ni aux autres, ni à soi-même. Exemple : la sexualité avant le mariage, le recours à l'Assistance Médicale à la Procréation, le choix de mourir dans la dignité. Trois domaines où l'intégrisme nous parle d'un pêché gravissime, alors que la seule "chose" offensée est l'intolérance d'empêcheurs de vivre en rond. Autre exemple, la gestation pour autrui que certains ont voulu circonvenir à la mère porteuse. Peut-on un seul instant croire que dans un état de droit une femme ne puisse pas prendre une décision libre et éclairée de porter par altruisme l'enfant d'une famille qu'elle souhaite aider ? Ne sommes-nous pas en face d'un despotisme (et d'une misère intellectuelle) quand l'égérie de la fraternelle Pie X, Sylviane Agacinski, nous dit que c'est à des personnes comme elle de définir ce qui est humain et ce qui ne l'est pas ? Le concept de ne pas faire de mal à autrui impose de vérifier que toutes les conditions d'un consentement libre et éclairé sont respectées, mais qui ne peut se permettre de se substituer à l'autonomie d'une personne. La loi ne peut interdire des actes dont les risques ne sont qu'une probabilité faible au regard des bénéfices attendus par les protagonistes. Mais elle est dans son rôle quand elle pousse à vérifier que toutes les protections possibles et existantes ont été prises en compte. Si nous fermons les yeux sur ces principes, S. Agacinski et consort nous proposera d'interdire le mariage, la contraception et l'avortement comme concepts immoraux car portant en eux le risque d'une appropriation par la domination masculine sur les capacités sexuelles et procréatives de la femme. Alors oui, les propos de Ruwen Ogien sont salutaires pour nos libertés individuelles et pour un rappel des valeurs laïques, seules à même de faire bien vivre nos différences.

Surcouf

"Ne pas nuire aux autre ni plus ni moins"
"Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent."
Tout cela dans la perspective d'une vie en société, d'une vie en commun.

Telle qu'elle est annoncée, cette sentence est terriblement réductrice et les commentaires précédents le montrent aisément.
Je serais néanmoins curieux de voir cette maxime appliquée dans notre société, certes avec discernement.
Mais réapprendre, ou simplement apprendre, à vivre ensemble dans le simple respect des uns et des autres ne devrait pas être un mal.
Il n'est nul besoin de pousser ces réflexions à l'extrême mais déjà accepter que quelqu'un puisse respirer le même air que soi, occuper le même lieu, partager la même vie...

Un exemple ordinaire, lorsque l'on voit l'agressivité des gens dans le métro, j'en suis toujours étonné.
Pourtant, je l'emprunte tous les jours, je devrais donc y être habitué, mais non je ne m'y fais pas.

Une société du chacun pour soi dites-vous ?
Mas c'est déjà le cas. C'est bien pour cela, à mon sens, que l'on a de si gros problèmes de "convivialité".

Égoïsme et indifférence, violence, règnent bien souvent en maîtres dans nos rues.
Les incivilités qui pourrissent la vie à petit feu sont partout et il me semble que le repli sur soi en est une des conséquences. S'isoler du monde pour ne pas avoir à en souffrir.

Partis le respect d'autrui, la politesse élémentaire, qui initie le rapport social.
Partie la compassion aux malheur de son voisin qui initie l'amour d'autrui et les relations amicales.
Partie la soif de partager toutes choses.

Je citerai ici Marc Aurèle
Les hommes sont faits les uns pour les autres. Donc instruis-les ou supporte-les.

Pour une application sociale de la maxime qui nous occupe, il faudrait peut-être dire, répéter, expliquer à tous, que la vie en commun n'est pas immuable et nécessite l'acceptation d'un apprentissage permanent.
On ne peut pas vivre de certitude, sauf à s'isoler du monde.

Et c'est là où je donne raison aux détracteurs de la maxime initiale "Ne pas nuire aux autres ni plus ni moins".
Appliquer pleinement cette sentence, c'est par évidence, pour moi, s'isoler du monde. C'est tétaniser l'homme dans ce qu'il a de moins intéressant, sa condition animale, et escamoter ce qu'il a de plus fantastique, sa dimension humaine.

Alex paulista

Juste une remarque:
Ce principe fondateur ne résiste à aucun des paradoxes classiques de théorie des jeux qui ont démontré il y a des années qu'aucune morale satisfaisante au sens éthique ne peut se baser sur le rationnel.
Tous les dilemmes où vous pouvez choisir de mettre en danger quelques personnes pour en sauver encore plus n'ont pas de réponse issue de principe logique. Encore moins de celui-là, qui pousserait parfois à ne rien faire.

Nous ne pouvons que réfléchir en réunissant année après année des comités d'éthique pour plancher sur des dilemmes précis.
Ils proposent, sur chacun, un instantané de ce qui se rapproche de l'intime conviction de la société.

Cette règle de non-nuisance semble sortie d'une réflexion éthique sur la médecine, qu'on voudrait extrapoler au reste.

Le principe même de vouloir trouver un principe générique est erroné. Mais très stimulant, comme toute erreur...

Catherine JACOB

In limine commentationis :
Ruwen Ogien , philosophe français contemporain et directeur de recherche au CNRS, a produit une thèse de philosophie, sous la direction de Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France. "Ce dernier est connu pour des ouvrages critiques sur ce qu'il considère comme des impostures scientifiques et intellectuelles, à savoir une partie de la philosophie française des années 1970, 1980, 1990 – Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Jacques Derrida et Gilles Deleuze –, les nouveaux philosophes, et la presse qui aurait asservi la philosophie en produisant un journalisme philosophique sensationnaliste." Ouvrages critiques qui, a priori, ne doivent pas être faits pour vous déplaire j'imagine.

Je lis l'article du Monde consacré par Roger-Pol Droit, un autre philosophe, chercheur au CNRS se consacrant à 'cette éthique dont tout le monde parle et dont tout le monde se réclame mais finalement au sens si obscur', et chroniqueur au Monde, à "La vie, la mort, l'Etat : Le débat bioéthique", Éditions Fayard, coll. « Mondes vécus », Paris, 2009, 221 p. (ISBN 978-2246750116), l'ouvrage d'Ogien que vous évoquez et je reviens.
http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/07/16/ruwen-ogien-ne-pas-nuire-aux-autres-rien-de-plus_1219322_3260.html

Ludovic

Bonjour M. Bilger,

A cette philosophie minimaliste de l'individualisme et de l'indifférence, je préfère encore Térence : "Homo sum, et humani nihil a me alienum puto" (je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est étranger).

Daniel Ciccia

L'utilité principale de la liberté d'un individu réside dans le fait du libre-arbitre qu'elle lui procure pour échanger cette liberté qui est sienne contre un ensemble de contraintes et d'obligations: c'est ce qu'il me semble.

Si l'on pose la question de l'individu, on ne peut pas éviter de se poser la question de sa dignité et de ce qui la fonde.
Ce qui fonde la dignité personnelle, ce sont la valeur de ses croyances, leur universalité, leur profondeur, la discipline de vie auquel on consent.
Elle est autant définie par ce que l'on s'autorise que par ce que l'on s'interdit, sachant que l'Humanité s'est probablement constituée par des tabous, des pudeurs, des "interdits": tu ne tueras point, et des rites "fondateurs" comme la sépulture qui se perdent au-delà de la mémoire des hommes.

Ce que postule le philosophe que vous citez, c'est une vision réduite, purement consommatrice et jouissive.
On cherchera dans cette perspective la part de l'âme.
Il est paradoxal, d'ailleurs, que cette "morale" soit celle qui s'est développée à partir de l'expérience "désaliénante" de 1968.
On comprend qu'elle puisse séduire car elle figure une société sans trop de tabous (y compris par rapport à Ero et Thanathos: liberté sexuelle + liberté de mourir) régie par une notion vague et circonstancielle, où chacun est son propre maître: ma licence étant délimitée par le tort fait non plus à des tiers, constitutifs d'un corps, mais aux autres dont on sait qu'ils sont l'enfer.
C'est pourtant, en creux, le choix d'être prisonnier de pulsions, d'envies, de lubies, dont il n'est pas sûr qu'elles nous soient finalement plus personnelles et identitaires que les règles éthiques d'une tradition sociale et morale.

Enfin, la vision de l'auteur que vous citez et que je n'ai pas lu suppose aussi, ce qui n'est pas le plus simple, de s'entendre sur la manière de caractériser le tort que quelqu'un peut opposer à un tel système.
Il peut imposer, sur des majorités "immédiates" voire "immédiatiques" de communautés, sa loi. Celle de l'égotisme exponentiel, et sa belle promesse sur une planète qui accueillera plusieurs dizaines de milliards d'êtres.
Je subodore surtout la capacité de tyrannie monstrueuse de cette "philosophie". Elle ferait des esclaves consentants, hélas convaincus - belle revanche sur la religion - qu'il n'y a pas de vie éternelle, de bien ni de mal en absolu, et qu'après moi le déluge.
Ce qui est bien pour vivre désinhibé.
Je pense que ce sont des dangers potentiels que vous auriez vu seul.

SR

On n'arrive pas où on ne veut pas corriger les inégalités sociales, alimentaires, de santé, d'accès à l'eau et à l'électricité et pourtant pour satisfaire la pensée bourgeoise bien installée dans son confort, on intègre l'idée que tout s'achète: la vie comme la mort, il suffit de décider du moment. Un enfant qualifié de Fedex respectant le délai de neuf mois (on pourra bientôt faire plus court): élaboré en laboratoire, commandé en Inde, suivi sur internet, expédié à New-York pour 5000 $. Pauvres gosses qui découvriront leurs origines sur un profil Twitter.

Patron-voyou

Dans certains cas, ne pas nuire à l'autre, et rien d'autre, c'est déjà lui nuire : cas de non assistance à personne en danger.

Droit d'indifférence ?

Il n'existe pas, selon mes maigres connaissances, de morale religieuse qui prône l'indifférence. Y compris dans le bouddhisme.

Avec cette théorie, il n'y aurait pas eu de civilisations humaines. L'individualisme et le repli sur soi maladif, cautère sur une jambe de bois de solitude urbaine, ne peut simplement être imaginé par un humain rural, c'est-à-dire les deux tiers de l'humanité.

Et c'est de là que nous venons.

Clafoutis

Bonjour,

"ne pas nuire aux autres, rien de plus"
Bien.
Mais être sûr que ce que l'on fait ne nuit pas aux autres n'est pas si facile.
Obtenir un parachute doré nuit-il aux autres ?
Solliciter une mère porteuse lui nuit-elle ?
Faire du wind-surf au large d'Ouessant nuit-il aux autres ?
Refuser une vaccination nuit-il aux autres ?
Et vous trouverez une multitude d'autres cas ambigus, où l'on peut répondre "non" dans un premier temps puis "oui" après réflexion.
Finalement cette morale minimaliste est un peu courte.
A moins qu'elle soit suffisante ?
Ou bien définitivement non ?

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