J'ai honte d'évoquer cette affaire alors que, par exemple, en Guinée, l'armée a durement réprimé une manifestation. Il y a plus de cent cinquante morts (Le Monde).
Pourtant, ce qui est advenu à Roman Polanski, arrêté en Suisse, emprisonné dans l'attente de son extradition vers les Etats-Unis, n'est pas dérisoire et mérite bien plus, à mon sens, que les commentaires contrastés mais prévisibles des tenants de cette double vision : Roman Polanski est un artiste, on n'a pas le droit d'y "toucher" ; la justice doit s'appliquer à tout le monde, même trente-deux ans après les faits.
La première version est la pire. Elle a été développée notamment par deux ministres Bernard Kouchner et surtout Frédéric Mitterrand. Ce dernier a poussé des hauts cris au nom de la culture et invoqué le génie du cinéaste. Kouchner, à le suivre, estimerait injustifiables des poursuites contre le talent. Derrière ces pétitions vagues et indignées pointe l'idée dangereuse que l'art devrait bénéficier d'un statut particulier. On récuse la justice de classe mais on nous propose une justice de célébrité. Frédéric Mitterrand s'est fait une réputation littéraire en suscitant la pâmoison de la critique pour avoir narré ses rapports tarifés en Asie avec des "garçons" : ce qui émeut le "bas peuple" avec Polanski ne l'a sans doute pas bouleversé.
Au contraire, soutenir sans nuance que la procédure américaine est normale, que les dernières péripéties suisses sont légales et qu'au fond il n'y a pas de quoi s'agiter constitue une perception un peu courte.
Roman Polanski est accusé d'avoir violé (il nie qu'il y ait eu viol) à Los Angeles Samantha Geimer, âgée de treize ans, en lui administrant un puissant sédatif. Les faits ont été commis en 1977. En libération conditionnelle, le cinéaste qui avait environ trente ans de plus que sa victime a pris la fuite et depuis, n'est jamais revenu aux Etats-Unis par précaution. Il s'est rendu en revanche régulièrement en Suisse où il était propriétaire d'un chalet. Il semble qu'en 2005, le processus d'extradition ait été réactivé et paradoxalement, tout récemment, à la suite d'une intervention des avocats américains de Polanski mettant au défi les autorités de leur pays. Ils laissaient entendre que Polanski ne serait jamais interpellé parce que la justice américaine craignait de voir gravement contestées ses méthodes. Cette maladresse a entraîné probablement la suite qu'on connaît.
Le cinéaste, en dépit de la demande de mise en liberté sous caution déposée par ses avocats dont Me Temime et de la plainte dénonçant un processus fautif selon sa défense, risque de demeurer incarcéré durant plusieurs mois en Suisse (Le Monde et Le Parisien).
On peut concevoir que tel ou tel accusateur américain ait désiré profiter de cette douteuse affaire pour sa propre illustration. On peut s'étonner de cette mansuétude suisse longtemps manifestée. On peut constater l'ancienneté des faits et regretter la conception extrême qu'ont les Etats-Unis de la prescription. Mais, face à ces considérations, il y a eu une fuite dont Roman Polanski était à même de prévoir qu'elle aurait un jour une conclusion préjudiciable. Il y a eu un événement grave en 1977, de quelque manière qu'on l'analyse, et ce n'est pas notre modernité qui protège obsessionnellement les enfants qui en démentira la portée.
J'ai fait allusion au double discours facile de l'immunité artistique ou de la répression brute. Il y a eu tout de même ces derniers jours des voix heureusement discordantes. Je songe à la liberté imprévisible d'un Cohn Bendit qui fait son charme. N'a-t-il pas eu raison de conseiller au ministre de la Culture d'examiner les dossiers avant de parler ? Au sein de l'UMP, des interventions ont rassuré qui ont critiqué la bienveillance conformiste des deux ministres. Sur le blog de Jean-Marcel Bouguereau (nouvelobs.com) on trouve une remarquable synthèse des points de vue sur cette affaire et il me semble deviner que son esprit n'est pas loin de pencher vers la sévérité. Il n'est pas neutre non plus de constater que les Américains ne sont pas scandalisés mais, pour ceux dont on a recueilli les réactions, approuvent sans états d'âme le cours de leur justice.
Il aurait fallu au moins mesurer la complexité du problème avant de s'enflammer et montrer un peu de respect pour la légalité, pour avoir le droit ensuite d'en discuter l'esprit. Il me semble qu'en effet - je l'écris sans être péremptoire - le légal n'est pas forcément légitime en toutes circonstances et que l'Etat de droit, à se vouloir détaché du contexte et de la vie, gagne en dureté certes mais perd en validité. Je suis persuadé qu'en l'occurrence le sens de l'opportunité n'aurait pas été l'adversaire de l'Etat de droit mais son intelligence. Il y a des téléscopages parfois nécessaires entre la pureté de la légalité et la finesse de l'équité. Il y a des applications de la loi qui créent plus de trouble à l'égard d'une situation particulière et pour la société que l'abstention réfléchie. L'ancienneté des faits, la volonté de la victime, rapportée dans un document de 2008, de retirer sa plainte - elle a d'ailleurs exprimé publiquement son pardon - (Le Canard enchaîné), le long délai procédural, le hiatus entre ce qu'était Polanski et ce qu'il est devenu constituent autant d'éléments qui, malgré sa fuite qui a pu valablement irriter, mériteraient d'être invoqués pour solliciter de la justice américaine non pas la bienveillance mais la pertinence. Il y a à l'évidence, si la raison l'emportait, matière à un accord avec un cinéaste qui a autant intérêt que ses adversaires américains à la mesure et à la conciliation.
Faut-il plaindre Roman Polanski ? Peut-être. Pas parce qu'il est artiste. Parce que la justice, c'est aussi de savoir sagement s'arrêter à temps.
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