Ripostes, avec Serge Moati, a été une émission touchée en pleine gloire. Un des nombreux paradoxes de la vie médiatique : on tue ce qui est aimé (trop ?) par le téléspectateur.
C politique, avec Nicolas Demorand, a pris la relève chaque dimanche à la même heure.
Je n'ai pas l'intention de jouer le "Michel Drucker" des blogueurs et de me lancer dans des dithyrambes sur l'un et sur l'autre. Je connais mieux Serge Moati - un ami passionné et passionnant -, que Nicolas Demorand que je n'ai eu l'occasion de rencontrer que dans le registre professionnel. Mais les deux, dans des genres différents, ne me laissent évidemment pas indifférent et il va de soi que j'ai suivi avec beaucoup d'attention bienveillante les débuts de Demorand après m'être attristé de la fin de Ripostes.
C politique, sur le plan de sa structure, a pâti de la volonté manifeste d'abandonner le pluralisme du débat, l'affrontement d'opinions et de points de vue multiples au profit d'un dialogue entre Nicolas Demorand et son invité politique. Quel que soit le talent du premier, il est quasiment impossible pour le second de susciter un intérêt vif et durable dans ce cadre. L'opposition, même fortement exprimée parfois entre les contradicteurs, ne suffit pas à créer cette tension, ce stimulant désordre qui venaient seulement de l'imprévisibilité des propos d'un groupe dont les membres avaient justement été choisis pour leur antagonisme.
Nicolas Demorand a vite senti les lacunes de cette nouvelle formule et faute de pouvoir ou de vouloir récréer Ripostes, il a tenté, par sa seule attitude intellectuelle et son verbe pugnace, d'instaurer un climat qui ferait gagner sur le plan de la qualité des échanges ce que le nombre réduit à deux avait fait perdre.
Il me semble qu'ici ou là, des réussites sont apparues mais trop fugaces pour ne pas inquiéter les partisans, dont je suis, d'une émission politique emblématique le dimanche. Le contraste entre le Demorand radiophonique et le Demorand télévisuel est éclatant. Sur France Inter, nous ne sommes confrontés qu'à sa voix, à son contenu et à sa tonalité et même si d'aucuns croient devoir le critiquer, par exemple pour la partialité qu'ils lui prêtent, Nicolas Demorand n'est jamais pris en position directe d'agressivité. La voix permet de présumer mais n'établit rien. A la télévision, au contraire, le questionnement qui se veut sans complaisance et qui de fait ne l'est pas toujours, dans tous les cas est enrichi du visage qui par ses expressions illustre de manière redondante ce que le langage et son mode avaient déjà révélé. Non pas que Nicolas Demorand soit mal à l'aise techniquement. Il n'est pas particulièrement gêné par le fait d'être VU en même temps qu'il parle et à l'évidence il maîtrise le processus de la télévision et de ce qu'elle implique. Son visage n'est pas moins télégénique que celui de tel ou tel autre mais il n'empêche que son ton donne l'impression de friser le vindicatif parce que, tout simplement, son apparence physique et la sévérité souvent délibérée de sa physionomie ajoutent une part de partialité et une verve trop polémique à des questions qui, à la radio, demeureraient enfermées dans leur autarcie sonore. Nicolas Demorand force souvent le trait, joue de son visage pour que le téléspectateur le prenne au sérieux dans ce rôle d'interviewer où il est tenté d'en faire trop pour ne pas être accusé de ne pas en faire assez.
Ainsi a-t-il questionné Marine Le Pen avec une violence contenue, une aigreur civique, certes traditionnelles à l'encontre de la famille Le Pen et notamment de sa fille, mais qui m'a étonné de sa part. On sentait poindre sous chaque interrogation la justification du journaliste : "Je lui pose une question mais vous avez vu et entendu sur quel ton, et j'écoute à peine sa réponse !" Aussi surprenant qu'ait été cet échange d'une durée substantielle, j'avoue ne pas avoir été scandalisé par la nature de ce dialogue dans la mesure où Marine Le Pen, quoi qu'on pense d'elle, a su ne pas rendre la joute trop inégale.
En revanche, la tranquillité voire l'affabilité avec lesquelles Henri Guaino a été sollicité m'a perturbé. Certes, il parvenait à placer l'adjectif "républicain" dans chacune de ses phrases mais était-ce une raison pour lui permettre un dialogue aussi peu risqué, si rarement inquisiteur ! Je me suis rendu compte alors à quel point le journalisme français gagnerait non pas à se laisser apprivoiser par des personnalités comme celles de Le Pen père et fille mais à traiter l'ensemble de la classe politique de la même manière. Ou bien faut-il considérer que l'onction du Pouvoir, le parfum élyséen doivent naturellement entraîner urbanité et modération ? J'aurais été ravi de voir et d'entendre Henri Guaino soumis au même régime, à la même répétitive acrimonie. La démocratie deviendrait vite exemplaire si elle offrait aux citoyens, par l'entremise de la télévision, des séquences nettes et brutes d'analyse politique et de décapage personnel sans flagornerie ni détestation - de la vraie et pure parole de journalistes indépendants.
Le hasard, au cours de cette émission où Henri Guaino n'a pas été rudoyé par Nicolas Demorand, a pourtant favorisé une ouverture en démontrant ce que pourrait être un C politique qui ne laisserait pas le téléspectateur à distance mais le prendrait à l'esprit, sans le lâcher une seconde. Henri Emmanuelli, que j'avais sous-estimé comme contradicteur, a été remarquable en face d'Henri Guaino et nous avons eu droit à une empoignade où des questions sont certes demeurées sans réponses, non pas à cause de la vacuité du débat mais grâce à son intensité acerbe. Nicolas Demorand, dont "la bêtise n'est pas le fort", a perçu que l'émission lui échappait au moment même où elle devenait passionnante. Artificiellement, parce qu'il était là et que c'était son rôle, il a cru bon de "reprendre la main" mais il a perdu la partie en l'occurrence. Car cette séquence révélait la force possible et la faiblesse réelle de C politique, ses ambiguïtés en tout cas.
J'espère que d'une manière ou d'une autre on aura le courage de refaire Ripostes avec C politique.
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