On peut penser ce qu'on veut de Philippe Courroye, procureur de la République à Nanterre, futur procureur à Paris, dit-on, et ami du président de la République. Magistrat très intelligent et à l'évidence intouchable. Le grand intérêt des faveurs d'Etat, c'est qu'elles vous rendent invulnérable. On a le droit de l'apprécier, de l'aimer ou de le détester. De louer sa compétence, son sens politique ou de discuter ses pratiques.
Mais cette liberté n'est pas donnée à tout le monde. Tant mieux.
Je trouve déplaisante la démarche d'un Alain Carignon, premier homme politique à avoir été condamné lourdement à la suite d'une instruction menée à Lyon par Philippe Courroye. Les infractions pour lesquelles il a été sanctionné n'étaient pas bénignes, c'est le moins qu'on puisse dire. Il a exécuté sa peine puis, peu à peu, est revenu dans le champ politique, jouant, paraît-il, auprès de Brice Hortefeux le rôle d'Alain Minc auprès de Nicolas Sarkozy. Des amis fidèles l'ont toujours soutenu, notamment Bernard-Henri Lévy qui n'a cessé d'écrire du bien sur lui. Aujourd'hui, Alain Carignon, discret mais présent, pourrait se contenter de son retour en grâce.
Mais la tentation a été trop forte. Au mensuel lyonnais Lyon Capitale de décembre, il a déclaré que "les excès de pouvoir des juges d'instruction aboutissent à leur disparition" puis il s'est déchaîné sur Philippe Courroye, mélangeant allègrement dans sa dénonciation l'analyse judiciaire avec le comportement personnel. Tout y est passé, du futile à l'important (Le Monde, sous la signature de Sophie Landrin).
Cette charge pourra sans doute faire plaisir aux adversaires par principe du magistrat. Elle me gêne, émanant d'Alain Carignon. Tardive, elle n'est plus très courageuse. Elle s'abrite derrière un débat général, pour lancer des perfidies dont je ne suis pas sûr qu'elles mettent à mal la légitimité du professionnel incontesté qu'était alors Philippe Courroye.
Surtout, je ne suis pas persuadé - en dépit de la mode qui affectionne ces procédés - qu'un ancien condamné soit le mieux placé pour offenser ses juges. Certes, il peut invoquer une expérience négative mais cette dernière ne permet pas de lui faire confiance au regard des appréciations qu'il porte. Le ressentiment l'égare et il serait miraculeux que la lucidité l'emporte sur l'aigreur. La seule exception notable a été celle de Pierre Botton qui avec un souci de la vérité impressionnant n'a pas plus accablé l'administration pénitentiaire que l'instruction.
J'entends déjà les protestations pour oser mettre en cause la validité de toutes ces protestations d'innocence relayées complaisamment par les médias, de ces discours prétendant être emplis de la vérité infuse au prétexte qu'ils seraient tenus par des gens ayant connu, à leur détriment, la justice de trop près. Pas à cause d'elle, à cause d'eux. Je ne dénie évidemment à personne le droit de réfléchir, de s'émouvoir ou de critiquer mais il y a une forme d'arrogance chez d'anciens condamnés qui leur fait confondre leur expérience singulière avec le pluriel d'une pensée et d'une vision équilibrées et lucides.
Alain Carignon s'inscrit en ce sens dans un mouvement qui a culminé avec le Groupe Mialet. Celui-ci, avec un infini sérieux, a dispensé des leçons de morale à la justice au prétexte qu'il était composé de mis en examen, de coupables ou d'anciens détenus. Le monde était renversé et la transgression la plus inexcusable - la misère n'était pas à sa source - venait, vient de manière comminatoire se poser en juge. C'est du moins la leçon que j'ai tirée de mon passage devant ces inquisiteurs assez contents d'eux il y a quelques années.
A tout prendre, je continue à préférer les doléances et réclamations des honnêtes gens plutôt que de personnalités ayant plus ou moins tâté de l'administration judiciaire. Je privilégie les citoyens qui attendent tout de la justice plutôt que ceux qui ont eu à la subir. Les seconds systématiquement la dénigrent quand les premiers ont cette espérance inquiète qui rassure sur leur bonne foi et est susceptible de convaincre.
Alain Carignon est un mauvais procureur : il donne envie de défendre Philippe Courroye.
Les commentaires récents