Il y a l'impuissance du droit, parfois. Mais sa force aussi, en certaines circonstances. Quand tout semble perdu, le droit vient jeter son trouble bienfaisant, sa révolte utile au sein d'un univers qui paraissait s'accommoder sinon de son absence du moins de sa discrétion.
On n'a pas assez à mon sens attiré l'attention sur ce que Le Monde a annoncé sous ce titre général qui exprime bien la nature du problème : "L'Etat condamné en appel pour les conditions de détention en prison - Après cette victoire, les avocats multiplient les procédures dans plusieurs villes". L'article lui-même est signé par Alain Salles.
La loi pénitentiaire a été votée. Nous disposons d'un contrôleur de tous les lieux d'enfermement et de rétention en la personne de Jean-Marie Delarue. Même si cette double réalité constitue un progrès, qu'on estime ou non les avancées insuffisantes, il n'en demeure pas moins que l'Etat, pourtant conscient de la honte carcérale et persuadé de la validité d'une politique de rigueur pour les délits et les crimes les plus graves, a traîné de l'esprit et de l'action pour tirer les conséquences d'une indignité reconnue par tous. Et pas seulement par l'OIP !
Au fond, le droit, que l'urgence imposait et qui a été délaissé, s'est vengé. L'Etat en avait négligé les ressources, des avocats les ont mobilisées au service des détenus. Il y a quelque chose de satisfaisant dans cette constatation, quoi qu'on pense des condamnés, que le droit, s'il est inexploité comme outil, devient ailleurs et pour d'autres une arme. Faute d'avoir favorisé une régulation pénitentiaire, il a été détourné pour se mettre au service d'une révolte carcérale.
Il ne convient certes pas de surestimer les effets de ces recours engagés contre l'administration pénitentiaire et qui ont conduit pour la première fois une cour administrative d'appel - celle de Douai en l'occurrence - à condamner l'Etat pour des conditions de détention "n'assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine". A l'origine de cette judiciarisation de contestation, un avocat, Me Etienne Noël. Un premier succès au mois de mars 2008 puis des procédures en référé accueillies favorablement. C'est un mouvement contagieux et qui met l'Etat en face de ses obligations. Des exigences d'une mission qu'il se flatte d'assumer mais sans véritable effectivité.
Cette fronde qui prend le droit au mot et qui paradoxalement fait des prisons des lieux de droit a pour grand mérite de stimuler, de titiller, de contraindre le Pouvoir. Il est exclu que ce dernier puisse demeurer indifférent dans son attitude générale à toutes ces revendications particulières. Il y a là plus que des coups d'épingle à une politique pénitentiaire qui ne va pas assez vite, assez fort, en dépit de Claude d'Harcourt, le directeur de l'administration pénitentiaire. L'arme du droit place la réalité au premier plan et contraint au mouvement. L'indignité sanctionnée, c'est mieux que l'indignité dénoncée.
Surtout, à titre personnel, je ne déteste pas ces combats où je peux adhérer sans réserve aux démarches des avocats. Pas d'ambiguïté ni de confusion dans ce domaine, le rapport à la vérité n'est pas en cause, les philosophies du magistrat et de l'avocat ne sont pas antagonistes mais alliées : la honte des prisons légitime ces guérillas et les avocats qui les mènent méritent notre appui.
Quand le droit est une arme en faveur de la justice.
Cher Monsieur Bilger,
Les murs de vos prisons ont encore tué un homme, un de plus, Mohammed Ida, mort à la prison de Borgo pour avoir vécu dix ans en France, sans papiers, mort de la menace qui lui était faite de l'expulsion au sortir d'une prison dont il n'aurait jamais dû franchir la porte. Décidément, ce sont des gens comme lui qui sont de "Grands Français", en face de magistrats toujours méprisants et gonflés de leur "Francitude". De grâce, nous ne vous demandons pas de vous faire aimer, mais tout de même : entendez, s'il vous répugne d'écouter.
En attendant, Mohammed Ida est mort ce mois-ci à la prison de Borgo. Pour l'administration pénitentiaire, ce n'est que regrettable. Pour le magistrat qui l'a conduit en geôle, c'est oublié !
Entendez !!!
Rédigé par : ROUTA VILLANOVA | 28 novembre 2009 à 16:20
Merci cher Guile pour cette information ... C'est vrai que j'avais zappé le côté administratif de la juridiction en question. J'omettais également de dire qu'il faut ainsi que vous et PB tirer le chapeau à ces avocats qui n'hésitent pas à se colleter avec ces choses de la dignité humaine, même avec l'Etat.
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 27 novembre 2009 à 20:08
M. Bilger,
Votre non inquisitoire à l'encontre des avocats vous soustrait aux sempiternels poncifs maintes fois entendus.
Vous clamez victoire à la nomination d'un contrôleur, néanmoins le nombre de centres de rétention à sa charge ne peut suffire, semble-t-il, à la tâche calendaire d'un seul homme.
Hélas vous semblez justifier l'inhumanité carcérale par la gravité des crimes et délits.
Rendons grâce au droit européen qui accorde dignité aux détenus.
Rédigé par : frédéric | 27 novembre 2009 à 18:58
@ Aïssa
Il est vrai que si les tribunaux condamnaient l'Etat de manière systématique, cela poserait un problème pour l'Etat, mais en aucun cas pour les magistrats.
Je vous rappelle que la CAA de Douai est une juridiction administrative qui est, à ce titre, habituée à condamner l'Etat à verser des dommages et intérêts à toute victime des fautes commises par lui. Quel que soit le domaine, cela se fait tous les jours (certes en matière de condition de détention, c'est une nouveauté, mais fondée sur des preuves, éléments caractérisés par de nombreux rapports).
Jamais cela n'a conduit l'Etat à réformer la justice administrative ou à mettre sous sa coupe les magistrats de l'ordre administratif.
Ces derniers voient leur carrière gérée directement par le Conseil d'Etat, juridiction suprême de l'ordre administratif, sans que le gouvernement ne puisse intervenir.
Bref, Aïssa, ne vous inquiétez pas, s'ils n'ont pas sanctionné auparavant l'Etat c'était par manque de preuves fiables et non par idéologie.
Rédigé par : Guile | 27 novembre 2009 à 18:39
Attention mon cher Alexandre à ne point trop faire vite le panégyrique de Finkielkraut … Entre ce sujet de votre admiration et le pro-fesseur, il n'y a, comme vous le voyez, que la différence d'un mince tiret qu'une oreille avertie seule saurait entendre … C'est Antier qui ricane entre Platon et le martinet ...
Excellent mais insuffisant (pas votre commentaire, cher PB mais la décision de cette cour d'appel que j'avais déjà signalée …) … Excellent en ce sens qu'une Cour de Justice constate une situation et de ce fait re-dit le Droit s'y appliquant en y adjoignant -ce qui est le plus important car le plus dissuasif- le paiement de dédommagement sonnant et trébuchant aux concernés détenus. Insuffisant car l'ensemble des Cours et tribunaux de France saisis ne se laissera pas, à mon sens, influencer en cela par cette jurisprudence, ce pour des raisons idéologiques et de peur d'entrer ouvertement, comme la décision du tribunal de Rennes confirmée par celle de la Cour d'Appel de Douai les y invite clairement, en conflit avec le gouvernement. Chaque tribunal et chaque Cour obligeant ce dernier à verser des sommes relativement conséquentes à chaque détenu ou ex détenu qui les saisirait, vous imaginez bien que ce serait vite intenable pour les décisionnaires politiques et administratifs … On se demande bien pourquoi ce Siège judiciaire s'en prend ainsi violemment aujourd'hui et maintenant à ce pouvoir politique ... Vous avez une idée peut-être vous car moi je ne devine vraiment pas quelle mouche a bien pu le piquer … Hum …
Ce étant, je vous reprends vite: vous induisez gravement en erreur le quidam qui vous lit et il faut rattraper ça: LE DROIT N'A PAS ETE DETOURNE PAR LA DECISION DE CE TRIBUNAL DE RENNES CONFIRMEE PAR CELLE DE LA COUR D'APPEL DE DOUAI CONDAMNANT L'ETAT ET DEDOMMAGEANT DES DETENUS, IL A ETE SIMPLEMENT ET HONNETEMENT APPLIQUE! IL N'A PAS ETE DETOURNE! Il faut faire attention à l'emploi des mots, cher PB; maîtriser son langage si on veut dire au clair son opinion ou expliciter son idée, vous serez d'accord avec moi …
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 27 novembre 2009 à 17:54
Le droit est une arme, dont les magistrats s'accommodent très bien.
Soumis à l'Etat, ils ne s'aventurent pas à poursuivre celui-ci chaque fois qu'il est en faute.
Combien de centaines de morts dans les prisons, alors que l'Etat responsable n'a rien fait pendant des années.
Si on a en soi la fibre de la révolte exacerbée, toute injustice quelle qu'elle soit est intolérable.
La tache indélébile du péché originel se situe toujours du côté de la bonne conscience, là où le remords n'a pas accès, chez ceux pétris de certitudes.
Rédigé par : yves | 27 novembre 2009 à 15:04
Alors on peut attendre des poursuites et des condamnations pénales également lorsque les autorités Françaises enlèvent Carlos et les pirates somaliens et lorsque la justice se rend "complice" de fabrication de fausse monnaie en prenant bien garde de ne pas rechercher ni poursuivre les véritables auteurs des faux dinars ?
Si le droit est une arme, attention de ne pas vous blesser Monsieur Bilger, un coup est si vite parti !
Rédigé par : Patrick Handicap expatrié | 27 novembre 2009 à 13:33
@PG
Oui, certes le droit est une arme !
Et comme toute arme, elle nécessite qu'on l'emploie au lieu de la laisser au râtelier quand il faut l'employer.
Une arme aussi puissante et efficace soit-elle, n'a de valeur qu'en fonction de celui ou celle qui l'utilise et surtout de l'objectif visé.
Et là, j'ai de sérieux doutes sur l'emploi et l'objectif d'une telle décision en appel.
Bien que louable ce sera un coup d'épée dans l'eau qu'on va nous ressortir pendant dix ans sans que rien ne change en détention ni dans les pratiques de l'AP.
Tant qu'une juridiction extérieure au système lui-même ne pourra pas être saisie avec pouvoir de poursuite, rien ne changera.
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 27 novembre 2009 à 11:50
Monsieur Bilger,
Je tenais à vous faire part de l'immense respect que j'ai pour vous après avoir lu ces mots.
D'abord, et ce n'est pas si fréquent, vous félicitez les avocats pour leur travail. Il est vrai que votre quotidien est d'être opposé à eux sur "l'éclairage de la vérité".
Cette fois pourtant, vous êtes leur allié.
Ensuite, sur le fond, je partage évidemment ces mots si justes et si forts sur la place du droit dans notre société et surtout, son efficacité face à l'incurie de l'Etat.
Je suis ravi de voir qu'enfin, le droit entre en prison, lieu où il n'aurait jamais dû être expulsé, pour favoriser la réintégration des détenus. Parce qu'au fond, il est là l'enjeu pour notre démocratie : un détenu respecté dans son humanité mais privé de liberté pour ses fautes, est un détenu qui a toutes les armes (sans mauvais jeu de mots) pour se reprendre en main.
Le détenu humilié jusque dans sa chair, sera frustré et revanchard. Ce n'est jamais bon pour la paix sociale...
Alors MERCI pour ce billet qui me touche professionnellement (mes confrères ont oeuvré pour la Justice).
Rédigé par : Guile | 27 novembre 2009 à 11:11
Heureux de vous lire dans ce registre.
Il y a un avantage considérable à ces décisions judiciaires : l'opinion publique dispose désormais d'un instrument d'appréciation objectif. Certains pouvaient fustiger ces caprices de détenus qui se croient au Club Med tandis que d'autres les imaginent au goulag. Désormais, chacun sait par des attendus de jugements circonstanciés, ce qui est illégal dans la détention en France.
Il ne s'agit plus d'opinions, d'impressions ou de sentiments, il s'agit du point de basculement entre le légal et l'illégal, chacun doit s'y conformer, y compris en acceptant les dépenses nécessaires. Plus de compassion outrancière, d'angélisme ou de diabolisation : la loi.
Rédigé par : Jean- Dominique Reffait | 27 novembre 2009 à 11:03
"Il y a là plus que des coups d'épingle à une politique pénitentiaire qui ne va pas assez vite, assez fort, en dépit de Claude d'Harcourt, le directeur de l'administration pénitentiaire."
Claude d'Harcourt... ce nom m'évoque l'un des douze enfants de Philippe de Gueldre, duchesse de Lorraine, très précisément le n°7 : Claude (1496-1550), duc de Guise, comte d'Harcourt, d'Aumale, baron d'Elbeuf, de Mayenne et sire de Joinville
Profitons en pour rappeler le magnifique gisant de Philippe de Gueldre qui se trouve situé dans l'église des Cordeliers, à Nancy. L'une des oeuvres majeures de Ligier Richier (sculpteur lorrain du début de la Renaissance, Saint-Mihiel, v. 1500 - Genève, 1567) , avec Le Transi de René de Chalon, méditation sur la mort et l'amour qui la transcende d'un pathos absolument magistral : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b3/Le_Transi_de_Ren%C3%A9_de_Chalon_%28Ligier_Richier%29.jpg pour "Le Transi" et http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/CORD-Gisant_Philippe_Gueldre.jpg pour le gisant, qui dégage une paix devant laquelle il m'est arrivé de rester en contemplation.
"Le droit est une arme : Il y a l'impuissance du droit, parfois. Mais sa force aussi, en certaines circonstances."
Pour Nietzsche "Le droit dépend de l'équilibre des forces" et "chacun à des droits suivant la puissance qu'il possède", mais aussi, "les puissants ont tout intérêt à protéger les faibles" et quoi de plus faible qu'un prisonnier à merci! (Cf. également relativement à l'équivalence 'droit'/'puissance' Traité théologico-politique, chap. IV, ou Traité politique, chap. II de Baruch Spinoza, pour lequel le droit naturel de chaque être est strictement corrélatif à la puissance de sa nature.)
Autrement dit, s'occuper des prisons où sont tenus les plus faibles (de ce fait) d'entre nous, participe du machiavélisme le plus basique et ne pas s'y attacher avec la dernière énergie, de l'erreur politique susceptible des plus désastreuses conséquences. Autrement dit encore, le droit est la seule armes véritable de conservation d'une certaine puissance !
Rédigé par : Catherine JACOB | 27 novembre 2009 à 09:26
J'aimerais savoir, Philippe, qui freine des deux pieds dans cette administration ?
Il y a quelque chose d'incompréhensible á savoir que les prisons soient encore et toujours une vraie honte quand on sait que tout le monde ne peut que gagner á ce que l'on accélère les travaux, les mises aux normes ou les nouvelles unités.
Qui est coupable ?
Vraiment, il faut saluer cette condamnation en appel.
Qu’au moins cela serve á quelque chose.
Rédigé par : JPLedun | 27 novembre 2009 à 02:33