Je n’ai jamais apprécié
la condescendance d’une certaine critique à l’égard d’Anna Gavalda et de ses
livres. Cette idée fausse que les bons sentiments ne font pas de la bonne
littérature a perverti l’esprit de beaucoup, qui se piquent de savoir mieux que
les lecteurs amateurs (au sens étymologique) ce qui devrait ou non convenir à
notre goût et mériter l'admiration de l'élite qu'ils croient incarner. Cette désinvolture qui consiste à très peu parler du livre mais à traiter avec une dérision amusée son auteur m'a toujours choqué.
J’aime ce qu’on m’a dit
d’Anna Gavalda, j’aime qu’elle n’économise pas son temps ni son écoute
lorsqu’un énorme public sollicite une dédicace, j’aime les réponses jamais
banales qu’elle fait aux questions souvent répétitives qu’on lui pose (Le
Dauphiné Libéré). et en particulier son plaisir d'être une messagère privilégiée pour faire lire d'autres écrivains. J’aime qu’elle ne soit pas une femme, une personnalité, un auteur ordinaires.
Je me souviens de son
roman La Consolante au sujet duquel je m’étais permis d’écrire un billet.
J’avais manifesté ma déception pour les 200 premières pages de son livre puis
mon enthousiasme sans nuance pour les 400 dernières. Je n’osais espérer un
signe de sa part, je n’y pensais même pas. Pourtant, quelque trois mois après
sa rédaction, j’ai reçu un bref commentaire qui se contentait, avec une ironie
qui avait de l’allure, de me signifier « qu’elle essaierait de faire
mieux la prochaine fois ». J’avoue que cet unique message m’a confirmé
dans le fait que cet être était singulier, à la fois modeste et sûr de sa force
parce que celle-ci la conduisait loin des sentiers battus de la vie littéraire
et de la vanité des auteurs.
Lisant en une heure
L’Echappée belle, j’ai retrouvé dans ce court récit un univers dont le lecteur,
pris une fois dans sa magie, ne peut plus se passer. Bien sûr, la poésie de
l’enfance, des mots de passe qui permettent à des frères et sœurs de se glisser
dans un monde à eux en ouvrant toutes les portes, le bonheur des rites à la
fois tendres et décalés, l’attrait d’une existence ni tout à fait la même ni
tout à fait une autre, les sourires et les tristesses de complicités tellement
accordées et fusionnelles qu’elles en deviennent une mélancolie par
anticipation à l’idée de les perdre, le dégoût des comportements que la grâce
jamais n’ennoblit et que la haine toujours dégrade.
Qu’on ne s’y trompe pas
cependant. Anna Gavalda n’est pas une mièvre du cœur qui se contenterait de
nous faire rire en nous entraînant, dans le même mouvement, au bord d’une
émotion se retenant juste avant de pleurer. Ce que je privilégie chez elle,
c’est son aptitude à la dénonciation tendre, à la mise en pièces de ce que
l’adulte, l’âge adulte jouent comme rôle et comme comédie. Elle place au cœur
du réel un explosif qui est un regard infiniment lucide mais chargé d’espoir,
contre vents et marées - la subversion d’une sensibilité et d’une intelligence
qui fuient la banalité du pessimisme pour le pari de la confiance. Qui refusent
la peur pour laisser une chance à l’imprévisible talent de l’humain à secréter
du bonheur.
Ce n’est pas que tout
soit parfait dans ce livre. Je n’éprouve aucun scrupule à m’aventurer sur ce
terrain car, à la lire, je n’ignore pas qu’Anna Gavalda déteste plus que tout
la condescendance. Qui aime bien critique bien. Le respect qu’on doit à cet
immense talent, c’est d’abord de le prendre au sérieux. Il me semble que,
quittant le territoire de la dérision vive et de la satire sociale feutrée,
légère et d’autant plus redoutable, Anna Gavalda est moins à l’aise dans la
relation d’une entente pure entre frères et sœurs. Il y a quelque chose, chez
elle, qui appelle le sarcasme doux et l’acerbe tendre. Il faut qu’elle
s’oppose. Son monde devient infiniment convaincant quand elle détruit
l’adversaire, à petites touches rapides. Elle est une militante mais de la
vraie vie. Lunaire, songeuse, délicate mais terriblement précise. Avec un
langage qui sait inventer autant de trouvailles que la diversité des
sensations, des sentiments et des nostalgies en a besoin.
Alors, ces critiques
littéraires qui la prennent de haut, confondant son humanité avec de la bêtise,
son univers avec de la naïveté, son succès avec de la démagogie, son style avec
de la platitude, se trompent du tout au tout. Anna Gavalda est un grand
écrivain du singulier et du pluriel, de ce qui rassemble et de ce qu’on
regrette, des blessures qu’on guérit et des fêlures invisibles mais tenaces.
Vraiment – je ne vois pas de comparaison plus juste et plus gratifiante -, elle
est notre J.D.Salinger. Avec moins de bizarrerie, plus d’empathie.
L’Echappée Gavalda.
Je désirerais dire à Florence qu'il est absolument ridicule de refuser de lire un livre, pour seul motif que l'auteur lui est insupportable. Seul compte l'histoire et le style, non celui (ou celle, en l'occurrence) qui l'a écrit...
Rédigé par : Rey | 24 mars 2010 à 17:06
Apres c'est promis "je la boucle"...jusqu'a l'annee prochaine !
Je viens de finir "La Reine du silence" de Marie Nimier... trouve par hasard dans une bibliotheque Anglaise. Magnifique oeuvre biographique ou elle relate avec une infinie pudeur ce qui survit pour elle de sa relation avec son pere decede accidentellement lorsqu'elle avait 4 ou 5 ans.
Existerait-t-il un gene de la litterature ?
Desolee de ce hors-sujet de fin de decennie mais j'avais emprunte, en meme temps, un roman ecrit par Anna Gavalda qui m'a bien plu... mais moins quand meme ; "Je l'aimais".
Ces deux auteur(e ?)s finissent par se melanger dans ma tete !
Rédigé par : Valerie | 31 décembre 2009 à 18:56
Avec un certain retard, je mets mon grain de sel à ce sujet. J'aime bien Anna Gavalda et je n'ai pas encore lu son dernier livre. Comme Philippe, je suis mal à l'aise quand la critique bien-pensante la torpille, ou pire la dédaigne.
Ce matin, faisant mes courses, j'écoutais le podcast du fameux "Masque et la plume" qui traitait de l'"échappée belle" (émission du 20/12 encore disponible). Bien entendu je m'attendais au pire... et j'ai eu la bonne surprise de cette fin d'année : les quatre critiques présents sur le plateau ont chanté la louange du livre et de son auteur.
MAIS LA JUBILATION VIENT D'AILLEURS !
Écoutez ce malheureux Jérôme Garcin perdant ses repères, désarçonné, dépité, incrédule, en M. Loyal cherchant enfin le bon sens d'une descente en flammes attendue et ne trouvant que compliments et encouragements à lire un livre traité avec condescendance par son Nouvel Obs. Comment va t-il pouvoir repasser la porte de son journal ?
On cherche une cagoule pour Jérôme Garcin.
Rédigé par : Jiel | 30 décembre 2009 à 17:21
Promis, rien que pour vous, je lirai Anne Gavalda. Mais rien, ni personne, même vous, ne me fera relire du Amélie Nothomb, pourtant adulée de la critique littéraire. Son narcissisme et sa préciosité me sont insupportables.
Bonnes fêtes de fin d'année.
Rédigé par : Florence | 27 décembre 2009 à 18:53
Anna Gavalda colle bien à l'air du temps, cet air tranquille qui rend les hommes niais et amoureux de lettres formatées qui déclament les âmes humaines comme simples soucieuses de ses proches. Bref, allez savoir pourquoi, ce sont ces mêmes hommes qui invoqueront un retour de testotérone dans les écoles. C'est une écriture calquée sur les romans Harlequin, mais les prénoms ont changé, à la place de Karen ou de John, on trouve des personnages plus frenchies dans un microcosme middle class.
Rédigé par : SR | 27 décembre 2009 à 17:46
Je n'ai pas lu l'auteur avec un 'e' réputée 'la plus lue des français' de nos jours, mais de façon à comprendre l'intérêt du billet du jour, j'ai effectué quelques recherches sur cette jeune auteure, descendante Rothschild dit-on, qui a débuté dans la vie comme professeure de français, et j'ai trouvé cette vidéo de 9mn d'une récente interview sur RTL, assez intéressante je dois dire, bien que d'un point de vue étranger au roman dont il est question et qui fait également le sujet de la dite interview dont voici l'adresse : http://www.rtl.fr/fiche/5929394926/Anna-Gavalda-invitee-exceptionnelle-de-Laissez-vous-tenter-video.html
A quand un grand succès littéraire également pour le professeur de français Jean-Baptiste Bilger dont vous nous avez récemment entretenu à propos du procès en béatification de Pie XII, ou bien cet enseignant est-il trop préoccupé des progrès de ses élèves pour distraire du temps qu'il consacre à la préparation de ses cours qui leur sont destinés et le consacrer à une activité plus frivole? Mais bon, il reste les vacances....
Rédigé par : Catherine JACOB | 27 décembre 2009 à 15:53
@SR
"Crétinisme :
1- Forme de débilité mentale et de dégénérescence physique en rapport avec une insuffisance thyroïdienne et souvent accompagnée de goitre.
2 - Par extension : grande bêtise" (Le Robert)"
Je n'ai, malheureusement, pas de Littré sous la main.
En revanche, j'ai "L'échappée belle" :
"Pourquoi les gens qui crient plus fort que les autres nous impressionnent-ils ? Pourquoi les gens agressifs nous font-ils perdre nos moyens ? Qu'est-ce qui ne va pas chez nous ? Où s'arrête la bonne éducation et où commence la veulerie? " (p. 32).
"On peut aussi dire que ce n'est pas de la lâcheté. On peut aussi admettre que c'est de la sagesse. Admettre que nous savons prendre du recul. Que nous n'aimons pas marcher dans la merde. Que nous sommes plus honnêtes que tous ces gens qui moulinent sans cesse et n'irriguent nulle part.
Oui, c'est ainsi que nous nous réconfortons. En nous rappelant que nous sommes jeunes et déjà trop lucides. Que nous nous tenons à mille coudées au-dessus de la fourmilière et que la bêtise ne nous atteint pas tant que ça. Nous nous en moquons. Nous avons autre chose. Nous avons nous. Nous sommes riches autrement. Il suffit de se pencher à l'intérieur (...)" (p. 34).
"Tout ça et plus encore
Assez pour ne pas s'abîmer l'âme.
Assez pour ne pas essayer de discuter avec les abrutis.
Qu'ils crèvent.
Ils crèveront de toute façon.
Ils crèveront seuls pendant que nous serons au cinéma.
Voilà ce qu'on se dit pour se consoler (...)" (p. 37)... de lire que ce roman participe du "crétinisme ambiant".
Rédigé par : emmapeel | 27 décembre 2009 à 15:29
Depuis le "Voyage" de Ferdine, rien de neuf.
Rédigé par : Savonarole | 27 décembre 2009 à 12:07
C'était en mai ou en juin, je ne sais plus. Un lecteur me demande si nous achèterons le livre d'Emmanuel Carrère : "D'autres vies que la mienne". Je lui réponds que le tsunami, le cancer, la disparition, la mort, le deuil, ah non, pas Carrère, pas lui.
Cet écrivain est trop aigu, trop bien, trop tout pour nous infliger ce que les mauvais livres n'évitent jamais.
Dans mon entourage proche, quelqu'un a acheté le livre d'Emmanuel Carrère. Alors je parcours les premiers mots, les premières pages, histoire d'être honnête, vis-à-vis du lecteur de la Bibliothèque, dans mon a priori contre le récit de Carrère.
C'était un après-midi. Je n'ai plus quitté ce livre.
En novembre un monde pour moi a chaviré. La maladie, la mort, les agonies ont terrassé mes paysages.
En lisant votre billet que j'élargis aux récits que nous lisons sans le souhaiter vraiment, par obligation ou par hasard, moi qui suis si loin de lire Anna Gavalda, j'ai pensé à ce secours a posteriori que représente à présent, dans ces jours noirs, "D'autres vies que la mienne ".
Ce qui compte en littérature, ce sont cette force et cette sauvegarde de nous-mêmes que, sans même le soupçonner, nous puisons dans les mots d'un livre.
Après la mort de Juliette, dans le récit d'Emmanuel Carrère, il y a quelque chose d’étrangement paisible qui nous déchire. Cette paix des jours d'après qui nous brise, tôt ou tard, elle devient, elle deviendra, la nôtre.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 27 décembre 2009 à 09:28
Fidèle au point de vous lire avant même que d'ouvrir le courrier, je vous souhaite, ainsi qu'à tous vos lecteurs et commentateurs, une bonne et heureuse année.
Rédigé par : FMD | 27 décembre 2009 à 00:36
Une Gavalda s'est échappée ! Devinez avec qui... Un avocat général ? Mais je le croyais déjà parti avec Isabelle Huppert. A moins que ça ne soit avec Soutine. Vous n'y pensez pas : il n'a pas fait son coming out ! Qu'en dirait Ionesco ?
Rédigé par : Jules Esneval | 26 décembre 2009 à 23:01
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, "ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre", et m'aime et me comprend.
Jolie référence.
Rédigé par : Monzing | 26 décembre 2009 à 18:42
Monsieur l'Avocat général,
Secrètement, j'attendais ce billet.
Imaginant que vous pourriez apprécier cet auteur.
De la vraie vie.
Et sa musique.
Malheureux les blasés et autres pédants !
L'échappée belle ou 165 pages de pur bonheur.
Les relations familiales, la fratrie, l'enfance, les faux-semblants, les convenances, le divorce, la littérature, la musique, les petites lâchetés et les grands bonheurs, les autres, le temps qui passe...
La vie, tout simplement.
Bienheureux ceux que cet auteur aide à vivre et à supporter parfois l'insupportable, familial comme social.
Mille mercis de l'avoir écrit.
Rédigé par : emmapeel | 26 décembre 2009 à 15:32
Ah non, ses livres sont mièvres, mais bon ils correspondent au crétinisme ambiant.
Rédigé par : SR | 26 décembre 2009 à 14:33