Bret Easton Ellis est heureux de la mort de J.D Salinger. Pour lui, "c'est la fête" (nouvelobs.com,Le Monde, Le Figaro).
Pas pour moi.
Aussi odieux et invisible que soit devenu l'homme qui n'écrivait plus que pour lui depuis tant d'années, l'éblouissement et le charme de L'Attrape-coeurs demeurent comme au premier jour, l'enchantement étrange, délicieusement biscornu, tendrement lunaire des Nouvelles continue de rayonner dans ma tête et aucun, jamais, même chez d'autres écrivains américains, les plus doués pour ce genre d'exercice, n'est parvenu à égaler J.D Salinger. Peut-être seulement la mélancolie douce et amère, ailleurs, en un autre temps, d'un Tchekhov.
Je continue de marcher avec Holden Caulfield et sa soeur Phoebe n'est pas loin. Ses adorables grossièretés résonnent dans mes oreilles et il a mis en moi, pour la vie, sa joyeuse tristesse, son allant incroyablement lucide et frais. L'enfance, grâce à lui, n'est pas une pâte molle et sucrée mais un pays unique. Ses errances nous guident. Il fait partie de notre univers intime. On a envie de réaliser son rêve, de l'aider à "attraper les coeurs dans le seigle".
Merci à J.D Salinger d'avoir créé, il y a si longtemps, pour l'éternité. On n'a pas si souvent ce genre de joie, ce bonheur inaltérable. On doit tout pardonner au vieillard au nom de l'homme de 31 ans qui, en 1951, a inventé, par la sensibilité et le style, une oeuvre plus forte que toutes les désillusions.
@ Savonarole
Ah ! je n'avais lu la dernière phrase. Alors, tout est pardonné. C'est en effet un livre majeur, voire indispensable. Cordialement.
Rédigé par : hantayo | 08 février 2010 à 17:40
@ Savonarole
C'est sans doute votre manque de persévérance (j'ose penser que ce n'est pas par haine de l'ami américain) qui vous amène à ainsi caricaturer la littérature américaine. Je ne vais pas énumérer les nombreux auteurs américains talentueux. Je ne puis croire qu'on avance de telles généralités sans vergogne. Comme si "tous les grecs étaient menteurs", et ainsi de suite.
Rédigé par : hantayo | 08 février 2010 à 14:57
@Jean-Dominique Reffait
"Oui, cette littérature est fortement inspirée par le cinéma, comme toute la culture proprement américaine. Dans ses nouvelles, le point de vue de Salinger est un point de vue de caméra."
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Je ne vois pas en quoi nous pourrions être en désaccord...
Mais c'est précisément ce qui me gêne dans la littérature américaine, trop proche du cinéma et aux frontières de la BD.
Névroses, whisky et petites "pépées", ça passe dans Hammet ou Chandler, pour le reste ça manque de classe.
Franchement, avec ce Holden Caulfield, gendre idéal, on est loin du Des Esseintes de Huysmans dans "A rebours" ou du Bardamu de Céline, du René ou du Roquentin de "La Nausée".
Mais, pour ne chagriner quiconque, je recommanderai de Robert Penn Warren : "Un Endroit où aller".
Rédigé par : Savonarole | 01 février 2010 à 13:12
Savonarole, ah non, la littérature américaine ne se réduit pas à un rewriting de films, loin de là. Le problème réside dans la traduction de cette littérature très typée. Rien n'est moins classique que la littérature américaine, ce qui signifie qu'aucun des codes littéraires européen ne peut y être associé. Dante, Shakespeare ou Goethe peuvent être traduits en français sans perdre leur âme car ils s'insèrent dans une époque de la culture européenne qui nous est perceptible en français. Mark Twain reste ancré dans le classique comme Edgar Poe. Faulkner ou Dos Passos non. Et ça dévie méchamment dans la seconde partie du 20ème siècle. Scott Fitzgerald échappe un temps à cela parce qu'avec Gatsby, il se réfère au classicisme revendiqué par Gatsby lui-même. Comment voulez-vous traduire correctement un texte américain bourré de "fucking" : il y a un rythme propre à cette expression, que l'on peut tout à fait ressentir dans le cinéma de Tarantino mais qu'il est difficile de rendre dans une autre langue qui ne dispose pas de l'équivalent.
Salinger a usé de cette trivialité du langage parce qu'à cette époque, l'Amérique devient américaine, elle se sépare de l'Europe culturellement. Les années 50 marquent un tournant dans le cinéma américain : l'Actor's Studio incite à parler américain, avec une prononciation américaine. Comparez la prononciation des années 30/40 à celle des années 50 et suivantes : aucun rapport. Je comprends les premières, après j'ai besoin des sous-titres. Littérairement, c'est la naissance d'une littérature américaine qui n'est plus en imitation déférente de l'anglaise.
Oui, cette littérature est fortement inspirée par le cinéma, comme toute la culture proprement américaine. Dans ses nouvelles, le point de vue de Salinger est un point de vue de caméra. Le format des nouvelles est un format de scénario. C'est une forme nouvelle d'écriture, un style qui n'existait pas et que les Américains ont inventé.
Tant mieux ou hélas pour nous, la littérature américaine est de très loin supérieure à la nôtre aujourd'hui (dans la mesure où je demeure sur l'Hexagone et que je ne prends pas en compte les immenses auteurs francophones, notamment antillais, que nous négligeons incroyablement ici).
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 01 février 2010 à 12:22
Odieux, Salinger ? parce qu'il était misanthrope ? parce que le cirque médiatique pas plus que celui du monde ne l'intéressait ? Je comprends mal. Mais le vieillard qu'il est devenu n'a aucune excuse à demander au jeune homme de 31 ans qu'il fut. Bien au contraire.
Cela dit puisque vous aimez disséquer les âmes, si ce retrait du monde - ou peut-être son mépris pour lui - venait de ce que vécut le jeune homme idéaliste engagé pour la liberté et qui découvrit sur les plages de Normandie une des plus grandes boucheries du monde ? Ne pensez-vous pas qu'il y a là, largement, de quoi se méfier des hommes ?
Rédigé par : Catherine A | 01 février 2010 à 09:53
Cher Philippe,
J'écris ce commentaire pour dire que je n'en ferai pas sur ce billet.
En effet, vous avez la gentillesse de nous faire partager un peu de votre intimité littéraire.
Elle mérite d'être appréciée simplement, sans commentaire, comme un bon moment autour d'un verre... en silence !
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 01 février 2010 à 08:42
Bonjour monsieur Bilger.
J’avoue, à ma grande honte, n’avoir lu aucune œuvre de Salinger. Et malgré votre billet dithyrambique sur cet auteur taciturne, je dois vous avouer que les commentaires des distingués lettrés de votre blog ne m’incitent pas vraiment à le lire.
En fait, concernant la littérature américaine, j’aurais plutôt tendance à rejoindre l’avis de Savonarole...
Rédigé par : Achille57 | 01 février 2010 à 07:49
J'ai lu L'attrape-coeurs parce que je n'arrêtais pas d'en entendre parler, notamment par certains auteurs français dont Philippe Djian. Apparemment c'est un livre qui a marqué toute une génération.
Je l'ai donc lu. Mais j'avoue que grande fut ma déception. Rien ne m'a paru extraordinaire dans ce livre, il m'a même ennuyé, je me suis forcé à le terminer.
Rédigé par : Passant | 31 janvier 2010 à 21:55
Bonsoir M.Bilger. C'est le désert dans les commentaires pour ce billet... J'ai lu, sur causeur, une brève de Jérôme Leroy qui ne va pas vraiment dans votre sens, puisqu'il juge "L'attrape-coeurs" surévalué par la critique, et très mal traduit.
Pour ma part, je ne connaissais, ni de près, ni de loin ce monsieur, et visiblement, vu le nombre de commentaires, sa cote était peut-être bien surévaluée !?...
Rédigé par : Herman | 31 janvier 2010 à 21:10
Desolee, rien a voir avec l'auteur dont il est question dans ce billet mais hier j'ai lu cet article et me demandais si cette pratique editoriale etait aussi courante en France ?
From The Sunday Times January 24, 2010
Junket author Lionel Shrive plugs paradise
Author's new novel has glowing references to a resort where she enjoyed a free holiday worth £5,000 on the island of Pemba
http://entertainment.timesonline.co.uk/tol/arts_and_entertainment/books/fiction/article6999936.ece
Rédigé par : Valerie | 31 janvier 2010 à 17:36
On va me jeter des pierres, mais c'est peut-être le moment d'avouer que la littérature américaine m'a toujours fait suer.
D'Hemingway à Dos Passos, on a toujours l'impression de lire des scénarios de cinéma, qu'il faudra découper en plans pour ça ait un sens.
Ces pages de dialogues interminables, ces descriptions pré-cinéma-technicolor, ces gazouillis humanistes sur "La Crise", ces loosers "magnifiques" en pagaille, tout ça c'est du boulot d'empailleur. Du toc.
C'est peut-être aussi ce qui a distingué Salinger de ses contemporains américains : la grâce d'un livre sans prétention de moins de 200 pages.
Rédigé par : Savonarole | 31 janvier 2010 à 15:03
"une oeuvre plus forte que toutes les désillusions."
PB
Jolie formule.
Avez-vous lu Russel Banks ?
Quelque chose, vraiment.
Et on file le Nobel au gentillet Le Clezio...
D'ici à ce qu'on file la présidence à un Sarkozy... non... sans déconner ! Ils l'ont fait...!???
Quel attrape-arrache coeur.
AO
Rédigé par : oursivi | 31 janvier 2010 à 14:03
Foudroyé par son succès, il aura eu le bon goût de ne pas nous infliger 30 autres "chefs-d'oeuvre" de type Proust...
C'est peut-être aussi la raison de sa longévité littéraire : un moment de génie créatif, et puis s'en va.
Salinger fait penser à ces chanteurs "Pop/Rock" que l'on appelle les "One Hit Wonders" : un succès et ils disparaissent.
Et pourtant, la seule chanson qu'ils ont écrite nous reste en tête 30 ou 40 ans...
Sa panne créatrice demeurera un mystère.
Au fond, avait-il encore autre chose à nous faire partager ? Peut-être pas. C'est sans doute mieux ainsi.
Pour les amateurs de Salinger , profitez de cette occasion, pour lire ou relire la nouvelle "L'Homme Hilare".
Un conte fantastique entre la 25e et Upper East Side.
Ensuite, amusez-vous à regarder sur Internet les quelques interprétations de cette nouvelle par nos "penseurs" germanopratins ! Un autre chef-d'oeuvre !
- L'explication marxiste : "c'est une critique virulente de l' Amérique", etc...
- L'explication psyco-socio-marabout du CNRS ou de l' EHESS : "Bien que, et/ou, si tant est que l'on puisse l'appréhender"....
Vous rirez encore...
Rédigé par : Savonarole | 31 janvier 2010 à 09:31
J'ai lu l'Attrape-Coeur tardivement, largement adulte - en fait le bouquin se trouvait dans les quelques livres disponibles dans une location de vacances. J'ai regretté de ne l'avoir pas lu plus tôt : c'est très américain et renvoie à une image de l'Amérique des années 50, aux couleurs saturées. Mon fantasme américain était déjà fait, je n'avais plus la fraîcheur... Pas moyen, par exemple, d'échapper à la collision avec la Fureur de Vivre.
C'est un des plus beaux livres qu'il m'a été donné de découvrir.
J'ignorais tout de l'auteur, il me semble que c'est d'ailleurs ce qu'il souhaitait ardemment !
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 30 janvier 2010 à 01:59