Je ne suis pas un spécialiste de Serge Gainsbourg. Mais il est devenu tellement encensé qu'il s'est installé, de gré ou de force, dans la tête de tous. Je l'ai découvert grâce à quelques chansons anciennes comme "L'eau à la bouche" ou "La chanson de Prévert" puis, beaucoup plus tard, ses frasques médiatiques et alcoolisées, ses compositions pour d'autres m'ont convaincu qu'il y avait dans ce personnage, aussi insupportable qu'il ait pu apparaître, quelque chose d'unique. Une sorte de génie de la chanson, pourquoi pas ? Une blessure à vif, une détresse, un goût quotidien de la destruction de soi, du suicide ?
La remarquable biographie de Gainsbourg par Gilles Verlant m'avait permis de surmonter mille préventions et de me plonger dans un univers fascinant, quoiqu'aux antipodes du mien. C'est dire avec quelle impatience j'attendais de voir le film qu'a consacré Joann Sfar au chanteur. Le matraquage médiatique n'y a rien fait. Cette oeuvre, qualifiée de "conte" par son auteur mais fondée surtout sur des épisodes réels et, pour l'essentiel, amoureux de l'existence de Gainsbourg n'est pas une réussite. Le "conte" n'est pas bon et l'authenticité ne parvient pas non plus à susciter l'adhésion. Le cinéaste perd sur les deux tableaux parce que son scénario n'est pas assez élaboré ni profond pour offrir une représentation satisfaisante de cet artiste mythique. Cela aboutit à des longueurs en même temps qu'à de la précipitation. Par moments c'est presque ennuyeux alors que pourtant tout ce qui nous est offert demeure à la surface.
Certes on a une succession de séquences qui se veulent des fragments rapides du destin de Lucien Ginsburg puis de Serge Gainsbourg. Ces péripéties fondées presque exclusivement sur sa vie amoureuse font quasiment disparaître l'infini talent du créateur, son intelligence artistique et ses paradoxes stimulants derrière des scènes de lit et de sexualité faciles. Joann Sfar, confronté à une tâche presque impossible tant Gainsbourg a été multiple, riche et contradictoire, a préféré adopter la solution la plus commode qui est de ne pas chercher à exprimer les vérités contrastées d'un être mais ses comportements les plus aisés à traduire par l'image.
Sa tentative de débusquer au moins la double personnalité de Gainsbourg tourne au ridicule avec la présence obsédante de ce "mauvais génie", marionnette qui l'accompagne trop souvent et trop longtemps dans le film. Ce procédé répétitif est un aveu d'impuissance. Quand on ne sait pas exprimer un monde intérieur fluctuant et antagoniste, les ombres et les lumières, on fabrique un compagnon imaginaire qui à la longue fatigue plus qu'il ne révèle.
Une fois de plus, comme il arrive fréquemment avec des oeuvres imparfaites, ayant manqué leur cible, ce film est sauvé par un fantastique acteur, Eric Elmosnino qui physiquement, gestuellement, en parlant et en chantant, restitue Gainsbourg dans une intégrité que le scénario n'a pas su développer ni amplifier. Laetitia Casta tient la comparaison esthétique avec Brigitte Bardot et, miracle, elle n'est pas trop insupportable comme actrice. Ce sont tout de même des bienfaits périphériques quand le coeur du film est raté.
Je suis sûr que Gainsbourg n'aurait pas aimé. Il y avait chez lui, derrière son âpreté, sa dureté, ses provocations et ses violences un orgueil bien placé, le sentiment qu'en dépit de tout il ne pouvait pas être traité à la légère. Cette oeuvre qui prétend l'honorer l'oublie. Entre toutes les scènes il manque un lien, un trait d'union qui seuls auraient pu leur donner sens et magie : Serge Gainsbourg lui-même.
Avant que ne retombe le souffle du sujet, à écouter, un excellent entretien avec le très estimable Joann Sfar, par le toujours impec, Michel Ciment*.
http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/projection/
Elle m'a donné envie de finalement voir le film, peut-être pour ses défauts, justement.
AO
* dont me revient la très longue interview qu'il fit avec Serge G, dans le magazine Positif, fin 86 je crois ; dois l'avoir gardée quelque part, une des épiphanies de la mise à jour, du dévoilement, où Serge laissa la provoc à deux poinçons pour causer art, pourtant sans afféterie par trop visible.
Rédigé par : oursivi (SG Sfar et Ciment) | 01 février 2010 à 13:55
Je n'ai pas encore vu ce film. Je ne peux donc pas m'exprimer à son sujet. Simplement il s'inscrit dans la vague des "biopics" qui fleurit ces dernières années. Il y ainsi eu des films consacrés à Piaf, Ray Charles, Johnny Cash, John Lennon, Chanel.
Ce genre de films semble prédisposé aux nominations pour les prix d'interprétation. Il se prête en effet aux "performances d'acteurs". Pourtant, ce que demande ce genre est à mon avis à l'opposé de la notion d'interprétation et est bien plus proche de la simple imitation. Il ne s'agit pas de construire un personnage, mais de reproduire, le plus minutieusement possible, la manière de parler, de chanter et de bouger d'un homme connu. Le public se presse pour vérifier cette ressemblance, parfois bluffante (par exemple pour Piaf). Il s'attend à retrouver ce qu'il connaît du personnage par les films, les émissions de télévision, les livres, les photographies, les disques. Mais la copie ne décevra-t-elle pas toujours quand l'original est encore dans toutes les mémoires ?
Rédigé par : At the Mercy | 25 janvier 2010 à 17:13
"Un artiste doit chercher à exprimer ce qu'il porte, non ce qui pourrait le porter" (MS).
Je suis d'accord avec vous, MS... J'avoue que si votre propos se résumait à cela, je ne vous avais pas bien lu. Au temps pour moi !...
Bonne semaine à vous !
Rédigé par : Herman | 25 janvier 2010 à 12:08
Ce film est à fuir.
Aucun intérêt.
Un film de plus pour se faire du fric sur le dos d'un mort : triste, triste !
Réécoutons plutôt quelques-unes de ses meilleures chansons...............
Rédigé par : Cactus point sonneur | 25 janvier 2010 à 11:25
@yves bouant | 22 janvier 2010 à 18:32
« @Catherine JACOB
Je n'ai pas eu connaissance du salmigondis prétentieux mais je me fie à votre jugement, je serais trop furieux de me coucher avec la rage d'un vautour alors que je m'étais levé serein ! (Desproges) »
Je vous remercie de l’honneur que vous me faites, mais ce n’était là que l’expression d’une impression à un moment donné et peut-être injuste…!
Pour ma part, le commentaire négatif de PB m’aurait incitée au contraire à regarder le film pour contrôler par moi-même s’il avait raison…!
Rédigé par : Catherine JACOB@Yves bouant | 25 janvier 2010 à 11:14
@Herman
Je ne sais pas ce que vous voulez dire, seulement que vous ne m'avez ni lu ni relu attentivement.
1. L'intériorité est évidemment pétrie d'extérieur (la vie, le monde, les autres...).
2. Une démarche artistique se situe (doit se situer) dans la relation stricte d'un artiste (l'intériorité) avec son travail (l'expression de cette intériorité), indépendamment de toutes autres considérations, dès lors extérieures, qui viendraient altérer, biaiser, minorer cette démarche.
Un artiste doit chercher à exprimer ce qu'il porte, non ce qui pourrait le porter.
Rédigé par : MS | 24 janvier 2010 à 10:49
Rédigé par: Savonarole | 23 janvier 2010 à 19:21
?
Savon sans rôle, tu te sens bizarre, mais... le te est-il indispensable ?
AO
Rédigé par : oursivi@Savon | 24 janvier 2010 à 00:52
Avec tous les classiques de la chanson française qui commencent à tomber dans le domaine public, je sens qu'on va avoir pas mal de biopics dans les années à venir...
Rédigé par : Alex paulista | 23 janvier 2010 à 23:43
"Quand un projet artistique n’émane plus de l’intériorité mais de considérations extérieures" MS.
"L'intériorité est l'exact contraire du vide et de l'isolement" MS
Sottises que cela !
J'en ai aussi si vous voulez, de quoi remplir des tomes de philo...! Mes pensées intérieures sont le contraire de la parole des autres, le plein de ma table est l'exact contraire du vide qui l'entoure, quand je vide mon évier, il n'y a plus d'eau, etc, etc.
Je rigole, mais ce que j'ai voulu dire, c'est que les considérations extérieures, aussi dérisoires soient-elles, sont la cause de nos tourments, nos bonheurs, nos déchirements, notre acuité à en ressentir la dureté et l'implacabilité, et à le traduire dans une oeuvre, si par hasard, le destin de l'artiste s'est cristallisé sur vous !... Mais jamais, au grand jamais parce que vous l'aurez élu !...
Rédigé par : Herman | 23 janvier 2010 à 22:58
"Les femmes, c'est du chinois,
Les comprenez-vous ? moi pas !"
L'une de mes chansons préférées de Serge, qui avait un talent indéniable et que j'ai aimé, comme parolier autant que comme chanteur avant qu'il ne devienne le "Gainsbarre", mal rasé et toujours un peu éméché des dernières années...
Un soir de mai 76 (j'ai bonne mémoire !) je dînais avec des amis dans un petit restaurant de la rue Bonaparte, à Paris. Arrive une famille de quatre personnes à la table voisine. C'était Serge G., Jane Birkin et deux petites filles (dont la petite Charlotte devenue grande aujourd'hui...). Mine de rien, mes amis et moi jetions de temps à autre quelques regards à la dérobée sur nos voisins. Eh bien, tout le monde se tenait bien, et même très bien, dans la plus grande discrétion. Serge était attentionné envers les enfants, ces derniers très bien élevés, le tout donnant la meilleure impression, d'un bout à l'autre du temps que dura cette compagnie. On n'a senti à aucun moment la moindre affectation, le moindre effort dans la politesse de se bien tenir à table, au restaurant. Tout était naturel.
Nous sommes sortis, mes amis et moi, de ce lieu en méditant sur l'"être et le paraître". Nous étions, comme on dit aujourd'hui, "bluffés".
Je n'irai pas voir le film, je n'en avais d'ailleurs pas l'intention. Vos impressions, cher Monsieur Bilger, me confortent dans mon choix...
Rédigé par : Bernardini | 23 janvier 2010 à 21:54
Oursivi, et celle-là, tu la connais ?
"Je ne connais absolument rien à la musique, mais dans mon domaine ce n'est pas nécessaire" - Elvis Presley.
C'est toi qui lui a soufflé ça ?
Rédigé par : Savonarole | 23 janvier 2010 à 19:21
@Herman
Et que dire de vous MS ! Selon vous, toute art se crée "à l'intérieur", ex nihilo !
Je vous assure, relisez !..., je n'ai en rien dit cela.
L'intériorité est l'exact contraire du vide et de l'isolement.
@Oursivi
Vous parlez à juste titre du compositeur.
Mon propos était davantage centré sur l'auteur.
Rédigé par : MS | 23 janvier 2010 à 18:46
Jean-Dominique devrait Reffait(re) la lecture du billet de P.B...
Mais où donc avez-vous lu une ode au talent de L.Casta ! Elle parvient à ne point trop énerver, selon PB. Comme quoi l'on peut appartenir à la CSP+ ( c'est l'impression que vous me faites...) et ne pas savoir lire, mais vous avez l'air de préférer écrire... en dépit du fond. Je vous assure, relisez !... Et pourtant, j'approuve le reste de vos propos...
Et que dire de vous MS ! Selon vous, toute art se crée "à l'intérieur", ex nihilo ! Pour un homme perdu, seul, au fin fond du cosmos, peut-être, mais je doute qu'au milieu des siens, aussi vide de sens que puisse être leur destin, il en soit ainsi !...
Bon W.E à tous !
Rédigé par : Herman | 23 janvier 2010 à 16:25
Rédigé par: MS | 23 janvier 2010 à 09:51
Excellent post, le plus intéressant lu ici.
Ajoutons toutefois qu'il recèle une inexactitude :
"parfois se croit dispenser de travailler, l’intention peut rapidement devenir un truc"
Ce n'est pas parce que Gainsbourg s'est mis au funk au milieu des années 80 (sa "dernière vague"), qu'il y laissât son exigence. Toujours, Gainsbourg a surfé sur la mode, en en donnant souvent une de ses expressions les plus achevées.
Le Jazz et les exotismes tournant autour du Mambo au tout début, puis il saisit avec talent le virage de la Pop - le rock n'était pas pour lui, t'es un crooner, lui avait dit Vian - puis de la Pop symphonique et progressive (les concepts albums en leur aspects précieux et littéraires lui allaient si bien), puis il surfina un temps sur le Disco, s'arrêta plus longuement sur le Reggae "empruntant" à Marley ses musiciens pour en tirer le meilleur (lui, juif parisien synthétisant sans artifice l'âme rasta, quel superbe tour de force), de sorte que la continuité de ce qu'il ne faut qualifier trop vite de "récupération" s'établit bien du début à la fin, et ce que prenez pour la chute d'un homme qui péricliterait (sens caché) est une continuité conceptuelle. Il n'a pas inventé un genre, mais qui en invente, Miles peut-être ; ce sont plutôt des myriades de petites torsions stylistiques qui écartent un courant identifié vers un autre qui le sera bientôt. Il émane d'une somme d'instincts distincts qu'un frottement fusionne aux yeux de l'histoire.
Quand Gainsbourg surfe initialement sur le Jazz, il se choisit ce qui est à la mode mais qui l'est déjà depuis trente ans, là où l'accélération des évolutions, les modes ne durant ensuite davantage que cinq ans, font qu'il semble rebondir au hasard de ce qui est au goût du jour là où il applique la même démarche que celle de ses débuts, cependant ne le fait pas avec une moindre exigence. "Sorry Angel" n'est aucunement un moindre chef d'oeuvre que "La Javanaise".
On sait aussi la façon dont il confia avoir souffert le martyre que d'avoir dû être digne de sa réputation, composant la musique du réjouissant "Tenue de soirée".
Pourtant déjà fin 85, le film sortit au printemps 86.
Je me répète, mais la gravité qu'il dut côtoyer en les trente premières années de sa vie s'est cristallisée à jamais dans ses exigences quant à l'élaboration de ses oeuvres, il n'est que de voir certains plans de ses films pour mesurer ceux-là. Et celle-ci, comme ses souvenirs, ne l'ont jamais déserté, quelque vulgaire qu'il ait pu être dans sa vie de people, n'ayant là l'élégance de Bashung, qui n'avait lui son génie, ou l'eut par moment.
AO
Rédigé par : oursivi@MS | 23 janvier 2010 à 11:34
Serge Gainsbourg jeune chez "Milord l'Arsouille", il y a bien longtemps, chantant le poinçonneur des lilas cela l'absout de ses sottises ultérieures. Oui, du Verlaine !
Et cela autorise à ne pas aller voir un film commercial.
Rédigé par : mike | 23 janvier 2010 à 11:33
"J'ai retourné ma veste le jour ou je me suis aperçu qu'elle était doublée de vison".
Cette phrase de Gainsbourg a marqué la fin de sa période créative, dans les années 80, lorsqu'il s'est mis à adopter le tempo jamaïcain dans ses chansons. Un puits d'ennui.
Il est regrettable que le film n'ait pas mis en exergue le dandysme de Gainsbourg.
Increvable philosophie qui revient sans cesse depuis Barbey d'Aurevilly, chaque fois que le siècle en cours flanche et pâlit. C'est le cas en cette période désespérément inepte.
Ou sont-ils ces dandys qui savaient distribuer des coups de fouet à la "bien-pensance" ("politically correctness" aujourd'hui) ?
"Le Dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les périodes décadentes" (Charles Baudelaire).
Rédigé par : Savonarole | 23 janvier 2010 à 10:33
Gainsbourg avait du talent, de compositeur, de manieur de mots.
Il me semble qu’il l’a progressivement en partie gâché et qu’il le savait.
Jusqu’au début des années 70, il "concourait" parmi les grands auteurs, les Brassens, Brel, Ferré, Nougaro, sans avoir atteint leur reconnaissance grand public et non semble-t-il sans grande frustration.
Nougaro a connu le creux de la vague, il est revenu avec Nougayork et c’était encore du Nougaro, le mot au service d’un sens si ce n’est du sens.
Du "Poinçonneur des Lilas" à "Love on the beat", on perçoit moins chez Gainsbourg une évolution artistique qu’un profilage disons marchand. "J’écris des chansons pour faire de gros droits d’auteur, disait-il, c’est aussi cynique que ça."
Le mot s’est mis chez lui peu à peu au service du jeu de mot, de la technique, du procédé.
Son expression "art mineur" appliquée à la chanson résonne alors comme une forme d’autojustification d’une démarche artistique dénaturée sinon biaisée, en tout cas minorée.
Quand un projet artistique n’émane plus de l’intériorité mais de considérations extérieures, quand en outre une certaine facilité parfois se croit dispenser de travailler, l’intention peut rapidement devenir un truc que l’on exploite plutôt qu’une idée que l’on creuse.
Le succès et la reconnaissance venus, en déphasage trop grand avec l’intériorité, n’étancheront alors aucune soif. Il n’est peut-être guère étonnant qu’un artiste, qui plus est de sa trempe, en vienne à se remplir autrement, à noyer une sensibilité qui profondément demeure lucide.
Plus que tout autre, ce vertige-là aurait pu constituer la trame et la pâte humaine d’un scénario.
Outre qu’il n’a peut-être soufflé à personne ce genre de confidences, Gainsbourg a poussé l’épate à un point tel qu’on a fini par la confondre avec son talent. Et pour beaucoup même, avec le talent.
Rédigé par : MS | 23 janvier 2010 à 09:51
Cher JDR
Bardot mauvaise actrice ? Ou bien faisait-elle trop du Bardot à votre goût, ce qui la rapproche de nos plus grands acteurs...
BB n'était pas obsédée par sa beauté, qui s'en trouvait par là-même décuplée. Le Mépris, c'est aussi celui de cette vacuité.
Bardot était tellement 'mauvaise actrice' qu'elle a réussi à porter tout le film sur sa prestation. Tellement que le monde entier ressent encore des frissons à entendre les premières notes du thème de Camille.
Voyez Anna:
www.trilulilu.ro/pantacruel22/93d92ae0e3c3a1
Rédigé par : Alex paulista | 23 janvier 2010 à 08:28
Dire que comme Jacques Offenbach, Henri Verneuil ou Yves Montand (entre milliers d'autres), Serge Gainsbourg aurait bien du mal ces temps-ci à faire renouveler ses papiers...
Cela lui aurait sans doute donné l'idée d'une bonne chanson.
Rédigé par : Fleuryval | 23 janvier 2010 à 08:26
Cher Philippe,
Vous avez raison, Serge n'aurait pas aimé ce film. Il y a des présences qui sont plus que des présences dans l'inconscient collectif. Tous les films qui utiliseront
l'amour ou l'admiration de nos contemporains seront des bides. Quel manque total d'imagination et quel manque de respect ! Nous avons des archives superbes, des livres et des correspondances qui ont la puissance de la sincérité et de l'authenticité. Des coffrets magnifiques aussi. Ca m'énerve ces procédés, ça m'énerve...
françoise et karell Semtob
Rédigé par : semtob | 23 janvier 2010 à 01:50
Jean-Dominique Reffait,
Peu me chaut qu'il prît...
Si elle a joué quelques navets, Brigitte Bardot a prouvé, notamment dans La Vérité d'Henri-Georges Clouzot, qu'elle pouvait être une immense actrice. Il est vrai que ce n'était sans doute pas un rôle de composition. Vous savez certainement que BB a été tellement bouleversée par le tournage qu'elle a fait une tentative de suicide. Pensez aussi au film En cas de malheur de Claude Autant-Lara où elle donne la réplique de manière admirable à Jean Gabin. Songez encore au Mépris de Godard, à Et Dieu créa la femme de Vadim. Mais bon, si vous préférez Laetitia Casta ou la militante bobo Agnès Jaoui, chacun son truc...
Rédigé par : Laurent Dingli | 22 janvier 2010 à 20:11
@Catherine JACOB
Je n'ai pas eu connaissance du salmigondis prétentieux mais je me fie à votre jugement, je serais trop furieux de me coucher avec la rage d'un vautour alors que je m'étais levé serein ! (Desproges)
Rédigé par : yves bouant | 22 janvier 2010 à 18:32
"Peu me chaut qu'il prisse Bardot en levrette ou à la missionnaire tant qu'il n'est pas démontré que le processus créatif réside dans ces révélations."
JDR
Heureux homme ! Gageons qu'il fît les deux !!!
Le processus créatif est invisible.
Echenoz a écrit un beau livre sur Ravel (peut-être le plus grand compositeur, à jamais, au moins en ce siècle, ou plutôt celui dont il a bien fallu nous défaire), qui tourne autour de son personnage en essayant de le serrer au plus près.
Ce qu'il en ressort, est que l'on ne voit rien. Rien de ce qui se passe dedans.
Et que ce qui se passe dedans doit même échapper à celui que l'on suppose dedans.
A jamais.
AO
Rédigé par : oursivi@JDR | 22 janvier 2010 à 15:31
Bon moment pour disserter sans en avoir l'air sous le couvert d'un, je thème moi non plus.
Beaucoup, beaucoup de choses à écrire, pas sur le film que n'ai pas vu, mais sur l'homme l'oeuvre et la note de notre hôte.
D'abord de l'anecdotique. Si ma mémoire ne me trahit, il me semble que Serge G avait eu deux enfants d'une de ses deux unions précédant le climax birquinnien. Qu'ils soient restés aussi discrets sidère quand on pense aux lumières obligées sous lesquelles se glissent les enfants de ce type de people, la carrière de Charlotte en est un exemple, parmi des foules d'autres.
Je ne sais plus si l'ai lu chez Verlant ou dans un assez formidable livre publié aux Editions du collectionneur (je crois) dont la maquette comme celle qui donne vie à cet autre consacré à Bardot est UNE MERVEILLE.
Rapidement exprimé, mais j'y reviendrai, l'homme des deux trois dernières décennies avait enterré celui qu'il fut les quinze années d'après guerre, dont les traces n'étaient plus perceptibles que dans l'oeuvre. Le paradoxe de Gainsbourg n'en est plus un dès qu'on sait qu'il a caché ou rhabillé ce passé modeste et douloureux dans la gravité que tous percevons sous les provocations de ses oeuvres.
Sur la pruderie de PB, aussi, qu'on imagine mal en goguette avec le Serge un soir de confession alcoolisée, mais sur ce que ce type de pôles opposés ont quand même de commun, la quête d'un absolu et l'exigence qui va avec, les registres fussent-ils infiniment étrangers.
Le récit que Denis Lalanne (Edts Table Ronde) fait des rencontres Gainsbourg Blondin à l'angle de Buci n'est pas sans faire naître une amère nostalgie que de n'en eut ouïr plus que de lointains et imprécis échos.
Me souvenir aussi de la vulgarité de ce même Gainsbourg envers ce même Blondin quand Ardisson les mit en présence et que SG afficha une condescendance bien sotte envers celui dont les spectateurs moyens
des apparitions gainsbouriennes ne devaient même connaître le nom.
Et rappeler à ceux nés avant 1970, que nous avons eu beaucoup de chances de vivre au temps des Ferré, Trenet, Gainsbourg, Brel, Brassens...
La vie est courte et les plaisirs de cette sorte pas si fréquents.
Le plus grand chef d'oeuvre de Gainsbourg est sans doute "Melody Nelson" mais... qui connait Jean-Claude Vannier ?!
AO
Rédigé par : oursivi | 22 janvier 2010 à 15:20
Vous êtes vraiment formidable, monsieur Bilger. Desproges l'était aussi. C'est peut-être ça être humain, ne dédaigner ni la pitié, ni la tolérance,ni l'orgueil enfouis sous les apparences dont trop de "gens" raffolent.
J'attends le prochain sujet.
Rédigé par : JM | 22 janvier 2010 à 14:47
Cher Yves Bouant
Nougaro et Gainsbourg avaient beaucoup de points communs : la boisson, un talent pour le recyclage, un passage à vide et un retour au succès. Nougaro aimait la Bossa Nova qui se rapproche parfois de Chopin, elle aussi. Écoutez Insensatez
http://www.youtube.com/watch?v=uZ-UJckeZMo
et souvenez-vous de la chanson Jane B, reprise de Chopin.
Comme un air de famille.
Personnellement, j'aime beaucoup l'enregistrement de Jane Birkin au Bataclan.
Rédigé par : Alex paulista | 22 janvier 2010 à 14:06
Après avoir hésité, j'ai finalement choisi de ne pas voir ce film, en grande partie à cause du salmigondis prétentieux du discours de sa présentation par son auteur.
Rédigé par : Catherine JACOB | 22 janvier 2010 à 10:10
J'ai retrouvé le texte de Pierre Desproges,
un texte qui mérite réflexion.
"Quand j'étais petit garçon il y avait, dans le village limousin où je passais mes vacances, un homme à tout et à ne rien faire qui s'appelait Chaminade. Chaminade tout court. Au reste, il était trop seul au monde pour qu'un prénom lui fût utile.
C'était un homme simple, au bord d'être fruste. Il vivait dans une cabane sous les châtaigniers des bosquets vallonnés de par chez nous. Sur une paillasse de crin, avec un chien jaune, du pain dur et du lard. L'été, il se louait aux moissons, et bricolait l'hiver à de menus ouvrages dans les maisons bourgeoises. A période fixe, comme on a ses règles ou comme on change de lune, Chaminade entrait en ivrognerie, par la grâce d'une immonde vinasse que M. Préfontaines lui-même n'eût pas confiée à ses citernes. Il s'abreuvait alors jusqu'à devenir violet, spongieux, sourd et comateux. Après sept ou huit jours, sa vieille mère, qui passait par là, le tirait de sa litière et le calait dehors sous la pompe à eau, pour le nettoyer d'une semaine de merde et de vomis conglomérés.
La plupart du temps, Chaminade n'avait pas le sou pour se détruire. Les petites gens du bourg se mêlaient alors de l'aider. Il faut chercher autour des stades pour trouver plus con qu'un quarteron de ploucs désœuvrés aux abords d'un bistrot.
- Ah, putain con, les hommes, regardez qui voilà-t-y pas sur son vélo? Ho, Chaminade, viens-tu causer avec nous autres, fi de garce ?
Chaminade ne refusait pas. Quand il rasait ainsi les tavernes à bicyclette, c'est qu'il était en manque.
Alors les hommes saoulaient Chaminade. Parce qu'on s'emmerde à la campagne, surtout l'hiver à l'heure du loup, et je vous parle d'un temps où la télé n'abêtissait que l'élite.
Au bout de huit ou dix verres, Chaminade était fin saoul, il prêtait à rire. C'est pourquoi on l'appelait Chaminade tout court, comme on dit Fernandel.
Quoi de plus aimablement divertissant, en effet, pour un pauvre honnête, que le spectacle irrésistible d'un être humain titubant dans sa propre pisse en chantant Le Temps des cerises ?
On s'amusait vraiment de bon cœur, pour moins cher qu'un ticket de Loto qui n'existait pas non plus. On lâchait l'ivrogne sur la place du Monument-aux- Morts où il se lançait alors dans un concours de pets avec le poilu cocardier. Parfois, il improvisait sur La Mort du cygne, tenant les pans de sa chemise comme on fait d'un tutu, avant de s'éclater dans la boue pour un grand écart effrayant. Et les hommes riaient comme des enfants.
En apothéose finale, on remettait de force Chaminade sur son vélo et on lui faisait faire le tour du monument. A chaque tour sans tomber, il avait droit à un petit coup supplémentaire, direct au tonnelet.
Un jour, Chaminade s'est empalé sur le pic de la grille métallique, mais il n'en est pas mort. «Il y a un Dieu pour les ivrognes », notèrent avec envie les bigotes aquaphiles, qui voguent à sec dans les bénitiers stériles de leur foi rabougrie.
La dernière fois que j'ai vu Serge Gainsbourg en public, il suintait l'alcool pur par les pores et les yeux, et glissait par à-coups incertains sur la scène lisse d'un palais parisien, la bave aux commissures et l'œil en perdition, cet homme était mourant. Un parterre de nantis bagués et cliquetants l'encourageait bruyamment à tourner autour de rien en massacrant les plus belles chansons nées de son génie. Irrésistiblement, ces cuistres-là m'ont fait penser aux ploucs, et lui à Chaminade.
Rédigé par : yves bouant | 22 janvier 2010 à 09:54
Pour Gainsbourg l'art est ainsi ; il vous offre des chemins de volupté et ce tableau peint par des mots d'intérêt à sa personne lui aurait sans doute plu, tant sa vie fut contradictoire. Mais il nous reste ses belles chansons ! Un demi-siècle de Gainsbar ! Salut l'artiste !
Rédigé par : J.A | 22 janvier 2010 à 09:03
Bonjour M. Bilger.
Je n'ai pas encore vu le film mais j'ai subi le matraquage médiatique, notamment chez Drucker sur Europe 1 où la brosse à reluire était de mise. Ce cher Michel, qui n'aime rien tant que rappeler ces rencontres avec les stars, allant jusqu'à dire que, contrairement à votre avis, Gainsbourg aurait aimé ce film. Mais il faut dire que face à Joann Sfar, qui se congratule fort bien, il n'était point dépaysé... Et de Drucker double-dose il y eut, car il était déjà chez FOG sur France 2, et s'il ne présentait pas l'émission, avec FOG, ils brossaient, brossaient, brossaient... Et comme dans le film (d'après vous) c'est Eric Elmosnino qui s'en sort le mieux ! On le sent gêné et il refuse, contrairement à Sfar, d'accompagner la mélodie du violon qu'on lui joue, et donne à lui seul envie d'aller voir le film. Euh... Laetitia Casta aussi !...
Rédigé par : Herman | 22 janvier 2010 à 08:58
Je n'ai jamais été un admirateur de Gainsbourg, ses chansons ne m'apportent rien, le personnage me déplaît. J'ai préféré Nougaro, j'aime Nougaro.
"Vous savez ce que vous êtes, tous, là ? Vous êtes des voyeurs, voilà, je l’ai dit, ça y est ! Et des voyeurs qui paient pour voir un exhibitionniste, eh bien, je vous le dis comme je le pense, c’est petit."
Cette citation de Pierre Desproges, qui aimait Gainsbourg, est assez proche de la détresse de l'homme.
Rédigé par : yves bouant | 22 janvier 2010 à 08:52
Bonjour monsieur Bilger,
Il est toujours difficile de restituer la personnalité d’un artiste, en particulier un être aussi complexe que « Gainsbar ». La tentation est grande de se focaliser essentiellement sur ses frasques et bien sûr dans ce cas on passe à côté de l’essentiel.
Je constate toutefois, monsieur Bilger, que votre billet est à contre-courant de la critique des médias qui manquent de superlatifs pour encenser le film de Joann Sfar.
Le public jugera...
Rédigé par : Achille57 | 22 janvier 2010 à 08:23
Bien d'accord avec vous.
D'autant que ce film répond à un engouement actuel : revisiter les sixties. Curieuse nostalgie, mais compréhensible. Verra-t-on un jour un film sur Ophélie Winter ou Grégoire ? Non, l'époque actuelle a un encéphalogramme plat.
Chez Gainsbourg l'étonnement venait de la fracture qu'il y avait dans le personnage. D'un côté le poète et fin musicien, et de l'autre le vulgaire cabotin, qui ne nous a laissé qu'un registre de "conneries" sentencieuses.
Verlaine, qu'il a chanté, lui ressemblait beaucoup. On raconte que Verlaine passait ses soirées dans des bistrots louches de la rue de la Huchette. Vers 2 heures du matin, ivre d'absinthe, il levait son dernier verre et hurlait à une cour de misérables gueux : "Messieurs ! Allons tous chier au Panthéon !". La horde remontait le Boul' Mich puis la rue Soufflot et là, côté rue des Irlandais, ils s'exécutaient...
Lagarde & Michard se sont bien abstenus de nous raconter ces faits déplorables...
Gainsbarre & Verlaine, au fond, la même course à la mort.
C'est Charles Baudelaire qui a le mieux exprimé cette douleur de l'artiste, il réclamait que fut inscrit dans la Constitution "le droit de s'en aller et le droit de se contredire".
Rédigé par : Savonarole | 22 janvier 2010 à 08:12
En attendant de voir le film je vais me fier à votre avis et en conclure provisoirement que, puisque les bandes dessinées de Sfar sont formidables de finesse, de délicatesse et de profondeur, Sfar n'est pas encore un cinéaste accompli.
Si vous en avez l'occasion je vous recommande chaleureusement la série "Le chat du rabbin" , qui pouvait laisser espérer que Sfar, abordant Gainsbourg, saurait en extraire toute la saveur.
Amitiés lectrices,
Rédigé par : Emmanuel | 22 janvier 2010 à 03:29
Nous avons déjà eu droit á une
"Piaf". Voici Gainsbourg. Il y a eu aussi un Polnareff (Podium) quoique ce film là fût plus sur le registre du comique que celui du souvenir.
Malgré les performances individuelles des acteurs ce genre de film ne me convient pas du tout.
Je redoute le jour où "ils" mangeront le grand Jacques á cette sauce.
Rédigé par : jpledun | 22 janvier 2010 à 02:02
Fermez le ban !
Je n'ai pas vu le film et attendrai qu'il me soit complaisamment fourni sous le manteau pour le regarder si j'ai le temps : la vie de Gainsbourg ne m'intéresse pas, lui que je tiens pour un immense artiste que je fredonne sans cesse. Peu me chaut qu'il prisse Bardot en levrette ou à la missionnaire tant qu'il n'est pas démontré que le processus créatif réside dans ces révélations.
La mise en abîme véritable que vous suggérez quant au talent de Laetitia Casta me laisse perplexe. Comment être bonne actrice en jouant une mauvaise actrice ? Jouer faux avec justesse, jouer juste faussement, belle prouesse si elle y parvient.
La qualité d'acteur d'Eric Elmosnino me pose une question plus générale : peut-on seulement me citer un acteur qui aurait été mauvais en interprétant un personnage ayant existé ? La mode est aux biopics, il y en eu d'autres avant, plus politiques. Mais il apparaît toujours que la performance d'acteur est exceptionnelle lorsqu'il y a un modèle imitable.
Oscar 2005, Jamie Foxx pour Ray Charles (DiCaprio avait eu le Golden Globe pour Howard Hughes la même année)
Oscar 2006, Philip Seymour Hoffman pour Truman Capote
Oscar 2007, Forest Whitaker pour Idi Amin Dada
Oscar 2009, Sean Penn pour Harvey Milk
Sans oublier notre adorable, magnifique, sublime, incomparable (mais elle ne lit pas ce que j'écris pour elle l'ingrate) Marion Cotillard en 2008 pour Piaf.
Sans doute faut-il être un bon comédien pour être choisi dans de tels rôles mais ces rôles permettent aussi à de bons comédiens de devenir excellents.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 22 janvier 2010 à 01:01