Mazarine Pingeot a souligné
à juste titre que le président de la République n’exerçait pas un métier mais
assumait une fonction et que cette différence était fondamentale
(nouvelobs.com).
Profondément, comment ne
pas constater que le président de la République, en effet, n’a pas un emploi
similaire aux autres mais qu’une fonction lui a été dévolue ? Le vote des
citoyens, qui l’a porté à la tête de la France, ne lui a pas assigné une tâche
ordinaire, un métier. Le président est seul et ses obligations, ses droits et
ses devoirs sont uniques. Honneur, charge, mission, destin, mandat, fonction :
autant de termes appropriés pour désigner l’action d’un quinquennat. Ils révèlent
ce que celle-ci a de spécifique, de noble et de gratuit. Rien ne serait plus absurde que
de l’assimiler à une « super-profession » alors que la présidence de
notre République manifeste la considération majoritaire qui a été octroyée à un
homme et appelle le service éminemment singulier qu’on attend de lui.
Ce n’est pas la première fois que Nicolas Sarkozy affirme qu’il s’adonne au dur métier de présider et qu’il y est irremplaçable. Il répète volontiers :"Si je ne fais pas le travail, qui le fera ?". Son prédécesseur a été moqué pour son immobilisme et tout est fait pour instiller dans l'esprit public qu'il n'y a pas véritablement d'alternative.
Dans cette fausse banalisation
de la charge suprême, on perçoit, en même temps qu’une volonté d’être célébré,
un désir d’être plaint. Il conviendrait presque de remercier le président pour
avoir bien voulu occuper une place à laquelle toute sa vie pourtant il a
aspiré. Alors qu’il a sollicité nos suffrages, nous devrions pourtant lui être
reconnaissants pour l’accueil qu’il leur a réservé. J’ose dire qu’un président
de la République, déplorant la « dureté » de son métier, se trompe et
sur la nature de ce pour quoi il a été investi et sur le discours qu’on espère
de lui. Ses vacances sont suspectes - le président Obama en fait les frais actuellement - et les récriminations lui sont interdites parce qu'indécentes. Un honneur, quelles que soient les immenses difficultés qu’oppose la
réalité aux projets politiques, demeure de manière indivisible un honneur. Au sein des pires épreuves
Entendre Nicolas Sarkozy
se comparer - à son avantage - aux ouvriers des chantiers navals est inadéquat parce que leurs
travaux de chaque jour n’ont rien à voir avec ceux d’un président - et guère
pertinent pour lui puisqu’il n’est pas un salarié ordinaire au service de
l’Etat. ll ne peut nourrir d'autre ambition que d'être l’incarnation exemplaire, incomparable et jamais plaintive
de la République.
Bravo M.Bilger pour ce billet percutant et plein de saveur !
Certainement un coup d'épée dans l'eau, mais espérons tout de même que l'onde se propage...
Rédigé par : Herman | 26 juillet 2010 à 18:59
Merci Monsieur Bilger pour votre mise au point éclairant nos lanternes qui en ont bien besoin !
Vos billets nous sont bien utiles et nous aident à mieux percevoir et analyser les faits !
Merci encore !
Rédigé par : Celia | 26 juillet 2010 à 17:50
Cher Monsieur Bilger,
Vous me permettrez cette audace car nous ne sommes pas dans l'enceinte d'un tribunal, et pour tout vous avouer, à vous lire j'en regretterai presque le plaisir de n'avoir jamais été braqueur de banque pour passer entre vos fourches caudines... J'en viens à me demander comment vous pouvez exercer encore votre métier. Car ne nous y trompons pas ce ne sont pas les crimes les moins sordides que l'on ne jugera sans doute jamais qui sont pour autant les moins graves quant aux conséquences sur la vie de chacun. En termes plus clair, les renoncements quotidiens et dans tous les domaines, la lâcheté nécessaire au socle de la cohésion sociale, tout cela les élus le maîtrisent fort bien et savent mieux que quiconque dévoyer l'ensemble d'un système à leur propre profit. Le problème vient de quatre axes : les magistrats ne s'autosaisissent pas donc qui va le faire pour toutes sortes de turpitudes réalisés par ceux qui nous gouvernent ?
Aucun pouvoir politique n'a rompu avec le parquet, ce qui le rendra toujours suspect de connivence...
Souvent ceux qui jugent l'administration sont les mêmes qui la font et la défont...
Enfin malgré de pieuses intentions (Montesquieu...) il n'existe pas de réel contre-pouvoir en France et sans doute n'en existera-t-il jamais...
Par contre votre courage est étonnant et remarquable soyez-en donc remercié...
Bien cordialement
Pascal BERNINI
Rédigé par : pascal bernini | 26 juillet 2010 à 17:22
La fonction de président de la République n'est pas ordinaire, l'homme qui l'exerce, lui, parce que nous le sommes tous, est ordinaire.
M. Sarkozy a malheureusement tendance à voir les choses exactement à l'envers : il serait, lui, extraordinaire, sa fonction étant ordinaire.
Il se trompe. C'est une vision qui nous ramène à l'ancien régime. Le roi alors était de droit divin, et il lui suffisait d'être, sa volonté valait loi...
Comme dit Marcel Gauchet (interview récente dans Le Monde), Nicolas Sarkozy n'a pas le sens des institutions. C'est là sa grande faiblesse en effet, je crois. Seules les institutions permettent à un homme ordinaire de se hisser à la hauteur d'une fonction extraordinaire.
Le grand mérite de notre actuel président, mérite involontaire, est, en empruntant en toute transparence une mauvaise route, de mettre en pleine clarté la bonne route. Et peut-être finira-t-il par la trouver. Après tout il "suffit" de lire la Constitution et de se plier à ses règles (un président qui veille, arbitre, garantit, un gouvernement qui gouverne, etc.)
Rédigé par : Denis Monod-Broca | 26 juillet 2010 à 16:23
Je ne suis pas d'accord avec cette analyse.
Nicolas Sarkozy est politiquement intelligent et, par ce raccourci, rappelle trois aspects majeurs de son personnage:
- il n'y a pas de candidat qui tienne la route en face. Je sais déjà que je ne voterai jamais pour Sarkozy, mais je dois reconnaître que les alternatives ne sont pas engageantes.
- il se présente en Créon du pouvoir. Les autres candidats rêvent, lui fait le boulot. C'est pertinent dans notre contexte de réforme des retraites et de marge de manoeuvre anéantie par le déficit. Il y a l'idée qu'au fond, se lever le matin et refuser un travail, ce n'est pas honnête.
- le concept de "travailleur" connoté ouvrier, pêcheur, docker... tout cela est devenu un mythe dans un pays moderne. Idem le côté fonctionnaire, les régimes spéciaux... ne reste que la pénibilité réelle et mesurée statistiquement. Au fond, nous sommes tous des esclaves. J'aime assez ce point de vue.
En plus, je trouve que le mot "métier" est un très beau mot de la langue française.
Par exemple, l'expression "avoir du métier" est intraduisible en anglais ou en portugais, si l'on veut en conserver toute la richesse de sens.
En portugais du Brésil le plus proche serait "conhecer do riscado" ou quelque chose comme ça.
Rédigé par : Alex paulista | 26 juillet 2010 à 15:46
Nicolas Sarkozy n'est pas très fort en français : sous la Vème République, c'est probablement le chef de l'Etat le moins cultivé, celui qui pratique le moins bien la langue française.
A mon avis, à la date de son intervention à Saint-Nazaire, il ne savait pas faire la distinction entre "métier" et "fonction". Il est aussi possible que Sarkozy n'ait pas encore suffisamment réfléchi à l'institution de président de la République.
Je trouve donc sévère l'appréciation de Monsieur l'avocat général Bilger, de plus en plus hostile à Sarkozy, pourtant homme de droite comme lui.
On trouvait du plaisir à regarder de Gaulle, Pompidou et Mitterrand à la télé, car ils savaient parler. VGE était à cet égard relativement intéressant. Le niveau a commencé à baisser avec Chirac : un spécialiste de la langue française a noté que Chirac avait commis plus de 150 approximations de la langue française lors de son débat pour la présidentielle de 1995 avec Jospin.
Rédigé par : LABOCA | 26 juillet 2010 à 15:10
Bonjour Philippe Bilger,
Vous nous dites : « Nicolas Sarkozy affirme qu’il s’adonne au dur métier de présider et qu’il y est irremplaçable. Il répète volontiers :"Si je ne fais pas le travail, qui le fera ?". Son prédécesseur a été moqué pour son immobilisme et tout est fait pour instiller dans l'esprit public qu'il n'y a pas véritablement d'alternative. »
Le problème avec notre Président est sans doute qu’il veut faire tout le travail lui-même, sans accepter de déléguer la moindre responsabilité à quiconque, même pas à son Premier ministre, qui, soit dit en passant, possède bien des qualités qui lui font cruellement défaut, à commencer par la hauteur de vue qu’il convient d’avoir quand on est en charge de diriger un pays.
Si le « travail » de Président de la République est une charge si insupportable qu’il le prétend, il lui sera toujours possible de ne pas solliciter un nouveau mandat lors de la prochaine élection présidentielle. Je pense qu’à l’UMP il ne manquera pas de prétendants pour le remplacer.
Rédigé par : Achille | 26 juillet 2010 à 14:15
C'est avec des propos comme cela qu'il rabaisse la fonction présidentielle.
Mais si le "métier" est si difficile, il aura la possibilité, lui, d'en changer dans 22 mois, voire même avant. Possibilité que n'ont pas les ouvriers de Saint-Nazaire.
Rédigé par : Jibitou | 26 juillet 2010 à 14:01
Il avait pourtant bien commencé, lors de ses premiers voeux :
"Lundi 31 décembre 2007 - Françaises, Français, mes chers compatriotes,
En ce 31 décembre, au terme d'une année si pleine pour notre pays, c'est avec reconnaissance pour la confiance que vous m'avez témoignée et conscient des devoirs qu'elle m'impose que je m'adresse à vous. Ce soir, j'ai une pensée pour chacun d'entre vous.
Je pense (…) à vous qui êtes obligés de travailler (…) à vous, soldats français en opérations (…) à vous que la vie a éprouvés (…) à chacun de vous je veux adresser un message d'espérance, un message de foi dans la vie et dans l'avenir. Je voudrais convaincre, même celui qui en doute, qu'il n'y a pas de fatalité du malheur.
Au milieu des joies et des peines (…) C'est la tâche que vous m'avez confiée en m'élisant Président de la République au mois de mai dernier, tâche immense tant la France a pris de retard sur la marche du monde.
Je sais combien est grande votre attente d'un changement profond après des années d'efforts et de sacrifices que la plupart d'entre vous a le sentiment d'avoir consentis en vain. (…) Je le ferai tout simplement parce que c'est l'intérêt de la France. Depuis que vous m'avez choisi pour présider aux destinées de notre pays, j'ai voulu tout mettre en œuvre pour tenir la promesse que je vous avais faite de vous rendre la fierté d'être Français, de vous donner le sentiment que dans notre vieux pays tout pourrait devenir possible."
Puis simplement sans qu'il s'en rende compte, (par quel processus psychologique ?), ce devoir vis-à-vis des Français, cette tâche immense devant l'avenir, cette présidence aux destinées historiques de la France, se sont-ils transformés en "travail à faire"?
Je l'ignore et probablement NS lui-même n'en a pas conscience, car échanger un destin empreint de devoir pour accomplir d'immenses tâches que l'on espère historiques, pour un travail en CDD rémunéré ne peut se faire qu'inconsciemment.
Peut-être est-ce l'influence du "travailler plus pour gagner plus"... qui sait ! Il y a des mots qui nous lient plus fort que des chaînes.
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 26 juillet 2010 à 13:55
Le modèle américain de N. Sarkozy lui fait reprendre l'expression "job" en la traduisant par "métier", commettant à l'occasion un contresens sur le sens que l'on donne au job d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique.
Les responsables politiques américain évoquent effectivement leur "job", forme populaire qui désigne en fait une activité, de quelque nature qu'elle soit. Et lorsque le président américain déclare qu'il "fait son job", il veut dire qu'il prend ses responsabilités et non qu'il applique les procédures d'un métier.
C'est ce même contresens qui a permis à N. Sarkozy de justifier la faramineuse augmentation de son traitement : à un niveau comparable de responsabilité d'un grand patron d'industrie, il lui fallait une rémunération en adéquation. L'élection présidentielle ne serait rien d'autres qu'une assemblée générale d'actionnaires désignant le PDG de la maison France.
C'est encore ce qui l'a amené à s'emparer du pavillon de la Lanterne à Versailles, résidence ordinaire des Premiers ministres, priant F. Fillon de céder la place : le nouveau PDG ne s'embarrasse pas de traditions anciennes et dispose de tout à sa convenance.
Je fais le job et je suis payé pour.
Tandis que l'idéal démocratique est fondé sur le désintéressement, cette évolution tend à privatiser la plus haute fonction de la République. Le président est un prestataire sous contrat, propriétaire de sa fonction pendant la durée du contrat. Il ne se considère pas comme dépositaire d'un héritage collectif, il fait fi des usages institutionnels et définit lui-même son profil de poste, comme dans le privé.
Passons sur l'indécence absolue que constitue la comparaison de sa fonction avec le travail des ouvriers de Saint-Nazaire, lesquels travaillent très dur pendant quelques mois sans jamais savoir s'ils auront un salaire à la fin de l'année, une fois le bateau en cours de construction fini.
Je suis pleinement d'accord avec votre billet.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 26 juillet 2010 à 13:42
Mais oui, mon cher Philippe, et être avocat général aux assises me semble assez éloigné du métier de toréador dans les arènes, contrairement à ce que vous affirmiez de manière burlesque dans la presse. Vous voyez, Nicolas Sarkozy se prend pour un super-ouvrier, et vous pour un matador : chacun ses fantasmes !
Rédigé par : Laurent Dingli | 26 juillet 2010 à 12:32