Rama Yade m'amuse beaucoup. J'ai déjà écrit un billet sur sa vérité du jour et sa rétractation du lendemain mais si je suivais à la trace son parcours, ce blog ne serait fait que d'elle. Elle pédale puis rétropédale. Elle s'aventure à critiquer un discours présidentiel d'il y a trois ans puis effrayée par sa propre audace pourtant toute relative, elle dément, affirme qu'elle a été mal comprise. Lionel Luca, gardien de l'orthodoxie sarkozyste, n'est pas content et la gronde. Chez elle, la mauvaise foi tente de venir au secours de son inquiétude. Fidèle ou non à Nicolas Sarkozy ? Je ne sais. Ce qui est sûr, c'est que dans sa fidélité il entre beaucoup de peur et dans son infidélité beaucoup de légèreté. Elle joue puis se mord les doigts, l'esprit (Marianne 2, le Figaro, nouvelobs.com, jdd.fr).
Elle ne m'éloigne pas, au contraire, de mon sujet, qui est venu à la suite d'un article du Monde (sous la signature de Macha Séry) nous apprenant, dans sa rubrique "psychologie", que "l'infidélité est toujours frappée d'opprobre... mais que se rassurer revient pourtant comme un leitmotiv dans les confidences des hommes et des femmes infidèles". Force est de constater qu'en 2008, 40% des Français la jugeaient injustifiable contre 26% en 1981. Le débat sur la fidélité fait partie de ces conversations intimes et passionnantes quand les uns et les autres acceptent de briser l'armure et de révéler parfois leur angoisse, leurs interrogations devant ce qui peut leur advenir d'imprévisible sur le plan du coeur et du corps. Dans les rapports avec autrui et, plus profondément, dans le regard sans complaisance que la vie souvent oblige à porter sur soi. Pour ma part, j'avoue que, si l'ennui me saisit souvent dans les joutes monotones où les anecdotes interminables et les banalités souvent inconscientes d'elles-mêmes surabondent, je n'ai en revanche jamais été déçu par qui que ce soit dès lors que chacun tentait de livrer avec le plus d'authenticité possible son coeur, ses ombres et lumières enfouis.
Je ne suis pas persuadé que l'infidélité, quand elle sort de la mécanique vaudevillesque qui menace peu ou prou toute union où l'adultère sans vérité réciproque serait le roi, soit seulement une manière pour l'homme, pour ne parler que de lui, de reprendre confiance en ses forces et en sa virilité. Il y aurait donc une sorte de devise qui pourrait se résumer ainsi : je trompe donc je suis. Ce qui me gêne dans cette analyse qui est, de fait, la plus classique, c'est qu'elle fait la part belle au comportement solitaire, appréhendant l'infidélité comme un rapport défaillant entre l'homme et sa sexualité au lieu de mettre l'accent sur le lien se délitant entre l'homme et la femme. L'infidélité, en effet, ne serait-elle pas d'abord le constat que l'homme ou la femme ne trouve plus chez l'autre la multitude des facettes qui non seulement détournent de la fuite dans un corps étranger mais rendent inconcevable l'adultère ?
Combien de fois entend-on ce que l'on pourrait nommer les poncifs de la modernité, qui se résument à justifier une sexualité libre et multiple parce que l'amour, le compagnonnage de tendresse et de complicité constitueraient l'essentiel ? "Coucher" ailleurs n'aurait pas d'importance ni de gravité puisque la fidélité ne serait que le lot du coeur, à la charge du sentiment. Ce qui relèverait du corps aurait droit à un gaspillage qui serait sans conséquence et le coeur, lui, parce que naturellement il est susceptible de ne pas être atteint, dans son intensité, par le temps qui passe, représenterait l'horizon de toute passion véritable. Mais il me semble qu'au contraire, pour beaucoup, le désir, l'inlassable et irremplaçable attraction des corps entraînant bien autre chose et bien plus qu'un plaisir immédiat sont perçus comme le terreau fondamental, le socle délicieux et nécessaire du lien amoureux où le coeur se nourrirait du reste.
J'avoue que j'aimerais connaître les ressorts et les motivations de ceux qui, capables d'amour et même de passion durable (cela existe en dépit du cliché contraire), s'affirment, en même temps, indifférents aux débridements du corps de l'autre, avec une philosophie sereine et satisfaite. Comment faire pour supporter que l'être dont on est fou s'abandonne à d'autres émois et donne à autrui ce qui est la matière noble de ce qu'il devrait vous réserver ? A la fois j'admire de telles attitudes, les estimant d'un courage presque surhumain, et je les juge dévastatrices comme si elles révélaient paradoxalement plus de faiblesse chez celui qui les accepte que de véritable tolérance.
Evoquant ces territoires intimes, on en vient évidemment toujours à mentionner l'exemple illustre et philosophique du couple formé par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir avec notamment cette focalisation qui a beaucoup servi sur la contingence et la nécessité. D'une part, il semble que l'histoire de ces deux grands esprits et de ces corps très courtisés montre qu'ils ont créé assez rapidement les conditions d'une acceptation plus confortable et moins douloureuse du comportement sexuel de l'autre. D'autre part, le mimétisme qui a conduit beaucoup de couples, au nom d'une modernité mal digérée, à "singer" Sartre et Beauvoir sans les épaules et l'intelligence pour rivaliser avec eux, a abouti à des catastrophes. Le contingent s'est mêlé au nécessaire et des personnes se sont perdues dans un jeu dangereux qu'elles ne parvenaient plus à maîtriser alors qu'elles auraient pu sauvegarder leur bonheur en acceptant avec simplicité le langage doux et familier de l'amour au quotidien.
Au fond, l'expérience démontre qu'on est fidèle à deux. Qu'il n'y a pas une vertu de fidélité qui s'exprimerait, quels que soient les êtres en cause et les circonstances. L'homme est fidèle non pas parce que la femme le permet mais parce qu'un jour, une femme le permet.
On n'est jamais fidèle en soi. On est toujours fidèle à quelqu'un.
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