Bonne nouvelle : MAM n'est plus ministre de la Justice.
Mauvaise : en dépit de son triste bilan elle est récompensée par un poste prestigieux et elle n'a pas oublié son compagnon dans son bonheur public. A décourager ceux qui naïvement relient réussites et promotions (Le Monde, Le Figaro, Le Parisien, nouvelobs.com, Marianne 2) !
Maintenant, Michel Mercier, le nouveau garde des Sceaux, va devoir découvrir, apprivoiser et servir ce corps à la fois conservateur, agité et étrange que constitue la magistrature. Mais pas médiocre, contrairement à ce que croient trop volontiers les politiques qui compensent leurs hommages formels par une lucidité aigre et dépréciative.
Je suppose que, pas plus que ses prédécesseurs, Michel Mercier ne va s'installer place Vendôme avec un programme tout fait dans sa tête. Il observera, écoutera, agira. Réagira, je l'espère, si la situation l'exige.
Puis-je modestement lui suggérer quelques orientations très générales.
Qu'il ne croie pas que la magistrature n'est composée, pour les débats, les consultations et les commissions qui pullulent abusivement - des substituts à l'impuissance ? -, que des syndicats et, à rebours, des "béni oui-oui" de la justice officielle qui défendent des positions plus que des convictions et sont prêts à s'aligner sur le dernier offrant. Il y a de nombreux magistrats qui ne se reconnaissent ni dans les premiers ni dans les seconds. On a le devoir, pourtant, de les considérer aussi. La Justice n'est pas un bloc.
Qu'il ne croie pas que nous attendons avec impatience un ministre omnipotent et omniprésent. Au fond, nous espérons enfin un grand garde des Sceaux de l'abstention qui aura l'intelligence de comprendre qu'il y a une forme de prurit échevelé et vain qui ressemble à de la bêtise. Plutôt que de lancer sans cesse des fusées sans se soucier de leurs retombées, pourquoi ne pas méditer avant ? Pourquoi, par exemple, "déshabiller" la cour d'assises pour "habiller" les tribunaux correctionnels quand la présence des jurés dans la première est irremplaçable et sera au moins très sujette à caution et difficilement réalisable avec les seconds ? Je suggère plutôt que pour toutes les justices qui vont mal, sont trop lentes et découragent nos concitoyens - la pénale, la sociale, la commerciale et la civile -, le ministre fasse établir un tableau d'évaluation, cour d'appel par cour d'appel, et qu'il le rende public. Sa politique alors, toute simple, consisterait à injecter des moyens et à amplifier l'assistance professionnelle dans les univers les plus sinistrés. Pour qu'ils se mettent à niveau.
Qu'il ne croie pas, quand il aura à proposer hommes et femmes pour des postes de haute responsabilité au parquet, que les complaisants seront de meilleure facture que les indociles. Qu'il choisisse ceux qui auront fait leurs preuves - avec ce critère, combien aujourd'hui disparaîtraient de la lumière ! - et méritent d'être soutenus et promus. Qu'il se souvienne que des trésors professionnels existent en province et que le label parisien ne démontre rien, ni pour ni contre.
Qu'il ne croie pas, parce qu'il est dans un gouvernement de droite, qu'il n'a pour mission que le réalisme sec, la sévérité brute et le discours manichéen. Peut-être parviendra-t-il enfin à appréhender les deux bouts de la chaîne et à inspirer des mesures qui se définiront par un humanisme efficace, une rigueur mais fine et pertinente. L'humain et le technique ne sont pas inconciliables. S'ils l'étaient, ce serait à désespérer de la démocratie et de nos pratiques à venir.
Qu'il ne croie pas que le ministre de l'Intérieur doive être nécessairement flatté et courtisé au point qu'hier on avait l'impression désagréable qu'avec le consentement de MAM, il occupait quasiment deux fonctions. Il agissait place Beauvau et proposait place Vendôme. Cela ne signifie pas non plus qu'il faille entrer dans une guerre permanente avec Brice Hortefeux, parce qu'elle serait dévastatrice pour la cohérence et la justesse de notre politique globale contre l'insécurité. Quoi qu'en pensent des magistrats plus prêts à dénigrer la police que la délinquance, la première est confontée à l'immédiat et au choc de la réalité transgressive, une alliée capitale pour la justice et rien ne serait pire que de continuer souvent à la traiter comme si elle était de trop et présumée coupable, quoi qu'elle fasse ou ne fasse pas.
Qu'il ne croie pas que des mots suffiront pour désengorger les prisons et y instiller dignité humaine et décence matérielle. Aussi bien pour la condition des détenus provisoires et condamnés que pour le sort des surveillants qui exercent une fonction remarquable mais qui en ont assez qu'on les paie de promesses. Non seulement une telle politique de bon sens ne serait pas incompatible avec une exécution des peines enfin cohérente, aussi éloignée du systématisme de l'exécution partielle que d'une brutalité sommaire, mais au contraire elle la permettrait, la faciliterait. La honte ce n'est pas la prison. C'est l'état des lieux d'enfermement.
Qu'il ne croie pas à l'utilité de la démarche schizophrénique. La réalité pénible, dérangeante demeure même quand on prétend l'effacer par des dénégations ridicules qui fragilisent encore plus un ministre déjà discrédité. L'affaire Woerth-Bettencourt demeure plus que jamais politique après que MAM absurdement a proféré l'inverse. La justice ne s'est pas améliorée, et le tableau judiciaire ne s'est pas miraculeusement embelli, même après que votre prédécesseur a osé soutenir que tout avait "bien fonctionné" dans la gestion de ces procédures. L'indépendance de la justice est une exigence trop belle pour être invoquée seulement quand elle vise à justifier une passivité qui refuse de se mêler de ce qui la regarde. On a besoin d'un ministre qui ne mente pas et avoue ce qui crève les yeux et l'esprit.
Qu'il ne croie pas, enfin, que les magistrats, toutes tendances confondues, quand ils aspirent à la liberté de leur comportement professionnel dans les dossiers "sensibles" et qu'ils dénoncent les pressions et les influences trop souvent légitimées par ceux qui devraient s'en plaindre et en souffrir, soient de dangereux gauchistes, des trublions pourfendeurs de l'Etat. Ils veulent seulement le respect d'un Etat de droit que les candidats exploitent avant et oublient ou négligent pendant. Les magistrats veulent l'élargissement de l'autonomie judiciaire, de l'espace démocratique, l'approfondissement de la morale publique parce que leur lot quotidien est de composer avec ces notions aussi bien techniques que républicaines. Ils demandent qu'on leur permette ce qu'on leur avait annoncé. La contrepartie de leur pouvoir devrait être naturellement, pour éviter les errements farfelus et incongrus, l'amplification d'un vrai contrôle professionnel (et non pas idéologique) et l'instauration d'un nouveau système de responsabilité. Le magistrat doit être libre, soit, mais pas de faire n'importe quoi quand l'absurdité est avérée.
Nous ne sommes pas seuls dans ce combat légitime. Même si nous oublions trop souvent que c'est lui qui doit donner sens et efficacité à notre action, le citoyen est à nos côtés pour que nous ayons la force, le courage et le savoir en vue de cette incarnation quotidienne de l'Etat de droit. La société nous veut exemplaires, nous souhaite indépendants et nous désire responsables : elle a raison.
Monsieur le garde des Sceaux, vous avez toutes les cartes pour vous consacrer au pouvoir de la justice et non pas à la justice du pouvoir, quelle que soit l'apparence de celui-ci.
"Beaucoup de vœux pieux"
Beaucoup de vieux bœufs...Comme les arguments de Patrick Pike...
:-)
Oui bon, les contrepèteries, ce n’est pas mon fort.
Rédigé par : jpledun | 16 novembre 2010 à 17:11
Que de voeux pieux, ce serait oublier que l'Elysee garde la main.
A se demander meme si Woerth n'est pas soudainement lache, crame et livre en pature pour faire diversion dans un film ou le script n'aurait pas ete change pour autant.
Rédigé par : O Mercier | 16 novembre 2010 à 16:23
Beaucoup de vœux pieux, cher Philippe.
C'est oublier que si les ministres changent, celui qui leur dicte la copie à remplir est toujours là.
C'est un peu comme le Beaujolais. Nouveau chaque année et cependant désespérément semblable et imbuvable.
Mais l'espoir fait vivre, dit-on.
Rédigé par : Patrick Pike | 16 novembre 2010 à 14:27