Six minutes, même vives et enlevées, sur Europe 1 avec Marc-Olivier Fogiel, ne suffisent pas pour traiter le problème de la récidive, revenu tragiquement dans l'actualité avec l'enlèvement et la mort de Laëtitia et la mise en examen de Tony Meilhon pour ces faits. Ce dernier a déjà été condamné à treize reprises, notamment pour des infractions sexuelles, même si le viol n'a pas été retenu à son encontre dans les récentes incriminations (Le Figaro, 20 Minutes, Le Parisien, Le Monde).
Pour avoir été un des seuls magistrats à approuver publiquement les coups de boutoir du ministre de l'Intérieur puis du candidat Sarkozy contre certaines pratiques judiciaires aberrantes, en préférant la vérité à une solidarité corporatiste, je n'en suis que plus à l'aise pour dénoncer, à propos du drame de Pornic, une politique et des méthodes qui, malgré le volontarisme autoritaire affiché, sont très sujettes à caution.
Recevoir à l'Elysée les parents de la victime met en représentation une compassion et un soutien qui d'une part sont éprouvés par tous dans leur for intérieur et d'autre part, à mon sens, n'ont pas besoin d'une expression officielle offerte par le plus haut niveau de l'Etat. A partir de quel seuil de souffrance sera-t-on convié à venir pleurer à l'Elysée ? Cette exploitation publique et politique de douleurs intimes est-elle de nature à permettre une avancée judiciaire au sens large ? Evidemment non. Aussi je trouve déplacé que le président s'en prenne au procureur général Nadal qui n'aura pas à recevoir les proches de Laëtitia alors que lui aura à assumer cette pénible charge... Qu'il n'aurait pas dû, précisément parce qu'il est le chef de l'Etat, s'imposer (Le Figaro) !
Cette tactique, qui n'est pas exclusive d'une sincère empathie mais qui "vulgarise" contre la décence, la dignité et le recueillement, est d'autant plus infondée en l'occurrence qu'en dépit de ses injonctions initiales, le président, sous la pression justifiée et, à ma connaissance, unique de l'UMP dans ce domaine (Marianne 2), a renoncé à faire préparer une septième loi contre la récidive puisque, si je compte bien, une fois Loppsi 2 adoptée, nous aurons eu la bagatelle de six lois en six ans. Certes, le chef de l'Etat a substitué à l'abstention législative (enfin !) un courrier au garde des Sceaux pour lui ordonner de faire procéder à une enquête sur les conditions de la libération de Meilhon et les modalités du contrôle qui aurait dû être exercé sur ses activités. Michel Mercier a obtempéré et il se propose d'adjoindre à la future loi (absurde) sur les jurés dans les tribunaux correctionnels des dispositions de nature à satisfaire les désirs présidentiels. Je ne sais ce que va donner cette mixture parlementaire dont la cohérence ne sera sans doute pas la principale qualité ! L'empilement des lois n'a jamais constitué une politique même si on devine bien la tentation du pouvoir de remplacer par la surabondance un approfondissement de la pensée et de l'élaboration beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre que la multiplication de mesures souvent inefficaces au demeurant parce que privées de ce qui pourrait les rendre effectives et opérationnelles.
Il n'est pas inutile de rappeler que s'il y a une indignation légitime à la suite de chaque tragédie criminelle, il en est une autre purement démagogique et suscitant de faux espoirs quand elle cherche à faire accroire qu'on pourra un jour offrir "une criminalité zéro" à la société alors que certaines natures et la carence possible, par ailleurs, des dispositifs de vigilance susciteront malheureusement trop souvent le pire.
Pour la mort de Laëtitia, malgré sa volonté de prendre en faute la magistrature, il semble que celle-ci n'ait rien à se reprocher dans ce qui relevait de sa responsabilité pour Tony Meilhon. Pas davantage, le processus pénitentiaire, pour une fois, n'avait à être critiqué puisque les peines avaient été exécutées et que même les réductions automatiques avaient été supprimées. Reste que le Service d'insertion et de probation de Nantes, débordé, avait été contraint de laisser de côté 800 dossiers dont celui de Tony Meilhon condamné en dernier lieu pour outrage, un délit mineur. Sauf à traiter ce SPIP de totalement désinvolte, force est de constater que les exclusions qu'il a opérées et qui seraient le fait en France de 43 services résultent d'une absence scandaleuse de moyens sur tous les plans. Il est malhonnête de dénoncer une incurie aux conséquences dévastatrices quand ceux qui ont le devoir d'y remédier, au niveau présidentiel ou au moins ministériel, les laissent perdurer.
Aussi, si l'on veut bien considérer cette situation avec objectivité, les dysfonctionnements qui ont conduit à rendre vains le fichier des infractions sexuelles puis le fichier des personnes recherchées, inopérant le suivi, appellent des investissements accrus, la mise en place d'un encadrement plus nombreux et plus mobilisé, une disponibilité que l'état présent des mécanismes de contrôle n'autorise pas. Ce n'est donc pas la peine, pour l'Etat, de feindre de s'étonner de catastrophes dans lesquelles sa propre indifférence ou négligence a eu une large part.
Il est évident aussi que pour une certaine catégorie de crimes et de de délits et au regard de passés judiciaires particulièrement préoccupants, une exécution totale des sanctions devrait être la régle. L'individualisation sacro sainte des peines permet une comédie pénitentiaire que les plus dangereux jouent à la perfection quand elle déstabilise les moins endurcis. Il faut substituer à cet humanisme périlleux et superficiel une objectivation des infractions. Qui a porté atteinte à autrui gravement et à plusieurs reprises doit à l'évidence ne pas être mis en mesure de renouveler, grâce à des libérations anticipées, ces comportements transgressifs. Ce n'est pas si loin de l'idée juste de Ségolène Royal affirmant, chez Guillaume Durand, qu'il ne conviendra de libérer les criminels sexuels qu'avec la certitude de leur guérison et de leur absence de "nuisance" dehors.
Le président de la République, nous dit-on, demande des comptes à la Justice (nouvelobs.com). J'ose soutenir qu'en l'occurrence c'est à la Justice de demander des comptes au président, au Pouvoir. Je ne fais même pas référence à cette absence de vision d'ensemble en matière pénale depuis 2007, à l'indignité des lieux d'enfermement, aux nominations emblématiques plus politiques qu'incontestables, à la gestion orientée de certains dossiers, au défaut de pensée dans tout ce qui vient dans l'agitation et l'immédiateté entraîner une réaction politique et solliciter parfois une adhésion parlementaire, bref à ce qui nourrit chaque jour notre nostalgie de l'Etat de droit irréprochable qui avait été promis.
Pour Tony Meilhon, la magistrature ne peut que s'émouvoir et déplorer, comme tous. Mais pour espérer pouvoir réduire le nombre de ces cataclysmes, pas d'autre solution, pour l'Etat, que de faire passer ses actions et ses initiatives du symbolique au réel.
Oui, je le maintiens, c'est à la Justice de demander des comptes.
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