Une proposition de loi présentée par trois sénateurs UMP, socialiste et RDSE prévoit de réduire d'un tiers les peines encourues par des personnes atteintes de troubles psychiques au moment des faits tout en renforçant l'obligation de soins pendant et après la détention (Le Monde).
Quelle étrange mode, depuis quelque temps, de vouloir se mêler de la cour d'assises et plus généralement de l'univers criminel comme s'il fallait à toute force, selon une tradition bien française, détruire un équilibre à peu près satisfaisant !
Ici, on prétend priver la première de ses jurés en première instance et de surcroît, là, on voudrait limiter leur pouvoir en entravant leur liberté d'appréciation.
On ne saurait trop conseiller au Sénat de ne pas s'aventurer sur ce territoire où, avec une massue législative, il chercherait à imposer aux citoyens, au regard des expertises psychiatrique et médico-psychologique, des obligations et des réductions de peines automatiques. Rien ne serait pire qu'une telle démarche, au moins pour trois raisons.
D'abord il est faux de soutenir cette généralité que "les jurys tendent à aggraver les peines en considérant que la société sera protégée plus longtemps". Cette affirmation du rapporteur PS du texte, Jean-Pierre Michel, n'est vraie que pour les crimes odieux à répétition où l'irrationnalité même partiellement admise pèse peu devant la dangerosité inéluctable de celui que la compréhension judiciaire risquerait de renvoyer trop vite à l'air libre. Pour beaucoup d'autres crimes, notamment pour ceux où les peines requises demeurent dans un registre équilibré, moins sévère, il est évident que les conclusions des experts sont importantes pour l'accusateur mais aussi pour les jurés et les magistrats qui vont délibérer durant des heures en tentant d'affiner la sanction et d'évaluer au plus juste ce que sera l'avenir pour l'accusé, une fois ce dernier libéré. Espoir ou crainte , optimisme ou pessimisme ?
Ensuite, le jury n'est pas tenu par les expertises que l'oralité des débats lui a permis de connaître. Il n'est pas contraint d'en suivre les conclusions et, par exemple, de retenir une altération pourtant affirmée mais que sa perception, lors du débat, a pu contredire. Aussi, prévoir dans ces conditions la diminution automatique des peines d'un tiers reviendrait à traiter comme intangibles et indiscutées des orientations que précisément on aura le droit de remettre en cause. Il est absurde de prétendre figer ce que l'oralité enseigne dans un désordre souvent créateur.
Enfin, remettre le sort judiciaire d'un accusé entre les mains d'experts représente aujourd'hui un défi dangereux dans la mesure où de l'avis général leur compétence est pour le moins inégale. S'il y a des psychiatres et des psychologues remarquables, combien laissent dubitatifs devant la durée de leur examen, le flou de leur analyse et le caractère aléatoire de leurs conclusions ! Il serait imprudent de créer un lien obligatoire, lors du délibéré, entre des orientations souvent rien moins que décisives et la sanction. Mieux vaut laisser le plus de jeu possible à l'intelligence et à la sensibilité des douze ou quinze qui assument la mission de juger, d'acquitter ou de condamner.
En revanche, plutôt que de s'attacher à toucher au coeur de la cour d'assises en cherchant à caporaliser une formidable liberté qui est une chance aussi bien pour les accusés innocents ou devant bénéficier du doute que pour les parties civiles brisées, que les sénateurs se consacrent exclusivement à rendre plus opérationnelle, pendant et après la détention, l'obligation de soins. Ce sera une oeuvre très utile s'ils parviennent à donner à un dispositif trop souvent formel les moyens de son efficacité.
Faute de cette retenue, ils risqueraient de porter gravement préjudice à ce qu'avec bonne conscience et ignorance ils s'imaginent pouvoir améliorer.
Totalement d'accord avec cette montée au créneau, Monsieur l'avocat général. Il est des matières où il n'est pas bon de faire du zèle, et la matière criminelle en fait partie... Je partage donc, sur le fond et sur la forme, votre propos fort à propos.
Votre bien dévoué,
Rédigé par : Alexandre-Guillaume TOLLINCHI | 02 février 2011 à 19:11
On peut s'interroger profondément sur cette idée d'une réduction automatique d'un tiers de la peine. Mais je crois que c'est juste une mauvaise réponse à un vrai problème, et quand dans ce billet vous remettez en cause de manière vraiment injustifiée le travail d'analyse qu'ont réalisé les sénateurs, qui n'ont pas cédé aux erreurs que vous dénoncez trop rapidement.
Si je lis le rapport lui même http://www.senat.fr/rap/l10-216/l10-2161.pdf , j'y vois que la motivation des sénateurs est que : "10 % des détenus souffriraient de pathologies psychiatriques d’une gravité telle que, pour ces personnes, la peine ne peut avoir aucun sens."
Cette situation n'a rien d'un "équilibre à peu près satisfaisant" ! Elle est au contraire aussi choquante moralement qu'elle est inefficace en pratique.
Car en continuant sur les remarques du rapport :
« Elle conduit à une situation critiquable au moins à trois égards :
la peine n’a guère de sens pour cette partie de la population pénale ;
en outre, la prison, malgré les efforts accomplis pour garantir une meilleure prise en charge médicale, n’est pas un lieu de soins ;
enfin, la durée de la sanction n’est nullement adaptée à l’évolution d’une pathologie et au temps nécessaire à son traitement : une personne considérée comme dangereuse au commencement de son incarcération peut l’être tout autant à sa libération. »
Bref le choix fait au final n'est pas le bon, vous m'en convainquez. Mais l'étude en elle-même met en lumière une situation qu'on ne saurait accepter qu'elle reste en l'état !
Rédigé par : jmdesp | 28 janvier 2011 à 15:34
La perpétuité moins un tiers donc, pour les crimes les plus graves.....
Rédigé par : Tendance | 28 janvier 2011 à 09:57
Je confirme ce que MCPN a écrit.
Je conseille á tous de visiter le musée de l'art brut á Lausanne.
http://www.artbrut.ch/index9e6f.html
C'est "fou" le talent que l'on y trouve.
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Pour une fois qu'ils s'entendent, nos trois fous, c'est vraiment dommage que ce soit sur ce sujet.
Rédigé par : [email protected] | 28 janvier 2011 à 01:25
Monsieur Bilger, pourriez-vous s'il vous plaît commenter cette incroyable nouvelle (à mon avis nettement plus ébouriffante que la coquecigrue de ces trois sénateurs) :
M. Sarkozy renoncerait à une loi sur la récidive alors qu'un fait divers tragique implique un récidiviste (sexuel en plus !).
Mais où va-t-on ?
Rédigé par : Mussipont | 27 janvier 2011 à 22:53
Ça alors!
Peut-être en réduisant d'un tiers le nombre des jurés...
Mais bon, depuis que la folie s'examine en rondelles de cuir!
Rédigé par : zenblabla | 27 janvier 2011 à 19:34
J'ai du mal à comprendre la logique qui pousse ces sénateurs à proposer cette loi.
A moins que ces mêmes, sentant venir la sénilité, envisage qu'un jour, leur folie ne les pousse à commettre quelques crimes. Auquel cas ils se prévoient un avenir carcéral réduit.
Mais leur âge faisant, de toute manière même une courte peine serait perpète pour eux.
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 27 janvier 2011 à 19:22
Le fait de renforcer l'obligation de soins pendant et après la détention n'est pas forcément une mauvaise chose.
Tout dépend des "soins" en question.
http://www.dailymotion.com/video/x5rra9_berurier-noir-pavillon-36_music
Rédigé par : Alex paulista | 27 janvier 2011 à 18:48
Il y a 2000 ans on en parlait déjà.
Dans les sociétés premières, la folie présente souvent un caractère sacré - ou tout au moins magique - le fou est celui que les Dieux ont choisi.
Il devient donc tabou, intouchable.
La folie désigne, en langage populaire, l'état d'une personne dont le discours et/ou les actions et le comportement ne semblent avoir aucun sens pour l'observateur.
C'était bien le cas de Jésus, personne ne comprenait vraiment ce qu'il disait et donc le jugement d'Hérode était le bon.
Lors des trois procès de Jésus, Hérode est le seul à se montrer humain.
De Jésus, il dit : "C'est un fou et il n'a pas à être jugé."
On ne juge pas les «fous», on les soigne et bien avant on fait de la prévention et de la détection précoce.
L’essentiel : http://champion20.monsite-orange.fr
Rédigé par : MCPN | 27 janvier 2011 à 17:48
«Une proposition de loi présentée par trois sénateurs UMP, socialiste et RDSE prévoit de réduire d'un tiers les peines encourues par des personnes atteintes de troubles psychiques au moment des faits.»
Est-ce que ce ne serait superfétatoire relativement au 2 alinéa de l'art.122-1 du Code Pénal qui dit ceci:
« N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. »
Nonobstant, je pense que toute modification dans un sens comme dans l'autre de cet article qui peut paraître fondamental eu égard à la perception que l'homme a de lui-même en tant qu'homme, engage plus qu'aucune autre disposition du même code sa conception de l'être social.
Qu'est-ce qui est punissable? Est-ce la conséquence de l'acte vu du point de vue d'autrui auquel il a été nui, la mort représentant en somme l'ultime nuisance corporelle? Point de vue qui représente l'état le plus archaïque de la question, autrement dit celui, grosso modo, du casus belli ou du « cri de vengeance », par ex. celui des Atrides qui s'élève quelle que soit la qualité du discernement d'un meurtrier prisonnier de la fatalité?
Ou est-ce le degré d'intelligence de la peine à laquelle on s'expose en transgressant la règle. « Ex. tu ne tueras point. » combinée à la libre décision de passer outre qui emporte la qualification de ce crime dont l'auteur des faits aura à répondre ou vis-à-vis duquel il sera requis d'endosser une responsabilité pleine et entière ou seulement atténuée?
A partir du moment où existe la notion d'une atténuation de responsabilité en lien avec le degré ou le régime de l'application de la peine prévue en valeur absolue, tout semble ne devoir être qu'une question de nuance, le 1/3, le ¼, le 1/6, le 1/10ème etc., une loi peut-elle vraiment en prévoir et donc fixer toute la gamme du rouge au violet, à l'image du spectre de l'arc-en-ciel qui contient une infinité de couleurs?? Je me le demande:
Rédigé par : Catherine JACOB | 27 janvier 2011 à 17:43
Cher Philippe,
Je partage votre point de vue sur la valeur des experts ; être inscrit sur une liste d'experts relève plus d'une reconnaissance sociale ou d'une notoriété que d'un certificat de compétence.
Il m'est arrivé d'être horrifié par des rapports d'experts de pure complaisance ou qui étaient bâclés ou infondés.
Bien sûr il y a des experts de haute valeur tant morale que professionnelle, mais il en est d'autres hélas qui ne font pas honneur à leur discipline.
Le Sénat serait mieux inspiré de mettre en chantier une réforme de la Justice s'inspirant des recommandations de la Commission Vallini par exemple.
Rédigé par : christian dulcy | 27 janvier 2011 à 17:28
Monsieur Bilger, vous devriez vous porter volontaire pour assurer la garde de détenus fous, vous auriez peut-être une autre opinion après avoir ramassé leur merde qu'ils mangent et vous être fait insulter à longueur de journée.
Vous n'avez pas de pitié pour ceux qui les gardent sans avoir aucune qualification pour leur assurer les soins qui leur sont indispensables 24 heures sur 24.
Rédigé par : Patrick Handicap expatrié | 27 janvier 2011 à 13:17
La proposition des trois sénateurs à n'y pas regarder de trop près, semble apporter une garantie de sérieux, de professionnalisme et de rationalité scientifique dans un processus judiciaire où la passion et l'émotivité des jurés populaires risquent de conduire à des décisions aberrantes.
Elle paraît sage dans la mesure où elle propose d'asseoir les jugements sur la connaissance et la raison en leur apportant la garantie de la science qui, contrairement à l'émotion, est maîtrisée, pondérée et rassise.
Je suis tout à fait incompétent en ces matières et je n'interviens ici qu'en tant que citoyen qui cherche à être éclairé.
La première idée qui me vient en apprenant ce dont vous nous entretenez dans cet article, c'est de me demander pour quelle raison l'avis des experts devrait obligatoirement aller vers la réduction, dans la proportion maximale du tiers, de la peine proposée par le jury. N'y a-t-il pas dans ce système imaginé par les trois parlementaires, l'idée que les jurés sont d'instinct portés à une sévérité excessive ?
Imaginons qu'un jury, ne tenant pas complètement compte des conclusions des experts, prononce un verdict trop clément aux yeux de ceux-ci, pourquoi, dans un souci d'équilibre, ne pourraient-ils pas alourdir alors la peine proposée d'un tiers ? Je suis bien conscient, rassurez-vous, du caractère purement théorique de ce cas de figure, mais il me permet de poser la question de la répartition des rôles contenue dans cette proposition de loi.
On aurait d'une part la punition sévère laissée au peuple, forcément émotif, d'autre part l'atténuation de la punition dévolue aux savants. Ne serait-ce pas la négation de la légitimité de la justice rendue au nom du peuple et par lui ?
Votre expertise, Philippe, est une fois encore un éclairage puissant. Elle rejoint, par la raison et l'expérience, une réaction intuitive.
Car cette notion d'automaticité contenue dans la proposition parlementaire ne laisse pas de troubler. Si je vous comprends bien, ce serait introduire de la rigidité dans un processus qui demande certes de la rigueur, du contrôle, mais aussi une liberté d'appréciation par le juré que ne vienne pas entraver l'application mécanique d'une réduction de peine.
L'autre question que je me pose, d'ailleurs est celle-ci : est-ce que les jurés ne risquent pas, si cette restriction à leur autonomie de jugement était appliquée, d'aggraver leurs verdicts en intégrant par avance cette réduction dans leur décision ?
N'y seraient-ils pas d'autant plus enclins qu'ils sont conscients de ce que vous rappelez opportunément dans votre billet, à savoir la faillibilité des expertises psychologiques et psychiatriques ?
Rédigé par : Frank THOMAS | 27 janvier 2011 à 10:58
Les liens entre psychiatrie et droit pénal sont troubles et je partage votre méfiance envers toute intervention législative. Si les contours du discernement fluctuent selon les époques - ce qui était folie hier serait lucidité aujourd'hui - il reste que cette notion fondamentale est sur le fond d'une grande simplicité. Qui est privé de discernement ne saurait être traduit devant un juge, la réponse sociale au danger qu'il pose doit être psychiatrique. Sous contrôle du juge, cela va sans dire. Graduer la responsabilité pénale en fonction du handicap mental me paraît une démarche légèrement absurde, une forme d'excuse de minorité appliquée aux adultes, façon détournée de distinguer entre de vrais adultes et des demi-adultes. Il me paraît tout aussi évident que c'est au jury ou au juge en matière correctionnelle de se prononcer sur l'absence ou non de discernement. La psychiatrie n'étant pas une science exacte, les meilleurs experts ne peuvent donner qu'un avis. Quand bien même elle serait exacte, du reste, mon opinion demeurerait identique. Après tout, même un test ADN ne lie pas le juge qui reste maître de l'appréciation des preuves. Enfin, pour conclure, je ne suis pas plus convaincu que vous de la sévérité systématique des jurys populaires. Réformer, soit, mais seulement quand nécessaire.
Rédigé par : FB | 27 janvier 2011 à 09:34
Il serait peut-être temps que le peuple s'avise de remettre en cause les fonctions et avantages des sénateurs.
Rédigé par : mike | 27 janvier 2011 à 09:04
Cher Philippe,
Votre point de vue est frappé au coin du bon sens, et son résumé : "caporaliser une formidable liberté qui est une chance aussi bien pour les accusés innocents ou devant bénéficier du doute que pour les parties civiles brisées" me remplit d'admiration.
Rédigé par : Jiel | 27 janvier 2011 à 07:52
Avocat Général Bilger,
autrefois du temps de la splendeur de Rome
les magistrats étaient tous des sénateurs.
Il y avait évidemment une raison...
Pas fou le sénat...
Bien que nous revenions au droit latin et
romain...
Salutation...
Virtus et honor
Rédigé par : Virtus et Honor | 27 janvier 2011 à 00:41