Pourquoi faire simple quand on a le droit de faire compliqué ?
Tout ce qui est débattu ces derniers temps avant le second tour des cantonales est passionnant. L'agitation de l'UMP, les contradictions gouvernementales jusqu'au plus haut niveau, même rectifiées après, les positions dissidentes, les injonctions morales, les diktats de la gauche comme si elle n'avait pas à se mêler de son propre camp, les artistes donneurs de leçons, quelques voix libres - peut-on vraiment soutenir qu'il y a là de la cacophonie alors qu'au contraire c'est le surgissement difficile et encore contrarié d'évidences et comme une envie d'être maître chez soi ?
Je renvoie à mon billet "Le FN est-il républicain ?", publié il y a quelques jours. Il est plus que jamais confirmé par l'effervescence que je viens de décrire. Fondamentalement, certains ne parviennent pas à accepter l'idée qu'un parti autorisé n'a pas à être traité comme s'il était interdit, tel un pestiféré, mais seulement comme un adversaire politique. Pourtant on continue à entendre des condamnations expéditives, comme si elles ne méritaient pas d'être explicitées et comme si qu'extrême droite signifiait forcément le pire, même avec une extrême gauche de plus en plus forte en France.
On fait ainsi un sort au propos de Valérie Pécresse prônant le Front républicain et affirmant que si des idées la séparent du Parti Socialiste, des valeurs en revanche la séparent du FN (Marianne 2). Elle se garde bien de nous expliquer le contenu de ce beau contraste en tentant de définir en l'occurrence ce qui dans les programmes élève le projet de gauche au rang de l'idée et dégrade celui du FN en péché démocratique mortel. Elle s'en garde bien parce que son intelligence politique la condamne à demeurer dans ce registre éthique superficiel. N'a-t-elle pas conscience qu'au contraire l'affichage permanent d'un antagonisme proclamé des valeurs ne sert au fond qu'à masquer le rapprochement de plus en plus sensible des idées ? La morale abstraite cache difficilement la politique concrète ou envisagée.
Valérie Pécresse n'est pas la seule à tenter de se persuader que le seul Front qui vaille est le Front républicain.
Le monde artistique, toujours prêt pour les combats qui rapportent, s'y met. Il est vrai que le FN constitue une cible idéale, repoussoir exemplaire. Beaucoup sont passés d'une admiration béate pour le communisme d'hier et les luttes révolutionnaires en chambre à une détestation confortable à l'encontre de "l'infâme". On n'ose plus évoquer le nazisme ou le fascisme à tout bout de champ mais on a, sous l'esprit militant, le FN. Si Catherine Deneuve demeure discrète en s'effrayant de la possible présence de Marine Le Pen au second tour, Dany Boon, pour sa part, quoique bien renvoyé dans les cordes par cette dernière, délivre un message selon lequel il ne faut pas voter pour l'extrême droite (nouvelobs.com, Le Monde). Ainsi, parce que des acteurs auraient trouvé là un filon à exploiter en plaquant sur le FN la haine qu'ils lui prêtent, il conviendrait de se laisser emporter par le torrent de la démagogie.
Au sein de l'UMP, il y a heureusement de la résistance. L'idée même d'un Front républicain est rejetée parce qu'il aboutirait à favoriser l'élection de socialistes qui seraient en ballotage défavorable au regard de l'intégrité et de la morale personnelles. Il conforterait l'obsession du FN, pour lequel il existe, contre toute évidence, l'UMPS.
En dehors du fait que la liberté des électeurs de l'UMP les conduira peut-être à aller au plus proche, et non pas au plus éloigné, on ressent de plus en plus, au sein de l'appareil - pour qui suit avec une infinie curiosité ses avancées et ses retraits, ses pudeurs et ses audaces - une connivence naturelle avec les positions du FN sur la sécurité et la justice. Cette porosité est de plus en plus nette, malgré les efforts de Jean-François Copé qui tente de dresser par le verbe une cloison étanche entre les principes du FN et ceux de l'UMP. Mais cette démarche constitue plus un avertissement, voire une semonce à l'égard de ses propres troupes qu'une annonce sûre d'elle pour l'extérieur (lepoint.fr). Il n'est pas neutre qu'un responsable UMP ait déclaré en province que le FN était "républicain", même si on a cherché officiellement à minimiser cette opinion.
Je faisais allusion à quelques esprits libres qui, dans un style différent, ont mis de la contestation dans cet univers trop bien rangé.
Denis Tillinac, aussi courageux et lucide sur le plan politique qu'il est parfois délirant en matière judiciaire, a démontré à quel point le Front républicain était absurde, parce qu'il profitait toujours au PS et encore plus à une extrême gauche qui ne se pique pas de miséricorde ni de tolérance dans ses analyses sociales échevelées. Et il ferait beau voir qu'on les lui reprochât ! L'écrivain souligne aussi - et c'est très pertinent - "qu'affecter le FN d'une infériorité morale n'est que l'habillage pharisien d'un mépris de caste ; c'est pourquoi, entre autres raisons, les prolétaires votent pour ce parti" (Le Figaro).
L'impétueux et inébranlable Robert Ménard, qui pour la liberté ne déviera jamais de sa route, non seulement à "On refait le monde" (RTL) a admis le droit du FN à exister et a compris ses électeurs - honteusement traités de "gros cons" par Sophia Aram - mais il a ajouté qu'il approuvait certaines de ses positions, ce qui était un comble ! J'imagine la tête de Joseph Macé-Scaron, que j'ai connu centriste tiède et qui est devenu depuis le pourfendeur frénétique de l'incorrect en matière politique et culturelle !
La réflexion de Denis Tillinac contre la prétendue "infériorité morale" du FN ou son caractère non républicain m'a paru singulièrement illustrée par François Bayrou, qui a tenté avec détermination, sur France Inter, de se colleter au problème mais sans me convaincre sur ce point précis. En effet, pour le reste qui était l'essentiel, il a énoncé avec justesse que le FN devait avoir sa place à l'Assemblée nationale car il était impensable de laisser cette force politique - 15, 20% de l'électorat ? - en dehors du débat parlementaire et qu'il convenait de lui opposer une argumentation elle-même politique, et non pas creuse et de pure indignation formelle. Là où François Bayrou a révélé les limites de la diabolisatisation, c'est quand il a qualifié le FN de "non républicain" parce qu'il dresserait les Français les uns contre les autres à cause de leur origine ou de leur religion et qu'il appellerait à la sortie de l'euro. Patrick Cohen lui a fait remarquer qu'il s'agissait là d'un débat technique et je ne suis pas persuadé que la première affirmation soit à ce point décisive qu'elle devrait contraindre la démocratie à constituer le FN comme "non républicain". Au contraire, l'inscrivant et le maintenant dans l'espace public, elle lui accole une présomption de légitimité républicaine, aussi odieux que le FN puisse apparaître à beaucoup.
Pourquoi ne pas aller droit au but ? Pourquoi ne pas regarder la réalité en face ? Pourquoi se priver à la fois d'une domestication du FN et d'une solution qui ferait cesser toutes les palinodies imposées par la gauche à la droite, quand la première n'a jamais éprouvé le moindre scrupule à bénéficier du poids d'une extrême gauche parée en dépit de tout de vertus insoupçonnées ? Pourquoi ne pas constituer le FN comme un courant extrême de l'UMP qui ne serait pas, avec des divergences certes mais sans gouffre insurmontable, sans familiarité avec la droite populaire déjà bien enracinée dans ce parti ? Pourquoi pas une droite extrême et fièrement conservatrice qui saurait offrir aux protestations et désespoirs de ses électeurs un parti et un espace plausibles et opérationnels ? D'autres marges pourraient se reconstituer mais peu importe. L'essentiel aurait été sauvegardé.
Une objection soulevée par Nicolas Demorand dans Libération est-elle décisive ? Il s'interroge sur la raison qui interdirait à l'UMP aujourd'hui de rester sur la ligne toujours défendue par Jacques Chirac à l'égard du FN. Mais est-on condamné à un tel fixisme ?
D'une part, Marine Le Pen n'est pas son père et je continue à percevoir sa définition de la Shoah, "summum de la barbarie", comme une dîme payée volontiers à la morale universelle. On est passé avec elle non seulement à un changement de flacon mais à une modification du contenu. D'un subjectivisme forcené et volontiers provocant à une approche technique controversée mais acceptable.
D'autre part, sans doute le FN est-il monté si vite et si fort parce que la politique "classique" n'a pas donné les résultats escomptés au bénéfice du peuple et de ses attentes pour la sécurité et la justice. Il est espéré par certains parce qu'il constitue leur dernier espoir, précisément. Le sentiment populaire s'accroche à lui parce qu'à tort ou à raison le FN semble lui fournir la seule réponse à laquelle il aspire : une forme d'ordre, le retour à des valeurs alors qu'on l'accuse de ne pas en avoir, la reconquête de ce qui s'enfuit au fil du temps.
Serait-il alors tellement inepte de suggérer, contre UMPS qui ne signifie rien, slogan facile, UMPN qui voudrait dire beaucoup ? Actuellement, c'est inconcevable. Le FN semble se féliciter de sa solitude peuplée et l'UMP de son éthique ostensible et suicidaire. Mais demain ? La clarté, la démocratie, la politique gagneraient beaucoup à une concordance, une cohérence.
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