Elizabeth Taylor est morte et une partie de soi, qu'elle avait su si bien irriguer, faire rêver, enchanter, est partie avec elle (Le Monde, Le Figaro, nouvelobs.com, Marianne 2).
Mais ce n'est pas à elle que je désire consacrer ce billet mais à une femme qui vient de se suicider après avoir étranglé son fils de 4 ans. Elle habitait un petit village dans l'agglomération de Meaux. Agée de 35 ans, elle avait sans doute connu jusqu'en 2009 une vie tranquille, ordinaire, avec cette alternance de bonheurs et de tristesses propre à toute existence. Rien de formidable mais rien de désespérant. Une destinée comme tant d'autres. Un compagnon, gendarme réserviste, leur fils.
En 2009, elle est caissière dans une station-service à une quinzaine de kilomètres de chez elle quand, un jour, elle est victime d'un vol à main armée. Un agresseur, une arme. De l'avis de tous ceux qui la connaissaient et l'appréciaient, elle ne s'était jamais remise de ce traumatisme survenu dans sa quotidienneté professionnelle. La sécurité, partout et sur tous les plans, était devenue une obsession avant que des ombres l'envahissent tout entière et lui fassent commettre le pire sur son enfant puis sur elle-même.
Je veux bien admettre que ces tragédies n'ont pas eu pour cause exclusive le bouleversement de 2009 mais il est manifeste que celui-ci a perturbé un équilibre, suscité un désordre intime et ruiné la confiance.
Je songe à ces témoins qui viennent à la cour d'assises raconter ce qu'ils ont vu et subi lors de braquages à Paris et une impression superficielle pourrait laisser penser qu'ils n'ont pas été vraiment affectés par les épisodes durs, violents, parfois répétitifs, qui ont été leur lot. Hommes et femmes, ils semblent se contraindre à parler presque légèrement de ce qui leur est advenu pour ne pas s'effondrer tant à l'intérieur d'eux-mêmes l'emprise de ce passé demeure lourde. Mais que deviennent-ils après, ensuite ? Certains ont-ils sombré dans un désastre comparable à celui de cette femme ?
Je viens de terminer une session d'assises avec des magistrats, des jurés et des avocats exemplaires mais l'univers criminel est si intense, il emplit tellement l'être que tout ce qu'on lit et qu'on entend vous ramène à lui, quoi qu'on en ait. Les réquisitions de l'avocat général sont suivies et enrichies par la curiosité du lecteur, de l'épris d'humanité, du citoyen mais c'est le même domaine, les mêmes mystères qui sont appréhendés. Que se passe-t-il dans l'être humain quand il commet un crime ou quand il en est victime ? Interrogation lancinante qui, chaque jour, voit l'actualité ajouter à sa gravité. On ne sort pas aisément de ces labyrinthes.
Je suis persuadé que certains accusés pourtant enracinés dans la criminalité pourraient être touchés par les dérives, les catastrophes parfois irréversibles que leurs agissements à terme sont susceptibles d'engendrer. Et, qui sait, être dissuadés de les renouveler ? Naïveté ? En matière pénale, c'est ce qu'on appelle un peu d'espoir, non ?
Une femme en moins.
Un article de L'Union de Reims aujourd'hui ne cesse depuis ce matin de m'interroger et je dois le dire de me bouleverser également. Ca se passe dans les Ardennes, près Sedan. Avant-hier mardi une jeune fille de 13 ans, oui 13 ans, Laory, s'est suicidée en se tirant dans la tête avec le fusil de chasse de son père. Ses parents absents, en cette fin d'après-midi, elle est allée dans le garage et … une gamine en moins. Cinq ans auparavant, au même endroit, son frère alors âgé lui aussi de 13 ans, oui 13 ans, Audric, s'était donné la mort de la même façon, avec un fusil (L'Union ne précise pas s'il s'était agi de celui de leur père …) … Le collège où était scolarisée cette fille est en état de choc et notamment certains professeurs qui ont eu les deux frère et soeur, l'un il y a cinq ans de cela et la seconde jusqu'à avant-hier encore, élèves dans leurs classes. Que cette pré-adolescente veuille attenter -et le fasse- à ses jours est déjà extraordinaire (hors de l'ordinaire) en soi; qu'elle se serve pour cela d'un fusil de chasse me sidère tout autant et qu'elle accomplisse cet acte de la même manière que son frère, au même endroit que lui et au même âge que lui, cela dépasse ma compréhension, mon entendement. Comment expliquer cela? Je me suis dit: mimétisme. Certes, mais par quel biais a-t-elle pu assimiler ce mimétisme fraternel? Elle avait 13 au moment de son acte avant hier mardi; son frère avait 13 ans il y a cinq ans lors de son acte; elle avait donc 8 ans au moment où son frère se donne la mort, seul dans cette maison familiale, avec ce fusil. Elle n'était pas présente ce jour-là, personne n'était présent dans la maison, elle n'a rien vu, rien entendu et je puis songer raisonnablement qu'on a épargné à cette fillette la narration et les circonstances de la mort de son frère aîné, qu'on ne lui a pas dit qu'il s'était suicidé et suicidé avec un fusil de chasse et de la chevrotine dans la tête … Je veux croire que jusqu'avant hier encore, ses parents, ses professeurs, son entourage en somme, ne lui ont jamais dit comment cela s'était passé, quand bien même on a pu lui dire légitimement que son frère était «parti», tout simplement «parti», comme on parle de ces choses dramatiques à une fillette et qu'il fallait qu'elle apprenne -qu'on serait là pour ça- à surmonter sa tristesse. De l'âge de 8 ans à l'âge de 13 ans, je veux croire qu'elle n'a jamais connu les circonstances exactes de la mort de son frère à l'âge de 13 ans. Et pourtant, elle a eu 13 ans cette année et avant-hier, exactement comme son frère, elle s'enferme seule dans le garage, prend le fusil de chasse de son père et se tue de la même façon que son frère cinq ans plus tôt, son frère alors âgé lui aussi de 13 ans … Une fille en moins aujourd'hui, un garçon en moins hier, un frère et une soeur en moins … mais que de questions … que de questions …
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 06 mai 2011 à 01:01
Ce que les victimes vont chercher en rencontrant des agresseurs - qui ne sont pas nécessairement leurs agresseurs, mais des délinquants ou des criminels ayant commis le même type d'actes - c'est, je crois, la compréhension de ce qui leur est arrivé, le "pourquoi" l'autre en est arrivé à commettre un braquage, un viol, ou pire encore. Je crois que cette compréhension de l'"autre", cet autre fût-il le pire des criminels, est une bonne voie vers la guérison (en tout cas, elle fonctionne), bien meilleure en tout cas que la vengeance ou la haine (qui est souvent entretenue, avec les meilleures intentions du monde, par l'entourage). Je parle de "compréhension", pas nécessairement de "pardon".
Rédigé par : lambertine | 29 mars 2011 à 21:39
Au Canada depuis des années déjà les victimes peuvent rencontrer leurs agresseurs. Certaines le font, souvent dans l'incompréhension totale de leur entourage. Je me souviens d'un reportage extrêmement émouvant mais qui m'a laissée perplexe. Que vont-elles chercher ? Faut-il que leur apaisement passe par une espèce de rédemption de l'auteur du crime ? J'avoue n'avoir aucune réponse et penser peut-être que l'entourage peut aider plus efficacement. Encore faut-il avoir la chance d'être entourée. Encore faut-il avoir appris à parler. Et en face à entendre. S'il fait bon être victime dans les émissions de télé, je crains que dans la "vraie" vie les hommes et les femmes que le malheur a touchés, fassent peur. Comme si elles portaient malheur. Même les malades du cancer, du sida, voient le vide se faire autour d'elles. Et ceux qui restent évitent souvent d'affronter la réalité de la maladie.
Un suicide est toujours un échec terrible pour une société. Et un mystère.
Rédigé par : catherine A. un mystère et un échec | 29 mars 2011 à 17:03
@Monsieur Robert,
"L'angélisme ne fait pas une politique..."
Ni vice versa.
Hélas.
Rédigé par : Jean Reffait | 29 mars 2011 à 16:58
Laboca,
En général, les victimes parlent peu. Mais est-ce seulement par "peur de déranger" ? N'est-ce pas aussi pour ne pas rester aux yeux du monde une "victime éternelle" "qui ne s'en remettra jamais" (et dont on expliquera tous les actes par l'agression subie) ? Juste une victime, et plus un être humain ? Je ne peux parler que pour moi et pour les victimes qui se sont confiées à moi, ou devant moi en thérapie de groupe, mais le fait d'être réduit (par des personnes on ne peut mieux intentionnées) à ce "statut de victime" (que je hais plus que tout) peut faire plus de mal que l'agression elle-même.
Achille,
Les rencontres "délinquants-victimes" peuvent effectivement faire beaucoup de bien (c'est en tout cas ce qu'affirme l'aumônier de la prison de Lantin que j'ai eu la chance d'entendre à ce sujet), mais il faut que les victimes soient volontaires. Pas qu'on force des délinquants (routiers ou on, peu importe) à entrer en contact avec elles, à "se rendre compte de leurs souffrances" sans demander leur avis. Etre victime ne devrait faire de personne un cobaye ou un animal de zoo.
Rédigé par : lambertine | 29 mars 2011 à 12:03
Non.
Non et non.
Cette femme a été victime d'une agression et a commis l'irrémédiable. Elle n'a peut-être pas commis l'irrémédiable parce que elle avait été victime d'une agression.
Un des problèmes que rencontrent les victimes, c'est que toute leur vie d'"après" est analysée en fonction de l'agression. Comme si celle-ci décidait de tout ce qui allait suivre. Comme si celle-ci devait décider de tout ce qui allait suivre. Et là, je dis "non". C'est trop facile de tout mettre sur le dos d'une agression. Parce qu'une victime qui continue à vivre, c'est une personne qui continue à subir les aléas de la vie. Tous les aléas, comme si elle n'avait pas été victime. Tout reporter sur l'agression, c'est nier tous ces aléas, tous ces problèmes, tous ces malheurs - et ces bonheurs, d'ailleurs. C'est nier cette vie et, par delà, cette personne. Je ne dis que l'agression ne peut pas avoir de conséquences, juste qu'elle seule a rarement ces conséquences dramatiques (et, honnêtement, c'est bien plus déculpabilisant pour l'entourage d'un suicidé de reporter toute la responsabilité de cet acte sur un délinquant quelconque que de reconnaître sa propre potentielle responsabilité).
Heureuse de vous relire, Aïssa.
Rédigé par : lambertine | 29 mars 2011 à 02:57
Que dire ? qu'écrire ?
Que faire lorsque est atteint l'atome le
plus sensible dont on ignorait jusqu'à
l'existence et qu'une situation violente
externe vous révèle ?
Rédigé par : calamity jane | 28 mars 2011 à 21:47
A Robert.
Je suis d'accord avec vous dans l'ensemble. Si vous avez mal interprété mes propos, alors c'est que je me suis mal exprimée. Je ne conteste pas vos dires. Mon seul désaccord tient au fait que je crois que les êtres comme Heaulme ou Fourniret ont encore une part d'humanité. Ce point de vue tient en grande partie au fait que je sois chrétienne. C'est une conception qui relève de la croyance et non de la morale. Votre expression "angélisme" est donc appropriée. Il est possible que je me trompe. Mais le vice ou la vertu des croyants est que même si vous me prouviez par A+B que je vous avez raison, je ne vous accorderais pas mon crédit pour autant. Je rappelle quand même que je trouve normal que ce "genre d'individu" soit enfermé à vie, si cela protège la société.
Rédigé par : Morgane | 27 mars 2011 à 18:18
A Morgane
"A vous lire, je penserais que la réclusion à vie serait la punition de ceux qui se refusent à être humains. Vous croyez vraiment qu’il y a le bien, et son grand ennemi le mal ? Les concepts philosophiques à la Walt Disney ne sont valables que jusqu’à 7 ans. La réclusion à vie est une disposition pour la protection de la société, ce qui est évident. Mais le schéma des victimes d’un côté et des agresseurs de l’autre n'existe pas."
A lire la dernière phrase de cet alinéa, on devrait en conclure que le code pénal serait à jeter aux orties ! Pourtant, policiers, gendarmes et magistrats constatent au quotidien des faits qui ne sont pas une vérité à la Walt Disney ! C'est du concret : du sang, des larmes, de la misère humaine, des conséquences parfois immenses sur les victimes et leurs proches.
En revanche, s'il vous advenait de passer par le centre pénitentiaire de Casabianda en Corse, vous y trouveriez des auteurs de crimes passionnels, vivant dans un système ouvert de jour, qui n'ont aucune envie de s'évader. Pour la simple raison qu'ils ont admis la gravité de leurs actes et considèrent qu'ils ont une dette. Ces personnes ont un sens moral tout à fait "standard". Leur crime est souvent affaire de circonstances et ces personnes, une fois leur peine accomplie, ne seront quasiment aucunement récidivistes et se réinséreront naturellement dans la société.
Pour le cas d'espèce évoqué par Ph. Bilger, c'est une circonstance particulière qui a pu conduire une mère à commettre un geste que l'on dit irréparable. De fait, c'est bien plus la violence sociale qui dans ce type d'homicides est la source de l'acte par le déséquilibre psychique qu'elle entraîne.
En revanche, il y a des individus du type Fourniret ou Heaulme qui ne seront jamais accessibles au moindre sentiment. Si l'on ne peut en aucun cas leur enlever le fait qu'ils soient des humains, ils sont intrinsèquement "inhumains" au sens moral de l'expression. Il est donc nécessaire que la société s'organise pour qu'ils ne puissent plus jamais être en mesure de récidiver quasi à l'infini. En ce sens, l'enfermement à vie me semble être la seule solution qui permette d'y satisfaire. L'angélisme ne fait pas une politique...
Rédigé par : Robert | 27 mars 2011 à 12:47
A Robert.
Par définition, un être humain a de l’humanité en lui. Et je ne pense pas qu’il existe une personne au monde qui ait perdu toute humanité. Nous ne pouvons pas savoir ce qui se déroule exactement dans l’esprit des criminels, et des gens en général. Votre preuve est faible : ne pas éprouver de regret pour une mauvaise action n’est pas le summum de l’inhumanité. La culpabilité n’est qu’un marqueur. L’esprit, et même l’âme dans ce cas, ne se mesure pas et ne se calcule pas comme en médecine avec des instruments.
A vous lire, je penserais que la réclusion à vie serait la punition de ceux qui se refusent à être humains. Vous croyez vraiment qu’il y a le bien, et son grand ennemi le mal ? Les concepts philosophiques à la Walt Disney ne sont valables que jusqu’à 7 ans. La réclusion à vie est une disposition pour la protection de la société, ce qui est évident. Mais le schéma des victimes d’un côté et des agresseurs de l’autre n'existe pas.
Cette femme était une victime, mais aussi un agresseur. L’homme qui l’a braquée à mains armées était également la victime de la société qui l’a amené à faire ce qu’il a fait. Et ces malades mentaux, ou même sains d’esprit, qui sont condamnés à la rétention de sûreté sont victimes d’eux-mêmes. La justice, dans une certaine mesure, enfonce ceux qui sont déjà au plus profond du fond. Je ne défends pas tous les criminels et les délinquants au nom de l’amour universel, mais nous ne sommes jamais entièrement responsables de nos actes. Ou alors, cela signifierait que la femme qui a étranglé son fils est à cent pour cent coupable et qu’elle avait mérité de mourir.
Je sais que je j’écris dans un blog plutôt politique et juridique que psychologique et philosophique. Mais dans ce genre de situation il serait de bon ton de prendre un peu plus en compte le côté humain. Lorsque nous sommes touchés par un acte de barbarie innommable, nous perdons notre objectivité. N’oublions pas que chaque homme et chaque femme, quels soient leurs actes présents ou passés, détiennent toujours une lueur de dignité et d’humanité, et un droit à la liberté. En niant cela, on refuse leur seul échappatoire à leur déplorable situation.
Rédigé par : Morgane | 27 mars 2011 à 11:25
"Une femme en moins."
Et l'enfant ?
Il faut essayer de comprendre, mais étrangler son enfant de quatre ans, c'est autre chose que d'effrayer une caissière avec un flingue.
Rédigé par : Alex paulista | 26 mars 2011 à 23:53
Il y a une semaine, mon cher PB, ici à Epernay près Reims, une jeune femme d'une trentaine d'années à poignardé puis étouffé à mort dans son lit son enfant âgé de 7 ans (Cf L'Union de Reims). Elle a ensuite retourné le couteau contre elle mais sans gravité fatale … Depuis, elle est internée en unité psychiatrique. Cette femme plutôt pauvre vivait seule avec son enfant dans cette petite maison du centre ville, sans emploi … On n'en sait pas plus sur son parcours de vie, on ne peut donc rien affirmer. Mais ce que l'on sait, c'est que ce qu'elle a fait contre son fils, elle l'a fait. Et contre elle également. Dans le cas que vous citez, comme dans celui que je cite, cas singuliers chacun mais aux même effets dramatiques, on pourrait aisément reprendre toute votre conclusion, le dernier paragraphe et la retranscrire ainsi: «Je suis persuadé que certains responsables politiques et d'autres non moins responsables économiques pourtant enracinés dans la gestions des affaires publiques pourraient être touchés par les dérives, les catastrophes parfois irréversibles que leurs agissements à terme sont susceptibles d'engendrer. Et qui sait? être dissuadés de les renouveler. Naïveté? En matière sociale, c'est ce qu'on appelle un peu d'espoir, non?». Certes de même que pour la raison criminelle que vous évoquez, la raison politico-économique que j'évoque ne saurait être la cause pleine et entière de ces drames … Ces choses ne sauraient être réduites de ces façons, vous vous en doutez bien et c'est à ce dessein complexe que vous évoquez une certaine nature et une non moins raison d'être des cours d'assises chargées de dire une vérité d'une urne pleine d'incertitude, de doutes et de préjugés. Même les cours d'assises sont douteuses, soyez-en sûr. Mais, restant dans le registre criminel antérieur que vous avez choisi de retenir pour tenter une explication de ce meurtre infanticide et ce suicide de la mère, je retiens que vous écrivez -toujours en conclusion- «Et qui sait? être dissuadés de les renouveler?». Ces actes criminels antérieurs, s'entend, c'est-à-dire ce vol à main armé dont a été victime cette femme qui expliquerait une dépression à terme voire une démence subite qui l'aurait amenée à commettre contre son enfant et contre elle le pire dans l'irréversible. Et d'ajouter: «En matière pénale, c'est ce qu'on appelle un peu d'espoir, non?». L'espoir en ces choses, c'est déjà rejeter de toutes ses forces les condamnations qui ôtent de facto tout espoir, n'est-ce pas? Les réclusions réelles à vie, les peines de sûreté, les peines planchers, les rétentions de sûreté même (cette chose profondément insidieuse et choquante et de laquelle pas même le plus féru constitutionnaliste ne saurait dire si elle est de la Constitution ou anticonstitutionnelle)… Or, vous prônez ces condamnations, enfin ces textes de loi plutôt. C'est à cet endroit qu'il faut vous interroger avant toute chose et non pas de l'espoir de l'avenir de ceux-là ainsi condamnés. J'entends bien cependant que, vaincu par la logique et l'intelligence universelles, vous avez finalement admis ces condamnations pour certains vastes criminels exclusivement, Van-Géloven, Tissier, Fourniret, Guy Georges, Francis Heaulme et j'en passe … Mais on n'y est pas, vous en conviendrez, les peines de sûreté, de rétention (à vie même), planchers (y compris aux mineurs), s'appliquent au tout-venant, si je puis m'exprimer ainsi, jusqu'à la correctionnelle qui les prononce sans se soucier d'aucun futur pour tous sinon celui de plus que probables récidives plus graves et irréversibles que ces délits et/ou ces crimes qui avaient auparavant été de la sorte condamnés. C'est une façon plus qu'improbable de concevoir ce fameux espoir que vous nommez. Et savez-vous ce qui lui nuit le plus à cet espoir qui est finalement celui de tous? vous ne le soupçonnez pas ainsi que vos collègues magistrats. Ce sont ces mots que l'on met au prononcé de ces condamnations. Je vous l'affirme comme je le sais par expérience, de deux peines de cinq ans d'emprisonnement ferme (ou de réclusion criminelle) chacune (ou dix, comme on veut) pour un délit ou un crime, tiens de vol avec port d'arme pour exemple, l'une prononcée telle quelle, c'est-à-dire cinq ans d'emprisonnement ferme ou de réclusion criminelle et l'autre ainsi: cinq ans d'emprisonnement ferme en principe de la loi sur les peines planchers (ou cinq ans d'emprisonnement ou de réclusion criminelle dont les deux tiers ou la moitié avec sûreté), c'est dans l'exécution de la condamnation la même chose en vérité (à quelques mois près) et cependant et souvent ce ne l'est pas quant aux conséquences à terme. Pourtant, cinq ans (ou dix), c'est cinq ans (ou dix), c'est du pareil au même qui dans un sens (le meilleur) comme dans l'autre (le pire) spécule sur l'avenir. Et ma connaissance et mon expérience de ces choses judiciaires réelles et concrètes me font vous dire avec une absolue certitude que de cette peine de cinq ans (ou dix) d'emprisonnement ferme ou de réclusion criminelle, celui-là condamné qui sera alors libéré de prison en en accomplissant le moins n'est pas toujours, loin s'en faut, celui qui n'aura pas été frappé de la sûreté ou du plancher … Comme celui qui portera le plus d'espoir pour l'avenir n'est pas forcément celui que l'on aura condamné sans la sûreté ou le plancher censés davantage dissuader. Les mots pour juger et pour condamner sont essentiels, tout ou presque est là.
Aïssa.
Rédigé par : Aïssa Lacheb-Boukachache | 26 mars 2011 à 22:17
Bonjour,
Vous êtes particulièrement bien placé pour parler de la violence et de son terme: le meurtre; puisque l'ensemble finit normalement aux assises. Il me semble que c'est la liberté qui ouvre la porte à la violence individuelle. L'éradication de cette violence passe par une justice forte, inévitablement liberticide.
Ne pensez-vous pas, dans ces conditions, que le vrai problème consiste à trouver le meilleur ratio entre la liberté et la répression?
Ratio qui, inévitablement, sera un compromis laissant sur leur faim les tenants d'un résultat absolu, d'un côté ou de l'autre. Ratio qui, de ce fait, ne pourra délivrer la protection dont pourraient avoir besoin les plus faibles. En clair, ne doit-on pas accepter comme inévitable une certaine dangerosité de la société, si l'on est épris de liberté?
Cordialement. H. Dumas
Rédigé par : temoignagefiscal | 26 mars 2011 à 19:31
"Que faites-vous, Seigneur ? à quoi sert votre ouvrage ?
....
Si c'est pour que ce temps fasse, en son morne ennui,
De l'opprimé d'hier l'oppresseur d'aujourd'hui ; "
Ces vers bien connus de Victor Hugo ne décrivent-ils pas fidèlement le sort de cette malheureuse qui, victime de violence, retourna la violence contre son fils puis, en punition sans doute, contre elle-même ?
N'est-ce pas ce qui se passe toujours ? la violence commise étant toujours réponse à une violence reçue.
Et pourtant, comme l’affirma M. Sarkozy à Addis-Abeba au sommet de l'Union africaine en janvier dernier, "la violence n'est jamais une solution ». La violence en effet n’est jamais une solution. Mais la tentation est si forte ! Lui-même y céda ! A peine quelques semaines plus tard ! Oubliant ce qu'il avait lui-même, à si juste titre, affirmé, il pense, et tellement de gens avec lui, que, en Libye, la violence est une solution…
Comme cette malheureuse qui pensa que la violence était une solution.
Comme tous ces criminels, tous ces malheureux, qui remplissent les tribunaux parce qu’ils ont pensé que la violence était une solution.
Oui, « que faites-vous , Seigneur ? ». Ou plutôt que faisons-nous, nous qui ne savons pas ce que nous faisons, pensant que la violence est une solution ?...
Rédigé par : DMonodBroca | 26 mars 2011 à 18:53
Votre conclusion se veut espérance dans l'humanité du criminel. Certes, certains conservent un sens humain, souvent d'ailleurs ceux qui ont agi par excès de passion. Il en est d'autres qui ne sont en rien sensibles à des affects de cette nature.
J'en veux pour preuve un souvenir ancien (années 1975) d'un procès de Mesrine aux assises de Paris. Ce dernier avait agressé de nuit un couple de personnes âgées à leur domicile qui, molestées toute le nuit, en avaient été terrorisées. Ce couple était cité comme témoin et leur terreur était encore palpable face à l'accusé. Je n'ai pas souvenance que Mesrine ait exprimé le moindre regret. Pis, la défense a tout mis en œuvre pour rabaisser ce pauvre couple qui de victime s'est presque senti devenir ridiculement coupable !
Au cours de cette même audience, le président a interpellé Mesrine sur son usage des armes, notamment face aux policiers et gendarmes. Réponse de l'accusé : lorsque je vois un policier ou un gendarme braquer son arme sur moi, je me sens en état de légitime défense et je tire...
Cela montre que certains individus, sans aucun doute une infime minorité, perdent toute humanité. C'est ceux-là exclusivement que la société se doit d'incarcérer à vie, au sens plein de l'expression.
Rédigé par : Robert | 26 mars 2011 à 16:40
Le suicide est difficile à comprendre. On peut seulement proposer des hypothèses.
Il est possible que cette femme ait toujours vécu dans les images du vol à main armée par elle subi antérieurement. Mais est-ce cette obsession qui explique son double geste?
Il faut surtout se demander si cette femme a pu, postérieurement au vol à main armée par elle subi, bénéficier de la solidarité de son entourage.
On ne dit pas assez que la société française est une société dans laquelle il est difficile, voire impossible, de compter sans faille sur la solidarité de l'entourage, quand on en a vraiment besoin. Les personnes qui ont été victimes de quelque chose adoptent parfois une attitude de repli par rapport aux gens susceptibles de les aider. Pourquoi ce repli? Parce que ces victimes pensent à tort ou à raison que leurs proches, leurs voisins ont eux-mêmes des problèmes, et qu’il vaut mieux de ne pas les "embêter".
Il faut le dire : les gens d'aujourd'hui peuvent signer des chèques mais ils ont rarement du temps pour les autres.
Cette femme a peut-être souffert de ce qu'elle n'a pas senti de l'amour autour d'elle après le viol à main armée par elle subi.
Avait-elle des dettes, des problèmes financiers, des soucis de santé?
Si un membre de la famille, un voisin ou un ami décide de mettre fin à ses jours, je me sentirai responsable.
Un suicide s'annonce toujours. L'entourage de la personne qui a un projet de suicide, peut, s'il est attentif, voir venir le suicide.
Je ne partage donc pas, Monsieur l'Avocat général Bilger, votre absolue explication du double geste de cette femme par son obsession de l'insécurité.
Je préfère responsabiliser son entourage, car toute personne doit avant tout être rassurée par les gens qui vivent au plus près d'elle.
Mais un suicide peut aussi s'expliquer simplement par le fait que la personne qui met à ses jours est brutalement plongée dans un mouvement de folie qui lui fait perdre la raison. C'est un peu ce que, Monsieur l'Avocat général Bilger, vous expliquez lorsque vous écrivez : "Que se passe-t-il dans l'être humain quand il commet un crime ou quand il en est victime"?
Ce qui est sûr, c'est que le suicide ne vient que lorsqu'on a perdu confiance, lorsqu'on ne croit plus à rien.
Le croyant, lui, n'est jamais tenté par le suicide, car il a une confiance absolue en l'avenir.
En conclusion de votre billet, vous écrivez :
"Je suis persuadé que certains accusés pourtant enracinés dans la criminalité pourraient être touchés par les dérives, les catastrophes parfois irréversibles que leurs agissements à terme sont susceptibles d'engendrer. Et, qui sait, être dissuadés de les renouveler ? Naïveté ? En matière pénale, c'est ce qu'on appelle un peu d'espoir, non ?"
Je partage presque entièrement votre position.
Descartes dit que la raison est la chose la mieux partagée. Jean-Paul II a toujours expliqué que l'homme était capable de bien.
Le criminel n'est pas une personne toujours déraisonnable. Sa condition première d'être humain peut lui faire prendre conscience du mal qu'il a pu causer autour de lui, et ainsi le mettre sur le chemin du renouveau.
Rédigé par : LABOCA | 26 mars 2011 à 12:18
Monsieur l’avocat général,
Je crois que chacun d’entre nous, victime d’agression, de violence, qu’il s’agisse d’une agression volontaire, d’un accident, même du deuil d’un proche, subit un traumatisme psychique aussi bien que physique. Ce traumatisme peut lui-même conduire à une forme de violence, que cette dernière soit dirigée vers l’agresseur ou vers soi-même.
C’est tout l’honneur de notre civilisation de confier la tâche de juger à une institution indépendante, quand il s’agit d’une agression, volontaire ou non.
L’analyse des ressorts qui font de chacun d’entre nous, face à ces traumatismes, soit une victime définitive dont l’issue ne pourrait se trouver que dans le suicide, soit au contraire une victime provisoire qui se guérira de ses blessures psychiques après une convalescence plus ou moins longue, est du ressort de la psychiatrie ou de la psychologie.
Il en est probablement de même de la capacité de rémission des agresseurs et des assassins.
Du moins, je l’espère.
Rédigé par : Christian C | 26 mars 2011 à 12:16
Bonjour Philippe Bilger,
« Je suis persuadé que certains accusés pourtant enracinés dans la criminalité pourraient être touchés par les dérives, les catastrophes parfois irréversibles que leurs agissements à terme sont susceptibles d'engendrer. Et, qui sait, être dissuadés de les renouveler ? Naïveté ? En matière pénale, c'est ce qu'on appelle un peu d'espoir, non ? »
Cela existe déjà je crois pour les chauffards que l’on invite à aller dans les services hospitaliers voir des accidentés de la route.
Maintenant dire que ce genre de méthode pourrait être transposé aux délinquants, je doute de son efficacité, hélas !
Rédigé par : Achille | 26 mars 2011 à 10:57