Il ne fait pas bon émettre la moindre critique de Mélanie Laurent s'il faut en croire le point de vue qu'elle a exprimé au Printemps de Bourges où elle a fait sa première apparition publique comme chanteuse (Le Post).
Actrice au charme étrange, avec un sourire mélancolique et voilé dont elle joue à la perfection, Mélanie Laurent est depuis quelque temps très sollicitée et en tête d'affiche dans un film inégal ("Et soudain, tout le monde me manque") sur la paternité, la naissance et les blessures de la vie où, avec Michel Blanc notamment, elle donne le meilleur d'elle-même qui est fait d'une tristesse joyeuse, d'une émotion retenue puis libérée. A l'évidence, on comprend à la voir qu'au-delà de l'écran elle doit être singulière et déterminée.
Aussi, quand on l'entend et qu'elle transmet un message qui lui tient à coeur, on ne peut négliger son propos et elle mérite au moins qu'on lui fasse l'honneur d'une contradiction.
Que dit-elle en substance ? La critique ne serait qu'un "déversoir de haine" et quand l'artiste est "défoncé", massacré par la critique, "ça scie en deux". Même si elle semble vouloir dépasser sa situation et plaider pour tous, elle renvoie ceux qui l'écoutent à son destin personnel qui a commencé et se poursuit sous les meilleurs augures. Il y a déjà là comme une anomalie.
On pourrait d'emblée lui rétorquer que choisissant par passion le métier d'actrice puis d'être, aussi, l'interprète de ses propres créations, s'exposant donc au regard et au jugement publics, il ne convient pas qu'elle s'étonne des réactions suscitées par l'ensemble de ses prestations sauf à aspirer à une admiration et à une complaisance universelles et donc inconcevables. Personne n'a à mettre en doute les choix qui l'ont conduite vers le cinéma et le chant mais en revanche s'offusquer, comme elle le fait, du plus ou moins d'enthousiasme à son égard relève d'une exigence totalitaire qui surprend de la part de cette jeune femme à la fois réservée et directe.
Sa position est d'autant plus incongrue qu'on ne compte plus depuis quelques semaines, et encore tout récemment pour son premier CD, les passages promotionnels qui lui ont été offerts et dont elle a bénéficié sans qu'à ma connaissance on soit sorti à un quelconque moment d'un discours exclusivement laudatif. Cette constance dans l'éloge aurait dû la rendre attentive au privilège inouï qui est le sien et qui donne à son talent certain une amplitude considérable.
Qu'elle songe une seconde à d'autres jamais invités ou qui, sollicités, se voient traités de manière indigne parce que la meute médiatique est persuadée de pouvoir le faire en toute impunité - je songe par exemple à Robert Ménard scandaleusement vilipendé par quelques-uns comme Guy Sitbon, Claude Soula, Pascale Clark ou Jean-Michel Aphatie. Elle admettra alors qu'il est paradoxal de se plaindre de l'encens qui est déversé sur elle au prétexte, ici ou là, de quelques acidités.
En réalité, si son offensive a attiré mon attention, ce n'est pas seulement à cause de la qualité que je prête intuitivement à sa personnalité mais surtout parce que le problème posé par la critique artistique française entendue généralement, est l'inverse de celui qu'elle expose. Loin d'être "un déversoir de haine", elle s'obstine, sur tous les supports médiatiques et pour tous les genres concernés, à représenter plutôt des coulées d'obligatoire bienveillance, des torrents d'infini copinage intellectuel et mondain quand on ne s'interroge pas sur les raisons obscures qui ont présidé à la sélection des oeuvres célébrées : films, livres et musique. Comment soutenir que l'atmosphère dominante du journalisme culturel - avec les variations allant du snobisme raffiné et élitiste au populisme enthousiaste et fabriqué - serait à la détestation quand tout démontre, à la télévision, à la radio, dans les quotidiens et les hebdomadaires, qu'une caste de critiques s'attache à un groupe homogène d'auteurs, de metteurs en scène et de chanteurs ? Ce qui manque, c'est exactement le contraire : une sélection libre, spontanée et clairvoyante en amont, une lucidité aussi éloignée le plus souvent de l'inconditionnalité que plus rarement de l'agression en aval.
Au fond, Mélanie Laurent, pourtant très discrète sur sa vie intime, rêverait d'un monde où nous aurions l'obligation d'aimer les artistes. Mais qu'elle se rassure : on y est presque ! Les artistes ne sont pas "défoncés" mais glorifiés. On ne va jamais y regarder de près ! Je suis artiste et tout est dit. Je suis artiste et j'ai tous les droits. Je suis artiste et j'ai le droit de proférer n'importe quoi. Je suis artiste et je n'ai plus rien à démontrer. Je suis artiste donc je suis.
Que Mélanie Laurent ne devienne jamais une artiste pour demeurer sauve ! Qu'elle nous laisse le droit de l'aimer seulement si on en a envie!
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