Je souhaitais évoquer le départ d'Eric Naulleau et Eric Zemmour, avec le maintien de Laurent Ruquier ! J'aurais préféré l'inverse mais les premiers, à force de ne jamais contester la promotion du second (dans tous les sens du terme), ont perdu. Leurs invités fuyaient, trop faibles pour leur résister ou trop vaniteux pour accepter la contradiction. Je le dis sans fard : que Ruquier ne m'ait jamais convié était normal puisque je l'ai maltraité à plusieurs reprises mais que les deux Eric ne m'aient jamais laissé affronter leur couple faussement antagoniste et vraiment complice m'a toujours semblé narcissiquement surprenant (Le Monde, Le Figaro, nouvelobs.com, 20 minutes). Afficher ce qu'on aurait aimé ne relève pas de la vanité mais du regret.
Mais là n'est pas l'essentiel.
Pas plus que dans le fait - les loups sortent du bois ! - que Christine Lagarde s'est permis de douter de l'impartialité du procureur général Nadal même si celui-ci a commis une erreur de date qui n'affaiblit en rien les diverses séquences accablantes de l'affaire Tapie. A l'évidence, la consigne est de les traiter par le mépris ou au moins avec une indifférence affectée. Cela m'étonne tout de même de la part du parfait honnête homme qu'est Henri Guaino et de Patrick Devedjian qui réconcilié avec le président a complètement remisé sa lucidité critique.
L'important est encore, après DSK et avec Georges Tron - sans que mon souci en l'occurrence soit de préjuger -, dans cette invocation obsessionnelle de la présomption d'innocence qui sort de toutes les bouches pour inonder les médias. Si cette exigence a une portée constitutionnelle, elle est devenue aussi le dernier "must", le poncif judiciaire exclusif de ceux qui par ailleurs manifestent souvent une grande inculture à l'égard de la Justice.
Je n'aurais pas eu l'idée d'y revenir si sur France Inter on n'avait eu une démonstration éclatante supplémentaire de la validité de mon billet sur Robert Badinter. Valérie Pécresse, claire, nette, convaincante, est l'invitée de Patrick Cohen. Puis arrive le tour des auditeurs auxquels elle doit répondre. Mais, très vite, on arrête tout, Robert Badinter est en ligne et durant quelque trois minutes il développe son argumentation sur la présomption d'innocence dont on a déjà été abreuvé ces derniers jours. Il prend du temps à Valérie Pécresse et se voit offrir une nouvelle tribune commode, dont la répétition montre à quel point l'ancien garde des Sceaux est gêné par les propos qu'il a déjà tenus sur France Inter mais contestés courageusement à la télévision par Laurent Joffrin, en face de lui. Voilà un homme qui est partout et qui a droit à tout, même à des explications multiples et surabondantes sur ses oublis discutables. Laurent Joffrin s'excuse presque, Jean Daniel l'honore et il s'impose sur France Inter au détriment des auditeurs ordinaires. Valérie Pécresse a tenu bon mais elle a été obligée de dire qu'elle le "respectait". Quand les médias cesseront-ils de favoriser toujours davantage ceux dont la parole n'est jamais limitée et la réputation toujours encensée ?
Cette "scie" sur la présomption d'innocence justifie le titre de mon billet délibérément vulgaire. Qu'on s'interroge une seconde sur ce concept et on verra à quel point, dans sa pureté, il n'est pas compatible avec la réalité empirique des doléances et des dénonciations. Un remarquable avocat, Me Temime, a un jour soutenu - le seul à ma connaissance - que la présomption d'innocence était une notion vide de sens puisqu'impossible à respecter. Une simple plainte, l'accusation la plus élémentaire, l'établissement d'une procédure encore davantage, constituent en effet à eux seuls un commencement sinon de preuve du moins de vraisemblance. La présomption de vraisemblance devrait, dans les raisonnements du quotidien, venir en balance avec la présomption d'innocence d'autant plus mécaniquement proclamée que chez beaucoup de ceux qui sont cultivés par les médias elle représente une valeur détournée à des fins impures. Présumer l'innocence, c'est subtilement nier la victime. La ressasser à tous crins, ce n'est pas "défendre la nôtre", c'est anticiper les possibles et prochains séismes. C'est se préserver, soi et son monde, plus que porter le souci du citoyen lambda en son coeur.
Je sais bien qu'il y a des malades qui, plaideurs d'habitude ou menteurs invétérés, n'hésitent pas, par une sorte de fascination trouble pour le judiciaire, à s'exposer et à exposer des récits dévastateurs et imaginaires. Mais ces sensibilités romanesques perverses ou débiles sont rares. La plupart du temps, les personnes qui font acte de parole auprès de la Justice, qui mettent à nu ce qu'elles affirment avoir subi passent par des étapes, des épreuves, sont confrontées à des contradictions, voire des humiliations qui pour le moins justifient qu'on leur octroie une présomption de vraisemblance. Qui pourrait de gaîté de coeur se déclarer faussement victime, dans le domaine de la criminalité sexuelle, en formulant une plainte dont souvent les conséquences médicales, policières et judiciaires, même à les supposer favorables à sa cause, vont être terriblement éprouvantes ? Il convient donc de cesser de croire en cette alternative tronquée entre le présumé innocent et la présumée victime (Marianne 2). Et de la remplacer par une tension entre le présumé innocent et la vraisemblable victime.
Ce n'est pas aux citoyens d'être sommés sans répit de se plier à la présomption d'innocence. Comme un diktat. Les médias, s'ils en ont la compétence et l'éthique, se doivent de concilier au mieux le poids de la réalité et les évidences des maux avec les principes de l'Etat de droit. Mais la présomption d'innocence, elle est surtout, voire exclusivement faite par et pour les magistrats. C'est seulement dans la pratique judiciaire qu'elle devrait prendre toute son importance. Dans l'ensemble des phases procédurales qui concerneront les divers moyens d'investigation mis à notre disposition. L'enquête, l'instruction, les tribunaux correctionnels, la cour d'assises. C'est le procureur, le magistrat instructeur, le juge qui ont pour pour obligation suprême de se battre contre eux-mêmes en s'accrochant à la présomption d'innocence tant que la présomption de vraisemblance, de l'autre côté, ne sera pas devenue vérité.
Mais les plaintes, les dénonciations, les accusations, qu'elles se rapportent au monde politique ou non, ne tombent pas du ciel. Elles mettent au jour judiciaire des souffrances.
Notre honneur, c'est de savoir les apaiser quand après avoir été plausibles elles sont devenues indiscutables.
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