Qu'il ait été le peintre le plus cher du monde grâce à l'achat de l'un de ses tableaux par le milliardaire russe Abramovitch n'avait, pour lui, pas la moindre importance. Le grand avantage de se trouver au comble de la gloire, c'est qu'on peut alors la dédaigner avec l'assurance de qui sait ce qu'elle représente exactement. Presque rien, au fond, par rapport à l'intense et incomparable travail de la création.
Lucian Freud, petit-fils de Sigmund Freud, à l'évidence avait une personnalité aussi exceptionnelle que son oeuvre (Le Monde, Le Figaro).
Nul besoin d'être un spécialiste de la peinture, un critique de haut niveau pour comprendre ce qui était en question, en mouvement, en torture dans les tableaux de Lucian. La volonté de ne jamais laisser le vif s'ébattre avec plénitude et puissance sans rappeler qu'à l'intérieur de lui s'agitait la mort prévisible, annoncée. Aussi, les corps étaient déjà porteurs de leur déclin et les chairs de ce que le désastre final allait faire d'elles. Dans cette manière inimitable de montrer l'humanité rongée par son inéluctable délitement, sans rien occulter, en nous contraignant à regarder l'évidence de notre future défaite, il n'y a pas la moindre once de sadisme mais l'exigence implacable tenaillant cet artiste génial de ne rien abandonner sur le chemin de la vérité. Freud, loin de se livrer à la facilité des raccourcis, nous offre en permanence un résumé éclatant, une synthèse crépusculaire de ce que nous avons été et de ce que nous serons. Impossible, devant ces portraits et ces autoportraits réduits à l'os, délestés de la graisse et des fioritures du réalisme plat, de ne pas prendre de plein fouet ce que notre condition nous dit : nous sommes mortels, pas seulement vivants, à chaque seconde de notre existence.
Comme le profane, j'admets volontiers ma fascination - au-delà de l'oeuvre qui par certains traits ressemble à celle d'un autre génie, son grand ami Francis Bacon - pour le caractère et le tempérament de Lucian Freud. D'abord parce que ceux-ci expliquent remarquablement sa conception de l'art et sa vision de l'humanité, ensuite parce qu'hors du commun ils ne peuvent que faire réfléchir sur l'inévitable étrangeté, l'obligatoire solitude, l'arrogance fatale du créateur dépassant de cent coudées l'ordinaire des peintres d'aujourd'hui.
Sans doute, par cette perception, suis-je en train de tomber dans le cliché qui voudrait que tout artiste singulier ait forcément un "mauvais caractère" comme on dit, voire une personnalité insupportable parce que l'art véritable imposerait une telle tension que la normalité intime n'y résisterait pas. Peut-être. Il n'empêche que j'éprouve un culte devant certaines attitudes de Lucian Freud. Par exemple, lorsqu'il refuse de se déplacer et que pour le portrait de la reine d'Angleterre, il invite celle-ci à venir dans son atelier. Ce n'est pas seulement la puissance, la suprématie de l'art qui sont ainsi mises en évidence mais l'affirmation à la fois banale et orgueilleuse de soi. Je suis parce que je suis Lucian Freud. Les imbéciles taxeront ce comportement de vaniteux alors qu'il renvoie à une lucide évaluation de ce qu'on vous doit, une fois les conventions et les rites sociaux laissés de côté.
J'aime trop ces êtres parce que l'humanité en manque affreusement. Dans quelque secteur de la vie que ce soit, intellectuel, politique, judiciaire ou médiatique, j'ai l'impression qu'on ne nous laisse le choix qu'entre des médiocrités qui s'effacent trop volontiers ou des contentements de soi injustifiés. J'attends de pouvoir exprimer un jour, comme j'ai le bonheur de l'écrire au sujet de Lucian Freud, ma certitude d'avoir écouté, lu, vu, rencontré, admiré quelqu'un. Vraiment quelqu'un. Fuyant les complaisances, les inconditionnalités aussi bien que les provocations. On attend de ces artistes si rares qu'ils soient des éclaireurs, des phares. On les parque trop volontiers dans un exil somptueux où ils n'auraient plus rien de commun avec nous. Alors qu'au contraire on doit les écouter nous murmurer ce qu'ils savent, ce qu'ils sont, à l'oreille, à l'esprit et au coeur.
Tout de même, ces Freud, quelle famille !
Oui Mary, tout cela sans doute. Je ne nie pas la gestation sans effort apparent, l'élan, l'inspiration. Je crois seulement qu'une intuition se creuse, qu'une fulguration s'élabore, qu'un artiste n'est pas durablement dispensé de beaucoup travailler.
Pour la petite histoire, je suis à Amsterdam, ce matin au musée Van Gogh. Je songeais à ses lettres à son frère Théo, révélant toute la longue préparation et élaboration des derniers gestes. La beauté ne doit pas grand-chose au hasard.
Rédigé par : MS | 13 août 2011 à 22:40
Cf billet intitulé, "Freud l'autre génie", votre message du 25 juillet à 16:44 où vous écriviez en réaction à l'un de mes propos sur l'art poétique : "cette doxa selon laquelle un artiste serait porteur d'on ne sait quelle transe créatrice à fulgurances spontanées etc. etc. est une ineptie".
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Ce à quoi je vous réponds que sans la vision, l'inspiration, la fulgurance, l'incandescence, la révolte, le bouillonnement, le poète n'est qu'un cuivre qui résonne. Il aura beau être agrégé de grammaire, professeur de lettres classiques ou romancier, s'il lui manque l'étincelle susceptible d'engendrer une poésie incarnée, il restera condamné à la feuille blanche ou à ne produire que des rimes plates et sans âme.
Ainsi qu'en témoignent les plus grands poètes qui ont commencé à écrire très tôt : Tagore à 8 ans, Rimbaud à 10, etc. D'où la difficulté de traduire la poésie et de restituer dans une langue étrangère toutes les nuances de l'oeuvre originale.
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Le poète est un homme libre. Toutes les dictatures le savent bien et n’ont de cesse de démanteler cet immense pouvoir libérateur des mots qui est l’apanage constant de la poésie.
Le poète brandit à la fois une torche et un drapeau.
Il fait naître le vent et suscite le vertige.
Il entretient l’émotion comme un feu qui couve ou la répand tel un volcan.
Il est responsable de l’espérance !
D’infime en démesure, de pensées esquissées en intuitions fortes, le poète cisèle l’image dans la densité de son propre vécu, réveillant et recréant ainsi la faim spirituelle des multitudes, nourrissant leur soif inextinguible d’authenticité.
Roche vivante et présente au monde à la manière de celle d’un prophète biblique, sa parole ne lui appartient pas : elle doit être dite, proclamée, chantée, portée à bout de bras.
Elle est tour à tour la source et l’océan, la rafraîchissante et l’intraitable, la question et l’explication, la voix qui éveille les consciences ou adoucit les chagrins, le regard qui interpelle ou la main virevoltant sur un orgue aux milliers d‘octaves.
Paillette de givre ou flamme incandescente, visionnaire ou mystique, ardente et passionnée défiant les techniques et les monstres d’acier, elle habite les sommets et les abîmes incommensurables.
- Poète, lève-toi, marche à travers la peur, réveille au cœur de l’homme sa dimension d’impossible ! Quand bien même tu devrais en mourir, le message te survivra, immortel !
Rédigé par : Mary Preud'homme @ MS | 13 août 2011 à 16:59
Rédigé par Madame Catherine JACOB@Valérie le 27 juillet 2011 à 09:03
Je me suis perdue dans les meandres du lapsus... mais, ce n'est pas grave ; j'ai sans doute loupe une bifurcation etant donne mon pietre sens de l'orientation !
Rédigé par : Valerie | 29 juillet 2011 à 15:12
@Valérie | 26 juillet 2011 à 14:44
« Au 7eme paragraphe et a la 48eme ligne de votre commentaire, je lis sous votre plume :
"...Le peintre américain Lucian Freud...",
Je ne peux pas boire mon thé sans m’étrangler et me sentir obligée de rendre Lucian Freud à la Grande-Bretagne »
Mais restituez ma chère, restituez. Je me suis penchée sur mon erreur et me suis demandé pourquoi ce lapsus. « Lucian Michael Freud, né le 8 décembre 1922 à Berlin (Allemagne) et mort le 20 juillet 2011 à Londres (Royaume-Uni), est un peintre figuratif britannique. » en effet.
Il se trouve que le peintre est né le même jour que mon fils, un 8 décembre, et porte le prénom de son grand-père paternel, lequel grand-père, ancien malgré-nous ayant connu l'enfer de Tambow, est décédé d'un cancer et lequel fils se trouve présentement à Vienne. Or, le jour où il a été question du décès du peintre, je recevais une carte du château baroque du Belvédère qui me disait : « Ma petite maman, Vienne est une ville charmante et séduisante et j'espère y revenir un jour avec toi. ».
J'imagine que la raison de ce lapsus qui a consisté à repousser inconsciemment le peintre de Londres à New-York, se comprend aisément.
Rédigé par : Catherine JACOB@Valérie | 27 juillet 2011 à 09:03
"Un sentiment pour les choses en tant que telles est bien plus important que le sens du pictural" V.V.Gogh.
"Pourquoi toujours vouloir chercher dans
le tableau l'histoire singulière du peintre
et non la dimension de la représentation
du sujet..." @ C. Jacob.
Que la question soit posée, justement, à
propos du petit-fils de S. Freud ne manque
pas de piquant, vous en conviendrez !
Il est souvent demandé aux un-e-s et aux
autres d'attribuer à leur enfance une mention de souffrance quand chacun-e- l'accorde au bien heureux temps de l'insouciance! Allez comprendre...
Dans le cas de L. Freud peut-être le fait
de quitter un pays (dans les conditions
que l'on sait)! et qu'alors émanent
les deux solitudes du talent et de la
souffrance.
Rédigé par : calamity jane | 26 juillet 2011 à 15:04
Rédigé par Madame Catherine JACOB@Savonarole(2) le 25 juillet 2011 à 23:03
Au 7eme paragraphe et a la 48eme ligne de votre commentaire, je lis sous votre plume :
"...Le peintre américain Lucian Freud...",
Je ne peux pas boire mon the sans m'etrangler et me sentir obligee de rendre Lucian Freud a la Grande-Bretagne qui le merite grandement puisqu'en son temps elle a su accueillir la famille Freud persecutee non seulement en Autriche mais ensuite en Allemagne.
Je peine a croire d'ailleurs, mais je l'ai lu hier au soir sur le Sunday Times, qu'il aurait conserve toute sa vie son accent germanique bien qu'il soit arrive a Londres avant l'adolescence.
Je vais lire ceci a tete reposee un peu plus tard mais je releve que sa mere se prenommait Lucie...
http://laregledujeu.org/2010/04/09/1215/exposition-lucian-freud-a-beaubourg-lucian-versus-sigmund/
Et puis cela aussi ; ou l'on apprend notamment qu'il a refuse, avec tact mais neanmoins une fermete meritee, d'autoriser une exposition de ses oeuvres a Vienne ; la ville de ses ancetres :
http://www.guardian.co.uk/world/1999/jul/12/fiachragibbons
Curieusement, je note egalement que dans cet article existe un espace typographique entre "Sig" et "mund"... quand on sait qu'a l'origine Freud se prenommait "Sigismund"...
A Berlin ou sa famille avait du chercher refuge, des gardes du corps devaient etre employes pour l'accompagner a l'ecole!!!
Je ne pensais pas, non plus, que l'assassinat a Auschwitz de ses grand-tantes ait pu autant l'affecter.
Rédigé par : Valerie | 26 juillet 2011 à 14:44
A propos de Freud vous évoquez Bacon, cher Philippe.
Je pense, moi, à mon cher Lucrèce qui voyait le tombeau dans le berceau et dans les vagissements du nouveau-né, le cri primal et final à la fois.
Et à Goya, cru et violent, qui lui aussi a peint le roi. Celui-ci, paraît-il, fut très satisfait de ce portrait cruel.
Au fait, quel dommage que Freud n'ait pas eu l'occasion de peindre ce Goya vivant qu'est l'actuelle duchesse d'Albe !
Rédigé par : Frank THOMAS | 26 juillet 2011 à 09:30
Je viens de découvrir qu'il existe un acteur dont le pseudonyme est en ce qui concerne l'aspect patronymique, un homonyme du cinéaste précédemment mentionné (Mizushima Satoru), mais le nom personnel (équivalent d'un prénom), différent. Il s'agit de Miszushima Hiro, dont le vrai nom est Saïtô Tomohiro, également romancier et le rédacteur en chef du magazine 'Global Work'. Il est par hasard né le même jour que moi mais c'est un beau gosse, plus grand en nombre de centimètres, et pesant, à tous points de vue, plus lourd que moi. Nous sommes en effet nés tous deux le jour de la roquette, une salade "réputée pour ses vertus aphrodisiaques dès l'Antiquité, on en extrayait de l'huile essentielle pour composer des huiles de massage"(Reay, Food in History, Three Rivers Press, États-Unis, 1988. dixit wikipédia), et non pas le 'projectile autopropulsé' de même nom qui ressemble à une quenouille. Très curieusement nous sommes également nés tous les deux un Vendredi, jour de Vénus, lui à Tokyo et moi, ailleurs...! Amusant n'est-il pas, mon cher Watson.
(Source japonaise: 水嶋 ヒロ(みずしま ヒロ、1984年4月13日 - )は、日本の俳優、小説家、雑誌GLOBAL WORK編集長。本名、齋藤 智裕(さいとう ともひろ)。 東京都出身。身長180cm。体重65kg。)
Si nous sommes donc nés sous le signe mensuel du zodiaque chinois qu'est le Lièvre, il est cependant né dans l'année chinoise du Rat, tandis que je suis née dans l'année chinoise du Lièvre à une heure qui se situe entre l'heure du Dragon (ou Lézard) et l'heure du Serpent. Nous ne sommes donc pas le même avatar...!
Rédigé par : Catherine JACOB@Savonarole(3) | 26 juillet 2011 à 09:28
Je n'ai pas d'opinion particulière sur cet artiste, mais de toute façon les dés sont largement pipés. Pour lancer un peintre, raisonnablement doué et original, mais comme on pourrait en trouver des centaines, il suffit d'avoir l'argent au départ : on le met en vente en galerie à des prix prohibitifs et... on l'achète soi-même (on perd bien sûr la TVA, pas à la portée de tout le monde). Le tour est (presque) joué...
Bien sûr, un nom illustre, ça aide aussi...
Rédigé par : JR | 26 juillet 2011 à 08:24
@Savonarole | 25 juillet 2011 à 19:23
"Picasso nous a donné un magnifique Guernica !
Ah quel malheur que Lucian Freud n'ait pu nous offrir une fresque du "Viol de Nakin", en 1937, par ces délicats soldats japonais.
Ce n'est pas Nakin, mais Nankin ou Nanjing (南京 , Pinyin : Nánjīng) de 'Nan' le sud et 'Kin' capitale, en opposition à Pékin (ou Béjing), la capitale au Nord, devenue la capitale tout court.
Le 13 décembre 1937, les troupes japonaises sont entrées dans Nankin. Le Japon avait clairement annoncé qu’il n’appliquerait pas les conventions de La Haye et de Genève à l’égard des prisonniers de guerre chinois. L'armée japonaise "venait de perdre 40 000 camarades - contre 450 000 pour les Chinois - . Ils s'étaient battus pendant des mois dans des conditions affreuses. Le jour de la revanche leur paraissait arrivé " a-t-on en effet coutume de rapporter.
Ce qui a été appelé le « sac », et non pas le « viol» de Nankin est sans aucun doute la plus grande tragédie du conflit sino-japonais.
"Pendant six semaines, l’armée nippone s'y est livrée à en effet d’effroyables massacres qui n'ont pas épargné la population civile incluant jusqu'aux bébés. Le bilan fit suivant les sources entre 100 000 et 300 000 victimes civiles et militaires", soit dans une perspective de revanche cinq chinois pour un japonais.
"Guernica est la capitale historique et spirituelle du Pays basque rendue particulièrement célèbre pour sa destruction, le 26 avril 1937, par les aviateurs de la légion Condor, envoyée par Hitler afin de soutenir le général Franco. 800 à 3 000 des 7 000 habitants de Guernica périrent.
Ce bombardement a choqué et inspiré de nombreux artistes : Guernica est en effet également le nom d'un des plus célèbres tableaux de Pablo Picasso, d'une des plus violentes sculptures de René Iché, d'une des premières musiques électroacoustiques de Patrick Ascione, d'une composition musicale de René-Louis Baron et d'un poème de Paul Éluard (La victoire de Guernica). C'est encore un court métrage de 1950 d'Alain Resnais (Guernica)." nous apprend Wikipédia ainsi que nombre d'autres sources d'information.
Les troupes chinoises ont abandonné Nankin à son sort, les troupes allemandes ont apporté leur soutien aux espagnols. Un peintre espagnol, Picasso, et plusieurs artistes français ont exprimé dans leur œuvre l'horreur de ce bombardement particulier. Le peintre américain Lucian Freud n'en fait semble-t-il pas partie. Il existe des négationnistes japonais relativement aux massacres qui représentent encore une pomme de discorde sino-japonaise, dont le cinéaste d'extrême droite, Satoru Mizushima. Mais depuis 2005, les projets de films sur Nankin se sont multipliés côtés chinois, allemand et américain. L’année 2007 a représenté à la fois le 70ème anniversaire du massacre de Nankin et le 35ème anniversaire de la reprise des relations diplomatiques sino-japonaises (le 29 septembre 1972). Les projets chinois ont connu dit-on, de ce fait un certain étouffoir. Le cinéaste japonais Satoru Mizushima est aussi une réponse à un documentaire américain sponsorisé par AOL. Il convient donc de mentionner le caractère novateur dans ce contexte, "du film de Lu Chuan (Nanjing ! Nanjing !) qui tente pour la première fois de dépasser la polémique en essayant de voir quel a bien pu être le calvaire vécu par les soldats des deux camps."
Qu'est-ce que votre regret en forme de critique ou de dénonciation d'un manque chez "le peintre de l'inconscient de la chair", regret qui s'exprime dans une formule qui se croit maligne, apporte de positif pour l'avenir de relations sino-japonaises dont l'Europe peut souhaiter qu'il continue de progresser sur la voie de la compréhension mutuelle??
Le petit-fils du grand Sigmund est pris dans une autre histoire singulière et son œuvre y tend sans doute une dimension universelle même si telle ou telle œuvre ne vous paraît pas offrir de référence singulière à tel ou tel épisode de la Seconde Guerre mondiale. La preuve, l'intérêt qu'y porte un ex mécanicien soviétique.
Rédigé par : Catherine JACOB@Savonarole(2) | 25 juillet 2011 à 23:03
Déjà posté à 11:09 avant le commentaire de 16h@Marie Prud'homme mais pas encore apparu. Je renvoie donc pour le cas où:
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@Savonarole | 24 juillet 2011 à 16:32
« Lucian Freud était un gars très respecté dans sa famille, il ne sautait pas ses modèles »
N'est-ce pas là le comportement normal!
« En 1948, il épouse la fille du sculpteur Jacob Epstein, Kitty Garman. C'est son premier mariage. Il divorce puis se remarie et divorce pour la deuxième fois. Lucian Freud a eu de nombreux enfants légitimes ou naturels, une quinzaine, dont la designer de mode Bella Freud (née en 1961), l'écrivain Esther Freud (née en 1963), l'artiste Jane Mc Adam Freud (née en 1958) ou encore Noah Woodman, entre autres. » nous apprend Wikipedia.
On aurait tort de penser que « modèle du peintre » doive être synonyme de « petite amie ou plus noblement 'femme partageant la vie' du peintre ».
On peut en juger notamment par l'anecdote humoristique qui se colporte à propos du choix par Léonard de Vinci d'un modèle pour représenter Judas et qu'on peut lire éventuellement ICI .
Ceci dit, l'artiste n'est pas sans être soupçonné par un chercheur italien contemporain d'avoir vécu avec 'Mona Lisa' habituellement identifiée cependant comme Lisa Gherardini, une mère de six enfants épouse de Francesco di Bartolomeo di Zanobi del Giocondo, un marchand d'étoffes florentin. L'hypothèse laisse néanmoins le Louvre sceptique et témoigne plutôt, du moins il me semble, d'une sorte de fantasme à l'égard de la fonction du portrait dans lequel le spectateur s'abîme tel Narcisse dans son reflet. La récente exhumation de restes présumés être ceux du modèle permettra peut-être de trancher définitivement la question même si le musée ne prêtera pas le tableau.
Au-delà toutefois de l'identité connue ou inconnue du modèle - qui peut être avec le néoclassicisme un archétype de la statuaire antique comme chez David avec « La mort de Socrate », ce brillant esprit que Lacan désigne comme le précurseur de l'analyse - , ce qui est intéressant c'est par ex. que celui qui tend au philosophe la coupe de cigüe est représenté de dos , ainsi que tournant également le dos au condamné. Il n'a donc pas davantage de visage qu'il n'a de nom dans le Phédon de Platon.
« Tout de même, ces Freud, quelle famille ! » conclue notre hôte.
En effet ! Vu le nombre de gens célèbres qu'elle comporte et qui ne se limite pas à Lucian Freud né le jour du Lierre, et de son illustrissime aïeul né le jour de la Pimprenelle ou Sanguisorbe, une plante hermaphrodite dont ceux qui connaissent son houleuse correspondance avec Fliess apprécieront l'augure...!
Rédigé par : Catherine JACOB@Savonarole | 25 juillet 2011 à 20:00
Picasso nous a donné un magnifique Guernica !
Ah quel malheur que Lucian Freud n'ait pu nous offrir une fresque du "Viol de Nakin", en 1937, par ces délicats soldats japonais.
Rédigé par : Savonarole | 25 juillet 2011 à 19:23
Lucian Freud : la télé lui rend hommage
Un documentaire à découvrir le jeudi 28 juillet 2011 à partir de 16h15 sur Arte.
http://fr.news.yahoo.com/lucian-freud-t%C3%A9l%C3%A9-rend-hommage-151700282.html
Et aussi des liens sur ce peintre de genie :
http://www.guardian.co.uk/artanddesign/freud
http://www.guardian.co.uk/artanddesign/2011/jul/21/lucian-freud-died-aged-88
Rédigé par : Valerie | 25 juillet 2011 à 17:55
De même qu’un poète écrit selon son ressenti. C’est pourquoi toute retouche est souvent malencontreuse et peut même dénaturer totalement l’œuvre d’un créateur...
Mary,
Un poète en herbe allant montrer son travail à l’un de ses illustres aînés s’entendit demander : « Avec quoi écrivez-vous, jeune homme ? »
Mi troublé, mi pseudo-malicieux, il crut bon de répondre :
« Avec un stylo, Monsieur. »
« Dommage jeune homme, on n’écrit bien qu’avec une corbeille à papier. »
Cette doxa selon laquelle un artiste serait porteur d'on ne sait quelle transe créatrice à fulgurances spontanées sur sa toile ou sa feuille blanche est une douce ineptie.
Certains traversés par un éclair de génie peuvent occasionnellement produire vite et bien, sans doute. Mais enfin, la plupart et la plupart du temps n'ont que du talent, et le talent sans travail ? Vite une sale manie, disait Brassens.
Rédigé par : MS | 25 juillet 2011 à 16:44
@Mary Preud'homme | 25 juillet 2011 à 14:08
"des sexes béants qui donnent le vertige."
Tiens donc!
"Sigmund y aurait probablement vu une symbolique quelconque, un retour ou une régression au stade anal, une peur de la mère omniprésente et castratrice, d’où ces sexes élevés comme des altars mortifères où la virilité vient se consumer et s'engloutir au lieu que de venir y puiser la chaleur, la vie et la joie et pour tout dire, une renaissance...
Un artiste figuratif peint ce qu’il voit. "
Hum! Ce qu'il voit, en effet. Mais ce qu'il voit, puis donne à voir correspond-il toujours à ce que nous en faisons exister par notre regard avant même tout éducation de ce dernier, tant à l'art qu'à l'artiste, et tout comme en littérature d'ailleurs, ainsi que par notre parole à son propos ou est-il dans ce contexte simple médiation?
Prenez un simple conte pour enfants. Combien de lectures d'un texte qui se plie sous la voix du conteur en autant de dits singuliers différents et cependant tous liés par un sens commun? Hum?
Pourquoi toujours vouloir chercher dans le tableau l'histoire singulière du peintre enfant et non la dimension de la représentation du sujet en général seule capable pourtant d'autoriser, comme tout théâtre en fait, la projection de tous les singuliers par le regard desquels l’œuvre à chaque fois se construit et déconstruit?
Rédigé par : Catherine JACOB@Mary Preud'homme | 25 juillet 2011 à 16:00
Il était certainement doué mais si j'ajoute qu'outre les grands classiques, impressionnistes, surréalistes quelques-uns de mes préférés ont pour nom : William Blake ou Matthias Grunewald, vous comprendrez que je n'ai rien à faire de ses portraits.
Le génie familial ! un petit trait sarcastique : tout le monde ne peut pas être fils ou fille d'acteur de cinéma français !.
Rédigé par : GERARD DUFFOURG | 25 juillet 2011 à 15:14
S’agissant du portrait ou du nu, l’art ne doit pas seulement exprimer ou exalter la beauté, la pureté, la lumière, mais faire aussi ressortir la singularité et la spécificité de l‘être, son originalité, ses aspérités et pourquoi pas ses vices ou sa laideur. Tout est question de l’inspiration, de l’humeur et du vécu de l’artiste. D’où ces visages sans concession, ces « rides véloces, ces mufles avachis » par les ans (*) ou précocement marqués par les abus d’alcool, ces regards pensifs ou égarés, ces nus peints dans leur crudité, voire leur obscénité en s’attardant sur des croupes déformées et dégoulinantes de graisse, des sexes béants qui donnent le vertige.
Sigmund y aurait probablement vu une symbolique quelconque, un retour ou une régression au stade anal, une peur de la mère omniprésente et castratrice, d’où ces sexes élevés comme des altars mortifères où la virilité vient se consumer et s'engloutir au lieu que de venir y puiser la chaleur, la vie et la joie et pour tout dire, une renaissance...
Un artiste figuratif peint ce qu’il voit. De même qu’un poète écrit selon son ressenti. C’est pourquoi toute retouche est souvent malencontreuse et peut même dénaturer totalement l’œuvre d’un créateur, d’autant plus s’il est exceptionnellement doué comme Lucian Freud...
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(*) très sournois s'approchent
la ride véloce
la pesante graisse
le menton triplé
le muscle avachi (Queneau)
Rédigé par : Mary Preud'homme | 25 juillet 2011 à 14:08
Comme vous, j'aimerais pouvoir exprimer plus souvent mon admiration devant des personnalités qui ne s'achètent pas, des vrais artistes comme Lucian Freud ou Francis Bacon...
Rédigé par : catherine mouilleron | 25 juillet 2011 à 12:27
C’est vrai que le portrait de la reine d’Angleterre par Lucian Freud n’est pas très flatteur. Elle aurait été plus inspirée en demandant les services d’un photographe célèbre (François-Marie Banier, par exemple qui est tout aussi cher...). Au moins avec photoshop il est possible de faire des retouches...
Rédigé par : Achille | 25 juillet 2011 à 08:54
Je découvre. Merci.
Il fallait un sacré culot à Elisabeth II pour demander un portrait d'elle à Freud, connaissant son oeuvre. Belle et courageuse décision.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 25 juillet 2011 à 02:07
@ Catherine JACOB
La pauvre reine !
La prochaine fois, elle se déplacera.
Kate Moss, en revanche, est tout simplement magnifique, même si le visage n'est pas le plus réussi.
Rédigé par : Alex paulista | 25 juillet 2011 à 01:30
Mû par le respect que tout citoyen britannique se doit de porter à la couronne, Lucian Freud consentit finalement, en mai 2000, à se rendre à Saint James's Palace pour peindre le portrait de sa très Gracieuse Majesté. Les séances de pose, où à la requête de l'artiste, Elisabeth II portait un lourd diadème de diamants, se prolongèrent jusqu'en décembre 2001. L'oeuvre, jugée trop réaliste par beaucoup, divisa intensément les critiques.
Rédigé par : Stenaisien | 24 juillet 2011 à 21:08
Il a fallu attendre l'oeuvre du petit-fils pour visualiser ce que le grand-père a eu tant de mal à expliquer...
Et sans aucune prétention je dirais qu'une âme est bien plus lisible couchée sur une toile que couchée sur un divan.
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 24 juillet 2011 à 19:21
Bonsoir Monsieur,
S’il est vrai, comme disait Picasso, que rien ni personne n’entend proférer plus de bêtises en une journée qu’un tableau exposé, ceux de la grande exposition du 15 avril au 15 mai 1874 ont été servis. On y retrouvait tout le musée d’Orsay d’aujourd’hui. L’opinion de l’époque a été scandalisée : c’est affreux, sale, révoltant, ces peintres ne regardent pas comme tout le monde, ce sont des esprits malades, des pervers, des charlatans. Ils peignent au hasard, jettent la couleur sur la toile au petit bonheur. Moyennant quoi, quand des peintres procéderont vraiment de la sorte, au siècle suivant et jusqu’à aujourd’hui, on se gardera de ces glapissements bourgeois et réactionnaires pour ne pas avoir l’air hors du coup : la grande ruse de la bêtise est qu’elle sait changer de forme.
Cordialement.
Rédigé par : Jerome Nadau | 24 juillet 2011 à 19:08
Lucian Freud était un gars très respecté dans sa famille, il ne sautait pas ses modèles.
Rédigé par : Savonarole | 24 juillet 2011 à 16:32
"Je suis parce que je suis Lucian Freud."
Plus qu'une vanité ordinaire, j'y vois un contresens artistique.
La lucidité d'un artiste n'est pas dans ce qu'on lui doit mais dans ce dont il est redevable : la beauté. Elle est son modèle avant sa destination.
Cela requiert aussitôt l'inverse d'un contentement de soi, un certain effacement, celui du serviteur : le grand acteur derrière son personnage, le musicien jusque dans la fosse, le peintre devant son sujet...
Si son travail de création ne consiste en outre qu'à reproduire le beau, fût-ce une beauté crue, il n'est encore qu'une sorte de copiste, même génial.
Ce qu'il y a en l'homme de plus grand que lui-même n'est pas l'art, mais la matière première de l'art. Les grands artistes le sont de cette distinction.
Rédigé par : MS | 24 juillet 2011 à 15:16
« Il n'empêche que j'éprouve un culte devant certaines attitudes de Lucian Freud. Par exemple, lorsqu'il refuse de se déplacer et que pour le portrait de la reine d'Angleterre, il invite celle-ci à venir dans son atelier. Ce n'est pas seulement la puissance, la suprématie de l'art qui sont ainsi mises en évidence mais l'affirmation à la fois banale et orgueilleuse de soi. »
« Faute (donc) d'avoir accepté de subir le long rituel des centaines d’heures de pose, Élisabeth II n'a eu droit qu'à un tableau de très petit format pour sa commande réalisée à l'occasion de son jubilé en 2001. Ce portrait qui présente la Reine d'Angleterre avec une tête engoncée a fait scandale. Alors que le directeur de la National Portrait Gallery le décrit comme "psychologiquement puissant", le Daily Telegraph l'accuse d'être "extrêmement peu flatteur" et le Sun d'avoir représenté un "travesti". Consciemment ou inconsciemment, Lucian Freud a commis un "crime de lèse majesté" qui n'avait rien d'un acte manqué. » pouvons-nous lire à propos de L'Atelier du 10 mars au 19 juillet 2010, Galerie 2, niveau 1 au Centre national d’art contemporain Georges Pompidou (=Paris), dans la Newletter №6 : LUCIAN FREUD OU L'INCONSCIENT DE LA CHAIR d'ARTY PARADE.
Où on peut encore lire sous la plume de Tatyana Franck : « Jean Clair a pu dire du travail de Lucian Freud qu'il "a assimilé la peinture allemande des années 1920, puis la peinture anglaise des années 1930 et, à partir de là, il a fait du Freud. »
Lourd héritage que celui de l'ancêtre fondateur et du clan et de la psychanalyse. En tout cas, ce que personnellement je perçois de ce portrait c'est qu'il y a une différence essentielle entre une reine régnante et la jolie épouse d'un roi. D'où ce que l'on peut prendre pour du travestissement est bien plutôt la manifestation de l'essence et la représentation de l'affirmation de soi comme le Pouvoir. En somme, du Yang.
Rédigé par : Catherine JACOB | 24 juillet 2011 à 15:13
Le massacreur de la pudeur spirituelle
d'un Modigliani. Timide disciple du Titien.
Fidèle héritier de l'autisme élitiste
familial.
Grand, immense peintre qui aurait pu
terrasser également les prétendants photographes avec leur obsession : maîtrise de
la lumière.
Piètre élève d'un Titien ou d'un Michel-Ange
car élevé trop tôt dans l'assertion imbécile
du "tout est sexe" de laquelle il reste
l'esclave utile.
Mais ses corps boursouflés comme ces visages
hors lumières du jour et de la nuit nous
propulsent dans nos propres boursouflures
invisibles, capables de se révéler un jour
nous rendant anamorphes, monstrueux ou
pathétiques.
Rédigé par : calamity jane | 24 juillet 2011 à 15:09
Cher Monsieur Bilger,
Abonné assidu de vos billets, j'ai pris grand plaisir à la lecture de celui consacré à Lucian Freud ; à quelques années d'intervalle, j'ai contemplé à la Fondation Maeght les expositions Francis Bacon et Lucian Freud ; remonte dans ma mémoire un souvenir très ému en pensant à cette phrase de Francis Bacon : "l'art est une tentative d'organisation du chaos de la vie".
Rédigé par : Georges GIRARD | 24 juillet 2011 à 12:28
Bonjour Philippe Bilger,
« Tout de même, ces Freud, quelle famille ! »
Je me demande ce que va dire Michel Onfray du génie de Lucian Freud.
Après avoir « dézingué » le grand-père, peut-être va-t-il se racheter en louant l’œuvre du petit-fils. Encore qu’avec lui on ne soit sûr de rien...
Rédigé par : Achille | 24 juillet 2011 à 12:23