Philippe Muller est le procureur de Dunkerque et il a fait parler de lui depuis quelques jours à la suite d'une note du 25 juillet adressée à l'ensemble des services enquêteurs de Dunkerque et d'Hazebrouck. Par ce document, il demandait "la suspension de l'exécution de l'écrou" jusqu'au 5 septembre, sauf pour les auteurs de violences en récidive, notamment sur enfants ou conjoints, et d'infractions sexuelles (Le Figaro).
Notre collègue avait pris cette décision après avoir visité la maison d'arrêt de Dunkerque qui, disposant de cent places, enfermait près de cent cinquante détenus. Il soulignait que "quand vous faites coucher des gens sur des matelas, vous vous heurtez aux obligations liées au respect de la vie humaine, aux problèmes d'hygiène, au risque de violences (entre détenus) et à des difficultés de relations avec les fonctionnaires pénitentiaires".
Philippe Muller considérait que sa démarche relevait des attributions du procureur de la République. Elle avait pour but d'éviter une possible explosion durant l'été. Les syndicats de surveillants l'ont saluée en la qualifiant de "courageuse". Selon un délégué régional FO, de juillet 2010 à juillet 2011, il y a eu 2600 détenus de plus dans les prisons françaises. A la fin du mois de juin, 64726 prisonniers pour 56081 places, un taux de surpopulation de 115% (Marianne 2). D'où l'urgence des moyens à mettre en oeuvre pour endiguer le pire.
Pourtant, le garde des Sceaux a invité le procureur Muller à revenir sur ses instructions par l'entremise du procureur général de Douai. Philippe Muller a obtempéré sans barguigner, sans jouer au martyr.
Devant ces positions un temps contradictoires, force est de s'interroger sur les motivations de la Chancellerie et celles du procureur de Dunkerque. Il convient d'autant plus de le faire qu'avec Michel Mercier, la Justice est servie par un garde des Sceaux digne de ce nom qui, au regard de la piètre qualité de ses prédécesseurs, fait heureusement mentir l'adage : jamais deux sans trois !
Il a en particulier engagé une action résolue pour faire exécuter les peines prononcées en veillant à affecter des renforts dans les greffes des plus importantes juridictions. De 100000 sanctions laissées en deshérence, on est passé déjà à 80000 ! Cette politique cohérente qui vise à lutter contre ce qui était le scandale criant du système pénal semble évidemment être aux antipodes de ce qu'avait décrété Philippe Muller et à ce titre on peut comprendre la volonté d'annulation de la note controversée par le ministère.
Pourtant, sans prétendre à de trop faciles synthèses, je regrette que ne soit jamais envisagée la richesse d'une situation où, sur un registre différent, l'Etat et la justice au quotidien viendraient s'épauler dans une solidarité qui viserait aussi bien l'immédiat que le structurel. L'intervention de l'Etat est forcément lourde et met du temps à produire ses effets quand un procureur confronté à la réalité intolérable du terrain est légitime pour tenter avec ses moyens et son autorité d'en atténuer les conséquences négatives. Il ne s'agit pas de la justice d'en haut et de la justice de base mais de la complémentarité du politique et du judiciaire. Leur rythme n'est pas le même. Mais le lièvre et la tortue, ici, servent les mêmes fins.
Il n'est pas inutile de rappeler que nous avons un contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue, dont les constats demeurent lettre morte précisément parce qu'il n'a aucun pouvoir d'injonction. Il parle, il écrit, il dénonce mais pour rien. A propos de la maison d'arrêt de Dunkerque, il avait mis en cause son caractère "vétuste" et le fait que les détenus n'occupaient pas des cellules mais des dortoirs. On peut conclure sur ce point sans ironie que Philippe Muller a cherché à tirer les leçons de cet état des lieux dont, sans lui, on se serait contenté de prendre acte.
Je ne sais pas si ce procureur appartient au Syndicat de la magistrature. Peu importe. Ce qui compte et m'a convaincu de la validité de son coup d'éclat, c'est que celui-ci n'est pas gratuit, n'a rien à voir avec une quelconque provocation idéologique, est pétri d'une humanité vraie et s'est élaboré avec empirisme et pragmatisme. J'ai aussi apprécié - je ne suis pas sûr que j'aurais approuvé de la même manière dans l'incandescence de ma jeunesse judiciaire - qu'il se soit plié, apparemment sans contestation, à la décision du garde des Sceaux. Ce qui manifeste à mon sens une double qualité : celle d'être capable de changer les choses mais celle aussi d'appréhender ce qu'un magistrat doit et se doit. Il y a du courage chez ce collègue, pour transformer et pour accepter.
Etre magistrat à Paris ne démontre rien : ni pour ni contre. Je relève - c'est, chez moi, une obsession que de savoir que des professionnels remarquables oeuvrent en province et qu'ils ne seront jamais appelés, pourtant, à des fonctions que leur caractère et leur compétence auraient justifiées - qu'à Dunkerque un procureur n'a pas donné, loin de là, une piètre image de la Justice.
Il a confirmé que la vraie hiérarchie entre les magistrats devrait être fondée sur les personnalités, la qualité et l'humanité des pratiques, la capacité d'indépendance.
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