Apprendre la mort de Charlie Bauer en Corse, c'est se confronter à un double contraste.
Cette splendide île qui n'est pas qualifiée pour rien de "beauté", est aussi, à connaître ceux qui y vivent, une terre d'extrêmes qui mêlent des vertus exemplaires - le respect des anciens, l'attachement aux enfants et aux femmes, une culture de la solidarité et de la fraternité - au sang et à la mort. De la part d'une minorité qui est aussi peu représentative de sa communauté qu'Anders Breivik, par exemple, de la Norvège. La Corse qui par exemple d'Ajaccio à Sartène vous prend au coeur, vous inonde les yeux, tant on ne sait plus où donner de l'admiration, a horreur du juste milieu. Elle se plaît à éblouir ceux qui sont passionnés, fascinés par elle, avec un présent fait de ravissement sauvage et d'une mer si bleue, si limpide que c'en est indécent ! En même temps, et à la fois, elle laisse dans la tête des souvenirs atroces de meurtres et d'assassinats où, pour un rien, pour de la susceptibilité, de l'amour-propre, à cause d'une rancune jamais effacée ou d'une vision politique dévoyée, on ôte la vie de son prochain. Cette magnifique et singulière île a été trop souvent endeuillée. Je ne vois pas ce qui lui interdirait la paix, qui serait le seul écrin digne de sa beauté et de la convivialité généreuse de ceux qui ont le bonheur d'y vivre quotidiennement.
Charlie Bauer, c'est aussi un contraste entre le criminel qu'il a été et l'homme que j'ai rencontré il y a de nombreuses années lors d'une émission de radio. Franck Johannès lui a consacré dans Le Monde une nécrologie fine, chaleureuse et, à la fois, critique.
Je me souviens alors de nos échanges et même si nous ne pouvions évidemment nous accorder sur un certain nombre de thèmes - la justice, la criminalité, la prison -, nous avions débattu avec vigueur mais sans colère. Je me suis reproché une seconde d'avoir hésité à m'entretenir avec lui, tant nos mondes étaient dissemblables, alors que notre relation démontrait au contraire que rien n'était plus nécessaire qu'un affrontement de ce type.
Je sais bien que dans une telle épreuve, c'est le professionnel qui finit par n'avoir plus gain de cause. Il est condamné, si j'ose dire, à défendre, à justifier, à expliquer quand son interlocuteur se donne le droit d'avoir une parole impérieuse, une vision totalitaire, s'octroie les facilités d'un procès sans nuance et d'une dégradation morale à laquelle on ne pourrait qu'opposer un passé criminel que précisément l'instant médiatique vous contraint, par élégance, à passer sous silence.
Ce type de dialogue difficile mais stimulant, je l'ai eu avec d'autres que Charlie Bauer : Roger Knobelspiess, Michel Vaujour ou à Montpellier avec Gabriel Mouesca. La lutte sera forcément inégale à cause aussi de l'inévitable sympathie qui vient au secours de celui qui s'est apparemment redressé à hauteur des agissements graves qu'il avait perpétrés.
Ces personnalités, c'est tout ou rien. Le rythme de croisière de l'existence n'est pas pour elles.
La Corse, sous mes yeux à Sartène, ne m'offre que sa part magique.
Monsieur le Haut Magistrat
Si vous n’aviez possédé ce talent de plume, vous auriez certainement peint. Peut-être le faites-vous aussi d’ailleurs. Inattendu de rapprocher la dérive de Charlie Bauer et la situation en Corse. Pourtant en lisant votre billet, j’ai confusément senti que quelque chose me gênait profondément, avant de trouver, esprit d’escalier, ce qui ne passait pas.
M’est alors revenue l’épreuve cruelle que certains de vos confrères de la Cour de Cass’ ont infligée à Mme Erignac. Admirable de dignité face à l’assassinat de son mari, elle eut à subir trois procès d’assises, parce que des magistrats de la Cour cassèrent par deux fois la condamnation de l’assassin du Préfet. Et la seconde fois, de l’avis des juristes, sur un motif particulièrement futile (un point anecdotique selon Le Monde du 30 juin 2010). De plus les manifestations de soutien au prévenu avaient quelque chose d’indécent.
Peut-on parler de la Corse sans faire un détour par Colomba della Rebbia, en outre remarquablement porté à l’écran. Tout y est.
Aurait-on la même mansuétude pour un autre département français ?
Et pour en venir à votre dialogue avec Charlie Bauer, il est indéniable qu’il faut un certain courage pour accepter une telle rencontre. Débat éternel. Encore que devant la criminalité avérée, la position du représentant de la Loi ne laisse pas beaucoup de place à des états d’âme. La décrépitude de l’Administration Pénitentiaire est une autre question, et ce n’est pas le rôle d’une cour d’assises de s’émouvoir de l’état des prisons. La question de l’erreur judiciaire se suffit à elle-même. Condamner selon son intime conviction, sans preuve objective, c’est franchir un pas que l’on essaie de justifier en permanence de nos jours. La formule « le doute doit profiter à l’accusé » est à ranger au magasin des accessoires. Là est un vrai débat.
Rédigé par : Jean-Louis | 15 août 2011 à 17:33
P. Bilger : "Je sais bien que dans une telle épreuve, c'est le professionnel qui finit par n'avoir plus gain de cause. Il est condamné, si j'ose dire, à défendre, à justifier, à expliquer quand son interlocuteur se donne le droit d'avoir une parole impérieuse, une vision totalitaire, s'octroie les facilités d'un procès sans nuance et d'une dégradation morale à laquelle on ne pourrait qu'opposer un passé criminel que précisément l'instant médiatique vous contraint, par élégance, à passer sous silence".
C'est trop facile. Et quand vous n'avez pas en face de vous avec qui il faudrait "par élégance" (élégance, mon cul !) passer sous silence le passé criminel, comment vous faites pour justifier que vous êtes au service d'une justice de classe ?
Rédigé par : Gilbert Duroux | 15 août 2011 à 17:09
J'ai bien compris... Vous commencez voleur, truand, anarchiste, vous ne respectez pas les lois infâmes... de la République (ce que font une grande majorité de sots, et je reste poli, de Français et vous vous faites prendre...)
Vous vous convertissez - en Robin des bois - c'est un miracle...
Comme Paul de Tarse (dit saint Paul) et, plus proche, Jean Valjean ...
Vous faites la leçon aux autres... et toc vous devenez "quasiment" une victime du "système".
Monopoly... il faut donc passer par la case prison... pour la "sainteté" nécrologique.
Rédigé par : angevain | 14 août 2011 à 14:42
@ Temoignagefiscal – H. Dumas
Les voyous, même intelligents, voire beaux et forts, sont avant tout des tricheurs et des voyous. Il leur manque l'honnêteté, comme il manque à mon chien la parole, pour les deux c'est un constat rédhibitoire.
Qui n'a jamais eu l'occasion de longuement discuter avec un voyou, criminel ou délinquant, en quasi tête-à-tête, ne peut pas comprendre, je pense, l'intrinsèque propos de notre blogueur favori.
Vous en faites manifestement partie sinon vous ne trancheriez pas aussi abruptement en élevant l’honnêteté de chacun en dimension universelle.
On peut être honnête et tuer involontairement son prochain d'une gifle, ou même commettre un crime passionnel ou de vengeance conduit par les qualités et les défauts de la machine humaine ô combien compliquée que vous diagnostiquez très bien.
Vous semblez confondre l'honnêteté d'un homme avec son intégrité, sa probité. Ces mots ne sont pas vraiment synonymes et peuvent, doivent être nuancés.
Un tricheur -reprenant votre exemple- peut avoir l’honnêteté de reconnaître sa triche.
Il en est de même pour les vilains de tous poils, tueurs, violeurs, assassins, serial-machins et j'en passe, qui, lors d'interminables interrogatoires de police ou de justice consentent à expliquer leur geste, leurs motivations, leur procédé, et se retrouvent en phase avec l'être humain qu'ils n'auraient jamais dû quitter, celui qu'ils auraient toujours dû être, faisant oublier à l'interlocuteur, l'espace d'un temps et d'une compréhension, les habits monstrueux qu'ils ont revêtus pour le passage à l'acte.
Et puis, à y bien regarder, qui n'a jamais été un jour, une heure, quelques minutes, malhonnête ?
Je vous laisse chercher un peu...
Quant à votre chien, il est doué d'expression. Il vous parle mais vous ne comprenez pas. C'est le langage qui est différent. Pour autant, est-ce pour cela que vous ne vous comprenez pas ?
Rédigé par : Fabrice DOUAIS | 14 août 2011 à 12:49
Bonjour M. Bilger,
Vous avez raison, il est difficile pour qui a une once de romantisme en lui de ne pas avoir un brin de sympathie pour certains grands bandits.
Mais la loi, ayant transfiguré les rapports de forces sous un amoncellement de textes un peu inaccessibles au commun, n'est pas toujours, et c'est un euphémisme, juste. Elle protège souvent le fort légal, au détriment du faible légal.
Et même si l'un de vos interlocuteurs parle d'ignares, pour ma part, j'ai la faiblesse de penser que la petite bête humaine n'a finalement qu'une logique, même si chez certains elle se pare des atours de la culture et de l'intelligence.
Il est intéressant de lire Laborit, Girard, Serres. C'est éclairant sur ces sujets.
Rédigé par : Jérôme | 14 août 2011 à 08:22
On ne peut pas faire tous les métiers quand on reste vivre en Corse. Ce filtre dénature la Corse, car son cœur n'est pas sur la côte mais un peu dans les hauteurs, là où on ne trouve plus que quelques maisons secondaires d'anciens corses aujourd'hui niçois.
On peut le dire aussi de beaucoup de régions tant la France est centralisée, mais l'insularité fait que l'effet est... carabiné.
Rédigé par : Alex paulista | 14 août 2011 à 07:18
Bonjour,
Evidemment, il est des voyous intelligents. Mais l'intelligence ne fait pas plus un homme que ne le font la beauté ou la force. L'homme, machine ô combien compliquée, est un ensemble de vertus et de défauts dont les résultats globaux sont, étrangement, tous différents. Chaque personnalité est différente, mais pour que la vie en société soit possible une dimension s'impose : l'honnêteté.
Tout jeune initié au monde des affaires, j'ai longtemps été taraudé par l'idée de l'incompatibilité potentielle entre l'honnêteté et les affaires. C'était une erreur.
Hier, dans l'île de Ré, nous avons commandé des jonchées chez le fromager. Comprendront ceux qui connaissent. Au moment d'aller les chercher, nous sommes en retard, il est 13h et la boutique ferme à 12h45. La jonchée ne se conserve pas, nous en avions retenu huit. Tension familiale. Grande discussion sur les responsabilités et le manquement envers le fromager. De cette discussion ressort la décision de revenir chez le fromager ce matin, de lui payer les jonchées périmées en nous excusant. Ainsi est fait.
Grande surprise du fromager, il a si peu remarqué notre manquement que nous nous demandons s'il avait bien réservé les jonchées. Il a des jonchées fraîches, il refuse le paiement de celles de la veille, nous avons dégusté ce soir les fraîches. Moralité, on peut être en affaire avec son fromager et rester honnête.
Les voyous, même intelligents, voire beaux et forts, sont avant tout des tricheurs et des voyous. Il leur manque l'honnêteté, comme il manque à mon chien la parole, pour les deux c'est un constat rédhibitoire.
Cordialement. H. Dumas
Rédigé par : Temoignagefiscal | 13 août 2011 à 23:53
Les circonstances ont fait que je suis contraint de vivre sur le Continent. Chaque année, quand je retourne chez moi, plus de cent années remontent en moi. C'est alors que je ressens que je n'ai pas d'âme individuelle. Nous vivons avec les nôtres, y compris avec ceux que nous n'avons pas connus et que nous connaissons pourtant si bien en dépit du temps. Ce qu'ils ont fait de bien et ce qu'ils ont fait de mal est en nous. Eux et nous nous sommes UN. C'est bien plus fort, plus profond que ce que voient ceux qui passent et qui admirent. Il n'y a pas de mots pour le dire.
Rédigé par : JM | 13 août 2011 à 22:31
Si je puis me permettre, en toute modestie, et sous couvert d'anonymat, et avec un bouclier sur la tête, de donner mon avis sur la Corse, que vous décrivez si bien... j'oserai exprimer ici l'idée que la Corse est "laboratoire de la future France"...
Les Corses ont refusé, dès les années 60, le progrès "à la Francisco Franco" : Torremolinos, Costa Brava, Malaga, etc.
Et j'ai entendu dire, sous couvert d'anonymat, et par devers moi, qu'il ne faisait pas bon être "bougnoule" en Corse...
Ce refus corse de l'immobilier barbare, qui a ravagé l'Espagne du sud, combiné à une maladroite conviction que "l'harmonie c'est de ressembler à ses congénères", laisse à espérer que cet idéal corse inonde un jour nos côtes.
C'est en Corse que JF Copé aurait dû lancer son affaire foireuse "d'identité nationale". Car c'est en Corse qu'il y en a une qui survit.
La Corse est-elle le "dernier carré" (*) de ce que nous voudrions être ?
(*) "Carré d'infanterie" : 3 rangs de voltigeurs, premier rang charge, deuxième rang pointe, troisième rang debout fait feu (voir tableau "Bataille des Pyramides" au Louvre... ou la séquence de la bataille finale du film "Zulu" (Michael Caine). Visible sur You Tube, choisir la séquence "The last attack")
Rédigé par : Savonarole | 13 août 2011 à 13:04
J'aime beaucoup ces billets. Une justesse inédite.
Rédigé par : Jean-Dominique Reffait | 13 août 2011 à 13:02
Profitez donc sans arrière-pensée du soleil, du clapotis des vagues, du mistral, des chœurs des hommes (personnellement, j'adooore) et du cœur des habitants de cette si belle île où les passions des dentellières sartenaises n'ont sans doute en effet, jamais rien de tiède.
Rédigé par : Catherine JACOB | 13 août 2011 à 12:00
La difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité et pourtant l'utilité d'un dialogue véritablement équitable entre le juge et l'assassin est un sujet passionnant.
Il me semble que vous en parlez de façon extrêmement éclairante, cher Philippe.
Je crois aussi que c'est un sujet qui se trouve au centre d'un des problèmes les plus épineux de notre temps, celui de la rencontre entre les experts - quel que soit leur domaine d'expertise - et le public.
Cela prend parfois des formes caricaturales, absurdes et irritantes, lorsqu'un érudit se voit confronté à un ignare et forcé d'écouter patiemment ses approximations ou ses sottises, mis sur un injuste pied d'égalité avec lui.
Accepter ce type de dialogue est dangereux ; le refuser est suicidaire.
Mais vous avez raison, il faut l'accepter, c'est "stimulant" pour l'expert et aussi, finalement, pour le public qui fait fort bien la part des choses.
Rédigé par : Frank THOMAS | 13 août 2011 à 09:13