Plus de six millions de téléspectateurs ont suivi sur France 2 "Apocalypse Hitler", le remarquable documentaire de Daniel Costelle et Isabelle Clarke consacré à l'existence d'Adolf Hitler de sa naissance jusqu'en 1934, année où il obtint les pleins pouvoirs. En deux parties - la menace puis le Führer -, cette série est fondée sur beaucoup d'archives inédites, notamment pour sa jeunesse et sa montée politique, et est accompagnée d'un commentaire relativement sobre qui a tenté autant que possible de distinguer relation historique et indignation morale.
Pour tous les passionnés d'Histoire et en particulier de cette période "apocalyptique", rien de nouveau ne leur a été appris mais, déjà, on a pu constater devant le succès d'une telle entreprise médiatique qu'il y a un véritable désir d'Histoire chez beaucoup de nos concitoyens et que chercher à diminuer la part de celle-ci dans l'enseignement relève de la faute intellectuelle et du crime démocratique.
J'ai particulièrement apprécié que, sans se prononcer sur le débat entre la question de savoir si Hitler était un fou délirant ou un génie dévoyé et malfaisant, les auteurs nous aient offert les moyens de nous forger une opinion en exposant avec objectivité TOUT ce qui a constitué Hitler et l'a fait grandir puis dominer. Cette pluralité de causes, certes, renvoie à une "culture générale" du nazisme mais le tour de force a été de présenter, à la télévision qui impose simplification et réduction, une vision fouillée et complexe et de contraindre à accepter que Hitler est entré dans l'Histoire pour le pire à partir d'une histoire à la fois déséquilibrée sur le plan intime et nourrie par les malheurs de l'Allemagne.
Dans sa formation, l'adoration de sa mére, le père absent, les doutes sur son origine, sur sa possible judéité, les années viennoises de pauvreté et de frustration, l'obsession des Juifs avec l'antisémitisme qui va devenir la colonne vertébrale de son ascension : ils seront à la fois l'explication de ses échecs personnels et le bouc émissaire idéal. La guerre de 14-18, expérience fondatrice, inoubliable, solidarité, misère et haine mêlées. Hitler comme fragilité aigrie et comme mémoire !
Dans sa sortie de l'ombre, la révélation soudaine qu'il est un être de la parole avec la raucité envoûtante d'une voix de fureur et de conviction, un "tribun né" comme l'ont qualifié ceux qui l'ont découvert sur le plan politique. Hitler comme gourou !
Les conséquences ravageuses, destructrices du Traité de Versailles, une plaie au coeur de l'Allemagne qui va, exploitée, permettre au sentiment d'humiliation collective de devenir l'attente, l'espérance d'un recours puis l'abandon d'un peuple fasciné, tétanisé. Hitler comme sauveur !
Longtemps on a sous-estimé Hitler. Grossière erreur que celle de ces classes privilégiées et éduquées qui n'ont jamais cru une seconde au destin national de ce rustre vociférant ! Il n'était pas de leur monde et, un jour, il les a eues à sa botte ! Hitler comme surprise et irruption !
Tant de facettes à la fois personnelles et historiques. A-t-on mesuré comme il convenait les conséquences d'une difficulté d'être, d'un malaise d'exister chez les personnalités offensées par la frustration et pétries d'ambition ? On éprouve parfois l'impression qu'Hitler, pour régler tout ce qui l'empêchait de vivre pleinement, notamment sa relation avec l'autre sexe, a, plutôt que de s'effacer, privilégié l'Histoire comme psychanalyse mais de telle manière que par la puissance absolue qu'il a conquise il est devenu ce monstre légitimé, avec l'Holocauste sans doute pour dessein fondamental et originel. Hitler comme autocrate !
Il aurait fallu lire Mein Kampf. Et croire à la terrible vérité de ses pages. Qui pouvait soupçonner tout de même que cet être-là, un jour au pouvoir, subjuguant l'Allemagne à la fois fascinée et, au fil des années, terrifiée, pressentant l'Apocalypse mais sans avoir le courage d'y résister sauf pour une minorité, ferait de son antisémitisme délirant une oeuvre d'extermination industrielle ? Hitler comme prophète !
On sait tout de Hitler mais on répugne à valider cette cohérence entre les mots d'Hitler et les chambres à gaz. Parce que ce n'était pas IMAGINABLE. Mais lui, parce qu'il l'a annoncé, il l'a fait. Cette logique est en dehors de notre humanité raisonnable.
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