L'interrogation sur la qualité du journalisme politique français n'est certes pas originale. Elle revient régulièrement à chaque fois que se profile une élection importante et s'il en est une qui passionnera et mobilisera, c'est bien celle du mois de mai 2012.
Ce ressassement renvoie au constat que le citoyen curieux de politique, informé, souhaitant être éclairé et désireux d'échanges à la fois pugnaces et courtois entre les journalistes et leurs interlocuteurs, est le plus souvent déçu. Pourtant les premiers sont sans doute conscients du rôle capital qui est le leur et les seconds prêts à supporter l'épreuve et le harcèlement d'un dialogue authentique. Pourquoi, alors, chez presque tous les auditeurs et téléspectateurs, le sentiment existe qu'on n'est pas allé au bout, que le réel n'a pas été présenté dans son infinie complexité et que des invités sont privilégiés quand d'autres sont malmenés avec plus de grossièreté dans la forme que de pertinence sur le fond ?
Il me semble que le journalisme politique est sans cesse en train d'osciller entre une agressivité peu argumentée, des questions au ton désinvolte, acide mais guère signifiant et une courtoisie, un effacement laissant toute la place aux réponses si commodément proférées qu'elles paraissent avoir été concertées avant même l'émission. Je n'évoque pas les opérations de commando médiatique du style si justement décrié de celle qui a uni et réuni Claire Chazal et DSK. Je fais allusion à à ce qui se pique d'être un véritable entretien politique et non pas une cérémonie organisée par le pouvoir décrétant les modalités et choisissant les journalistes.
A vrai dire, j'ai l'impression qu'en dehors de la difficulté de trouver la bonne distance, l'approche juste dans le langage, les interruptions, les relances, le journaliste pèche souvent par une manière superficielle, un badinage vaguement sérieux, un sourire de gêne et d'insuffisance qui occultent ce qu'il peut y avoir de confusion et d'approximations dans le questionnement moins opposé qu'offert aux politiciens. Pour ne pas trop insister sur la courtisanerie mal masquée à l'égard de quelques ministres et de tous ceux qui se sont fait une réputation des ripostes rudes et vigoureuses. Les médias "s'écrasent" quelquefois avant même d'essayer l'audace : dès que leur rôle et leur légitimité sont mis en cause, ils prennent les devants et baissent pavillon.
Cette impression est très pénible qui laisse généralement le téléspectateur sur sa faim avec la certitude dérangeante que le journaliste, au lieu d'être un contradicteur de poids parce qu'il maîtriserait les données objectives du problème, s'informe, au contraire, plus qu'il n'informe en répliquant, en contraignant à préciser, à infléchir, à démentir. Ainsi, on aboutit à ce paradoxe d'un bouleversement subtil des rôles qui fait du journaliste non plus celui qui a l'initiative mais celui qui dépend, non plus celui qui mène mais celui qui est mené. Pour ma part, si j'ai éprouvé surtout ce hiatus en matière politique, il est également perceptible dans le culte rendu à certaines personnalités, à certains auteurs, à plusieurs artistes qui constitue ceux-ci comme les maîtres d'un dialogue apparent, en réalité d'un monologue qui leur laisse toute latitude pour transmettre un message complaisamment accueilli. Par exemple, à nouveau, comment ne pas être frappé par l'encens déversé, sans qu'on y mette quelques âcretés sauf peut-être dans Le Monde, sur BHL, son livre prochainement publié, les compères, le président de la République et le philosophe diplomate et guerrier se passant la rhubarbe et le séné sur la Libye (Libération, le Journal du Dimanche, Le Figaro, Le Monde) ? Le journaliste est devenu trop souvent serviteur.
Je ne crois pas que ce phénomène de soumission soit lié à ces multicartes qui autorisent certains à cumuler presse écrite, radio et télévision. On cite notamment Alain Duhamel, Jean-Michel Aphatie, Joseph Macé-Scaron, Christophe Barbier et Eric Zemmour (supplément du Monde). Quelle que soit la cause de ces dominations au moins quantitatives, elles ne deviennent réellement une préoccupation qu'à partir du moment où, se coagulant, elles façonnent le journalisme politique et économique comme un front unique et monocolore correspondant, d'ailleurs, au même front érigé sur le plan politique. Le médiatique et le politique, alors, impliqués dans un même combat et leurrant le citoyen sur l'existence d'un authentique affrontement entre le pouvoir, ses opposants et les intercesseurs que sont les journalistes. Les multicartes ne sont donc dommageables pour la démocratie que si elles favorisent l'homogénéité et l'unité de la pensée, évacuant ainsi le pluralisme nécessaire à une République aspirant à voir dévoilées toutes les options des autres politiques possibles.
Ainsi, je ne mettrais pas sur le même plan et dans le même sac Eric Zemmour par rapport à ses quatre autres collègues. En effet ce n'est pas la même chose d'intervenir partout pour diffuser une même ritournelle conforme au discours majoritaire et de se tenir dans le débat public avec une parole provocatrice, dissidente, souvent singulière. Eric Zemmour n'amplifie pas un consensus qui risque d'étouffer les marges, il suscite au contraire une béance dans le discours convenu. Il n'est clairement pas interchangeable.
Le journalisme français est-il à la hauteur ? Plutôt que de pourfendre - chaque expérience n'est d'ailleurs pas généralisable et certains journalistes en meute sont excellents quand seuls ils déçoivent ou l'inverse -, j'ai envie de louer. A partir de ce que j'ai connu et vécu médiatiquement. Je le dis tout net et, en comparant, en soupesant, en participant, je n'hésite pas : le meilleur dans l'entretien politique, dans le dialogue culturel, judiciaire et "sociétal" est incontestablement, à mon sens, Michel Field. Je regrette qu'au-delà de LCI, on ne lui ait pas confié une émission politique de longue durée où, seul en face d'une personnalité à questionner, il aurait fait preuve de cette implication sans esprit partisan - heureusement, il n'est pas Mougeotte -, de cette présence sans étouffement - heureusement, il n'est pas Giesbert -, de cette intelligence souple et mise au service de ses invités. Au service de, mais non serviteur !
Les politiciens n'ont après tout que les journalistes qu'ils méritent. Si le pouvoir les a à sa main, c'est qu'ils le veulent bien.
Les commentaires récents