On ne connaît bien que ce qu'on lit. Mieux, que ce qu'on vous fait lire.
J'ai défendu hier un livre de Francis Puyalte parce que j'étais persuadé que son auteur, malgré la qualité et la verve de son ouvrage (trop cher !), ne serait invité par aucun média. J'avais raison.
Aujourd'hui, j'apporte une pierre admirative au formidable écho médiatique et critique suscité par la parution de "LA GRANDEUR - Saint-Simon", chez Gallimard, par Jean-Michel Delacomptée (JMD). Peu importe que tout ait été dit, que beaucoup d'encens ait déjà été légitimement versé sur ce bijou, ce chef d'oeuvre. Le propre des grandes oeuvres n'est-il pas, d'ailleurs, d'offrir sans cesse des perspectives inattendues et de ne pas obliger à emprunter des chemins trop usités (Le Monde, Journal du Dimanche, marianne 2, nouvelobs.com) ?
Il me semble que cet essai étincelant sur Saint-Simon nous éclaire évidemment beaucoup sur lui, sur sa personnalité, sur sa vision de la royauté, de la société, sur ses conceptions morales, sur la manière dont la rédaction de ces Mémoires géniaux est venue sur le tard, comme une rupture, consacrer un très long cheminement. Il avait beaucoup écrit avant mais l'irruption royale d'un je a bouleversé la langue et la littérature françaises. Ce serait méconnaître l'infini talent de JMD que de croire qu'il nous instruit seulement sur un passé lointain, sur une Histoire de France à la fois repoussée et mythifiée par la communauté nationale (celle du moins à qui on a laissé la chance d'apprendre encore un peu d'histoire !). Il projette des lumières singulières aussi sur aujourd'hui et j'ai la faiblesse de penser que sans dénaturer la perfection de cette analyse on a le droit, tant elle s'y prête, de la faire servir à nos vies, à la politique et à l'Etat qui sollicitent les citoyens que nous sommes.
Quel exploit, d'abord, pour JMD, de s'être appuyé sur un homme et sur une oeuvre et de n'avoir pas été indigne de la seconde et d'avoir révélé profondément le premier ! On aurait pu craindre un gouffre, un précipice, fût-ce une nette distance, entre Saint-Simon et son biographe, son commentateur à la fois lucide et en empathie. On aurait pu redouter trop de génie d'un côté et pas assez de résistance de l'autre, trop d'omniprésence et pas assez de présence, un écrasement presque inévitable de l'exercice d'admiration critique par la puissance et l'éblouissement que procurent par eux-mêmes ces Mémoires - du "Tacite à bride abattue", ce qui n'est pas mal vu sur le plan du style. A propos de ce dernier - et je devine l'allégresse intellectuelle de JMD tentant et réussissant ce tour de force -, le livre tout entier est écrit non pas comme un pastiche de Saint-Simon mais telle une recréation profonde de ce qui constitue le caractère unique de ces Mémoires. JMD s'est approché, en certaines pages, par un mimétisme exemplaire et réfléchi, de la perfection des portraits, des saillies, des fulgurances, des dérivations et des audaces que la lecture des Mémoires offre à foison. Il y a des périodes et des traits incisifs, des destinées réduites à presque rien et qui pourtant disent tout, des grâces et des disgrâces, des chutes et des triomphes ridicules, des raccourcis et des bonheurs d'expression qui laissent émerveillé parce que ce défi impossible à relever l'a été. Sans cette miraculeuse familiarité entre les styles, on aurait éprouvé la sensation d'une rencontre inopportune entre un "monstre" de la littérature et un besogneux même talentueux. Comme si plus tard Marc Lévy avait disséqué Louis-Ferdinand Céline.
JMD, surtout - et c'est le plus original dans sa démarche qui ne se laisse pas réduire à une biographie, pas plus qu'à un essai classique tant elle mêle l'histoire, l'introspection, le portrait d'un homme et d'une époque, la confrontation de l'un avec l'autre, mille données qui en définitive composent un Saint-Simon à la fois orgueilleusement conservateur et d'une éthique irréprochable - change radicalement notre regard sur l'auteur de ces Mémoires inclassables. En tout cas, le mien. Jamais n'avait été présentée une telle image de Saint-Simon que pour ma part j'avais pris longtemps pour un prosateur hors du commun mais pour un fieffé rétrograde. Ce qui frappe au contraire, c'est l'aptitude de Saint-Simon à cultiver le rêve et le désir d'une société fondée sur les Ordres, les lignages, l'authenticité de la noblesse contre toutes les usurpations, d'une architecture traditionnelle qui assignerait à chacun sa place mais sans mépris, arrogance ni injustice. Sa détestation d'un pouvoir confié à des bureaucrates, à des ministres, sa haine des bâtards mis par Louis XIV à un rang offensant pour l'élite de naissance, de coeur et d'esprit pourraient nous sembler choquantes si elles ne s'accompagnaient pas chez lui d'une morale et d'une rectitude absolues. Ces privilèges naturels imposant plus de devoirs que de droits sont devenus injustifiables à partir du moment où les ambitions mesquines, la brigue, les intrigues, la médiocrité, les appétits vulgaires et le culte de soi ont souillé ce que la vision de Saint-Simon avait de noblement aristocratique. Celui-ci, réactionnaire au sens propre par sa volonté de restaurer un ordre ancien, est profondément moderne, à la fois, par le souci obsessionnel de la morale singulière et collective. Il y a du Guépard en lui, mais moins désabusé. Il se bat pour sauver un monde auquel il tient et qui meurt. Alors qu'il portait en lui, respecté à la lettre, tout ce qui était susceptible de favoriser un pouvoir royal digne et considéré et d'aider une société à vivre moins misérablement. J'aime, chez Saint-Simon, cette résistance aux clichés. Ce n'est pas seulement son style qui est unique.
Comme son père infiniment admiré par lui, Saint-Simon révérait Louis XIII comme le modèle royal et, sur le plan spirituel, l'abbé Rancé. Cette dilection politique ne pourrait être qu'anecdotique si de nombreux écrits de Saint-Simon n'avaient montré à quel point sa perception des personnalités et des pouvoirs était fine et pertinente, fondée autant sur les oeuvres accomplies, les déséquilibres créés que sur l'humanité manifestée. Sa critique fondamentale de Louis XIV portait sur le fait que sauf à la fin de son existence où il avait fait preuve d'un courage inouï pour assumer sa charge, généralement il s'était toujours préféré, plus attentif à soi qu'à ses sujets. Cet égoïsme était contradictoire avec l'exigence de service qui, pour Saint-Simon, doit se trouver au coeur de la pratique des Grands.
Je n'ai pas choisi ce titre anachronique pour rendre artificiellement actuels Saint-Simon et son enseignement. Mais pour manifester à quel point JMD, même si explicitement il se détourne de toute comparaison, n'a pas pu choisir certains extraits et faire telle ou telle citation sans songer forcément à aujourd'hui. Il y a des pensées, des recommandations, des visions de Saint-Simon qui dépassent, et de très loin, l'univers structuré de la royauté et les comportements régaliens pour venir nourrir nos débats avec une pertinence impressionnante.
Qu'on en juge.
"Contre le nivellement par l'écume" : Un traitement égal, quelque honnête qu'il soit, désespère chacun et n'oblige personne ; c'est à quoi on ne peut trop réfléchir.
Et encore, au sujet de Louis XIII : "Il savait reconnaître les services et le mérite, traiter chacun avec la distinction qui lui convenait, et sentir par toute sa conduite qu'un monarque n'est grand et en même temps aimable qu'autant que ses sujets de toute condition sont heureux jusqu'au plus bas peuple ; et qu'autant que depuis ce bas peuple jusqu'à lui les divers degrés sont bien établis, fixés, distingués, sans confusion et sans mélange". Cela ne vous rappelle rien ?
JMD résumant Saint-Simon :
Louis XIV ne régnait pas en maître absolu mais en maître impuissant. Tel était son crime.
La grandeur n'est pas la hauteur.
J'aurais pu, dans la plupart des pages, retenir des aperçus fulgurants par lesquels Saint-Simon poussait les portes de notre présent.
Grâces soient rendues à Jean-Michel Delacomptée pour ce livre sans pareil. Saint-Simon est contagieux.
Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à nostre cher et aimé féal Philippe Bilger, ci-devant procureur en nostre Parlement de Paris et autres conseils, salut.
Sa Majesté a été informée que vous aviez écrit un libelle sur le livre qu'aurait composé Monseigneur le duc de Saint-Simon, libelle dans lequel vous poussez l'insolence jusqu'à fustiger "l'égoïsme" de Sa Majesté tout en comparant le roi à... un aventurier républicain. Sur quoi Sa Majesté est bien aise de vous faire savoir que le Parlement de Paris vient de condamner votre libelle à estre bruslé en place de Grève par la main du bourreau et que vous serez attaché au pilori de la Halle de Paris.
Fait, à Crozon, en l'an de grâce de NS (Notre Seigneur, pas Nicolas Sarkozy) 2012
Mon cher Philippe, vous ignorez, manifestement, tout ce que ce roi "égoïste" a fait pour structurer l'Etat français et consolider l'oeuvre de ses prédécesseurs. Quant à votre comparaison implicite avec Nicolas Sarkozy, elle relève évidemment du burlesque...
Rédigé par : Laurent Dingli | 22 juin 2012 à 11:54
Je viens de lire "La Grandeur Saint-Simon".
Ce qui m'a passionnée dans ce portrait de Saint-Simon est l'énigme du moment où le vieux duc esseulé entreprend de mettre au monde un univers rempli de personnages qu'il dessine avec le soin, l’acuité et l'infini détail propres aux créateurs de miniatures, où il restitue SON monde disparu avec, pour le recréer et l'animer, le seul secours des mots et de la langue.
Ce que j'ai également beaucoup apprécié est l'aspect passeur, médiateur, pédagogique par le haut de Jean-Michel Delacomptée qui prend délicatement, en confiance, son lecteur par la main pour lui faire approcher l'air de rien, par l'essentiel, un socle et une immensité de la littérature, alors que par ignorance, je l'avoue, je pensais que "Les Mémoires" de Saint-Simon appartenait d'abord aux livres d'histoire.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 29 janvier 2012 à 09:23
@ Pierre-Antoine
Fêter Noël le 25 décembre est lié au fait que la circoncision était très importante pour les premiers chrétiens, et donc la véritable date anniversaire de la naissance était la date de la circoncision, qui avait lieu en général au huitième jour après la naissance.
Luc (II, 21) :
« Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l’ange avant sa conception. »
Rédigé par : Alex paulista | 06 janvier 2012 à 14:19
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Ne faudrait-il pas restaurer les fonctionnalités de réception de commentaires de ce billet???? 9ème tentative de post !
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"sa haine des bâtards mis par Louis XIV à un rang offensant pour l'élite de naissance, de cœur et d'esprit pourraient nous sembler choquantes si elles ne s'accompagnaient pas chez lui d'une morale et d'une rectitude absolues."
Bien élever ses enfants en les aidant à développer leurs dispositions naturelles dans la direction susceptible de leur être la plus profitable, n'est-ce pas le devoir de tout parent? Or, s'agissant de ses propres enfants, il semblerait que ceux-ci n'aient finalement eu pour eux que le lignage puisque : « Charlotte l'aînée est contrefaite, et reste toute sa vie à la charge de ses parents. Cette naissance, suivie de celles des deux fils de Saint-Simon, aussi peu reluisants intellectuellement que physiquement, blesse cruellement Saint-Simon dans son orgueil de père et de duc. Dans ses Mémoires, il n’évoque qu’à peine ses enfants dont le premier fils, Jacques-Louis titré vidame de Chartres naît en 1698. Cet enfant est encore plus petit que son père, à tel point que l’on le surnomme basset, il semble n’en avoir hérité ni les qualités intellectuelles ni l’honnêteté. » - Extrait Wiki- Ceci explique donc peut-être aussi cela.
D'autre part, Saint-Simon le mémorialiste est ce qu'on appelle un enfant de vieux puisque son père qui s'était remarié expressément à cet effet avec Charlotte de l'Aubespine de Châteauneuf, est âgé de soixante-dix ans à sa naissance et a donc eu tout le temps de se consacrer à une éducation réputée très soignée dans tous les domaines et de transmettre une longue expérience.
« Sous l'Ancien Régime, le sort des bâtards nés dans le peuple n'était, dit-on, guère enviable mais il s'améliorait à mesure que s'élevait la classe sociale de leurs pères. En effet, en bien des châteaux, les enfants naturels étaient élevés avec les légitimes. Dans l'immense lignée de Capétiens, le bâtard, s'il était reconnu, bénéficiait partiellement du prestige et même du caractère sacré, quasi magique "Sang de France". Il était d'ailleurs soumis à la hiérarchie dynastique. C'est ainsi qu'il y eut entre autres un "Grand" Bâtard de Bourgogne, un "Grand" Bâtard de Bourbon. Ce titre dû à l'aînesse ne donnait cependant aucun droit à la succession royale ou ducale. » Toutefois, l'objectif poursuivi par Louis XIV dans son attitude à l'égard de ses enfants dits naturels, « était non seulement d'assurer aux bâtards, enfants qu'il aimait, une position satisfaisante à la cour, mais surtout d'abaisser les branches cadettes susceptibles à tout moment de ressusciter une Fronde. Une telle politique a finalement fait la fortune de la maison d'Orléans. En effet, aucun des neuf enfants du duc du Maine n'ayant eu de postérité, c'est le duc de Chartres, futur Philippe-Égalité, qui recueillit par son mariage avec Adélaïde de Penthièvre, fille du duc de Penthièvre, fils unique du comte de Toulouse, lui-même huitième enfant de la marquise de Montespan, l'héritage colossal des bâtards de France légitimés. » - Extrait wiki - Le dit Philippe-égalité n'hésita pas lui-même à affirmer publiquement sous la Révolution qu'il n'était pas le fils de "Louis le Gros", premier prince du sang, mais celui d'un cocher du Palais-Royal, ce qui ne l'empêcha toutefois pas de finir sous la guillotine. -
Enfin, Pépin le Bref (personnage ayant dû son surnom à sa petite taille) et Berthe de Laon, dite au Grand Pied (particularité destinée à la rattacher à une déesse germanique, Perchta, dont l'attribut est la quenouille ( = grand pied? Vu ce conte par ailleurs très intéressant du point de vue de la prise de pouvoir patriarcal qu'est Les Trois Fileuses , où la séduction féminine est synonyme d'absence de grand pied et paradoxalement, de... fainéantise) ne s'étant mariés (religieusement) qu’en 743 ou 744, la naissance de Charlemagne dont neuf européens sur dix aurait un peu du sang, serait, du point de vue de l’Eglise, illégitime en 742, les positions des historiens contemporains est la suivant relativement à cette date de 742, retenue de longue date - notamment par le père Anselme- et qui avait été remise en question en 1973 par Karl Ferdinand Werner. Cependant, des écrits postérieurs maintiennent la validité de la date de 742).
- Autrement dit, s'agissant d'un régime patriarcal toutefois, tous bâtards d'un descendant du maire du palais, donc d'un usurpateur du trône des mérovingiens qui... mettaient leur culotte à l'envers, (soit dit même si à l'époque les rois auraient porté la toge romaine ou, sous un grand manteau, une tunique descendant jusqu'à terre, plutôt que que les braies gauloises).
Rédigé par : Catherine JACOB | 06 janvier 2012 à 09:52
@Alex paulista,
Pourquoi Noël le 25 décembre ?
Parce que vers le 4ème siècle le christianisme se répandant, la célébration du "sol invictus", c’est-à-dire du solstice d’hiver, lié au culte de Mithra, périclitait.
Voulant étendre le pouvoir temporel de l'Eglise, les "intello-théo-conseillers" de l'évêque de Rome lui ont dit que ce serait bien de récupérer ce créneau !
"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" :-D
Ceci tombant d'autant mieux que bien avant, leurs prédécesseurs avaient conseillé au prédécesseur évêque la date du 25 mars pour fêter l'annonciation.
Quelle coïncidence... Ou alors quelle anticipation dans les projets pour installer Rome dans la durée temporelle, hélas avec toutes les compromissions afférentes !
Jusqu'à ce que onze siècles plus tard, poussant le bouchon un peu loin avec les indulgences et le purgatoire, un moine augustin allemand s'insurge contre ces dérives en faisant des "proclamations scripturaires". Défiant ainsi l'autorité papale avec ses cinq fameux soli : "Sola Scriptura, Solus Christus, Sola Gratia, Sola Fide, Soli Deo Gloria" (je résume).
Ce dernier Soli eut le don d'exacerber les prélats romains touchés dans leur ego surdimensionné... qui ne tardèrent pas à l'excommunier !
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 02 janvier 2012 à 11:37
@ Ivana Fulli
Non, non... je ne pensais pas du tout à Harmonia Caelestis, dont mon ignorance me désole... autant que je n'ai plus le temps !
Je ne sais même plus le nom de l'auteur qui m'inspire pour le coup, celui qui n'est pas Lautréamont, mais qui décrit comment, étant par l'aristocrate manière convaincu, fait rester l'aristocratie en ses personnages par une fille unique descendante qui transmettrait, fille en laquelle l'immensité et l'impossibilité de l'espoir font la pièce (le roman),... tandis que je ne sais plus l'auteur, ni le titre !
(Shame !)
Ce roman (cette pièce) m'a happée, elle est d'un auteur très connu, mais me confond dans l'oubli...
Merci vos invectives.
Rédigé par : zenblabla | 01 janvier 2012 à 11:19
"Tiens, en parlant de Saint-Simon, nous avons le nôtre. C’est même Alain Minc"
Rédigé par : Achille | 31 décembre 2011 à 09:35
Ok, mais alors en plus petit. Beaucoup plus petit...
@ Pierre-Antoine
Vous dites que le Christ serait né en 3 ou 5 avant lui-même...
Au fait, savez-vous pourquoi Noël est le 25 décembre, et pas le 1er janvier par définition ?
Bonne fin d'année, je vais regarder passer la course de São Silvestre par la fenêtre.
Rédigé par : Alex paulista | 31 décembre 2011 à 19:22
J'ai cherché dans les écrits de Saint-Simon le nom-même de Sarkozy. En vain.
Encore un cas, donc, où il est présomptueux de faire voter les morts.
En revanche, le patronyme du prédécesseur de notre président est mentionné dans les Mémoires, lors d'une circonstance dramatique. Le cardinal Dubois, premier ministre du Régent, vient d'être opéré et il meurt "grinçant des dents contre ses chirurgiens et contre Chirac (célèbre médecin), auxquels il n'avait cessé de chanter pouilles."
Saint-Simon n'aimait pas le cardinal :
"L'avarice, la débauche, l'ambition étaient ses dieux ; la perfidie, la flatterie, les servages ses moyens..."
Le duc aurait pu trouver des raisons logiques de voter pour Chirac, à qui il ne pouvait reprocher d'avoir prolongé la malfaisance du Premier ministre.
Rédigé par : Yves | 31 décembre 2011 à 16:06
Saint-Simon "vote" pour Louis XIII et fait son éloge : "Il savait reconnaître les services et le mérite etc".
Souvenons-nous. D'un simple page des écuries royales, rejeton d'une famille ruinée de la petite noblesse, le roi avait fait le Duc et Pair Claude de Saint-Simon. Et nous voudrions que le fils de ce dernier, héritier du titre, notre ami le mémorialiste, ne chante point la louange du monarque bienfaiteur ?
Si Sarko veut mettre dans sa poche les plus fines plumes de son royaume, qu'attend-il pour les faire Duc et Pair, ou, au moins, garde des Sceaux ?
Rédigé par : Yves | 31 décembre 2011 à 15:26
@Philippe et à toutes et tous qui viennent sur ce blog.
Oui je sais c'est hors sujet pour ce billet...
mais je ne résiste pas au plaisir de vous souhaiter pour 2012 à chacune et chacun, ainsi qu'à vos familles, une année entière de justice, de paix et de joie !
PS-1 : pour la référence exacte veuillez la lire dans l'épître de St. Paul aux Romains ch.14 v.17
PS-2 : Les historiens s'accordent pour dater la naissance du Christ vers -3 à -5, dommage pour les fans des prédictions apocalyptiques en 2012... trop tard :-D
PS-3 : Période des "bonnes résolutions" jamais tenues, alors en voici une que vous tiendrez obligatoirement "prenez la résolution de n'en prendre aucune" :-D
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 31 décembre 2011 à 14:28
zenblabla | 31 décembre 2011 à 00:12
//En aristocratie, rien ne vaut l'histoire de sa chute...
C'est cela qui la démontre imprescriptible ! //
Rédigé par : zenblabla | 31 décembre 2011 à 00:12
Peut-être songiez-vous à Harmonia Caelestis, l’œuvre d’un mathématicien vite devenu un immense romancier ,Esterházy Péter, qui nous a offert l’histoire de sa noble famille (noblesse remontant au Moyen Age contrairement à St Simon) dépossédée par le communisme - une famille qui a su accueillir des trésors picturaux et possède la gloire d’avoir choisi d’employer Joseph Haydn qui leur reconnaîtra le mérite de l’avoir fait vivre dans un isolement créatif…
Où songiez-vous au livre qui suivit quand il découvrit que son très noble père avait été un indicateur de la police communiste ?
Rédigé par : Ivana Fulli | 31 décembre 2011 à 13:10
Axelle Dautremont,
Il faut que les homosexuels flamboyants s'assument et M. Karl Lagerfeld n'a pas besoin de vos petits cris.
Il déclare avoir commis un crime en faisant laquer en noir des commodes marquetées très précieuses.
Je lui rends hommage en le citant.
Etre Karl Lagerfeld demande infiniment de talent et d'intelligence.
Cela ne fait pas de lui un intellectuel marquant son pays et son siècle comme Pierpaolo Pasolini.
Rédigé par : Ivana Fulli | 31 décembre 2011 à 10:01
Tiens, en parlant de Saint-Simon, nous avons le nôtre. C’est même Alain Minc, découvreur de talent bien connu qui l’a trouvé :
Il a dit un matin à celui qui l’interviewait :
« Savez-vous, Jean-Michel Aphatie, vous êtes au sarkozysme ce que le duc de Saint-Simon était à la Cour de Louis XIV... »
Et il savait de quoi il parlait vu qu’il a été un membre éminent de la fondation Saint-Simon, fondée en 1982, qui comprenait la quintessence de la nomenklatura française. Elle a été dissoute en 1999.
Rédigé par : Achille | 31 décembre 2011 à 09:35
Saint-Simon ? Ça me dit quelque chose. Il y a bien un prof de français qui a dû me faire lire quelques passages de ses mémoires dans ma jeunesse et même en faire une explication de texte.
Je reconnais bien volontiers que ce n’était pas une démarche spontanée de ma part. Je garde de bien meilleurs souvenirs des écrits de madame de Sévigné à sa fille qui rapportait avec un style délicat tous les potins de la cour du Versailles.
L’art épistolaire était alors au sommet et la langue française plus belle que jamais.
Ceci étant le livre de JMD me parait intéressant. Je crois que je vais me laisser tenter.
Rédigé par : Achille | 31 décembre 2011 à 08:32
Saint-Simon, c'est un océan. Quand on aborde de l'autre côté, on a compris la monarchie française sans avoir traversé d'assommantes thèses.
Merci M. Bilger de cette critique fouillée de l'ouvrage de Delacomptée que je vais acheter.
Rédigé par : Catoneo | 31 décembre 2011 à 08:07
Pas de doute possible sur le vote de Saint-Simon. On peut reprendre les développements perspicaces de Sainte-Beuve sur le mémorialiste pour illustrer les temps présents : « Il sent la plaie et la faiblesse morale de la France au sortir des mains de Louis XIV; tout a été abaissé, nivelé, réduit à l'état d'individu[…]. Reste la bourgeoisie qui fait la tête de ce peuple et qu'il voit déjà ambitieuse, habile, insolente, égoïste et repue, gouvernant le royaume par la personne des commis et secrétaires d'État, ou usurpant et singeant par les légistes une fausse autorité souveraine dans les Parlements. » Mais là s’arrête la ressemblance. Le même Sainte-Beuve a écrit du Roi Soleil : « Louis XIV n’avait que du bon sens ; mais il en avait beaucoup » ; apparemment, le stock de bon sens est aujourd’hui totalement épuisé…
Rédigé par : JJJ | 31 décembre 2011 à 06:58
"JMD, surtout - et c'est le plus original dans sa démarche qui ne se laisse pas réduire à une biographie, pas plus qu'à un essai classique tant elle mêle l'histoire, l'introspection, le portrait d'un homme et d'une époque, la confrontation de l'un avec l'autre, mille données qui en définitive composent un Saint-Simon à la fois orgueilleusement conservateur et d'une éthique irréprochable - change radicalement notre regard sur l'auteur de ces Mémoires inclassables. En tout cas, le mien."
Ce que j'aime le plus dans votre billet est précisément votre amour pour ce livre inclassable.
Et ce lien si intime que vous suggérez fort bien dans l'arrière-plan entre un livre et son lecteur.
Le bonheur de trouver à travers les pages d'un livre son semblable, celui ou celle qui exprime pour soi avec une justesse et une clarté miraculeuses ce qu'on ressent et pressent des choses de la vie - des plus humbles aux plus grandes -, mais dans la confusion et le désordre.
J'ai envie de dire à vos précédents commentateurs que votre sujet n'est pas Saint-Simon, ni ses mémoires mais votre plaisir intense à la lecture du portrait par Jean-Michel Delacomptée du duc voyeur, mondain, venimeux, à l'affût, obsédé par les ragots de la Cour, ce huis clos de l'ennui qu'il décrivait comme étant "au dessous du médiocre".
Je suis d'accord avec vous : pour parvenir à une telle fusion entre un personnage et son créateur - je n'ai pas lu le livre, mais à vous lire, j'imagine que JMD donne vie à un duc de Saint-Simon véritablement authentique car littéraire et imaginaire - il faut des années et des années d'intimité, de proximité, de passion, de recherches et de travail sur son personnage et son monde.
Je pense que le ravissement de lecture dont vous parlez est sans doute assez proche de ce que le lecteur, même très peu au fait et assez ignorant de l'histoire de l'Empire romain, a pu éprouver à la lecture de "Mémoires d'Hadrien" de Marguerite Yourcenar.
Et puis, en cette période de fêtes, je voudrais dire à tous ceux qui vous lisent ou vous commentent :
offrez les livres qui vous ont rendus heureux !
Meilleurs voeux à tous.
Rédigé par : Véronique Raffeneau | 31 décembre 2011 à 06:56
En aristocratie, rien ne vaut l'histoire de sa chute...
C'est cela qui la démontre imprescriptible !
Rédigé par : zenblabla | 31 décembre 2011 à 00:12
Cher Philippe,
Meilleurs voeux
Season's Greetings
Beste Wünsche zum Neuen Jahr
Sinceri Auguri
God Jul og Godt Nytaar
Felices Fiestas
NB : Il faut rajouter des petites bulles de champagne sur les a de Nytaar.
Pour vous, votre famille et vos projets.
françoise et karell Semtob
Rédigé par : semtob | 31 décembre 2011 à 00:04
Axelle Dautremont,
"Saint-Simon ? Je m'en tamponne le coquillard comme de tous vos courtisans prompts à réagir à la moindre de vos courbettes ou sollicitation psycho Ivana fullique !"
Pas assez pour passer le chemin !...
Rédigé par : Herman | 30 décembre 2011 à 22:49
Saint-Simon ? Je m'en tamponne le coquillard comme de tous vos courtisans prompts à réagir à la moindre de vos courbettes ou sollicitation psycho Ivana fullique !
Rédigé par : Axelle Dautremont | 30 décembre 2011 à 19:57
Je possède dans ma bibliothèque les mémoires de Saint-Simon en vingt volumes que je n’ai pas (encore) lus, à ma grande honte. Je vais commencer par le livre de JMD, incontournable après la lecture de votre billet. Mais vous rendez-vous compte de ce vers quoi vous m’entraînez, cher Philippe ?
Rédigé par : Claude L | 30 décembre 2011 à 18:56
Achille | 30 décembre 2011 à 09:44
Vous écriviez:
"La démocratie ne saurait échapper aux contraintes imposées par la nature humaine. Le pouvoir change l’Homme. Comment revenir ensuite au « rang » de simple mortel ?"
La sagesse orientale nous dit que les serpents sortent au soleil et j'en comprends que le pouvoir révèle le pire chez certains politiciens, tel le président-dictateur du Zimbabwe qui était- jeune il y a fort longtemps- l'espoir démocratique encensé par tant de responsables politiques anglo-saxons.
Vaclav Havel était resté le même de la prison à la présidence- sachant que le père mathématicien de Zenblabla ne l'appréciait guère.
Nicolas Sarkozy trompe le peuple français avec ses airs d'homme du peuple qui a réussi et surtout d'homme ferme et énergique alors qu'il est agité et dépendant de sa cour et des idées de l'épouse régnante, que ses idées simples sont simplistes et fort changeantes.
Curieusement, il semble tromper aussi certains intellectuels - mais à ceux-là s'applique - il me semble - l'idée de Goethe selon laquelle on n'est jamais trompé, on se trompe soi-même.
Rédigé par : Ivana Fulli | 30 décembre 2011 à 17:48
@ Franck Thomas
Beaucoup de ' circonvolutions ' dans le style elliptique de Saint-Simon, je trouve ; ce qui rend votre courage encore plus grand.
Est ce l'arbitraire ou... la stupidité de la loi salique qui a conduit à la Révolution ? Saint-Simon s'est-il penché sur ce point aberrant qui conduit des princes incompétents à être Roy sans le désirer ? Il est peut-être né trop tôt bien qu'il ait connu Louis XV adulte... Je vais bien sûr redécouvrir ou simplement découvrir Saint-Simon au travers de l'excellent prisme que nous propose JMD en guise de soirée de réveillon. Merci Monsieur pour ce beau cadeau !
Rédigé par : padraig | 30 décembre 2011 à 13:45
"La grandeur n'est pas la hauteur."
Exact, un homme grand n'est pas forcément en un grand homme, et un petit homme, n'est pas forcément dénué de grandes qualités.
Cordialement
Pierre-Antoine
Rédigé par : Pierre-Antoine | 30 décembre 2011 à 12:29
Quel plaisir de découvrir une multiplication des amateurs de Saint-Simon. Ici sur ce blog, il y a quelques jours dans l'émission de la Grande Librairie avec la lecture d'un passage quasi surréaliste sur la princesse d'Harcourt par, je crois me souvenir, Jean-Pierre Marielle.
Décidément il y a quelque chose de sain dans ce pays de France.
Rédigé par : olivier seutet | 30 décembre 2011 à 10:38
Bonjour Philippe Bilger,
« Louis XIV ne régnait pas en maître absolu mais en maître impuissant. Tel était son crime.
La grandeur n'est pas la hauteur.
J'aurais pu, dans la plupart des pages, retenir des aperçus fulgurants par lesquels Saint-Simon poussait les portes de notre présent. »
Finalement le pouvoir quel que soit le régime dans lequel il est exercé - monarchie de droit divin comme sous le règne de Louis XIV ou « monarchie élective » comme sous le mandat de Sarkozy - conduit aux mêmes comportements de la part de ceux qui le détiennent.
La démocratie ne saurait échapper aux contraintes imposées par la nature humaine. Le pouvoir change l’Homme. Comment revenir ensuite au « rang » de simple mortel ?
Maintenant peut-on vraiment dire que Louis XIV régnait en maître impuissant ? Je ne suis pas assez féru en Histoire de cette époque pour l’affirmer. Par contre en ce qui concerne le locataire de l’Elysée, cela ne fait aucun doute.
Rédigé par : Achille | 30 décembre 2011 à 09:44
J'ai mis 10 ans à lire l'intégralité des écrits publiés de Saint-Simon, retardant le moment où il faudrait en arriver à la dernière page.
C'est dire si je vais me jeter sur le livre dont vous parlez aujourd'hui, cher Philippe.
Ce qui m'a toujours paru attachant chez le petit duc, c'est la cohabitation apparemment paradoxale chez lui de son idéal d'une monarchie ancrée sur sa noblesse (lui dont la pairie était de date si récente) et son activisme si irritant pour le pouvoir royal.
Au sens propre, on peut dire de lui qu'il était largement plus royaliste que le roi.
Cette position instable et quasiment intenable qui, d'un point de vue superficiel, peut le faire confondre avec un conservateur étriqué, fait de lui l'incomparable visionnaire de la tourmente révolutionnaire qui, quelques décennies plus tard, allait définitivement engloutir le monde qu'il vénérait.
Saint-Simon aime le pouvoir mais déteste l'arbitraire que Louis XIV incarne.
Et puis il y a le régal de la lecture.
Certains déplorent ici et là quelques longueurs.
Il est vrai que l'on peut trouver répétitives les interminables précisions sur l'étiquette de la cour d'Espagne, par exemple.
Mais il ne faut surtout pas lire Saint-Simon (ni Mme de Sévigné) en morceaux choisis, car ce sont précisément ces lenteurs qui donnent tout leur sel aux passages où il nous régale d'un portrait ou du récit d'une conspiration digne du théâtre italien.
J'envie ceux qui ne l'ont pas encore lu et je vais de ce pas acheter le livre de Jean-Michel Delacomptée.
Rédigé par : Frank THOMAS | 30 décembre 2011 à 08:41