Une fois que l'écume s'est retirée, reste l'essentiel.
Ségolène Royal(SR) a suscité une petite bronca parce qu'elle a dit de Najat Vallaud-Belkacem (NVB): "Elle s'appellerait Claudine Dupont, elle ne serait peut-être pas là..."(Libération).
Cette évidence, qui n'est d'ailleurs pas exclusive de la compétence, a été sinon démentie du moins infléchie par SR "qui ne se reconnaît pas dans les propos réducteurs que lui prête Le Point". Sans doute cette démarche lui a-t-elle été inspirée par la critique acerbe de Ni putes ni soumises qui a jugé ces mêmes propos "méprisants, déplacés et discriminatoires".
Pourtant, sans tomber dans une vision dégradante de la politique, force est de devoir admettre que cette appréciation de SR n'aurait pas trouvé un tel écho si elle ne confirmait pas le sentiment profond, partagé, d'une sélection plus arbitraire que fondée des ministres par le Premier ministre et le président de la République.
Qui peut en effet légitimement soutenir, pour peu qu'on se passionne pour la chose publique, que les gouvernements, de droite ou de gauche, hommes et femmes ensemble, donnent d'abord et avant tout une apparence de compétence personnelle, de maîtrise indiscutable du domaine à traiter ? La certitude d'un savoir, d'une expérience, d'une excellence irremplaçable ?
SR a évoqué NVB qui échappe, me semble-t-il, à l'accusation de ne devoir sa présence ministérielle qu'à la seule faveur du Prince contrairement à Yamina Benguigui à laquelle on a confié la charge de la francophonie en manifestant ainsi le peu d'intérêt qu'on attachait à cet impératif capital de diffusion de la langue française dans le monde.
Sous le précédent quinquennat, en dépit de la révérence médiatique et de la manière inimitable avec laquelle elles comblaient leurs énormes lacunes, personne ne s'extasiait sur les qualités techniques et la fiabilité professionnelle d'une Rachida Dati ou d'une Rama Yade ou, il y a encore plus longtemps avec François Mitterrand, sur l'aptitude parlementaire et le talent oral de Pierre Arpaillange, garde des Sceaux aussi peu à sa place qu'une Michèle Alliot-Marie, mais dans un autre genre.
On pourra toujours opposer à ces exemples décevants, parce que gouvernés par les décrets arbitraires des rapports de force, de l'amitié ou paradoxalement de l'indifférence à l'égard de la matière concernée - trop souvent la justice - des pratiques remarquables et reconnues comme telles par tous. Alain Juppé, Bruno Le Maire, Chantal Jouanno, Manuel Valls, Michel Sapin et d'autres qu'il serait fastidieux de citer relèvent de cette catégorie peu fréquentée des ministres qui bénéficient d'une aura bien au-delà de l'esprit du camp qui les a promus, tout simplement parce que leur compétence et, pourrait-on dire, leur capacité de faire plier l'idéologie sous l'implacable leçon du réel sont indéniables et emportent une multitude de suffrages. Sans lien obligatoire avec la sympathie qu'ils sont susceptibles d'inspirer ou non.
Pourquoi la compétence des ministres n'est-elle jamais un critère prioritaire lors de la composition des gouvernements ?
A titre anecdotique, rappelons les surprises de dernière minute qui déplacent des ministres nécessaires ici vers des postes qui là les rendent quasiment inutiles sauf à laisser tout accomplir par leur Administration.
Les compétents imprégnés de rationalité parfois sèche et de lucidité souvent pénible sont rarement des "joyeux drilles" et il est rare que les Premiers ministres et les président raffolent des Cassandre. François Mitterrand craignait - et il s'en moquait - que Jacques Delors chaque matin lui présentât sa démission en venant dans son bureau. La compétence a, qu'elle le veuille ou non, un parfum d'austérité, une saveur de rectitude et se signale par un refus des accommodements quand la politique au jour le jour est opportunisme, compromis et obsession de la prochaine élection. Le compétent, s'il ne sait pas s'orner d'une parure plus séduisante, moins roide, est fui plus qu'il n'est courtisé.
Surtout, laisser gouverner ses choix par la compétence revient à négliger les frontières politiques, à ne plus s'enfermer dans le partisan, à délaisser souvent ses proches pour d'autres bien meilleurs de son camp parfois mais souvent de l'autre. Si en effet on aspirait à n'être guidé que par l'intérêt de l'Etat, on s'orienterait vers des sélections et des nominations qui rejoindraient le rêve de l'union nationale sans cesse cultivé par l'opinion publique mais aux antipodes de notre classe politique friande de joutes, de querelles répudiant le complexe pour le sommaire confortable avec ses recettes et ses slogans.
La compétence n'est vraiment pas une exigence dans notre monde. Tant d'éléments plus subtils, plus importants, plus pervers, plus intimes justifient l'arrivée des uns et l'exil des autres.
La compétence est clairement superfétatoire mais cependant je songe à Chamfort: "C'est un grand avantage de n'avoir rien fait mais il ne faut pas en abuser".
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