Il ne faut pas se leurrer : nous ne sommes pas confrontés à des agitations ordinaires.
On a le droit, sans tomber dans la grandiloquence (ce serait pléonastique par rapport au réel en question), de se considérer à la croisée des chemins, de la peur ou du courage, de la démocratie qui se bat ou de la nation qui s'affaisse. De la victoire ou de la défaite.
Comment ne pas percevoir que depuis la diffusion de ce film offensant pour l'islam (lequel ?), quelque chose se joue qui n'est pas loin de pousser jusqu'à la caricature cette contradiction moderne visant à la fois à se moquer des religions et à se soumettre peu ou prou aux intimidations pressantes, violentes voire criminelles de l'intégrisme islamiste, qui serait radicalement autre que l'islam modéré muet ou inaudible ?
Je n'ai jamais plus senti les signes honteux de notre capitulation que devant les réactions tièdes, frileuses, même angoissées devant le désir de Charlie Hebdo, concrétisé le 19 septembre, de publier de nouvelles caricatures de Mahomet. Après ces journées déstabilisantes et furieuses ici ou là dans le monde, avec une contagion ayant offensé Paris et susceptible d'y revenir, les politiciens, pouvoir et opposition pour une fois réunis, d'une seule bouche, d'un seul coeur, n'ont eu, qu'un mot d'ordre, qu'une unique consigne : il ne faut pas les exciter!
Comme si la colère des islamistes était légitime, leur exaltation traduite sur ce mode admissible et leur chantage acceptable. Car il s'agit bien d'un chantage qui consiste à nous questionner avec force et intolérance : "Jusqu'où aurons-nous le droit d'aller trop loin ?". Qu'on n'ait pas envie d'évoquer "le choc des civilisations" parce que le concept serait trop cru et la notion trop guerrière, soit, mais pourtant, absolument antagonistes, deux visions de la vie collective, de la transcendance, de l'Etat, de l'égalité, de la liberté et de la paix civile ne viennent-elles pas nous solliciter et attendre de nous de la fermeté ou de l'abandon ?
Ce n'est pas aux autres religions, aux incroyants ou aux indifférents d'assumer la charge de la preuve. Aucune contradiction, aucune dispute ne doit se résoudre par cette forme de terrorisme, mais par le recours à la justice qui offre l'avantage de civiliser haine et ressentiments.
C'est à l'islam dévoyé d'entendre raison, s'il le peut, de la part de ses modérés, s'il en existe qui osent parler et contredire ou, à défaut, grâce à la vigueur et à l'affirmation entêtée de nos principes qui ne sont pas négociables. Tous les compromis concevables sur ce plan capital seront des démissions, des retraites. Ce n'est pas Charlie Hebdo - à l'égard duquel je n'éprouve aucune sympathie particulière - qui "crée la polémique" (Le Monde), c'est l'orage islamiste insensé qui quotidiennement brandit la foudre, menace, brûle et détruit qui mérite d'être dénoncé, apaisé si le sens commun retrouvé le permet, sanctionné gravement s'il le faut. Il y a quelque chose de pervers dans notre République qui ne cesse de se repentir des fautes et des crimes commis par ceux qui la détestent.
On tremble, on courbe le dos, on cache nos libertés dans nos poches et on est paniqué à l'idée de ne pas faire preuve d'assez de compréhension. On s'abrite lâchement. Dans vingt pays les ambassades et les écoles françaises seront fermées. Une telle précaution, pourquoi pas, puisqu'à l'évidence les pires exactions sont à craindre des Fous de Mahomet ou de ces terroristes incendiant le monde non musulman mais est-on contraint pour cela, en plus, de baisser notre pavillon et de nous défendre d'être des démocrates et des exemples ? Il est probable que sont à redouter, peut-être, des événements aux terribles retombées, des représailles, des tragédies mais, outre que notre souplesse collective ne les réduira pas mais au contraire les multipliera, on ne saurait, avec cette diplomatie du compromis entre l'inacceptable imposé et l'inacceptable consenti, rendre rétrospectivement légitimes des atteintes scandaleuses à notre être profond et, derrière les affrontements politiques, malgré tout à notre civilité.
On doit leur faire la leçon, pas l'inverse. Je parle d'aujourd'hui et il ne servirait à rien de s'abriter derrière l'histoire des religions pour ressasser que la chrétienté il y a des siècles a commis aussi des horreurs.
Avoir peur, réprimander Charlie Hebdo (nouvelobs.com), c'est clairement aggraver chez les islamistes ce sentiment renouvelé d'arrogance, cette conscience exacerbée de la supériorité de l'Islam sur les autres confessions, de celle de leur totalitarisme sur les démocraties classiques qui à leurs yeux n'ont pour seule vertu que de se plier peu ou prou à leurs exigences. Un mot, un dessin de trop, et c'est le feu et le sang
Devant ces exemples de l'irrécusable singularité de cette religion portée si rapidement, si naturellement, aujourd'hui, au comble de la frénésie, qu'on arrête aussi de se gorger de mots et de pensées douces en se persuadant qu'à la longue tout cela deviendra irénique! C'est un remède fictif pour un avenir risquant d'être fait de la même pâte que le présent : beaucoup de tensions pour peu de fraternité, un univers condamné à demeurer bouche cousue ou à exploser.
Le 15, première démonstration de force en violant l'interdiction de manifester à Paris. Le Figaro alarmiste nous en annonce une seconde le 22. Je ne doute pas une seconde que Manuel Valls, un Nicolas Sarkozy qui sur le plan de la sécurité aurait réfléchi, un Guéant qui réussirait, a pris et prendra la terrible mesure de ce qui va s'amplifier. Le site de Charlie Hebdo a été piraté, d'autres mouvements vont continuer à semer le désordre, propager la haine et faire passer les fauteurs de troubles pour d'innocentes personnes seulement guidées par la sauvegarde de leur foi religieuse.
Si on cède, si on ne choisit pas de s'échapper de cet étau fatal par le haut, par la réitération obstinée, répressive s'il n'y a pas d'autre issue, de nos principes, si on murmure quand ils crient, proclament et défient, si on prend Charlie Hebdo pour le coupable et non pas ceux qui nous obligent vaille que vaille à le soutenir, on est mort. Symboliquement mort. Si on ne triomphe pas grâce à la résistance demain, on sera écrasé et on l'aura mérité.
Non, Charlie Hebdo n'est pas à vitupérer pour son imprudence ou sa provocation. La liberté s'use et disparaît si on ne s'en sert pas. On ne la sort pas de sa boîte quand tout va bien pour la remiser quand cela va mal alors que précisément, dans l'épreuve, elle est plus que jamais un viatique de sauvegarde.
Pas plus que Véronique Genest n'est à décrier. Délibérément je mets en parallèle cet épisode apparemment dérisoire la concernant avec la publication de Charlie Hebdo contre lequel plainte a été déposée.
Avec quelle condescendance cette femme célèbre grâce à la télévision a été traitée, avec quel mépris elle a été soumise à la question et, contrairement à ce qu'espéraient les élites qui préfèrent le réalisme dans les dîners en ville mais l'humanisme confortable dans les médias, non seulement elle a assumé mais avec les exemples qu'elle a donnés, avec tout ce que je viens d'énoncer, si l'islam n'est pas l'islamisme, force est tout de même de reconnaître à l'actrice le droit d'être plus encline, au regard de ce qu'elle voit et entend, à l'islamophobie qu'à une islamophilie éperdue (Le Parisien). Comme à coeur joie beaucoup qui l'approuvent se sont évertués, belles âmes, à la déchiqueter officiellement, se parant d'angélisme pour la façade !
Charlie Hebdo va trouver ma comparaison indécente mais j'ose. Il a eu des imprudences nécessaires. Véronique Genest a eu les siennes sur un mode plus familier, banal. Le combat est le même. On doit dire ce qu'on pense, faire ce qu'on veut et tenir bon.
Nous sommes en France. Que cela soit retenu.
Les commentaires récents