Il y a des années, une vive altercation judiciaire m'a opposé à Bobigny à Me Michel Laval.
Puis, beaucoup plus tard, il a écrit un livre remarquable sur Robert Brasillach, dans un tout autre registre que le mien.
Je l'ai félicité par courrier et nous sommes devenus vraiment des amis : complices et proches, même sans nous voir beaucoup.
Il a encore consacré un ouvrage - primé - à Arthur Koestler et si nous attendions ensuite le meilleur de lui, nous n'osions pas espérer le coup de tonnerre qu'il nous a réservé au début de l'année 2013 avec la publication de ce chef d'oeuvre.
L'Académie Française, qui ne se trompe pas toujours, lui a d'ailleurs décerné son Grand Prix à l'unanimité.
"Tué à l'ennemi - La dernière guerre de Charles Péguy" est un Récit qui passionne, séduit, convainc, possède et envahit.
Ce monument historique fort de 393 pages serrées est incomparable.
Le destin collectif de la France, durant le premier mois de la guerre de 14-18, s'y mêle intimement, charnellement, avec celui singulier de Charles Péguy qui va mourir héroïquement le 5 septembre 1914. Dans cette immense fresque menée de main et d'écriture de maître, les masses et les personnes trouvent leur place, les armes et la fraternité, les morts et les survivants, le courage, la douleur et la France comme idéal porté dans le coeur et à sauvegarder à tout prix.
Un lecteur superficiel pourrait être étourdi par cette profusion minutieuse et grandiose qui ne nous laisse ignorer aucun détail de ce terrible et admirable premier mois de la guerre où, au bord du gouffre, notre pays s'est relevé, précisément parce que l'ennemi le croyait déjà anéanti alors que, pour le sursaut victorieux de la Marne, il bandait son énergie et ses forces.
Cette Somme compacte, sans paragraphes, totalité intégrant sans faiblesse ni relâchement munitions, uniformes, déplacements, portraits, psychologies, élans, illusions, déceptions et arrogance, la France et l'Allemagne dans une lutte sans merci, Charles Péguy et ses beaux textes, Charles Péguy et ses poèmes, ce monde où pas un souffle d'air ne passe et où toute facilité aurait été une trahison, nous jette de plain-pied dans la fournaise et les tourments au quotidien. Le malheur n'est pas que la guerre mais ce qui est aussi autour d'elle et qu'elle fait culminer.
L'allégresse guerrière de la France, la joie de Paris certain de la reconquête, la mobilisation en chantant, le peuple dans l'amour de ses soldats, les embrassades émues et fières des départs, le triomphe allemand, la stratégie et la tactique teutonnes à la fois éclatantes mais incroyables, l'aveuglement initial et entêté de Joffre puis sa géniale et patiente retraite à la Koutouzov, les marches épuisantes, les pieds blessés, les chevaux affaiblis, l'odeur pestilentielle, la rude solidarité de ceux qui vivent en sachant que la mort les accompagne de près, les chefs qui donnent l'exemple, la guerre, ses affres et ses étranges vertus, Péguy rameutant, encourageant, stimulant, persuadé de coïncider avec lui-même, avec ce qu'il avait toujours voulu, Péguy debout sous l'incessante mitraille et prenant, comme une offrande à son audace insensée, une balle en plein front, un désastre, une espérance.
Juste avant la bataille de la Marne.
Péguy a regagné la terre qu'il avait magnifiée, terre pour les vivants et terre des morts.
Michel Laval, pour cette épopée multiforme, a inventé un style.
A aucun moment, même au comble de la tension historique, militaire et de l'horreur, celui-ci ne semble dépassé, décalé, ordinaire. Quand la langue française est exploitée ainsi comme un capital, un trésor, quand les mots viennent somptueusement se ranger dans la coque des sentiments, des idées et des réalités, quand de surprenantes douceurs viennent irriguer l'airain de phrases construites à l'antique, lorsque la poésie discrète donne un charme triste à des séquences où domine pourtant le belliqueux, on ne peut que s'émerveiller devant un tel talent et un art aussi affirmé, affiné.
Dès que j'ai eu terminé ce puissant exercice de littérature et d'Histoire, j'ai songé, même si la comparaison peut apparaître immédiatement écrasante, à Août 14 de Soljénitsyne. Pour montrer à quel niveau on se place et quelle est l'originalité de cet ode funèbre à Charles Péguy.
Mais je tiens à terminer sur ce qui est incontestablement le caractère admirablement politique du livre. Un hommage, un adieu à l'ancienne France, un chant empli de nostalgie crépusculaire, une caresse éblouissante, malgré la fureur de la guerre, à la France des clochers et des traditions, du travail bien accompli et des devoirs, une lumière, déjà voilée par l'avenir menaçant, sur des vertus et des principes exaltés par Péguy, une sorte de tombeau dressé à une France d'honneur, de grandeur, de gloire et de respect.
Disparue.
Vous concluez ce magnifique panégyrique par le mot "Disparue".
Si on considère que la Première Guerre mondiale a marqué la fin de la France, quelle a été la cause de cette limite dépassée ? Les livres d'histoire nous rappellent à l'unisson l'assassinat de l'archiduc et de son épouse à Sarajevo. Cela m'a toujours paru trop simple, trop évident, l'élément déclencheur tout au plus. J'ai tendance à mettre en perspective l'emballement, la course aux chimères et la fin tragique avec l'avènement du Romantisme dont les artistes du dix-neuvième siècle nous ont laissé des livres, des tableaux et surtout un état d'esprit. La France aurait plongé au fond du gouffre et n'aurait trouvé que des mensonges. Il semble que le ver était dans le fruit qui l'a pourri, pour finir par la disparition de la France des traditions.
Depuis sa fondation (par Clovis ?), près de vingt siècles ont passé, cent générations se sont succédé, la France s'est toujours regroupée et la France s'est toujours reconstruite. Cent ans plus tard, en 2013, le danger de la dissolution rampe de l'intérieur ; mais la France est toujours là.
Peut-être hors sujet, j'en conviens ; quoi qu'il en soit, j'ai commencé la lecture de "Tué à l'ennemi", le premier paragraphe annonce un chef d'oeuvre. La description du tocsin est époustouflante.
Rédigé par : vamonos | 02 août 2013 à 22:45
Rédigé par : Savonarole | 02 août 2013 à 12:54
Amusant, en revenant du Sud (là Var, pas ceux des US australs) il y a deux jours, faisais écouter à ma fille le numéro de Black and Blue de 2004 (?) consacré au "Double six".
Mimi Perrin y avait réussi la gageure de reprendre note à note le célèbre "Naima".
Elle est malheureusement décédée en 2010.
Grande dame, forte traductrice aussi.
Coltrane est un génie, pas la peine de disserter là-dessus et le garagiste m'attend.
AO
Rédigé par : oursivi | 02 août 2013 à 15:08
"Sacré Savo, un vrai JDR"
AO
Rédigé par : oursivi | 02 août 2013 à 11:14
Insolent ! Pour votre punition vous me réécouterez tout John Coltrane et vous me ferez une dissertation sur son morceau "Summertime".
Rédigé par : Savonarole | 02 août 2013 à 12:54
Rédigé par : Savonarole | 30 juillet 2013 à 19:54
Loin de la France...?
Ne nous dites pas qu'ils ont ré-ouvert Cayenne.
A moins que ne nous parliez de votre Porsche.
Sacré Savo, un vrai JDR.
S'il saute sur Champigny et tombe dans la Marne, les Teutons sont foutus, morts de rire qu'ils seront.
AO
Rédigé par : oursivi | 02 août 2013 à 11:14
"qui peuvent témoigner de la souffrance et de l'humiliation de leurs parents durant 48 ans, apprécieront ! "
Rédigé par : Mary Preud'homme (indignée !) | 31 juillet 2013 à 17:35
Vous ne soufflez mot des millions de morts de cette guerre stupide, et des dizaines de millions à peine vingt ans plus loin, dont sa conclusion allait découler...
Bref, rien de bon à en rappeler, sauf la matière humaine propre à lever le pain de la littérature ou du cinéma, mais si les "Sentiers de la gloire" est bien l'oeuvre d'un génie, les abominations qu'elle examine ne sont que cela.
J'aime plutôt Péguy, mais en l'occurrence, c'est Jaurès qui avait vu juste.
Il n'y eu de "botte allemande" qu'à partir de 33, et très largement grâce à cela.
Ce petit amuse-gueule un rien terreux offert à la grande faucheuse, toujours affamée.
AO
PS : Depuis le départ de l'autre tarée hystéro nous manquions de harpie et, à tout prendre, vous avez dans ce rôle une meilleure humanité. Je salue donc votre retour, même si n'est pas Connors ou Agassi qui veut. Et puis comme cela vous nous ferez d'autres adieux, ceux de carton sont irrésistibles comme disait Pauline.
Rédigé par : oursivi | 02 août 2013 à 11:09
@ Arobase du Ban
Avant de prodiguer des conseils de lecture, commencez plutôt par réviser l'histoire de France en général et celle des provinces d’Alsace-Lorraine en particulier.
Par ailleurs, vos considérations sur les bienfaits de la collaboration, de la germanisation à outrance (interdiction de parler français, expulsion de milliers d'intellectuels, etc.) et plus tard (en 1940) de la nazification des départements de l’Est annexés - là où vous nous dépeignez un Hitler endormi (sic) -, sont une injure pour les centaines de milliers de personnes de ces régions qui se sont exilées (et ont tout perdu) pour échapper à la honte, aux camps de travail, aux enrôlements forcés, ainsi que pour les innombrables déportés, gazés, torturés, et même résistants de l’intérieur...
Sur ce, je vous laisse à vos illusions, sinon à vos nostalgies du casque à pointe et de la croix gammée et je retourne à mes anciens combattants et à ma croix de Lorraine.
"A eux la gloire, à nous la reconnaissance et le souvenir".
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@ scoubab00
Rien compris à votre commentaire suite aux élucubrations d'Arobase du Ban que vous avez omis de citer.
Rédigé par : Mary Preud'homme | 01 août 2013 à 09:49
La guerre
Sur Joffre, il faut rappeler qu'il a relevé, entre août et décembre 1914, 168 généraux jugés incompétents afin d'éviter la catastrophe. Affectés pour administration à la division de Limoges, pour ne pas les laisser "grenouiller" dans Paris. D'où l'expression fâcheuse pour cette capitale de la porcelaine.
Sur l'Alsace, Mary Preudhomme (31 juillet 17h35) me paraît être de ces personnes qui lisent ce que leur esprit très formaté leur dit de lire pour satisfaire leur cerveau en fonction de leur "équation personnelle".
Je n'ai pas écrit que la récupération de l'Alsace-Lorraine n'était pas une cause à poursuivre, au prix d'une guerre le cas échéant. Mais j'ai voulu indiquer qu'en termes géopolitiques du moment, les querelles entre l'Autriche, les Serbes, les Russes et l'Allemagne, sans compter les nationalismes qui se "subsumaient" dans les conquêtes coloniales, ne justifiaient peut-être pas ce qu'on a vécu, à la suite d'un engrenage que Jaurès avait jugé dangereux.
Je vous conseille de lire dans "Rallumer tous les soleils" (Editions Omnibus - 2006) le dernier discours de Jaurès à Vaise le 25 juillet 1914 (page 914), six jours avant son assassinat.
Rédigé par : Arobase du Ban | 31 juillet 2013 à 23:16
Je vous suis avec intérêt sur votre blog depuis de nombreuses années. Si vos écrits n’emportent pas mon adhésion systématique, désolé mais vous n’êtes pas « un gourou » pour moi - ;-) - ils n’en sont pas moins à chaque fois source de réflexion(s), d’interrogation(s), de perplexité aussi liée en particulier à la lecture des commentaires qui les suivent…
Concernant "Tué à l'ennemi - La dernière guerre de Charles Péguy", je relève un commentaire d’un lecteur qui me paraît pertinent sur le site « Amazon ».
Si je puis me le permettre, et avant d’en commencer la lecture, qu’en pensez-vous ?
Merci.
Beaucoup de récits de combats et assez peu de Péguy..., 24 juin 2013
Par Laigle Nicolas "vivrelivre" (Provence France)
Ce commentaire fait référence à cette édition : Tué à l'ennemi: La Dernière guerre de Charles Péguy (Broché)
Ce livre se présente comme un récit des dernières semaines de Charles Péguy, tombé au champ d'honneur le 5 septembre 1914 en Seine-et-Marne. S'il est bien sûr question de l'auteur des "Cahiers de la quinzaine", il s'agit là surtout d'un récit de guerre. Tout y est décrit avec précision : l'atmosphère des grandes capitales au moment de la mobilisation, l'acheminement des troupes, l'effervescence des premiers jours, les erreurs d'appréciation du commandement français, aveugle au plan Schlieffen. Les premiers et terribles combats nous sont rendus avec une très grande précision : détail des unités, des commandements, de l'emplacement des troupes, stratégie employée etc. Péguy dont il y a finalement assez peu à dire n'apparaît que par brèves intermittences. Affecté au 276ème RI de réserve, il n'est pas concerné par l'activité des premiers affrontements. Il s'entraîne avec ses hommes... L'auteur sait rendre avec beaucoup de brio, dans un style flamboyant, l'atmosphère de cette époque, l'unité nationale, l'entêtement de Joffre mais on dirait qu'il ne connaît pas assez bien l'oeuvre de Péguy. Les citations utilisées ne sont pas toujours pertinentes, les détails biographiques ne sont pas maîtrisés. Bref un livre qui raconte parfaitement les premières semaines de la guerre mais qui n'évoque pas suffisamment l'homme Péguy.
Rédigé par : PB pour Pierre Bla... et non le PB du blog | 31 juillet 2013 à 22:55
@ Mary
C'est sûr que ça jurait un peu sur la carte de France, ce coin en moins en haut à droite. Mais les Alsaciens et Mosellans se sont bien accommodés de l'Allemagne. Leur essor économique a été même plus important que s'ils étaient restés dans l'ensemble français après la guerre perdue de 1870... Peut-être y-eut-il un petit retour aux sources rhénanes inconscient si on considère que les lointains ancêtres francs viennent de ces étendues germaniques... Plus au sud, Hitler serait resté peinard dans sa Haute-Autriche natale et les vaches en auraient été bien gardées. Ou pas plus mal.
Ah, tout ceci n'est qu'uchronie agrémentée de quelques racines de derrière les fagots.
Rédigé par : scoubab00 | 31 juillet 2013 à 19:37
Suite au panégyrique, je viens de commander le livre à mon libraire...
Saine lecture de vacances.
Rédigé par : Surcouf | 31 juillet 2013 à 18:12
"La guerre qu'il ne fallait pas faire" selon Arobase du Ban...
Et laisser l'Alsace-Lorraine sous la botte, peut-être ?
Ce qui revenait à abandonner définitivement une partie de notre territoire volé par les Allemands en 1870. Les patriotes français, notamment les descendants des Alsaciens Mosellans, qui peuvent témoigner de la souffrance et de l'humiliation de leurs parents durant 48 ans, apprécieront !
Rédigé par : Mary Preud'homme (indignée !) | 31 juillet 2013 à 17:35
Merci M. Bilger.
Très beau texte, à enseigner aux "médiateux".
1914, ce fut aussi la fin des Lumières. L'irruption de la violence industrielle dans les rapports humains.
La guerre qu'il fallait ne pas faire. Mais un archiduc venait d'être assassiné, et la mécanique sotte des accords diplomatiques a servi d'intelligence aux politiques. Sauf à Jaurès. Mais il a été assassiné lui aussi.
Merci M. Bilger de nous parler de Péguy.
Je commande ce livre pour la médiathèque de ma commune.
Et je pense à mon père qui a servi au 8ème hussards de 1913 à 1919.
Il n'en parlait jamais.
Rédigé par : Arobase du Ban | 31 juillet 2013 à 12:53
Ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis. Et l'arbre est tout consumé après l'obus. Pourtant les Poilus incarnaient cet esprit positif, la Patrie, la Science, le progrès technique, la France rurale alors majoritaire qu'on met en branle pour aller labourer l'ennemi teuton. De l'autre côté du Rhin pareil, on allait se faire charcuter en chansons tout en se disant que la guerre serait courte et triomphale.
Un siècle plus tard, on a tout le confort. La guerre on l'exporte à ceux qui ont moins de moyens, nous reste la guerre économique, la plus insidieuse. L'enthousiasme collectif est réservé aux jeunes qui font du sport ou boivent ensemble, c'est sûrement mieux qu'aller au front... moins exaltant ? Cette dynamique de communauté a bien faibli et c'est pourquoi nos pays tels qu'on les connaît vont finir par se dissoudre. Rester ensemble si on n'a rien à se dire ? Quand on gagne des guerres on efface des gens, des liens.
Sur un plan individuel reste et restera l'amour, toujours renouvelé, impalpable. A Laval et ailleurs.
Rédigé par : scoubab00 | 31 juillet 2013 à 12:41
Un grand merci, Monsieur Bilger, pour ce vibrant hommage à nos poilus.
Et aussi merci pour votre mot, de mon point de vue pas assez sévère, sur l'incompétence de Joffre, qui en Août 14, au cours de la bataille des frontières, a mené au massacre des dizaines de milliers de jeunes gens.
Vous auriez pu aussi évoquer la responsabilité de nos hommes politiques avant 14, obsédés par la revanche.
"Les guerres sont déclarées par des hommes qui se connaissent et ne se tuent pas, et faites par des hommes qui ne se connaissent pas, et se tuent" (Paul Valéry)
Rédigé par : Claggart | 31 juillet 2013 à 11:45
À l’évidence la nostalgie vous réussit. Un bien beau billet.
La guerre de 14-18, puis celle de 39-45 qui en est la suite, et que l’Histoire retiendra sous la forme de la grande guerre civile européenne du XX° siècle, marque la fin de l’Europe, laissant la place aux USA et à l’URSS dans une moindre mesure. L’URSS n’ayant pas été capable de développer une culture de substitution à la culture européenne.
Ce n’est pas seulement la France et ses valeurs qui ont disparu, mais l’ensemble d’un monde culturel et militaire européen.
C’est la fin d’une domination totale dans tous les domaines, y compris le culturel. La fin d’un art de vivre associé à une culture et à un certain modèle économique. La fin des rentiers par exemple, dans une économie profondément atteinte par les destructions de la guerre.
Fin de la puissance militaire des pays européens, qui ne joueront plus qu’un rôle de supplétifs des USA ou de l’URSS, avant que celle-ci ne s’effondre.
Fin des Empires coloniaux sous l’effet des peuples prenant conscience de la faiblesse nouvelle des colonisateurs et des USA qui espéraient prendre la place de l’Europe.
Et surtout fin de la culture européenne dans sa suprématie littéraire, philosophique, artistique et scientifique. Le chant du cygne fut quand même superbe. La physique quantique, la relativité en sciences, les surréalistes, le cubisme, l’art déco, etc.
Mais la saignée humaine fut trop forte, une société ne peut survivre, dans ses fondements culturels qui conditionnent tout, à la perte de millions de jeunes hommes.
Cette perte d’énergie vitale a signé la fin d’un monde, celui de l’imagination créatrice. Lui a succédé ensuite le laborieux travail intellectuel qui a si mal remplacé l’inspiration géniale, dans tous les domaines et pas seulement en art.
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » a dit un autre poète, Paul Valéry.
Ce n’est pas le comportement de lemmings suicidaires de nos dirigeants qui pourra changer quelque chose à cette disparition programmée.
Rédigé par : Tipaza | 31 juillet 2013 à 11:32
La France fut-elle un jour celle que chante Michel Laval ? Que chanta Péguy ? Celle des pantalons garance contre le feldgrau, des promotions de saint-cyriens, sabre au clair contre les mitrailleuses, jeunesse fauchée, "la vertu de chez nous n'est pas toujours stoïque", celle des campagnes hallucinées où la saleté du paysan faisait peur, selon Stevenson qui s'y connaissait, de la marchande de frivolités, traînant sa hanche déformée vers sa mort à crédit. Y eut-il un moment achevé où le Docteur Villermé n'eut pas écrit son réquisitoire et où la déchirure, lentement permanente, n'eût pas conduit la troupe à affronter le peuple devant les monastères à éviscérer ? Où se place donc l'héroïsme d'un peuple, la grandeur d'une nation qui pourrait se mesurer à "la minceur des épluchures" ?
Pardon pour un souvenir ; deux piqueurs de canal, venus prêter serment, cérémonie expédiée en rien de temps, d'habitude. Le juge, en exorde, leur rappelle la noblesse de leur tâche, l'immensité de la fortune collective sur laquelle ils veillent, les mesquineries et les grandeurs qu'elle provoque, le bien social qu'elle engendre. Peu à peu, les deux hommes, abasourdis, se redressent, l'un a les yeux humides, ils prêtent serment, raides, militaires.
Le Ministère Public fait les yeux ronds. L'assistance se lève pour leur départ, c'était un moment minuscule, comme Henri Michon aurait su l'évoquer.
Rédigé par : amfortas | 31 juillet 2013 à 11:19
Michel Laval, dites-vous, "pour cette épopée multiforme, a inventé un style." Tant mieux ! Voilà ce que je recherche en littérature : un style, surtout quand le genre présenté n'est pas mon favori (Frédéric Beigbeder parlerait de "charme"... je n'ignore pas que la référence est peu reluisante pour beaucoup).
Je chercherai à le lire, si le temps me le permet ; l'auteur ayant de surcroît rédigé sur Arthur Koestler qui disait : "La souffrance a ses limites, pas la peur", saillie méritant d'être mentionnée chaque fois que l'on oublie volontairement le préjudice qui en résulte (c'est-à-dire souvent, devant les Tribunaux...).
Votre billet donne envie de lire ce livre et touche au but. Etait-il cependant nécessaire de retomber classiquement sur la célébration d'une France disparue, seule dépositaire du "travail accompli" ? Elle n'en finit plus d'être acclamée celle-ci, à tel point que l'on se demande si elle n'aurait pas disparu que pour ses thuriféraires. Ceux-ci ne font pas un constat de sa disparition mais disent un regret et, en creux, font la critique d'aujourd'hui.
Se sont-il aperçus qu'ils sont en force voire même un peu lassants ? Le monde d'hier était-il si figé dans ses qualités et ses imperfections ? Cela est d'autant plus savoureux que, s'agissant de Péguy, il est fait référence à quelqu'un qui, antimoderne, rejetait déjà violemment son époque changeante. Il peut donc se rassurer : ses fils spirituels sont en nombre...
Persiflage mis à part, l'affection pour une époque, une atmosphère ou une émotion la rend lointaine et détache de la masse ambiante. On aimerait vivre présentement un monde que l'on voit si bien exalté !
Et je n'ai toujours pas lu le livre.
Rédigé par : Olivier Ezquerra | 31 juillet 2013 à 09:59
L'allégresse guerrière dites-vous... Les Etats veulent nous faire voir la guerre comme une tragédie en noir et blanc : le Bien contre le Mal, « nous » contre « eux », la victoire contre la défaite. La guerre n'est pas essentiellement une question de victoire ou de défaite ; la guerre, c'est avant tout mourir et infliger la mort. C'est l'échec absolu de l'esprit humain. Comme l'écrivait Koestler, la négation de l'individu (le Zéro) au profit d'un parti (l'Infini) dont les élites gardent les mains propres. Je constate qu'en vacances, les soldats de salon se gargarisent de patriotisme et de politique pendant que la France produit toujours autant de chômeurs. Le discours sans l'action n'est rien.
Rédigé par : Archibald | 31 juillet 2013 à 08:49
« Quand la langue française est exploitée ainsi comme un capital, un trésor, quand les mots viennent somptueusement se ranger dans la coque des sentiments, des idées et des réalités, quand de surprenantes douceurs viennent irriguer l'airain de phrases construites à l'antique, lorsque la poésie discrète donne un charme triste à des séquences où domine pourtant le belliqueux, on ne peut que s'émerveiller devant un tel talent et un art aussi affirmé, affiné. »
Une chose est sûre Philippe Bilger, quand vous aimez un livre, vous le dites avec une emphase que l’on pourrait trouver un peu obséquieuse. Mais quand on vous connaît bien, on sait que vous laissez tout simplement parler votre nature généreuse et enthousiaste.
On retrouve également dans votre billet une petite nostalgie pour ce que vous appelez « l’ancienne France », celle du début du siècle dernier. Une France, effectivement, qui n’a plus beaucoup de ressemblance avec celle d’aujourd’hui.
Ceci étant, la monstruosité des guerres, elle, n’a pas changé. La technologie les a simplement rendues plus meurtrières. Il n’en demeure pas moins vrai que la guerre de 14-18 est celle qui a laissé les souvenirs les plus poignants et les oeuvres les plus belles sur le sujet.
D’ailleurs Georges Brassens a même fait une chanson sur la Grande Guerre, disant que pour lui, c’est la guerre qu’il préfère. Finalement moi aussi.
http://www.youtube.com/watch?v=l2F5qaHzkj0
Rédigé par : Achille | 31 juillet 2013 à 08:04
Vous m'avez donné envie de me procurer ce livre. J'en ai passé commande et je l'attends avec curosité et impatience.
Merci pour ce billet et cet éloge convaincant.
Rédigé par : berdepas | 30 juillet 2013 à 22:32
Encore des références aux guerres mondiales.
Après Hitler, Laval.
Après 40, nous voilà repartis comme en 14.
Et on en revient toujours à la France qui fout le camp.
La guerre d'Adidas est pourtant bien plus drôle que la guerre des tranchées, avec Pierre Mazeaud qui ne s'en laisse pas conter.
Rédigé par : Alex paulista | 30 juillet 2013 à 20:49
Formidable billet, moi qui suis loin cette France me manque, je vais commander ce livre sur mon compte Amazon.fr, dernier lien avec la patrie...
Rédigé par : Savonarole | 30 juillet 2013 à 19:54