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08 mars 2016

Commentaires

Aliocha

Soyez béni, Julien, d'ainsi emprunter les chemins du "plongeur qui sonde" proustien, où "Seule l’impression, si chétive qu’en semble la matière, si invraisemblable la trace, est un critérium de vérité et à cause de cela mérite seule d’être appréhendée par l’esprit, car elle est seule capable, s’il sait en dégager cette vérité, de l’amener à une plus grande perfection et de lui donner une pure joie."

Vous savez ainsi à mon sens atteindre cette réalité qui ne garde pas de la souffrance mais du mensonge, selon Weil, et participe ainsi à l’Église qui n'est plus au temple autre que le corps offert du Christ et témoigne que nous ne concevons pas la joie mais qu'elle nous traverse si nous avons assez d'humilité pour comprendre que nous n'en sommes que les interprètes, ce qui déjà est immense, nous donnant l'assurance de participer, après l'espérance de Jean-Paul II, la foi de Benoît XVI, à l'accession à la charité de François qui affirme en ce très bas qui est le plus haut, l'établissement d'une église pauvre pour les pauvres, où nos succès comme nos manquements participent à l'expression charnelle de la vérité :

"Mais principalement parce que si notre amour n’est pas seulement d’une Gilberte, ce qui nous fit tant souffrir ce n’est pas parce qu’il est aussi l’amour d’une Albertine, mais parce qu’il est une portion de notre âme plus durable que les moi divers qui meurent successivement en nous et qui voudraient égoïstement le retenir, portion de notre âme qui doit, quelque mal, d’ailleurs utile, que cela nous fasse, se détacher des êtres pour que nous en comprenions, et pour en restituer la généralité et donner cet amour, la compréhension de cet amour, à tous, à l’esprit universel et non à telle puis à telle, en lesquelles tel puis tel de ceux que nous avons été successivement voudraient se fondre."

https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Le_Temps_retrouv%C3%A9,_1927,_tome_2.djvu/48

Il n'y a pas d'autre réalité à appréhender à mon sens, et c'est tellement merveilleux de pouvoir y être convié à savoir partager ce renversement complet à l’intérieur du temps, qui n'est autre, ô joie, si nous savons nous incorporer à ce moi universel, que la résurrection :

"C’est moi, mais ce n’est plus moi: voilà la formule de l’existence chrétienne fondée sur le Baptême, la formule de la résurrection à l’intérieur du temps."

https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20060415_veglia-pasquale.html

Julien WEINZAEPFLEN

Merci Aliocha, pour votre appréciation. L'idée d'incorporation au Christ compte beaucoup pour moi. Je disais ce soir, en discutant à l'issue de l'une des quatre messes accompagnées aujourd'hui (je n'éprouve jamais de lassitude à faire ce travail accompli avec passion), que j'ai l'impression que mon travail d'artiste liturgique, si modeste soit-il (une amie me disait qu'en tout et en art aussi, je vais trop loin. Je suis d'un niveau moyen voire acceptable, mais je tire énormément de moi), consiste à donner ce que je n'ai pas à des gens qui en veulent (ce n'est pas comme l'amour présumé par Lacan, définition habile, mais verbaliste), et ce don est rendu possible parce que, lors même que ma foi vacille (et elle vacille souvent), quand bien même vacillerait-elle à la manière de celle d'Emmanuel Carrère dont la première partie du "Royaume" raconte une "Histoire de l'âme" à l'envers et est déconvenue de se croire revenir du transport vers le Christ, je ne cesse jamais d'appartenir au Christ à qui la promesse a été faite et qui a "capitalisé" (le mot n'est pas heureux) pour tous les membres de Son Corps un trésor où ils puisent moins pour devenir que pour tenir et c'est déjà beaucoup.

J'ai parfois l'impression que ma vie est un champ de ruines que je n'en reviens pas d'avoir laissé prospérer, mais je n'ai pas su faire autrement. Je regrette de m'être tant mépris comme de devoir l'écrire (après tout je m'y risque et personne ne m'y oblige, je n'écris pas par impudeur, mais il faut que cela sorte pour que ce sentiment soit supportable, il ne l'est pas de loin en loin et j'écris trop souvent comme on appelle au secours), mais Dieu prend soin de ces ruines et je L'en remercie. Il ne sauve pas en moi quelqu'un qui est solvable et peut payer le prix de son rachat, Il sauve un insolvable, un homme perdu. Il sauve ce qui est perdu, car ce qui est bien sous tous rapports n'a pas besoin de Lui. Il me donne ce que je n'ai pas pour que je puisse moi aussi le donner à des gens qui me donnent autre chose qu'ils n'ont pas davantage. La chance n'est pas redistributive comme la justice distributive. Elle ne nous fait pas retrouver ce qu'on a dépensé.

Dieu est la première passion de ma vie, passion négative à ses heures et que je dois à ma sainte grand-mère qui avait une foi très naturelle, très simple, qui faisait le sel de sa vie et qu'elle vivait au quotidien, elle m'a transmis sa foi et mon âme est essentiellement religieuse.

Mon meilleur ami m'a donné un jour la plus belle définition du métier d'organiste. "Quand je joue de l'orgue, je donne à la Vierge la joie que je n'ai pas." Je fais front sur l'espérance en étant souvent frôlé par la tentation du désespoir. Le désespoir m'a toujours cherché et quelquefois trouvé, mais jamais pour longtemps. J'oscille entre des moments d'intense amour de moi-même et d'autres où je me déteste cordialement. Tout cela manque d'équilibre.

L'espérance n'est pas la première de mes vertus, mais la foi m'est essentielle, nocturne comme elle est chez moi. Je crois en Dieu comme je respire et jusqu'à mon dernier souffle, j'aimerai Nathalie, la femme de la première partie de ma vie, donc la femme de ma vie. Je l'aime comme je crois en Dieu. Je le lui ai dit, elle le sait. Et pourtant je l'ai mal aimée, je ne l'ai pas rendue heureuse.

Comme vous j'aimais beaucoup Benoît XVI. Je crois que je le comprenais, même si j'étais loin d'être aussi conservateur que lui. J'appréciais son goût du retrait sans parler de son intelligence très fine, au plus près des textes. J'ai lu tout à l'heure sur le blog de René Poujol (je fais des passerelles entre deux endroits où j'aime papillonner, commenter et me suis fait des amis de coeur et d'esprit) que Benoît XVI pressentait que l'Eglise serait réduite à pas grand-chose en termes d'influence et de nombre de fidèles, mais deviendrait dans cette épure une "maison des hommes" dont la "solitude" deviendrait "indicible" et dans ce no man's land, l'Eglise devrait reposer sur la foi pour pouvoir consoler les hommes. Je comprends ce langage, il me parle beaucoup et il me conforte dans la bonne opinion que j'avais du pape émérite.

Aliocha

Votre témoignage est très beau, Julien, et correspond pour moi à ce que dit Benoît XVI du baptême, qui nous sort de tout débat historique, proposant à notre imitation ce modèle divin qui transforme la mort en don de soi, et donne à l'humain la capacité, historique celle-là, d'être l'incarnation qui contredit toutes les idéologies de la violence, le programme qui s’oppose à la corruption et à l’aspiration au pouvoir et à l’avoir, la capacité de devenir unique sujet, et plus seulement une seule chose :

"Mon propre moi m’est enlevé et il s’incorpore à un sujet nouveau, plus grand. Alors mon moi existe de nouveau, mais précisément transformé, renouvelé, ouvert par l’incorporation dans l’autre, dans lequel il acquiert son nouvel espace d’existence. De nouveau, Paul nous explique la même chose, sous un autre aspect, quand, dans le troisième chapitre de la Lettre aux Galates, il parle de la «promesse», disant qu’elle a été donnée au singulier – à un seul: au Christ. C’est lui seul qui porte en lui toute la «promesse». Mais alors qu’advient-il pour nous ? Paul répond: «Vous ne faites plus qu’un dans le Christ» (Ga 3, 28).

Non pas une seule chose, mais un, un unique, un unique sujet nouveau. Cette libération de notre moi de son isolement, le fait de se trouver dans un nouveau sujet, revient à se trouver dans l’immensité de Dieu et à être entraînés dans une vie qui est dès maintenant sortie du contexte du «meurs et deviens»."

https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2006/documents/hf_ben-xvi_hom_20060415_veglia-pasquale.html

Julien WEINZAEPFLEN

En lisant Emmanuel Carrère, je découvre la figure de Philon d'Alexandrie, que je ne connaissais que de nom, et qui est un précurseur de notre "lecture allégorique" de la Bible. Philon propose une lecture qui intériorise le littéralisme ou le fondamentalisme de l'épopée du "peuple élu" en chemin personnel, capable de donner naissance à ce que Philippe Dautais appellera "le chemin de l'homme selon la Bible", un itinéraire psychologique idéal, une anthropologie biblique. Une révolution apparentée a lieu dans l'islam, qui va du "petit djihad" au "grand djihad", le combat spirituel contre soi-même.

Voici ce qu'Emmanuel Carrère dit de Philon d'Alexandrie dans "le Royaume":

"Il y avait à Alexandrie un rabbin très célèbre appelé Philon, qui avait pour spécialité de lire les Écritures de son peuple à la lumière de Platon et d'en faire une épopée philosophique. Au lieu de s'imaginer, d'après le premier chapitre de la Genèse, un dieu barbu, allant et venant dans un jardin et qui aurait créé l'univers en six jours, Philon disait que le nombre six symbolisait la perfection et que ce n'est pas pour rien si, contre toute logique apparente, il y a dans ce même livre deux récits de la Création, contradictoires: le premier raconte la naissance du Logos, le second le modelage de l'univers matériel par le démiurge, dont parle aussi le Timée de Platon. La cruelle histoire de Caïn et d'Abel l'éternel conflit entre l'amour de soi et l'amour de Dieu.

Quant à la tumultueuse liaison d'Israël et de son Dieu, elle se transposait sur le plan intime entre l'âme de chacun et le principe divin. Exilée en Égypte, l'âme se languissait. Conduite par Moïse au désert, elle apprenait la soif, la patience, le découragement, l'extase. Et quand elle arrivait en vue de la terre promise, il lui fallait batailler contre les tribus qui s'y étaient installées et les massacrer sauvagement. Ces tribus, d'après Philon, n'étaient pas de vraies tribus, mais les passions mauvaises que l'âme devait dompter.

De même, quand Abraham, voyageant avec sa femme Sarah, est hébergé par des témoins patibulaires et, pour n'avoir pas d'ennuis avec eux, leur propose de coucher avec Sarah, Philon ne mettait pas ce macrotage sur le compte des moeurs rugueuses d'antan ou du désert, non, il disait que Sarah était le symbole de la vertu et qu'il était très beau de la part d'Abraham de ne pas se la garder pour lui tout seul.

Cette méthode de lecture que les rhétoriciens nommaient allégorie, Philon préférait l'appeler tropein, qui veut dire "passage, migration, exode", car s'il était persévérant et pur, l'esprit du lecteur en sortait modifié. Il appartenait à chacun de réaliser son propre exode spirituel, de la chair à l'esprit, des ténèbres du monde physique à l'espace lumineux du Logos, de l'esclavage en Égypte à la liberté en Canan.

Philon est mort très vieux, quinze ans après Jésus dont il n'a certainement jamais entendu le nom et cinq ans avant que Luc ne rencontre Paul sur le port de Troas. Est-ce que Luc l'a lu ? Je n'en sais rien, mais je pense qu'il connaissait du judaïsme une version fortement hellénisée, tendant à transposer l'histoire de ce peuple exotique, à peine situé sur la carte, en termes accessibles à l'idéal grec de sagesse."

La sagesse a intéressé toutes les époques douées de raison, même si le même Emmanuel Carrère notera avec malice que saint Paul a joué de paradoxes pour dire que Dieu la méprisait, comme Luther qualifiera la raison de "putain du diable". C'est que saint Paul a, dans une extase, rencontré Quelqu'un qui L'a transformé en Lui. Une telle transformation n'est pas donnée à tout le monde. Nous qui, en bons matérialistes, vivons dans une époque psychologique, ne voulons pas nous transformer en l'Autre. Au mieux espérons-nous que la psychologie nous libérera des schémas répétitifs en raison desquels notre vie s'enlise dans des ornières. Mais nous en attendons plus simplement en général qu'elle facilite notre connaissance de nous-mêmes.

Nous n'attendons pas de la psychologie qu'elle nous transforme en quelqu'un d'autre, ni même qu'elle ne livre les voies de l'imitation dont nous nous figurons à tort ou à raison qu'elles nous feraient nous perdre nous-mêmes. Nous n'attendons pas que la psychologie soit en profondeur un itinéraire de transformation.

La lecture allégorique a les clefs des symboles et nous ouvre les voies de la transformation. Elle est une consolation face au désenchantement du monde qui, depuis le siècle des Lumières, nous a fait voir la religion, avec la foi du charbonnier qu'on y apportait, comme une mythologie où il s'agit de convertir les symboles en réalités matériellement acceptables qui restent susceptibles d'animer nos existences.

Ainsi est-il de bon ton de déplorer que la majorité des catholiques ne croit pas en la résurrection des morts ou de Jésus-Christ. J'ai même récemment entendu un prêtre mettre en garde que si nous n'y croyons pas, nous sommes de faux témoins. Les "croyants scientifiques" aimeraient bien que la science apporte les preuves de l'existence de Dieu et le catholicisme bolloréal fait même écrire des livres à cet effet par l'un des frères du milliardaire, comme si l'apologétique n'avait pas jamais convaincu que les convaincus.

La droite catholique qui fait désormais la courte échelle à Michel Onfray après que son "Traité d'athéologie" le lui a beaucoup fait détester, lui opposait avec beaucoup de mauvaise foi Jean-Marie Salamito pour nier que Jésus soit un personnage conceptuel. Or à parler objectivement, l'histoire n'est pas à même de prouver l'existence de Jésus. Elle prouve seulement l'existence des communautés chrétiennes. C'est ce que développe Emmanuel Carrère, qui essaie d'adosser son espérance à son itinéraire de converti ayant perdu la foi. Comme je suis de ceux qu'une telle perte menace, je suis sensible à son effort, et sais gré à la lecture allégorique, qui, aux origines du christianisme, indiquait le sens spirituel des Écritures, d'être une consolation du scepticisme.

Quand bien même Jésus n'existerait que de manière allégorique, Il n'en existerait pas moins pour nous et par nous comme nous existons par Lui et pour Lui. Et sa résurrection aurait une force probatoire: nous pouvons nous "emparer de la force de sa résurrection" (François-Xavier Durrwell) pour amener à la lumière ce que nos vies ont d'obscur, non pas comme saint Paul dit qu'au jugement dernier, on revêtira son bonnet d'âne en voyant exposé au grand jour ses mauvaises actions cachées, encore moins pour nous prévaloir de nos turpitudes, mais pour que nos péchés, qui nous font rater notre vie et celle des autres, soient retournés vers la lumière, eux qui ont été commis par notre part d'ombre, qui elle aussi doit connaître ce mouvement de conversion, car "la ténèbre n'est point ténèbre devant Toi, la nuit comme le jour est lumière".

Julien WEINZAEPFLEN

Si ce n'est d'avoir écouté en m'assoupissant l'émission "Répliques" dont il était l'invité ce samedi matin (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/v-13-3416240), où se déployait une fois de plus le dialogue complice entre Alain Finkielkraut et lui-même, je ne sais quelle mouche m'a piqué d'écouter seulement cette nuit l'entretien qu'Emmanuel Carrère et vous-même vous êtes mutuellement accordé (https://www.youtube.com/watch?v=zzpC_e4nNgM). Plusieurs choses m'y interpellent :

Vous commencez par presque lui dire qu'a priori, c'était un écrivain mineur dont les livres ne vous intéressaient pas étant donné l'unanimité critique avec laquelle ils sont accueillis et non seulement il n'en prend pas ombrage, mais il veut bien s'en alarmer lui aussi. Cette audace d'interviewer me plaît et me rencontre d'autant plus que moi non plus, je ne sais pas pourquoi les médias et la littérature ont sélectionné Emmanuel Carrère (dont je n'ai encore rien lu, mais dont j'ai regardé quelques adaptations télévisuelles de ses romans, celles de "l'Adversaire" et l'émouvant "D'autres vies que la mienne". Et bien que le mystère de l'écrivain qui s'inspire de faits réels me reste presque entier pour cause d'entrée différée dans son oeuvre (mais j'envisage de lire Le Royaume, Un roman russe et son dernier opus sur le procès des attentats du 13 novembre), Emmanuel Carrère m'attire d'une façon que je n'aurais jamais supposé et que je ne comprends pas.

Dans ses réponses, il vous dit qu'il ne sait pas partir dans l'écriture d'un roman sans avoir "un sujet". En cela il me rappelle mon père dont nous nous moquions allègrement quand il partait dans une de ses tirades contre les artistes (il ne se pardonnait pas d'avoir épousé une artiste peintre, ma mère). Il avait trois choses à prouver:

- "Ceux qui se prétendaient des artistes n'étaient que des artisans." Il prenait le parti de Serge Gainsbourg dans sa querelle avec Guy Béart sur la chanson art majeur ou mineur. Il en voulait à ma mère d'avoir fait croire à ses trois fils (un joaillier accompli et deux écrivains en quête de notoriété ou d'autorité littéraire) qu'ils étaient des artistes.

- "Pour faire un bon écrivain, il faut d'abord avoir un sujet": c'était surtout cette phrase qui provoquait notre hilarité.

- Et en bonus, il nous disait que nous ne réussissions pas parce que nous nous imaginions qu'on peut tout faire tout seul: "On ne peut pas être auteur compositeur interprète, il faut déléguer, offrir ses chansons". Sur ce point, je suis certain qu'il n'avait pas tort. Je pense à telle de mes chansons qui aurait été beaucoup mieux chantée par des voix puissantes, si je les leur avais offert.

Emmanuel Carrère dit que "D'autres vies que la mienne" est le livre de lui qu'il préfère et il nous en dévoile un secret de fabrication: il a recueilli et agencé la parole du mari de la juge dont le livre raconte la maladie et la mort. Cela m'interpelle parce qu'après avoir passé un CAPES de lettres modernes et ne pas m'être vu dans la peau d'un prof, étant trop mauvais acteur ou n'ayant pas assez de présence de scène pour en imposer à des enfants, j'ai suivi une licence professionnelle d'écrivain public à la Sorbonne nouvelle que j'ai dû abandonner, ma compagne étant tombée malade. Mais le métier d'écrivain public est basé sur le recueil exhaustif de la parole de l'autre, infiniment respectée comme toutes les clauses du "Pacte autobiographique" dont parle Philippe Lejeune, l'homonyme du peintre, disciple de Maurice Denis, à qui j'ai fait lire un texte où je faisais dialoguer le regard et le vent.

Cette tentative d'études est sans doute ce que j'ai le mieux aimé faire: on ne dira jamais assez que la transcription est à l'écriture ce que la copie des partitions de ses grands devanciers fut pour J.S. Bach dans l'élaboration de son oeuvre future. La transcription est une appropriation très respectueuse, au plus près de la lettre de celui qui parle. Elle suppose une grande abnégation, car elle refuse de laisser la lettre pour l'esprit, quand bien même croirait-on comprendre ce qu'il dit mieux que le parleur. La parole recueillie est indépassable et doit être cernée au plus près. Autant je n'ai jamais compris la prétention universitaire à embrasser la totalité d'un texte littéraire, autant cet effort de respecter la parole qui n'a pas autorité m'a plu instantanément, et mon esprit aquoiboniste ne lui a jamais demandé de se justifier.

Adèle

Il y a quelques jours, j'ai appris que le juge du tribunal d'instance, dont j'ai dû solliciter l'intervention il y a trois ans, va changer d'affectation.

J'ai eu de la peine à l'idée de son départ.

Pourtant, je ne l'avais rencontré qu'une demi-heure pour lui demander de prononcer une mesure de protection pour quelqu'un de proche frappé par le malheur.

Dans "D'autres vies que la mienne", Emmanuel Carrère parle si bien de ces silhouettes à peine entrevues : les magistrats des tribunaux d'instance.

A leur manière, ils sont des témoins, des accompagnants de la nuit.

Véronique Raffeneau

Je conçois bien que l'adjectif immense puisse être excessif pour qualifier un juge du réel.

Cependant, tels que décrits par E. Carrère dans "D'autres vies que la mienne", les juges Etienne et Juliette, à Vienne (Isère), ont permis au juge d'être ce protecteur des perdus souvent coupables, des vulnérables, des surendettés et des abusés des sociétés de crédit.

Leur détermination a permis de rééquilibrer un déséquilibre.

Dans cette affaire de droit et de justice, la détermination d'Etienne Rigal trouve sa source dans sa lucidité non de la faiblesse humaine, mais de sa propre faiblesse humaine qui l'avait conduit adolescent à refuser un traitement contre un cancer. Son refus obstiné a eu pour conséquence quelques années plus tard l'amputation d'une de ses jambes.

fugace

J'ai écouté avec grand plaisir cette conversation avec cet écrivain que je n'ai jamais lu. Il, et vous, m'avez donné envie de le faire prochainement.

En écoutant E.Carrère dire que "se défaire de ses phrases longues et alambiquées" avait été pour lui une sorte de nouveau choix, je n'ai pu m'empêcher un instant d'imaginer un billet spécial de notre hôte, s'imposant ne serait-ce qu'une unique fois cet exercice contraignant ô combien pour lui, je n'en doute pas un instant ! A la surprise générale évidemment.

J'ai aussi retenu, entre autres, ceci : "Rien ne se fait sans un puissant intérêt pour agir (au sens de désir sans doute aussi) en littérature".
C'est vrai dans beaucoup de domaines, mais peut-être pas en politique où à notre époque il semble que ce soit l'inverse qui est à l'oeuvre. Soit "rien ne se fait, avec le puissant intérêt à ne pas agir" que l'on sait.

A creuser : on est jugé par ses propres jugements.

Véronique Raffeneau

"Il y a un morceau de moi qui est parti. Mon corps est incomplet et je vis avec ce manque. De cela, j'ai appris qu'il ne fallait pas séparer, exclure, et c'est vrai aussi pour le corps social. Le juge doit unir et non pas exclure."

Ainsi parle Etienne Rigal, l'immense juge dont Emmanuel Carrère a écrit l'histoire dans "D'autres vies que la mienne" que je tiens pour un très grand récit.

J'ai aimé votre entretien avec E. Carrère.

Oui, c'est un écrivain narcissique. Cependant, selon moi, seul ce narcissisme exacerbé et assumé permet une description exacte de l'autre et des autres.

Je n'ai pas pleuré quand j'ai lu, entre autres d'Emmanuel Carrère, "D'autres vies que la mienne" ; c'est un livre que j'offre souvent.

Etienne Rigal est dans mon imaginaire pour toujours.

vamonos

Dans le livre "L'adversaire", Emmanuel Carrère développe l'affaire Jean-Claude Romand d'une manière originale, très intelligente mais surtout, extrêmement captivante. Le style fluide et facile m'avait emporté, l'originalité de l'approche artistique m'avait captivé. Pourtant, je connaissais l'affaire comme tout un chacun en France. Et puis j'avais vu le film avec l'excellent acteur Daniel Auteuil. Mais un film dure deux heures, un entretien sur la chaîne de M. Bilger n'occupe qu'une petite heure, un livre, un bon bouquin, c'est autre chose, une autre dimension.

scoubab00

Cela a dû troubler l'écrivain d'être face à quelqu'un qu'il connaissait pour l'avoir consulté auparavant au sujet d'affaires judiciaires. Cette inversion des rôles a été accentuée par la première question très offensive de Philippe : celui-ci se rue au filet, prétextant le succès quasi-unanime de ses livres auprès des critiques. EC lui répond que c'est bien mais que des avis acides ou défavorables seraient justifiés ou bienvenus. Dans quelques années, oui pourquoi pas.

Le courant n'est pas très bien passé, Philippe a souvent laissé Emmanuel à ses silences d'organisation. Dans les médias actuels, il est d'usage d'attiser, de recentrer ; même quelqu'un comme Jacques Chancel n'aimait guère les vides lors de ses interviews. Ce qui donne cette impression de flottement, comme lorsque, au bord d'un court de tennis, on se demande si le défenseur, loin derrière la ligne de fond, va pouvoir rattraper la balle. Ou juste l'effleurer.

Victoire de Philippe Bilger par 6 jeux à 3. Clap, clap, clap.

sbriglia

J'aime les silences de cet homme.

J'aime que vous les respectiez.

J'imagine Ruth Elkrief, Bourdin ou tout autre, asphyxiant la machine.

Le silence qui suit Elkrief ou Bourdin c'est toujours, malheureusement, du Bourdin ou de l'Elkrief...

Le silence qui suit du Bilger c'est son invité.

Tout journaliste digne de ce nom devrait être mélomane... pour apprendre à respecter les silences.

daniel CICCIA

Un auteur et une personnalité des plus intéressantes qui a éveillé mon intérêt il y a quelques jours sur France Culture, me semble-t-il, lorsqu'il a évoqué l'oeuvre de Philip K. Dick auquel il m'a semblé avoir consacré un ouvrage.
Je n'ai pas lu ses ouvrages, mais ses interrogations et son honnêteté sont touchantes.
Le passage au cours duquel il évoque la question du "politiquement correct", variante de la dénonciation de "la pensée unique", élément du trouble obsessionnel compulsif de notre époque suralimentée en postures d'information, est intéressant puisqu'il assume et questionne, davantage que pour le pied-de-nez que cela représente, le "politiquement correct".
Dénoncer "le politiquement correct", comme "la pensée unique", comme "la langue de bois", témoigne d'une renonciation à assumer l'amplitude du réel et à taxer, paradoxalement, celui qui le fait d'être dans une posture correcte qui serait erronée du fait, précisément, qu'elle se réfère à une correction dans la manière d'appréhender les événements.
Ainsi, il est possible de discréditer les arguments que l'on combat en assénant au préalable cette accusation.
Ici-même, un nouveau qualificatif intervient souvent pour écraser tout sens critique. Il consiste à qualifier celui qui dit une chose de "Bisounours"...
C'est marrant.
Ceci dit, entretien très intéressant.

Marc GHINSBERG

Voilà cher Philippe un exercice dans lequel vous excellez. C’est la deuxième fois me semble-t-il où vous n’êtes pas en pleine empathie avec votre interviewé. La première, de ce que j’en ai ressenti, était avec Florian Philippot. Visiblement certaines de ses réponses ne vous avaient pas paru totalement sincères. Avec Emmanuel Carrère on sent une irritation provoquée entre autres par l’unanimité de la critique à son égard. Son statut de bobo revendiqué ne contribue sans doute pas non plus à une relation fusionnelle. Vos questions de ce fait m’ont paru plus directes, moins « respectueuses » tout en restant parfaitement courtoises. L’entretien y gagne en intérêt d’autant qu’Emmanuel Carrère ne s’est jamais dérobé, reconnaissant honnêtement que sur les questions politiques il n’était pas mûr. Je connaissais l’écrivain par ses livres, je connais désormais un peu mieux l’homme grâce à vous.

Achille

Bonjour,

Evidemment quand on est le fils de la Secrétaire perpétuelle de l’Académie Française on ne peut être qu’un écrivain de renom. Simple question de « bons gènes » à moins que ce ne soit de bonnes relations. La panoplie de prix littéraires d’Emmanuel Carrère en est la meilleure démonstration.

Je m’étais promis d’acheter son dernier livre Le Royaume et puis j’ai opté pour 2084 de Boualem Sansal, puis Titus n’aimait pas Bérénice de Nathalie Azoulai (que je lis en ce moment et qui me rappelle le bon vieux temps où j’étais chez les frères maristes).

Mais après cet entretien, promis, je vais me procurer Le Royaume ou Limonov. Ne pas avoir lu un ouvrage d’Emmanuel Carrère, c’est une lacune qu’il convient de combler au plus vite.

anne-marie marson

Super ! Un nouvel entretien. Merci Emmanuel Carrère et Philippe Bilger.
Cela change de la philosophie à la Macron.

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