Renaud ne lui a pas reproché d'en être un mais s'en est vertement pris, cependant, à Jean-Jacques Goldman (JJG)...
Il vaut la peine de citer ses propos dans le détail (L'Express) :
"Jamais on n'a vu JJG qui a un tel pouvoir, un tel talent dénoncer une injustice...Les Restos du coeur, c'est bien, cela a rapporté beaucoup d'argent à la télé et à l'association mais j'ignorais que l'injustice et la misère étaient la serpillière de la charité...C'est pour cette raison que je ne participe plus à l'émission qui en plus s'est ouverte aux sportifs, aux célébrités en tout genre, à Jean d'Ormesson..."
Je l'admets, dès qu'on attaque JJG, je vois rouge si j'ose dire.
Parce que ce chanteur et cette personnalité m'ont toujours inspiré de l'estime, voire de l'admiration. Son talent, l'éclat puis la discrétion, son humanisme modeste et pragmatique m'ont convaincu que nous tenions avec lui un beau spécimen d'humanité. J'ai tenté désespérément de le persuader de se laisser interviewer. Un jour il m'a répondu non ; avec humour et délicatesse, en m'assurant qu'il n'était déjà pas sûr de lui en musique, alors pour le reste !
Le problème, avec Renaud, c'est qu'il n'est pas un imbécile et que sa dénonciation n'est donc pas à prendre à la légère, sans surestimer évidemment l'importance de cette controverse.
En l'occurrence je ne suis pas loin de penser qu'il a raison sur les Restos du coeur et sur le cirque des Enfoirés mais qu'il a totalement tort au sujet de JJG.
Que les Restos aient été pour la télévision et l'association une entreprise profitable ne peut pas être nié. Et alors, pourrait-on rétorquer, dès lors que les effets sociaux et humains en sont bénéfiques... Il n'empêche que dans un monde idéal et avec un Etat exemplaire, la charité ne devrait pas être une voie royale d'assistance mais une aide très subsidiaire...
Les représentations des Enfoirés sont devenues un fourre-tout artistique et médiatique - Eddy Mitchell avait déjà porté le même jugement - où des chanteurs, des people, des célébrités réelles ou en recherche se mêlent pour se donner bonne conscience, amplifier leur visibilité, ajouter à leur panoplie une touche de solidarité et, en définitive, offrir un spectacle qui les sert plus qu'il ne sert la cause belle dans son principe qui est mise en avant.
Ce conglomérat hétérogène et globalement très narcissique tombe parfois davantage dans le ridicule qu'il n'enthousiasme même les plus indulgents. La participation, par exemple, d'Ibrahimovic et de Jean d'Ormesson atteint un comble de démagogie. Certes l'académicien n'est jamais en retard d'un jeunisme et de prestations décalées mais tout de même, trop c'est trop !
Mais, sur JJG, il me semble que Renaud s'égare. Son analyse renvoie d'une part à des conceptions humaines, sociales et politiques très antagonistes chez l'un et chez l'autre et, d'autre part, à la sanctification médiatique de Renaud depuis des années qui le place dans une posture ostensible avec ses dérives tandis que JJG est au contraire d'une superbe et insupportable normalité. Celle-ci décourage tandis que les journalistes raffolent de l'autre.
Je n'aurais jamais abordé cette focalisation obsessionnelle sur Renaud si justement elle ne permettait pas à ce dernier de donner des leçons et de fustiger au nom d'une exemplarité dont il n'a jamais fait preuve. J'entends bien que son immense talent de compositeur et de parolier a fait de lui l'auteur de chansons mythiques qui, dans beaucoup de têtes aussi contradictoires qu'elles aient été sur les plans idéologique et social, a inscrit l'histoire d'une génération, l'enchantement d'une tendresse rude et un stupéfiant mélange de nostalgie, de larmes et de sociologie décapante. L'enfance, l'amour et la politique en quelque sorte.
Mais, il ne faut pas se leurrer, Renaud est devenu un compagnon de route pour les médias fascinés et répétitifs à cause de l'alcool, de ses rédemptions temporaires, de ses rechutes, de cette proximité obscène qui nous constituait comme témoins de ses impuissances et de ses nouveaux départs. Probablement ne suis-je pas le seul à avoir été lassé par cet incessant et paradoxal hommage à Renaud, qu'il se terre ou se montre, avec son bulletin de santé exhibé et scruté ! Je me félicite qu'il soit "Toujours debout" mais cela ne me fait pas me détourner de JJG.
L'opposition entre eux n'est pas anodine car elle met en question deux conceptions du militantisme. Aussi incongrue que puisse apparaître la comparaison, on retrouve cet antagonisme dans beaucoup de secteurs, notamment le journalisme. Je vois en effet des ressemblances entre cette différence de perception et celle qui a suscité le désaccord entre Patrick Cohen et Frédéric Taddéï. Le justicier d'un côté et la neutralité éthique et pluraliste de l'autre.
Il est clair que JJG a eu, depuis toujours, une très vive répugnance pour le sommaire, le péremptoire, l'affirmation narcissique de ses opinions, de ses convictions, l'exhibition de ses combats, la posture du militant engagé sur tout et pour tout, avec la partialité et l'approximation qui caractérisent forcément les luttes idéologiques même les plus honnêtes.
Renaud, au contraire, se servant de sa notoriété, n'hésitera pas publiquement à se projeter au soutien d'une cause qu'il estimera juste, capitale.
Est-ce à dire que JJG, parce qu'il se tait, n'accomplit rien, parce qu'il vit avec une normalité qui, s'il n'était pas absolument sincère et constant, serait soupçonnée d'affectation, n'exprime pas à sa manière ce qu'il pense du monde, des autres et de son rapport avec eux ? Bien sûr que non.
Ayant lu - livres et articles - tout ce qui a été publié sur son comportement au quotidien à Marseille, l'ayant défendu à la suite de l'absurde polémique née de sa très profonde chanson sur les générations en conflit, je devine bien que son souci prioritaire est de favoriser, autant qu'il peut et à l'évidence il peut beaucoup, un bien empirique, un pragmatisme de la solidarité, d'inscrire la trace concrète et immédiate de sa générosité sur son environnement. Plutôt la modeste et efficace assistance que le militantisme tonitruant et forcément stérile. Ce n'est pas offenser Renaud que de souligner qu'il n'a jamais fait changer quoi que ce soit tandis que JJG ici et maintenant, et depuis des années, y est parvenu sans aucun doute.
Principalement, sans mythifier JJG pour ses vertus comme Renaud l'a été par les médias à cause de (ou grâce à) ses faiblesses, je considère qu'il y a une force, une influence quasiment politiques de l'exemplarité. Il y a heureusement aussi une contagion de la rectitude et de la tenue. Il n'y a pas que l'innommable qui attire et fascine trop souvent !
La certitude que JJG est cet homme "bien", qu'il a été un compositeur et un interprète indépassables, qu'il s'est mué en cette personnalité que, pour une fois, les Français lucides continuent, année après année, à promouvoir, apporte beaucoup au lien social et diffuse une espérance. Ainsi le pire n'est pas toujours sûr et il est possible de demeurer dans l'ombre sans cesser de projeter de la lumière.
Renaud est Toujours debout. Tant mieux.
JJG est tout sauf un Enfoiré ! Evidemment.
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