Je ne me lasse pas du plaisir de ces interminables petits déjeuners de vacances où on refait le monde et où la politique devient presque inéluctablement le sujet principal, comme si la quotidienneté oisive avait décidé de s'accorder à mes intérêts limités.
En même temps, durant cette période, comme l'actualité brute et factuelle est moins chargée, le citoyen passionné peut se nourrir de la substance d'entretiens ou de contributions d'un plus haut niveau que celui qu'en général les médias nous offrent. Ainsi Nicolas Sarkozy, Alain Juppé ou Emmanuel Macron apparaissent-ils non pas sous un jour nouveau mais comme des personnalités soucieuses d'enrichir notre connaissance d'elles ou d'amplifier nos interrogations.
Nicolas Sarkozy, à quelques jours d'intervalle, s'est livré avec talent à un exercice dont il raffole : décrire et expliquer ce qu'il est, jusqu'à ses goûts littéraires qu'il éprouve le besoin de nous communiquer avec une naïveté un peu scolaire, et sur le plan politique redonner confiance aux Français (Le Point, Valeurs actuelles).
L'ancien président, candidat explicite à la primaire LR dans quelques jours, vise à être une réponse. Il n'y a pas de sujet sur lequel il ne tranche pas. Fi des nuances et des tiédeurs ! La moindre hésitation serait coupable. Son programme est tout entier concentré sur lui et en lui avec une détermination et une assurance dont il espère qu'elles convaincront les Français. Il tente de mettre sur un plateau de la balance autant d'énergie et de vigueur, comme candidat renouvelé, que François Hollande a mis, selon lui, de mollesse et de faiblesse, en tant que président, sur l'autre.
Cette réponse qu'il affirme incarner, Nicolas Sarkozy la martèle avec constance, impétuosité comme si d'abord il cherchait à s'en persuader lui-même car à l'évidence, s'il feint de les balayer, les inquiétudes sur la validité de sa propre cause n'échappent pas à son intelligence.

Les Français ne veulent plus revoir le combat de 2012. Mais Nicolas Sarkozy invoque son lien particulier avec eux et il exploite jusqu'à l'usure le succès de son dernier livre et les rencontres multiples et enthousiastes qu'il permet et qui le rassurent. Assimilant la frénésie "people" à une adhésion civique et les selfies à des bulletins de vote.
Il parle comme le FN. Cette constatation de Nicolas Bay, Secrétaire général de ce parti, n'est pas fausse. En dehors de l'horrible parenthèse du terrorisme qui a contraint chaque responsable politique à durcir encore davantage des discours, pour certains déjà fermes, Nicolas Sarkozy reprend exactement les mêmes thèmes que le candidat de 2007 dont la campagne avait asséché le vivier du FN.
Hier c'étaient des espérances, aujourd'hui des redites, avec l'implacable conclusion qu'avec un FN déjà au plus haut, Nicolas Sarkozy ne pourra que tout au plus amplifier le lustre de ce parti en s'abandonnant à un mimétisme inopérant. Il ne distraira pas un électeur de Marine Le Pen mais en revanche il convaincra encore davantage les partisans de celle-ci que sa démarche constitue l'aveu d'une copie parce que l'original lui échappe.
Combien de fois Nicolas Sarkozy ne nous a-t-il pas affirmé qu'il avait changé ! Cette répétition est peu ou prou sa seule permanence. Alors qu'il suffit de le voir, de l'entendre ou de le lire, d'observer ses comportements publics de chef de parti, pour constater que le Sarkozy d'aujourd'hui est le même que celui d'hier et qu'il n'y a aucune raison pour que, si décevant dans sa pratique du pouvoir et si éloigné de la dignité républicaine, par magie il s'en soit rapproché dix ans plus tard.
D'autant plus qu'ayant empêché durant deux ans le moindre inventaire de son bilan et l'analyse critique de son échec, quand il a prétendu les accomplir à sa manière, il a occulté l'essentiel de ce qui lui avait été reproché et a été très indulgent avec lui-même.
C'est lui, toujours lui, en conviction, en volonté affichée, en dénonciation péremptoire et parfois sommaire, en certitude, en sentiment glorieux et anticipé de réussir un retour présidentiel.
Avec cette observation plus technique que politique. Son talent s'est émoussé et sa capacité de persuasion aussi. Rien que de plus normal que cette usure. Ce qu'on a trop entendu est de moins en moins audible et à force est de plus en plus mal dit.
Il vend la peau de l'ours, celle de ses adversaires qu'il traite avec désinvolture, presque condescendance. C'est sans doute leur chance. Ainsi, Nicolas Sarkozy prétendant avoir vaincu Alain Juppé virtuellement avant, ce dernier n'aura qu'à l'emporter réellement après s'il consent à mettre plus de passion dans la forme pour convaincre de la sagesse de son fond.
Mais Nicolas Sarkozy, qu'on l'apprécie ou non, est une réponse. Attention, ce n'est pas rien. A une France déprimée et sans espoir, il apporterait des remontants.
Emmanuel Macron, lui, est une question et il n'y a pas de caractère, de vision, de stratégie et de tactique plus aux antipodes de ceux de Nicolas Sarkozy si la comparaison a du sens. Du velours brillant après une grosse caisse pétaradante.
Emmanuel Macron est un mystère. A l'éclatante et brutale lumière de l'ancien président, il oppose une obscurité fine et complexe.
Il nous avait annoncé que la "couverture" de Paris Match et le reportage "intime" sur son couple avec photographies à l'appui ne se reproduiraient plus. On le voit, pourtant, avec sa belle épouse en couverture et on n'ignore rien de leur séjour à Biarritz dans la dernière livraison de cet hebdomadaire. Le rédacteur en chef photo de celui-ci affirme que le couple n'avait pas été informé de la publication de ces photos qui avaient été achetées. Vrai ou faux ? Mystère.

Ministre d'un gouvernement de gauche et se consacrant à sa mission avec une énergie et une compétence qui ne sont jamais banales, il a pourtant créé son mouvement En Marche un an avant l'échéance de 2017 alors qu'il est acquis pourtant qu'avec une primaire sur mesure, François Hollande se représentera. Pourquoi? Mystère.
Emmanuel Macron se revendiquant de gauche nourrit l'ambition de dépasser la droite et la gauche pour faire réfléchir ensemble des esprits et des clairvoyances, et rassembler des volontés, dans un cadre transpartisan. Avec "une naïveté assumée". S'il n'a pas l'audace dans tous les cas de figure de tenter sa chance en 2017, quelle serait alors, dans ce laps de temps gangrené par l'issue à venir, l'utilité de En Marche ? Pourquoi ? Mystère.
Si ce ministre brillant ne sort pas du rang, soutient à sa manière la campagne de François Hollande, faudra-t-il considérer qu'En Marche est le premier jalon d'une recomposition politique à laquelle il aspire comme d'ailleurs son adversaire Manuel Valls, rien n'étant pire que de se ressembler en étant condamnés à lutter sur un même terrain ? Conviendra-t-il d'appréhender son mouvement comme une offre intelligemment opportuniste, quel que soit le pouvoir de demain ? Pourquoi pas ? Mystère.
En ne faisant pas l'impasse sur la passion et le savoir philosophiques d'Emmanuel Macron, sur son indiscutable singularité dans l'univers politique - il a un discours de la méthode, un culte des idées générales et des concepts pas forcément opératoires qui le distinguent du politicien connecté seulement sur l'immédiat et son intérêt -, est-il permis, sans être qualifié de naïf, de prendre En Marche seulement pour une structure de fraternité intellectuelle et de liberté totale, se donnant le droit d'inventer l'avenir pour ne pas avoir le présent comme unique terreau et horizon étriqué ? Pourquoi pas ? Mystère.
Vouloir faire "de la politique autrement", avoir déclaré "qu'on ne peut ni ne doit tout attendre d'un homme, et 2012 n'apportera pas plus qu'auparavant le démiurge", affirmer que "ceux qui disent qu'on ne pourrait pas confier le pays à quelqu'un de 38 ans sont les mêmes qui le gèrent depuis trente ans", dénoncer le fait que "nous sommes parmi les très rares pays développés dans lesquels un ancien président peut revenir en sauveur de son camp cinq ans après avoir été battu. C'est une preuve supplémentaire de l'épuisement de notre système politique " - sont-ce autant d'indices d'un détachement de la politique traditionnelle, sans ambition de conquête, ou au contraire l'aveu à la fois d'une conscience nette de ses aptitudes mais de l'obligation, aujourd'hui, pour les porter au comble présidentiel, d'inventer de nouveaux chemins et de donner l'impression aux citoyens qu'on n'est "pas tout à fait le même et pas tout à fait un autre" ? Pourquoi pas ? Mystère.
Emmanuel Macron est le ministre le plus courageux qui soit - il l'a démontré à plusieurs reprises - et en même temps il offre une personnalité qui porte le pluralisme en son sein, qui n'arrive pas tout armée dans l'espace républicain et fuit, sur beaucoup de sujets, les poncifs habituels, qu'ils soient ceux de la mansuétude et de la superficialité socialistes ou ceux du simplisme de droite. Que cache-t-il, qu'occulte-t-elle ? Une puissance formidable d'avenir ou un feu pétillant, étincelant de l'instant ? Une vraie chance, un leurre utile, une illusion trompeuse ? On ne sait. Mystère.
La réponse que Sarkozy prétend incarner est aux antipodes de la question que nous nous posons au sujet de Macron parce qu'il est lui-même une grille à déchiffrer.
Pour le premier, il n'est pas nécessaire d'y revenir. Il a déjà eu son heure de gloire et il piaffe de la revivre. Mais, pour le second, ce n'est pas un mince exploit de susciter tant de mystères, d'aiguiser notre impatience, de nous faire languir. Car il est le maître du jeu mais l'est-il de son je ? N'est-il pas dans cette zone délicieuse, incertaine et troublante où trop de possibles sollicitent un humain trop doué, trop riche ?
Nicolas Sarkozy devrait se poser quelques questions et Emmanuel Macron ne pas trop différer sa réponse.
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