A tout âge, on a le droit de rêver. Au moment même où le présent mobilise ou accable, le rêve y introduit un parfum de futur, un désir d'avenir.
Mais il convient que le rêve soit plausible. Pas démesuré ni impossible à un point qu'il créerait plutôt une blessure, une frustration qu'une espérance.
Le 2 juin j'ai vécu un moment inoubliable. J'ai eu le bonheur d'éprouver qu'un rêve qui m'habitait depuis longtemps, le méritait. Incarné, il a été à la hauteur concrète et opératoire de mes songes. La réalité, loin de le trahir, l'a sublimé.
Il n'était pas évident de réunir une vingtaine de candidats épris de la parole : professionnels de la parole et amateurs, de toutes générations (de 19 ans à 78 ans), de toutes formations et activités.
Il n'était pas évident de les convaincre d'assumer un projet extra-ordinaire, sortant leur épreuve des conventions et des préciosités des joutes orales classiques constituant la parole non pas comme un exercice de liberté et d'intelligence mais comme un rituel de salon, un jeu où l'esprit français était incité à se caricaturer lui-même.
Il n'était pas évident de leur faire accepter une lutte à armes égales avec un sujet unique qui n'était pas des plus faciles, choisi par un trio d'arbitres exceptionnel : Catherine Belle-Croix, professeur de lettres classiques, ancien préfet des études de Franklin, qui a présidé avec grâce et talent ; Maître Jean-Yves Le Borgne, qui fut le premier vice-bâtonnier de Paris, et Alain Ovadia, brillant chef d'entreprise.
Il n'était pas évident d'imposer à chacun des participants, sur le thème "La conquête est-elle immorale ?", une demi-heure de préparation seulement mentale, sans l'ombre d'un crayon, d'une feuille de papier, d'un portable ou d'un ordinateur. Chacun confronté à soi-même dans une délibération et une structuration intenses pour extraire la substantifique moelle du désordre et de la profusion illimités suscités par cette interrogation équivoque.
Il n'était pas évident de les écouter ensuite, le public étant à la fois sympathique, attentif et parfois critique, durant dix minutes pile nous offrir leur réflexion avec l'infinité de variations et de nuances que la parole accordée aux tempéraments engendre.
Il n'était pas évident de recueillir de la part de tous les auditeurs le sentiment qu'un exploit avait été réalisé devant eux, face à eux. Avant même la qualité de la parole, celui tenant à l'audace de l'avoir élaborée ainsi sans crainte ni forfanterie. Avec la certitude que parlant de la sorte, c'était de l'humain qu'ils exprimaient plus que de la technique qu'ils proféraient.
Il n'était pas évident de voir repartir tous les candidats, après les prix décernés par le jury, avec de la fierté, de la déception aussi mais sans la moindre aigreur.
Le premier distingué ayant été David Jarousseau - son nom mérite d'être cité - qui a pu, avec trois autres à sa suite, bénéficier du partage d'une somme substantielle.
Il n'était pas évident de mener à bien une telle entreprise mais les rêves, quand ils ont envie de venir au jour, font bien les choses. Pro-Barreau et ses locaux si parfaitement agencés comme si de toute éternité ils savaient ce qui les attendait. Une équipe exemplaire et efficace. Des juges ayant recueilli un assentiment général. Un Institut de la parole légitimé. Sud Radio partenaire capital mis à l'honneur. Du champagne offert par LVMH.
Le rêve d'une certaine parole enfin inscrit dans la quotidienneté, le temps d'une journée unique.
Une parole de rêve inaccessible mais déjà heureuse d'avoir été approchée par des personnalités, des pensées et des mots ayant su relever un défi.
@ Philippe Bilger | 04 juin 2018 à 21:59
L'entre-soi est effectivement une formule que j'ai employée, mais sans volonté de vous viser nommément, sachant que dans ce concours organisé par vous, mais délégué quant aux résultats à trois personnes choisies pour leurs compétences spécifiques, vous n'aviez pas toutes les cartes.
Au demeurant une expérience que vous avez eu le mérite de tenter et de mener à son terme et qui mériterait peut-être d'être reprise et menée à bien avec d'autres critères, rassemblant cette fois dans une parfaite égalité tous les candidats potentiels, quitte à recourir à pile ou face pour éliminer le trop-plein.
Rédigé par : Mary Preud'homme | 05 juin 2018 à 13:33
Je voudrais rassurer certains d'entre vous qui paraissent déçus par ce qu'ils imaginent avoir été l'entre-soi du concours de la parole le 2 juin. Pourtant rien de plus contraire à cette impression dans la réalité. Nous avons découvert à l'issue du concours que le lauréat était en effet formateur en expression écrite et orale mais lors de la pré-sélection je l'ignorais. J'ajoute que d'après le trio qui a évalué l'oralité des candidats, la discussion a été vive et que les quatre premiers dont deux ex-aequo à la troisième place étaient très proches les uns des autres sur ce sujet difficile.
Il ne faut pas s'étonner non plus que même dans une joute atypique ouverte à tous, amateurs et professionnels de la parole, ces derniers, en définitive, puissent bénéficier d'une expérience qui les rende plus performants dans un discours de dix minutes. Ce qui a frappé l'ensemble des auditeurs à l'issue de cette journée a été le caractère singulier et exemplaire d'un même sujet pour tous et le défi que chacun a relevé : une structuration purement mentale et un propos courageusement spontané, exprimé le plus souvent avec esprit et talent. L'entre-soi est un enfermement que j'ai toujours récusé. Je n'allais pas le permettre le 2 juin.
Rédigé par : Philippe Bilger | 04 juin 2018 à 21:59
La conquête immorale est un rêve nietzschéen :
"...l’Europe est la communauté des États qui ont compris, plus ou moins explicitement, qu’ils n’incarneraient plus jamais le centre de gravité du pouvoir mondial. C’est même, pardonnez-moi, une sorte de rehab center, de centre de réadaptation où l’on apprend à 500 millions de perdants comment vivre, exister, se redresser dans un monde post-impérial, post-héroïque, post-idiot. Est « idiot » – du grec idiôtês, le « particulier », l’« inculte », celui qui s’imagine être capable de vivre sans les autres et qui ne pense qu’à son « intérêt propre », loin de l’intérêt général qui fonde les « associations ». Mais aujourd’hui, « l’idiot » est aussi obsédé par l’image de soi qu’il donne aux autres. Comme si le « selfie », nouveau genre autophotographique, avait contaminé la politique. On assiste à une revendication du fameux « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », mais dans sa version XXIe siècle – pervertie, adolescente, capricieuse –, comme s’il fallait afficher de façon permanente son désir narcissique de montrer qu’on ne doit rien à personne."
https://journal.lepoint.fr/l-immaturite-est-au-pouvoir-2222633
Ainsi, la vraie victoire serait toujours d'arriver à reconnaître qu'on a perdu, et la parole de vérité, chair de nos relations, vaincrait alors la mort.
Rédigé par : Aliocha | 04 juin 2018 à 07:09
@ Mary Preud'homme | 03 juin 2018 à 19:43
« ...on reste toujours en l'entre-soi »
Hou là là, serais-je d’accord avec Mary Preud’homme ?
Ben oui !
@ P. Bilger
- Maître Jean-Yves Le Borgne et au royaume, nous savons qui est roi !
- Sngst, PDG Alain Ovadia : https://fr.kompass.com/c/sngst/fr0007315/
- David Jarousseau : https://fullcoaching.fr/biographie/
https://fr.viadeo.com/fr/profile/david.jarousseau
À mon avis, c’est pour mieux vendre ses services : vainqueur du concours de l’Institut de la parole, ça en jette sur un CV, cela permet de se faire un carnet d'adresses sur place vu l'origine sociale du monde présent.
Combien de personnes sans emploi ?
D'éboueurs ?
De femmes de ménage ?
D’ouvriers ?
Rédigé par : Elusen | 04 juin 2018 à 02:02
Bravo, votre rêve ayant pris corps, ne reste qu'à nous le présenter "en pied" dans les jours qui viennent !
Pendant ce temps, je poursuis la conquête du jardin idéal avec l'aide de mon jardinier préféré... et ceci dans la plus parfaite moralité !
Avec mes compliments les plus malicieux !
Rédigé par : Saltapiou | 03 juin 2018 à 22:16
Le lauréat est un habitué sinon un pro de la communication. Sans doute qualifié ès qualités parmi beaucoup d'autres.
En dépit des apparences on reste toujours en l'entre-soi, rien de nouveau sous le soleil !
Rédigé par : Mary Preud'homme | 03 juin 2018 à 19:43
LVMH n'a pas affaire à un ingrat. Même pas du cognac Hennessy alors que Le Pen vient de nous faire de la pub pour le cognac Martell.
Rédigé par : stephane | 03 juin 2018 à 19:22
"La conquête est-elle immorale ?"
Houlaaa !
Vous n'allez pas vous faire des amis parmi les gens pour qui La Conquête est la seule raison de vivre et justifie tout depuis des siècles...
Rédigé par : Exilé | 03 juin 2018 à 18:43
J'ai bien fait de ne pas m'inscrire, pour deux raisons.
Un, je n'aurais pas été sélectionné pour la finale.
Deux, si par extraordinaire je l'avais été, en ayant à traiter ce sujet-là il est sûr et certain que j'aurais terminé vingtième sur vingt.
Remarque latérale : je conseille à chacun de trouver sur Internet le profil du gagnant, dont vous nous livrez très aimablement le nom et le prénom. Il n'a pas été premier dans un concours de circonstances ! Manifestement.
Sur LinkedIn, je tombe sur ceci :
"David Jarousseau
Formateur en expression écrite et orale
Hier samedi 2 juin 2018, face à 19 candidats, j’ai remporté « le concours de la parole » organisé par Maître Philippe Bilger, Magistrat honoraire et président de l’Institut de la Parole..."
A ce très grand orateur - nobody's perfect - j'apprends ce que chacun d'entre nous sait : on dit "Maître" en parlant d'un avocat, mais pas en parlant d'un magistrat... même quand c'est un maître à l'oral comme à l'écrit.
Rédigé par : Patrice Charoulet | 03 juin 2018 à 18:34
Que voilà une excellente préparation à votre concours que le concours d'éloquence Démosthène d'Aix-en-Provence, auquel votre lauréat semble s'être abonné, qui fonctionne sur le schéma d'une joute pour/contre et qui comporte une édition lycée.
Faire concourir aussi les plus jeunes à votre concours même si cela ne devait être doté que d'un paquet de biscuits ne voilà-t-il pas une idée à creuser ?
Rédigé par : Catherine JACOB | 03 juin 2018 à 17:31
Cher Philippe,
Dur, dur le sujet !
Quoique...
Il était possible de tenir un bon moment sur l'historique de la morale avec Kant, Montesquieu, Rousseau, peut-être un petit détour sur la laïcité et aborder les approches neuro-scientifiques.
Mais de quelle conquête fallait-il s'entretenir ?
La conquête de la liberté ?
La conquête du savoir ?
La conquête de l'indépendance, de la neutralité, de l'équité de la justice ?
La conquête amoureuse, spatiale, de l'intelligence artificielle ?
Il y avait de quoi aborder les pirates, refaire un short à Napoléon, faire la tête à Robespierre et Danton, revisiter les horreurs de la médecine et de la justice pendant les guerres, rebâtir les ruines de la conscience universelle et aller conquérir l'âme du futur.
De quoi refaire un monde en dix minutes, un monde ou un songe !
Ou tout simplement la conquête de soi-même et là c'est déjà tout un programme pour faire la courte échelle à Descartes.
Immorale, immorale la conquête ?
Mais la question n'était-elle pas biaisée en supposant que toute conquête soit immorale ?
Chaque chemin est pavé d'immoralité. Ainsi, si je cueille une fleur pour conquérir son parfum, sa beauté, ses bienfaits, je lèse les abeilles, les lapins d'Alice aux pays des merveilles et je me retrouve dans un rêve qui n'en est pas un.
françoise et karell Semtob
Rédigé par : semtob | 03 juin 2018 à 17:13
Oui, très bien, sans aucun doute et rare de nos jours. Toutefois, le sujet emporte par lui-même une dialectique et un risque d'absorption sémantique, en raison des termes choisis. Ce ne devait pas être facile de résoudre cette énigme sans tomber dans le discours. "Conquête" est polysémique et "immorale" aussi, ce qui est contestable aussi. A moins de supposer la mise au ban de toute conquête qui n'est pas spirituelle et intime ou personnelle dans le strict respect des conceptions féministes et schiappesques.
Tout le monde espère que vous avez passé un grand moment.
Rédigé par : genau | 03 juin 2018 à 16:35
A tout âge, on a non seulement le droit de rêver mais on en a surtout le devoir !
Heureux que votre rêve, Philippe Bilger, soit, par votre ténacité, devenu réalité et que cette réalité ait été couronnée de succès.
Et si par chance il s'avère possible d'écouter les propos du vainqueur, alors notre plaisir s'ajoutera au vôtre.
Rédigé par : Michel Deluré | 03 juin 2018 à 16:33
Il serait intéressant, si cela est possible, d'écouter sur votre chaîne YouTube le discours du vainqueur que vous avez sans doute enregistré afin que nous aussi nous puissions profiter du talent oratoire du lauréat de ce concours.
Rédigé par : Achille | 03 juin 2018 à 15:17
Une parole de rêve inaccessible mais déjà heureuse d'avoir été approchée par des personnalités, des pensées et des mots ayant su relever un défi.
Bon, maintenant il ne reste plus qu'à organiser un concours sur le sens de l'écoute...
Rédigé par : Exilé | 03 juin 2018 à 13:45
Que dire ? Champagne pour le gagnant du concours et ceux qui l'ont presque été, sans parler du vainqueur ultime, notre hôte qui a réalisé son rêve par ce concours.
A propos de champagne, une très belle oeuvre à voir sur ce sujet et un article intéressant à lire :
http://www.confucius-angers.eu/les-coincidences-de-lhistoire-jean-lurcat-la-tapisserie-et-la-chine/
Rédigé par : Noblejoué | 03 juin 2018 à 13:02
Félicitations pour cette organisation.
Est-ce qu'il y aura la prestation du vainqueur sur YouTube ?
Rédigé par : anne-marie marson | 03 juin 2018 à 12:49
Bravo d'avoir organisé cette joute. La parole improvisée sur un sujet difficile est un art. Vous êtes un facilitateur d'un très vieux savoir.
Rédigé par : olivier seutet | 03 juin 2018 à 12:35