Dans mon billet du 3 juin 2018 Le rêve de la parole, une parole de rêve
j'avais dit à quel point le concours du 2 juin a été aussi extra-ordinaire que je l'espérais, tenant toutes ses promesses.
Une courte et excellente présentation en a été tirée, créée par Kévin Dumoux, avec l'aide de Gérard Delrue. Il s'agit véritablement d'une vidéo hors concours !
Ci-dessous, les passages en vidéos de quelques candidats:
Écoutant hier la causerie organisée avec Jordan Peterson par la Oxford Union, et publiée le 24 juin, j'ai été frappée de voir comme la courte introduction qu'il a faite répond au thème proposé par Philippe Bilger pour le concours de la parole. Pour ceux qui n'ont pas le temps de s'y reporter voici l'argumentation de Peterson :
Tout être vivant doté de mobilité avance dans son environnement. Il va d'un point A à un point B. Il est motivé pour le faire. Cette poursuite répond en effet à une nécessité physiologique (se nourrir, assurer sa sécurité, la reproduction de l'espèce etc.) et chez l'homme cela répond aussi à une nécessité psychologique. Il forme des projets, a des objectifs, et cherche à les réussir.
Dans ses avancées, il exerce nécessairement une sélection de ses objectifs, ce qui suppose de sa part des préférences, et met en jeu des jugements de valeur.
Quand cet être qui vient d'être défini comme doué de mobilité, de motivations et de valeurs avance d'un point A à un point B, il escompte que le point B est plus bénéfique que le point A, et moins douloureux. Car vivre c'est éprouver de la difficulté et de la douleur. Les bouddhistes disent que vivre, c'est souffrir. La douleur de vivre est transcendée par l'espérance suscitée par le projet et par les valeurs qui s'y attachent. La personne qui n'a pas de projets s'enlise dans les difficultés et les tristesses de la vie, dans la douleur d'exister.
Parce que l'homme est un animal social, il n'avance pas tout seul. Il réalise son projet avec les autres, en opposition, compétition ou en collaboration. Et de façon organisée. L'organisation se fait selon un modèle hiérarchique, le critère de sélection étant la compétence.
(Note : ce modèle d'évolution de l'espèce a été développé par Darwin. Il place au sommet de la hiérarchie les plus compétents, mais fonctionne de manière plus souple que l'on ne croit. Ainsi, les rats aiment jouer à la bagarre entre eux. Si l'on met deux rats qui ne se connaissent pas ensemble, le rat le plus fort gagne la bagarre et c'est tout, il devient le dominant. Mais si l'on met souvent les rats entre eux et qu'ils se connaissent, au bout d'un moment, le rat le plus petit ne voudra jouer que si le rat le plus fort le laisse gagner de temps en temps, ce que le plus fort acceptera de faire. Il existe donc toutes sortes de modalités pour aménager ce processus hiérarchique à l'intérieur du groupe et lui permettre de fonctionner.)
C'est là que le jury de Philippe Bilger demande : "Et la morale dans tout ça ?"
Eh bien, répondons-lui que pour l'instant la morale est encore à peu près sauve. Mais il existe une loi d'airain, que les économistes appellent la loi Matthieu ("Matthew principle"), car édictée dans la parabole du semeur dans l'évangile de Saint Matthieu, où sont opposés le royaume de Dieu - où les chances de chacun se renouvellent dès qu'elles sont épuisées - au royaume de ce monde - où celui qui a beaucoup recevra encore davantage, tandis qu'à celui qui n'a rien sera retiré le peu qu'il avait.
C'est ainsi que les projets que nous poursuivons en commun, organisés comme nous l'avons vu selon un modèle hiérarchique basé sur la compétence héritée de l'évolution, font que les plus compétents gagnent toujours davantage, et que les moins compétents perdent toujours plus. C'est là qu'interviennent la morale, les lois, la politique, la charité individuelle.
D'après cette description de Jordan Peterson, et pour revenir au sujet du concours, on pourrait avancer que le concept d'esprit de conquête est amoral, c'est-à-dire ni moral ni immoral. Mais cette dernière proposition est une fiction ; en réalité, il ne peut s'exercer en l'état, parce que nous sommes des êtres sociaux et que la conquête, si elle concerne l'individu, concerne toujours l'individu dans le monde, parmi ses semblables. On pourrait citer Winnicott qui à la suite de Melanie Klein, parle d'un surmoi dès le début de l'existence. Winnicott raconte ainsi qu'il a vu au cours de ses visites un nouveau-né nourri au sein qui perdait inexplicablement du poids. Cet enfant, né avec une ou deux dents, blessait sa mère au moment où elle le nourrissait. Le tout-petit pourtant affamé se privait de nourriture pour ne pas détruire la source de sa subsistance. À noter que le surmoi régule la pulsion à un niveau que l'on peut supposer totalement inconscient chez un nourrisson. Pour Freud aussi, le surmoi est en grande partie inconscient. Winnicott explique ainsi que l'agressivité ne peut jamais s'exercer librement, tant elle est dangereuse pour soi et pour les autres. C'est la puissance destructrice des exigences pulsionnelles qui secrète un mécanisme de barrage à leur encontre.
Notons en passant que la conquête se pervertit quand au lieu de briser l'ordre établi pour repousser les limites, elle ne vise plus que le plaisir qu'elle procure, comme pour Don Juan, par exemple, dont le seul projet devient la jouissance de la satisfaction, alors qu'il n'a que faire de l'objet, devenu interchangeable et secondaire. Ça se termine mal pour lui, sa position est destructrice autant pour lui-même que pour ses victimes.
Comme certains l'ont noté ici, il existe des conquêtes intérieures, qui ne sont pas vraiment territoriales, mais qui sont toujours suscitées par le besoin de dépasser ses limites. Elles conservent à mon avis un caractère héroïque, volontariste, non dépourvu d'ambiguïté sur le plan moral, tant qu'elles n'ont pas gagné l'individu à un niveau plus profond où le renoncement et l'acceptation de sa propre finitude interviennent, signifiant un approfondissement et un recentrage, plutôt qu'un dépassement de soi (voir Jung et le processus d'individuation).
https://www.youtube.com/watch?v=UZMIbo_DxJk
Rédigé par : Lucile | 27 juin 2018 à 14:36
@ Patrice Charoulet
Non, non, la vidéo est réellement tombée du ciel. Je n'y étais pas, ni ne fréquente Philippe Bilger, de près ou de loin.
Cela étant, le lauréat est formateur d'officiers supérieurs de l'Ecole de Guerre, ce qui lui donne, pour aborder le concept de conquête, une longueur d'avance sur ses concurrents…
Rédigé par : Patrice (l'autre) | 20 juin 2018 à 12:26
@ Patrice
D'abord merci et bravo à David Jarousseau. Qui aurait jamais son éloquence ?
Cependant, à part mon manque d'éloquence et d'aucuns diraient d'intelligence (j'attends de voir combien de bons amis vont s'engouffrer dans cette brèche, désagréable, mais me donnant raison ; je vais obliger ces gens à réfléchir, j'ai vraiment des trucs de tortionnaire...), cette vidéo me confirmez ce que je pensais, à savoir l'obligation d'être OPTIMISTE pour gagner.
Donc le bien va forcément triompher. Il faut le croire... Mais je vois pas mal de raisons ou de cas où ça n'arrivera pas.
Par exemple, un de mes dadas, s'il y avait un gouvernement mondial tyrannique, et pourquoi pas, à problèmes mondiaux, gouvernement et solutions mondiales, diront les demi-habiles. A gouvernement mondial, tyrannie qui ne sera jamais renversée.
Gouvernement = possibilité de tyrannie. Car toute institution, voire à mon avis tout humain (les bons amis vont me dire que moi surtout et que je change l'or en une matière que vous imaginez) est corruptible.
Mondial = impossibilité de le renverser.
Pourquoi ? Tout pouvoir à l’intérieur, un totalitarisme s'inspirant au mieux de ses prédécesseurs. Mondial, il n'y aura plus de guerre chaude ou froide ou même de rumeur de monde extérieur pour apporter la moindre opposition. Le seul moyen de renverser la chose serait que des gouvernants, mais le dire comme je l'envisage prendrait du temps, le fassent, mais je n'y crois pas.
Disons que ce ne serait pas leur intérêt, qu'ils se contrôleraient les uns les autres et que la dynamique de la tyrannie devrait les rendre plus absolus à chaque génération.
Démons et merveilles, comme dirait l'autre, je crois que le meilleur est possible, mais le pire aussi, et qu'on ne doit pas être trop sûr du triomphe, si on veut l'avoir.
Et il ne faut pas dire "on verra bien", dans le cas que je dis... et d'autres, il n'y aurait pas de seconde chance.
Pour gagner, à part mille qualités que je n'ai pas, j'aurais dû contrefaire l'optimisme, parler dans une langue qui n'est pas la mienne pour dire des choses que je ne crois pas.
Et si DJ a raison de dire que les femmes ont bien fait de conquérir leurs droits, avec l'aide de quelques hommes comme d'ailleurs tous les opprimés revendiquant ont reçu l'assistance de gens du groupe des oppresseurs, cette conquête est très fragile, menacée, et de plus, peu défendue, comme on peut le voir sur ce blog, entre autres. Parce que les gens préfèrent s'attaquer à des gens qui ne leur ont rien fait que de défendre leurs droits, entre autres qualités. C'est l'injustice. Ils croient aussi que ce qui est entre leurs mains y restera forcément. C'est l'optimisme.
Là où on voit que vous, DJ, êtes très fort, c'est que j'ai oublié tous ces problèmes et quelques autres en vous écoutant.
Je vous félicite donc et pense que beaucoup le feront et que des gens gardant le silence n'en auront pas moins été éblouis.
Rédigé par : Noblejoué | 20 juin 2018 à 09:18
Je me joins à sbriglia. Je pense que la grande majorité des contributeurs de votre blog attendaient la vidéo du vainqueur du concours et pas une page de pub si sophistiquée soit-elle.
Rédigé par : Achille | 20 juin 2018 à 08:33
Cher Philippe,
Ayant écouté votre vidéo, j'ai failli commenter de cette façon :
Très bon générique de... ?
Je me suis poliment retenu ("Un homme, ça s'empêche" - Camus)
Sbriglia, RM et Catherine Jacob n'ont pas craint de dire, chacun à sa façon, la frustration que bien des habitués de votre blog avaient éprouvée.
Enfin, Dieu soit loué, une vidéo tombée du ciel nous permet d'entendre l'intervention du lauréat de votre concours.
Cette vidéo étant signée "Patrice", je suis obligé de préciser que ce Patrice-là n'est pas moi.
Ce Patrice-là s'appelle-t-il Philippe Bilger ? S'agit-il d'un assistant que vous aviez chargé de filmer ?
Toujours est-il que nous pouvons enfin entendre ce que nous souhaitions entendre. C'est l'essentiel.
Il faudrait avoir un sacré toupet, pour celui qui est resté prudemment chez lui et qui a refusé le combat (dans lequel, je l'avais dit, il aurait été classé, c'est sûr et certain, bon dernier), de critiquer cette intervention.
J'espère que personne n'aura cette idée saugrenue.
Droit des femmes (conquis), Daech (vilaine conquête), conquête d'un coeur. Pourquoi pas ?
Et barbe. C'est tendance. Moi, je n'en raffole pas vraiment.
Rédigé par : Patrice Charoulet | 20 juin 2018 à 07:41
Ici :
https://www.youtube.com/watch?v=n1YSRX1CSg4
Rédigé par : patrice | 19 juin 2018 à 21:13
Euh euh euh, oui ?
Rédigé par : Catherine JACOB | 19 juin 2018 à 08:49
Certes, certes, mais les interventions elles-mêmes ?
Est-ce un tizeur ? Le suspense est insoutenable...
Rédigé par : Robert Marchenoir | 18 juin 2018 à 14:13
J'ai dû me farcir une publicité pour un médicament anti-constipation "occasionnelle" (sic !) avec démo à l'appui avant la vidéo "hors concours" qui me paraît sans intérêt dans la mesure où nous aurions aimé voir et surtout entendre les candidats...
Bref, une entrée à base de radis et on vous éjecte du restaurant... ce qui est quelque peu frustrant...
Rédigé par : sbriglia | 18 juin 2018 à 10:21