Les modalités du déconfinement à venir en principe le 11 mai sont encore trop imprécises pour qu'il ne soit pas aventureux de les questionner immédiatement. Le pouvoir explicitera sûrement par la suite les orientations définies le 13 avril par le président de la République.
On m'excusera donc de me tourner vers un autre sujet, aussi dérisoire qu'il pourra apparaître à certains persuadés qu'il y a des thèmes nobles et d'autres qui ne le seraient pas. Marcel Proust nous a pourtant enseigné - et je me suis toujours inscrit sur ce point précis dans son illustre et clairvoyant parrainage - que l'objet ne compte pas mais seul le regard qu'on porte sur lui.
Profitant du confinement et du temps qu'il me laisse entre les activités obligatoires et bienvenues que j'ai à accomplir chaque jour, moi qui n'en raffolais pas parce que je craignais leur caractère répétitif et chronophage, je me suis abreuvé de séries étrangères et françaises.
Pour les premières, The English Game, Self Made, Unorthodox, puis The Crown en ce moment.
Pour les secondes, Dix pour cent et actuellement la deuxième saison du Bureau des légendes.
Cela fait longtemps que j'ai envie de m'interroger sur la grande faiblesse technique du son français, que ce soit pour les films et l'audiovisuel. Il y a une dérive que je déplore depuis plusieurs années, qui rend parfois littéralement inaudibles certains dialogues ou certains acteurs. Dysfonctionnement qui me frappe d'autant plus qu'il n'affecte pas les oeuvres étrangères et surtout pas les films américains qui ont une incomparable qualité de son.
Je n'exclus pas que l'âge puisse amoindrir les facultés d'écoute mais par chance ce n'est pas encore mon cas et la difficulté est de toutes façons tellement chronique qu'elle relève forcément d'autre chose.
Je ne nie pas par ailleurs qu'il y a des comédiens qui savent nous faire échapper à ce risque car ils ont compris qu'on peut parler bas ou fort mais que l'essentiel est d'articuler.
Ce que Vincent Lindon par exemple dans "Rodin" n'avait pas su faire puisque la première partie du film m'est demeurée à cause de lui indistincte. En revanche, dans Dix pour cent, une série remarquable, alors que j'ai souffert globalement d'un son défaillant, la diction claire et nette d'une Camille Cottin, éblouissante dans son rôle, m'a enchanté.
Je crains que la médiocrité du son français provienne d'une origine plus préoccupante sur le plan structurel. Sans doute pas la compétence technique de nos ingénieurs du son - il n'y a aucune raison pour qu'ils soient moins performants que leurs confrères anglo-saxons - mais plus probablement ce que j'appellerais le syndrome catastrophique du "vérisme" dans la fiction française.
Il faut faire et parler comme dans la réalité. Et même pousser jusqu'à l'absurde, jusqu'à la caricature, cette volonté de singer le factuel en hypertrophiant le confus, l'indistinct et le flou de certains échanges parfois dégradés du quotidien. De sorte que le spectateur doit tendre l'esprit et l'oreille pour tenter de deviner, au travers du brouillard oral, la substance des dialogues.
A force de leur demander de s'exprimer dans leur barbe, les acteurs ont oublié qu'ils ne parlaient pas seulement au réalisateur mais à l'intention de leurs futurs spectateurs. Cette obsession de dénaturer l'explicite, le limpide, le compréhensible pour les constituer telle une bouillie laisse le passionné de films ou de séries sur sa faim. Parce que, pour reprendre l'exemple de Dix pour cent, alors que la plupart des épisodes sont intelligents et vifs et les dialogues souvent étincelants, une mauvaise diction de tel ou telle m'a conduit à me dédoubler : rire, admirer mais en même temps chercher le sens. Le plaisir s'en trouve infecté.
Puis-je faire une proposition ? que les séries et les films français s'engagent, quitte à emprunter le plus souvent les chemins du réel, sur ceux qui nous permettraient une écoute de qualité.
Je ne vois aucune raison d'autoriser un réalisateur à trahir Vincent Lindon. Ce dernier, qui est dans ses entretiens on ne peut plus audible, doit continuer à l'être dans ses films.
Une fois corrigée cette imperfection grave du son, il restera à me méfier de l'addiction suscitée par les séries. Même après le 11 mai.
Bonjour Philippe,
Vous êtes parfaitement bilingue alors.
Parlant suffisamment bien le brit pour comprendre un peu n'importe quoi, il me semble hâtif d'affirmer que les films américains soient compréhensibles.
Certains.
Pas tous, loin s'en faut.
Rédigé par : Jérôme | 14 avril 2020 à 10:35
Peut-être pas un hasard. Bien qu'ils aient moins d'expérience, les jeunes sont moralement mieux armés contre les imprévus que les anciens.
Il s'agit probablement d'une forme d'inconscience de leur part, mais le fait est là. Rendons donc grâce au ciel de nous avoir envoyé un président jeune soutenu par une épouse expérimentée.
De plus, il a eu le temps de prendre de la confiance et les épreuves subies avant le coronavirus (GJ et autres) l'ont endurci.
Au lieu de le critiquer de façon parfois indécente, soyons plutôt unis autour de lui : l'heure n'est pas aux polémiques stériles, et seuls les gens lucides et d'expérience le perçoivent et ont le courage de le dire, alors que certains commentaires de gens bien moins lucides, souvent aveuglés par la passion idéologique, se payent sa tête en usant d'un humour douteux.
Trop facile et irresponsable !
Rédigé par : B. Dailly | 14 avril 2020 à 10:18
Il faut absolument que je fasse lire ce billet à mon épouse, qui me sert de traducteur simultané.
Évidemment, comme elle est incapable de traduire et de suivre en même temps, ce qui prouve qu'elle est imparfaite, elle me reproche de lui faire perdre le fil du film ou de la série, et donc veut me faire appareiller, ce que je refuse. La surdité sélective étant un avantage, surtout en période de confinement, mais pas seulement.
Vous attribuez les défauts techniques à une volonté de réalisme, je ne suis pas convaincu par cette hypothèse.
Certains films, émissions ou séries sont si mal sonorisés que je suis persuadé que l'ingénieur du son est allé prendre le café avec la script ou la secrétaire en laissant l'enregistrement tourner sur un automatisme défaillant.
Et dans dix ou vingt ans, le MeToo de l'époque résonnera de plaintes contre ces ingénieurs du son qui faisaient régner le silence dans leurs émissions.
Après ces remarques triviales, je remarque la profondeur philosophique, et même épistémologique, de la phrase:
"Marcel Proust nous a pourtant enseigné(...)que l'objet ne compte pas mais seul le regard qu'on porte sur lui."
Allons plus loin, en pensée, parce que le confinement nous limite spatialement.
Vous abordez directement le problème du caractère anthropique de l'univers.
La façon dont les constantes fondamentales de la physique sont ajustées pour gérer le fonctionnement de l'univers, semble montrer que celui-ci a été créé pour être observé par une intelligence, qui ne peut être qu'humaine évidemment.
Traduit en termes proustiens, c'est le regard que l'homme porte sur l'infini de l'univers qui est important. Sans ce regard l'univers n'existerait pas.
Et allons plus loin, en paraphrasant Proust : "le sujet ne compte pas mais seul le regard qu'on porte sur lui."
Et là, si le sujet Macron ne dépend que du regard qu'on porte sur lui, il compte pour du beurre comme disent les enfants.
Une prestation lamentable.
28 minutes pour dire que le confinement prendrait fin... peut-être... le 11 mai. C'est pas terrible, surtout avec un maquillage tellement bronzé que je me suis demandé s'il n'avait pas profité de sa visite au professeur Raoult pour aller faire une petite bronzette dans les calanques.
L'ingénieur du son était parfait, mais le maquilleur imparfait, décidément on ne peut pas tout avoir.
Il paraît que nous porterons des masques à la sortie du confinement.
Ils seront distribués par les mairies, et "en même temps", il a oublié de nous parler du second tour des municipales !
Bon, c'est juste pour taquiner un peu, parce que je vois bien que vous ne voulez pas ouvrir la boîte de Pandore sur ce discours bien long en paroles et si bref en informations vitales.
Rédigé par : Tipaza | 14 avril 2020 à 10:12
Merci Monsieur Bilger pour votre billet, enfin je ne suis plus seul à ressentir cette gêne auditive ; c'est effectivement la plupart du temps de la bouillie verbale mais peut-être que nos acteurs devraient faire des gammes en ARTICULANT...
Bien à vous et surtout continuez à nous éclairer chaque jour !
Rédigé par : Bernard Courault | 14 avril 2020 à 09:58
Heueusement qu'existe la fonction sous-titres !
Rédigé par : guzet | 14 avril 2020 à 09:49
Ah, cher Philippe ! Je me faisais la même réflexion, hier soir, devant cette formidable série du "Bureau des légendes" : je pestais sur la mauvaise qualité du son, entendant très mal les dialogues, basculant frénétiquement le réglage de la balance de l’oreille gauche à la droite, mes écouteurs Sennheiser sur les oreilles…
Mais victime de presbyacousie, comme beaucoup de septuagénaires, et refusant l'appareillage, je n’ose pas mettre en cause, de facto, les ingénieurs du son : est-ce que le coureur arthrosique s’en prend nécessairement au chronométreur ?
En outre, mélomane et grand amateur d'opéra, ayant encore pour mon bonheur la mémoire des versions écoutées il y a longtemps, je constate, hélas, les atteintes de l'âge sur nos tympans, nonobstant les acouphènes perturbateurs.
Le son français, pour qui s'intéresse à l'histoire de la haute-fidélité, a été l'un des meilleurs au monde (pensons à André Charlin) et nos ingénieurs du son, nos constructeurs d'enceinte (Focal, Cabasse, etc.) n'avaient rien à envier aux magiciens de la BBC…
Bref : plutôt qu'ingénieur du son fustiger, audiogramme réaliseras…
P.-S.: hier soir le son Macron reçu 5 sur 5 pourtant !
Rédigé par : sbriglia | 14 avril 2020 à 09:46
Je partage totalement votre propos. Lorsque techniquement cela est possible, je sélectionne les sous-titres en français malentendants. Ce qui permet de mieux suivre la diction de certains acteurs.
Rédigé par : Dencol | 14 avril 2020 à 09:42
Aaaah ! Vous aussi !
Cela me rassure. Je pensais vieillesse et acouphènes, après tout pourquoi pas, alors nous montons le son, donc ce fond sonore parfois musical prégnant pour essayer de deviner les paroles. Parfois nous nous regardons interrogatifs d'un mouvement du menton pour savoir si... Et au bout de quelques hochements de tête, nous abandonnons.
Ce n'est d'ailleurs pas plus mal. Ainsi nous échappons aux publicités tonitruantes qui, elles, sont claires et bien articulées.
Rédigé par : hameau dans les nuages | 14 avril 2020 à 09:39
Il est assez paradoxal, cher Philippe, que pour commenter le discours du président de la République vous soyez plus prolixe avant son intervention qu’après...
Rédigé par : Marc GHINSBERG | 14 avril 2020 à 09:22