Le 10 mai 1981, François Mitterrand était élu président de la République. Une alternance radicale certes mais comment oublier qu'entre les deux tours la trahison de Jacques Chirac et de Charles Pasqua a fait perdre toute chance à Valéry Giscard d'Estaing ?
Le 10 mai 2021, on a fait un sort politique et médiatique à l'anniversaire des quarante années de ce bouleversement capital.
Les hyperboles ont fleuri et prospéré, les inconditionnalités d'alors se sont révélées toujours aussi éclatantes et on s'est bien gardé lors des reportages et des émissions de donner la parole à des adversaires et à des contradicteurs, sauf par exemple à un seul François Léotard à peine critique sur France 2.
C'était inévitable mais en même temps exaspérant et tellement conforme à la manie française de raconter les destinées présidentielles que cela en devenait comique. On évoque un bilan politique, économique et social, on vante les réformes mais on ne se permet jamais de faire une évaluation éthique du mandat présidentiel. Comme s'il aurait été indécent de fustiger certaines pratiques personnelles, une privatisation de l'Etat à des fins strictement égoïstes ou adultérines, une corruption de la République sous une majesté d'apparence.
Cela ne m'a jamais empêché de reconnaître l'extrême intelligence de François Mitterrand, sa lucidité au mieux, sa rouerie et son cynisme au pire, sa culture, son courage physique indiscutable, son appétence forcenée pour un pouvoir qu'il ne voulait pas quitter, son allure de monarque républicain abusant d'une Constitution contre laquelle il avait vitupéré et, en définitive, sa personnalité du XIXe siècle dans la France du XXe.
Souvent, sans plaisanter, j'affirmais avoir aimé le Mitterrand de la fin qui était redevenu l'homme de droite de ses débuts.
Quelles que soient les opinions contrastées sur son double septennat, sur ses comportements publics et privés, rien dans tous les cas ne justifiait l'encens généralement répandu depuis quelques jours qui ne conduisait aucune des grandes consciences de la gauche - en particulier Robert Badinter - à émettre la moindre réserve morale sur les péripéties, les circonvolutions, voire les turpitudes de cette destinée d'exception. Comme s'il bénéficiait d'un état de grâce bien au-delà de sa disparition.
À son sujet j'ai questionné Michel Onfray qui avait établi une comparaison cinglante et dévastatrice entre Charles de Gaulle et François Mitterrand, le premier magnifié sur tous les plans et le second dénigré sur tout. On pourra se reporter à mon billet : "Michel Onfray : de Gaulle top grandiose, Mitterrand flop cynique" du 24 novembre 2020.
Face aux éloges de ces derniers jours, j'ai voulu savoir si Michel Onfray aurait été moins sévère avec François Mitterrand s'il l'avait comparé à d'autres, s'il l'aurait crédité tout de même de quelques qualités. Et il m'a répondu ceci - je cite avec son accord : "Quand un homme est mauvais il l'est en tout. Quand il est bon il l'est aussi dans tout. Plus j'ai creusé Mitterrand, plus j'ai trouvé de la boue. Idem avec Sartre. Plus j'ai creusé de Gaulle ou Camus, plus j'ai trouvé de la lumière".
À l'évidence ce n'est pas la même que celle que Jack Lang a vu surgir !
Si demain, lors des émissions spéciales, on pouvait ne pas oublier les ombres de nos présidents, cela représenterait un grand progrès. Cela permettrait de rassembler les Français, chacun trouvant de quoi satisfaire son adhésion ou son opposition.
Et fi des idolâtres !
Il ne faut pas s'étonner qu'avec une Constitution comme celle de la Ve République, qui est on le rappellera une anomalie en Europe (Russie exceptée...), l'exercice du pouvoir par le chef de l'Etat devienne un exercice solitaire et quasi monarchique.
Je suis toujours surpris que personne, ou quasiment personne, n'aille chercher dans celle-ci une des causes de l'impasse dans laquelle s'est enferrée notre vie politique.
Et navré qu'aucun candidat ne propose un retour au régime parlementaire que nous avons eu de 1875 à 1958, l'intermède vichyssois mis à part.
Rédigé par : Tomas | 13 mai 2021 à 17:00