Avouons-le, j'ai éprouvé un peu de mauvaise conscience en regardant le 26 février la magnifique victoire de l'équipe de France de rugby contre l'Ecosse avec notamment la prestation éblouissante d'Antoine Dupont. Ce dernier mériterait au moins autant d'encens que celui qui est déversé sur Kylian Mbappé !
Mais il faut bien vivre. Et l'Ukraine et Kiev qui résistent héroïquement ne peuvent pas totalement nous faire oublier ce que ce mandat présidentiel aura eu d'exceptionnel: une accumulation incroyable de crises politiques, de désastres pandémiques et de violences internationales. Qu'on ait l'intention de permettre ou non la réélection d'Emmanuel Macron, il sera difficile de contester que sa présidence aura été marquée par une succession de bouleversements dont, pour l'essentiel, elle n'aura pas été responsable. J'exclus évidemment la révolte des Gilets jaunes que son mépris initial aura à la fois attisée et amplifiée.
Je voudrais attirer l'attention sur une tendance déjà relevée par le Figaro qui la qualifie de "bal des trahisons" et que pour ma part j'assimile à une sorte de mercato politique où apparemment on a changé d'écuries comme de chemises.
Ces migrations doivent nous faire réfléchir sur la notion de traîtrise en nous contraignant sans doute à des nuances auxquelles l'esprit partisan répugne.
Je voudrais d'emblée éliminer deux exemples qui représentent un contraste absolu.
Christian Estrosi et Renaud Muselier ont rallié Emmanuel Macron et l'incompréhension qu'a suscité notamment le changement de conviction du premier - soutenant une faiblesse régalienne dont le refus avait toujours été le socle de son opposition - nous fait sortir de l'analyse de la trahison classique. C'est encore plus vrai pour le second qui a éprouvé le besoin de nous annoncer son inféodation comme si depuis les élections régionales on n'avait pas saisi qu'elle allait de soi.
De l'autre côté - sans ironie j'admire cette démarche - nous avons Bernard Cazeneuve qui contrairement à la majorité des opportunistes vole au secours de la défaite en affirmant et en confirmant son soutien à Anne Hidalgo. C'est suicidaire mais cela a de l'allure.
Il me paraît absurde de tenter d'insérer dans le registre de la trahison les départs puis les retours, par rapport à LR, de Xavier Bertrand et de Valérie Pécresse. On est libre de pourfendre ou non ce qui relève de la sincérité ou de la tactique politique, de dénoncer ces variations en partie commandées par l'intérêt et le calcul mais ces dernières , en toute bonne foi, ne peuvent pas être stigmatisées comme de la traîtrise. Elles quittent un point fixe pour y revenir. C'est autre chose que les désertions irréversibles.
Que de précautions, donc, et de prudences à avoir pour tenter d'appréhender le moins mal possible le concept de trahison, sans doute indiscutable pour quelques-uns mais trop fort, trop tranché pour beaucoup d'autres.
Je ne peux pas éprouver d'indulgence pour Eric Woerth, intelligent, avec une lucidité économique et politique toujours bienfaisante pour la droite, qui à la fin du mandat d'Emmanuel Macron a changé de casaque avec une justification qu'il a eu du mal à fournir.
Certaines personnalités peu connues l'ont suivi mais il me semble qu'elles ont moins attiré l'étonnement sur leur posture de transfuges que facilité la découverte de leur existence.
Impossible de faire l'économie d'une explication sur le passage de quelques soutiens proches de Marine Le Pen et du RN dans l'équipe d'Eric Zemmour. Je ne crois pas qu'on puisse seulement l'analyser comme une gestion avisée de leurs intérêts et de leur futur. J'admets la validité du raisonnement de Nicolas Bay qui a développé une argumentation tenant d'une part, selon lui, à la normalisation regrettable du RN et à l'offre radicalement nouvelle et renforcée d'Eric Zemmour. Quoi qu'on pense de cette apologie, elle n'est pas absurde.
Il y a, comme toujours, la démarche singulière de Ségolène Royal. Certes il est clair qu'elle n'a jamais raffolé d'Anne Hidalgo et ce n'est pas moi qui la blâmerai. La candidate pour la présidentielle a aggravé encore plus, si j'ose dire, son discrédit municipal et parisien. Ségolène Royal considérant que le vote utile pour la gauche devait être de se rallier à la cause de Jean-Luc Mélenchon ne tombe dans aucune traîtrise mais affichant ouvertement son point de vue (transparence qui en général s'accorde mal avec la traîtrise), elle se cantonne à une vision pragmatique des choses et de la réalité présente. Elle énonce sans fard ce que sans doute beaucoup agitent à gauche compte tenu du faible écho, par exemple, de la candidature de Yannick Jadot, grevée par l'insupportable Sandrine Rousseau.
Ce mercato politique n'est pas simple qui ne saurait se résumer, selon la formule de Talleyrand, à une trahison qui ne serait qu'une affaire de dates. Sans doute, par pudeur, ai-je écarté des trajectoires à l'égard desquelles rien d'autre ne pourrait être invoqué que l'appétence utilitaire pour des postes à venir et la volonté de s'offrir au gagnant, selon eux certain, de la future joute présidentielle. Je suis persuadé toutefois que ces personnes, si je les incriminais, tenteraient de me démontrer que leur intelligence et leur conscience les ont exclusivement gouvernées et que rien d'impur ne les a guidées. Pourquoi pas après tout ? Je n'ai aucune légitimité pour sonder le coeur et les reins de quiconque.
Ce n'est pas tout que de faire le constat de ce mercato politique, aussi contrasté, nuancé qu'il puisse être. Pourquoi a-t-il eu cette ampleur sous ce quinquennat, comme si les frontières étaient sinon abolies du moins effacées ? Il me semble que si aucun dépassement de la droite et de la gauche n'a été opéré effectivement, l'humus général de cette présidence, sur les plans officieux et officiel, a favorisé l'émergence du flou, de l'incertain, non pas de la pensée ayant le courage de s'afficher complexe dans l'instant mais offrant à intervalles réguliers des facettes totalement contradictoires d'elle-même.
Faute de repères clairs, dans ce brouillard indécis d'une pratique présidentielle solitaire et subtilement arrogante, avec une importance démesurée des manoeuvres, des tractations et des ententes en coulisses (je songe à l'étrange attitude de Nicolas Sarkozy, à l'adhésion de Jean-Pierre Chevènement au président de la République, en particulier) plaçant le citoyen hors jeu et donnant l'impression d'une vie démocratique avec de fausses lumières mais de vraies ombres, les voltes apparaissent presque logiques, acceptables.
Ce climat n'a pas été pour rien dans la multitude de ces évolutions, pire parfois, de ces reniements. Quand les valeurs et les principes sont délibérément voilés, plus aucune rectitude n'est obligatoire.
Je fais le pari que si Emmanuel Macron est réélu (tout ce qui se passe en France et dans le monde avec son rôle depuis peu impeccable sur le plan international, pourrait rendre probable cette hypothèse), le mercato politique d'aujourd'hui aura son aboutissement plein et entier demain.
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