Si la qualité d'une campagne se mesure à l'impatience avec laquelle on attend les résultats du premier tour, cette joute collective prétendue médiocre a été au contraire remarquable.
Je sais bien qu'épris de la politique politicienne, friand de ces multiples soubresauts, anecdotes, disputes et revirements qui chaque jour surprennent, convainquent ou indignent, je ne suis pas le mieux placé pour juger en profondeur de la richesse et de l'intérêt d'une campagne, tant ce qui est estimé fade par les analystes patentés ne me déplaît pas, mais il n'empêche que pas une seconde je n'ai éprouvé d'ennui.
Je mesure aussi comme au long des campagnes présidentielles précédentes, avec une normalité sans comparaison possible avec le caractère atypique de celle qui se clôturera le 24 avril, il y a eu aussi des constats désabusés ou négatifs sur leur qualité intellectuelle, leur valeur démocratique.
Alors on ne m'empêchera pas de penser que nombreux sont les citoyens qui attendent, espèrent ou craignent les enseignements du premier tour et les perspectives qu'ils feront apparaître pour le second.
Mais alors qui ?
Il n'y a pas de grands, de moyens ou de petits candidats. On a bien vu, certes, les lignes de force dégagées ces derniers jours par des sondages qui malgré leurs nuances quantitatives semblaient répartir les rivaux en trois groupes mais ce constat ne m'a jamais conduit à traiter avec ironie ces combattants de l'impossible venant, chacun à son tour, tenter leur chance républicaine à l'issue de ce quinquennat.
Philippe Poutou et Nathalie Arthaud réunis par cette même obsession de séparer la France en deux et de ne considérer comme digne d'estime que la société des travailleurs, tous les autres étant radicalement zappés.
Anne Hidalgo. Le socialisme au point mort. Un mépris grotesque et approximatif contre Eric Zemmour : il n'est pas "un clown" et n'a jamais été "négationniste". Rien d'exaltant. La maire de Paris, tellement décriée, espérait nous faire rêver d'elle présidente. Le fiasco de sa campagne fragilise encore davantage sa déplorable réputation municipale. Comme si, après des victoires incompréhensibles, elle était ramenée à son juste et bas niveau.
Jean Lassalle avec son accent rocailleux, son inimitable personnalité, sa cordialité qui savait aussi porter de terribles coups de griffe, sa dénonciation d'un combat inégal entre les importants et les modestes. Pas de quoi se moquer de lui.
Fabien Roussel, pour le parti communiste. Il a démarré en trombe, jouant à la perfection pendant quelque temps sur son apparence séduisante, son empathie, s'efforçant de donner un tour guilleret et heureux à sa volonté, dans la ligne de ce parti, de faire payer les riches. Puis ce qui était spontanéité est devenu procédé et on a fini par trouver systématique et fabriqué l'élan des premières semaines, avec en plus cette incapacité troublante de savoir stigmatiser sans fard les tueurs de l'Histoire. Comme s'il restait toujours, même chez les communistes les moins sectaires, une forme d'orthodoxie délétère et de tendresse perverse pour les dictateurs "sur le prolétariat". Dommage.
Nicolas Dupont-Aignan avec sa constance souvent furieusement entêtée, désespérant de pouvoir se faire entendre et comprendre, persuadée pourtant de sa lucidité et de sa vérité. Un courage auquel je rends hommage et qui le voit revenir, à chaque élection présidentielle, avec la même certitude apparente de pouvoir susciter l'adhésion et le même doute caché d'y parvenir.

Yannick Jadot qui n'est de loin pas le plus déraisonnable des écologistes mais qui a trop fait osciller ses prestations entre l'indignation morale, à force sommaire, et des solutions écologiques dont on percevait mal comment elles pourraient sur tous les plans de la vie nationale et internationale représenter des réponses efficaces et adaptées. Une passion dans l'argumentation infiniment sympathique mais qui laissait l'auditeur, le citoyen, sur sa faim.
Eric Zemmour. Il a inspiré, animé, de manière exceptionnelle les débuts de la campagne, projetant dans l'espace public ses thèmes prioritaires, immigration, sécurité, justice, survie de la France. Qu'à la longue cette focalisation soit apparue comme un ressassement est possible mais il n'empêche que cette page était capitale qui, avant que le pouvoir d'achat prenne la relève, avait mis au premier plan les angoisses de beaucoup de Français. Tactiquement, il a pilonné Marine Le Pen qui a fait plus que résister et Valérie Pécresse qui avait déjà beaucoup à faire avec elle-même. Il sera intéressant de voir ce que Reconquête! deviendra lors des élections législatives avec une Marion Maréchal qui ne voudra pas avoir l'impression d'avoir quitté politiquement sa tante pour des clopinettes !
Valérie Pécresse. Je l'ai soutenue et je ressens comme une forme d'honneur de l'avoir fait jusqu'au bout malgré tout ce qui venait, trop souvent, altérer mon enthousiasme initial, réduire les argumentations et répliques à leur plus simple expression, proposer un catalogue de mesures au lieu de présenter une vision de notre pays et de son destin. Le parc des expositions a fait oublier le Zénith mais, si sa vaillance et son courage ont été indéniables sans cesse, le talent, la technique, l'art de la conviction sont arrivés trop tard. Mais il ne faudra pas la stigmatiser comme si elle avait pris d'autorité un rôle que le vote du Congrès lui avait octroyé. Et ne jamais oublier la désertion de Nicolas Sarkozy.
Jean-Luc Mélenchon. Un tempérament insupportable. Cherchant à dissimuler sous une faconde surjouée un caractère très autoritaire. Je ne nie pas qu'un gros travail programmatique a été élaboré par LFI et que le souci du vote utile à gauche puisse inciter à voter pour cette extrême gauche adepte de Chavez hier et aujourd'hui complaisante avec tout ce qui bat en brèche l'intérêt national et l'unité du pays. Je ne suis pas persuadé que le terme de créolisation rassure ceux qui craignent une immigration plus du tout maîtrisée. Jean-Luc Mélenchon, un ancien politicien classique qui s'est mué en révolutionnaire par le verbe : ce n'est pas une évidence !
Marine Le Pen et le Rassemblement National. Unanimement elle est créditée, avec Mélenchon, d'avoir fait une excellente campagne. Elle a corrigé ses erreurs, elle a appris d'elles, elle a appris tout court. Elle a montré une force de caractère, une maîtrise de soi, une patience politique et médiatique qui ne l'ont jamais conduite vers d'insupportables débordements ou outrances. Elle a sans doute davantage conquis par cette métamorphose intellectuelle et psychologique que par la normalisation de son projet, bien facilitée par l'extrémisme talentueux et provocateur de Zemmour. Marine Le Pen est persuadée que la troisième fois sera la bonne. Ce qui est sûr est qu'aujourd'hui, on prend au sérieux cette conviction.
Emmanuel Macron le président sortant qui voudrait avoir le droit de faire une rentrée à la tête de notre République. On ne sent pas trop bien les raisons de fond qui le poussent à se représenter. D'abord certain de l'emporter, traitant avec condescendance tous ces rivaux qui n'avaient évidemment pas son niveau, bénéficiant de surcroît d'un indéniable et légitime "effet drapeau", il a peu à peu perçu que rien n'était gagné et qu'il ne pouvait plus se permettre une posture de surplomb. Sur le tard il a même adopté une attitude outrancière à l'encontre de Marine Le Pen - la qualifiant de "raciste" - alors que, la défendant quand elle avait été agressée en Guadeloupe, il avait souligné combattre ses idées, "mais dans le respect". La crainte de cette adversaire a fait passer le respect à la trappe ! Le régalien n'a jamais été son fort : sur le tard, il a cherché à faire du rattrapage mais cela sentait trop le cynisme de dernière extrémité.
Qui donc le 10 avril, quelles seront les deux personnalités qualifiées pour le second tour ?
Une impression d'abord. Malgré les intentions de vote qui paraissent nous guider vers un duo assuré, j'éprouve comme une étrange intuition me laissant pressentir que tout est fragile, que des surprises sont possibles et que le mélange de forte indécision et d'abstention considérable est susceptible d'engendrer des résultats inattendus.
Une injonction pour finir. Il faut voter pour n'importe quel candidat mais il faut voter. L'abstention dans le meilleur des cas n'est jamais qu'un immobilisme protestataire, dans le pire qu'une indifférence coupable, un souci de ne pas être dérangé dans son quotidien. Quand on dispose d'un tel luxe - une démocratie imparfaite sans doute mais incontestable -, on ne fait pas la fine bouche devant les droits qu'elle donne, les devoirs qu'elle impose. Bonheur d'être citoyen et d'avoir mis sa petite pierre dans le champ républicain.
Qui, le 10 avril au soir ?
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