Pourquoi ce sentiment d'être étrange, étranger, me saisit-il si souvent quand je me trouve associé à un collectif, quand mon singulier se heurte à du pluriel ?
Je n'évoque pas cette impression dans le domaine personnel, privé, familial mais à propos de l'univers médiatique et des jurys où parfois j'ai l'honneur d'être.
Combien de fois, pour les deux derniers, tout en participant sans réserve aux discussions et aux débats, je me suis perçu en même temps dedans - puisque j'étais très attentif et soucieux de donner un avis sincère - et dehors comme si j'étais subtilement exclu par les autres chroniqueurs ou participants qui avaient déjà une longue histoire ensemble, des relations, des connivences, des amitiés, des habitudes sociales, tout un passé, qui les faisaient appartenir au même monde bien en amont de la rencontre médiatique...
Cela n'interdit pas évidemment de considérer les échanges comme importants mais je ne peux m'empêcher de me sentir étrange, étranger, trop souvent quand à l'évidence des secrets, des séquences connues de peu, des confidences, des liens démontrent une complicité antérieure de la plupart et qu'on se retrouve à la fois seul mais peut-être plus libre parce qu'on n'est obligé de ménager personne.
Reste que l'impression de survenir comme un cheveu sur la soupe, tel un importun pourtant invité, comme une sorte de dissident par rapport à des fraternités amicales, professionnelles et festives n'est pas celle que je préfère, d'autant plus qu'elle peut exister très forte, très intense même dans les débats et les émissions médiatiquement les plus réussis.
Puisque dans mes billets il est inimaginable de ne pas révéler le fond de ma pensée, L'heure des pros, matin et soir, avec l'irremplaçable Pascal Praud, tout en me comblant par sa vivacité, sa liberté et des dialogues tout de délicatesse et d'écoute, par exemple avec Olivier Dartigolles, fait naître parfois chez moi le soupçon de demeurer au bord d'un chemin que les autres parcourent avec élégance parce que le passé et des relations les rapprochent et les font s'entendre à demi-mot.
Le prix des Hussards qui me permet régulièrement de lire des romans, parfois bons, et de confronter mes jugements avec ceux des autres, suscite aussi chez moi ce même type de réaction qui n'est pas incompatible avec une ambiance stimulante et chaleureuse. Je devine qu'il y a chez les autres une appartenance au milieu éditorial et littéraire, à tout un réseau qui peut ne pas entraver la liberté mais exige qu'on soit attentif à ce risque. C'est à chaque fois la libération d'une parole, chez moi, personnelle qui s'oppose subtilement à un front déjà constitué malgré les apparentes contradictions qui vont s'exprimer. Avant même de se prononcer, il y a un humus qui vous montre seul face à des ententes subtiles formées de longue date, tenant à la fréquentation d'un même milieu homogène. Cela ne me donne aucune lucidité particulière mais une distance, à la fois une faiblesse et une force.
Si j'avais tout loisir pour choisir et arbitrer, il est clair que j'aimerais me plonger dans des débats et des séquences où le passé et les relations des uns et des autres ne compteraient pas, où on n'aurait que le nudité de l'opinion à combattre où à approuver, dans une joute à armes égales dont le champ serait exclusivement celui de l'espace médiatique sans un amont implicite ou explicite déséquilibrant un peu les échanges.
C'est la raison pour laquelle j'aime par exemple les Vraies Voix sur Sud Radio - encore plus depuis leur nouvelle configuration - parce que leur tonalité délibérément et noblement populaire, et le souci des deux animateurs et des chroniqueurs de la respecter, excluent radicalement tout un terreau mondain et un zeste snob qui pourrait laisser croire aux auditeurs que cet univers médiatique est gangrené par l'hypocrisie et le mensonge et qu'il se prétend radicalement aux antipodes de leur vie. Alors que notre ambition aspire au contraire.
Quand par exemple je dialogue avec Françoise Degois, nous sommes sur la même longueur d'onde quels que soient nos désaccords : nous n'opposons l'un à l'autre que notre seule conviction de l'instant sans qu'elle soit gangrenée par notre passé de sociabilité et de relations différentes, voire antagonistes. Et j'espère que nous ne succombons jamais à ce péché d'aujourd'hui qui est de compenser la faiblesse du fond par la violence de la forme.
De grâce qu'on arrête avec cette formule toute faite "cracher dans la soupe" qui, prise à la lettre, justifierait dépendances et lâchetés. Alors que même les soupes les plus élaborées, les meilleures, on a le droit de les goûter et que l'inconditionnalité n'est pas qu'un vice en politique !
Aussi, sans qu'il faille y voir la moindre hiérarchie qualitative mais peut-être seulement cette certitude que sans gêne il n'y a pas de vérité possible, de soi ou des pensées qu'on propose, je ne me plains pas de me deviner souvent étrange, étranger, trop souvent. C'est une rançon que je vais continuer à payer. Si c'est à ce prix que doit s'évaluer ma liberté d'expression.
@ sbriglia | 31 août 2022 à 20:11
La plus grande faiblesse de l'homme est celle de vouloir exister, j'ai beaucoup apprécié me faire gratter le ventre, tout le monde a envie de se faire gratter le ventre... Lire ou relire Céline a au moins une vertu, se rappeler notre vraie condition, sans en être victimaire.
Comme à l'accoutumée, vous avez la passe précise, et le contre-pied d'Antoine Dupont, vous auriez pu jouer dans la plus belle équipe de l'époque dont le seconde ligne emblématique était avec moi hier soir, recruté par Monsieur Rugby - pourtant jamais international.
Reconnu pour son sale caractère et sa classe immense comme le plus grand de sa génération pour nous... Il ne cherchait pas à exister, il avait la reconnaissance de toutes les populaires de la région qui scandaient son nom, contre Beziers ce fut un délire.
Il a vaincu les plus grands de l'équipe de Raoul Barrière. Un monument d'humilité, il n'a pas changé, il n'a jamais courru après les lampions, on lui courait après, et des plus lestes.
Rédigé par : Giuseppe | 01 septembre 2022 à 14:41
@ Julien WEINZAEPFLEN | 31 août 2022 à 14:19
Comme parfois j'ai la flemme, je me contente de ce que vous avez formulé, et trouve votre analyse, y compris votre propre introspection, lucide et pertinente, très juste.
Notre hôte a un besoin irrépressible d'exister même au milieu de ces cirques qui ne sont faits que pour occuper le déplacement en voiture qui dure. J'ai écouté ces débats entre batouilles comme bruit de fond, pour accompagner mes trajets, alternant avec la musique.
Praud - c'est un exemple - c'est du grand Zampano, il parle l'oeil rivé sur le compteur de l'audience, il est prêt à toutes les compromissions "pourvu que ça dure", et surtout ne pas dévier de la ligne, celle qui nourrit le type.
Et ça marche il faut le reconnaître.
Un ami m'a fait découvrir Degois, que je n'appréciais pas, à travers quelques tweets, elle est en bonne position maintenant dans mon référentiel d'appréciation.
Je lance un appel, si quelqu'un connaît Julie Hammett, et si on pouvait lui faire passer le message de ne plus utiliser ses mains et mouvements comme arbre à chats je serais ravi.
Elle est insupportable, ses moulinets de mains, armées d'un stylo, sont inutiles, du coup ils empêchent de découvrir une intelligence qu'elle cache peut-être derrière ces gestes superfétatoires.
Du Léa Salamé en pire ou moins pire, si c'est un communicant qui a inventé cette manière, alors à mon avis il a fait ses classes chez Moulinex dont il a été viré. Par contre Julie Hammett a sans aucun doute des qualités pour la crème fouettée, sans compter cette sale habitude d'interrompre au mauvais moment ce qui l'empêche de monter des blancs en neige pour la qualité des plats servis.
Partie de manivelles, moules de Bouchot parfum whisky of course, y perseguir la vida, la vida sin sueño... Accompagné d'un Picpoul de Pinet frais, à la santé de notre hôte qui s'interroge doctement sur sa non existence auprès de ses cercles copains qui peuvent lui paraître étrangers, surtout dans ces émissions de cirque Pinder.
Rédigé par : Giuseppe | 01 septembre 2022 à 11:31
Et que penser du désarroi de ces innombrables Français bien éduqués qui se sentent étrangers dans leur propre pays, dans lequel ils ne peuvent plus se faire entendre à demi-mot, quand ce n'est pas le recours à des expressions ordinaires propres à la langue française mais mal interprétées par leurs interlocuteurs qui suscite chez ces derniers des paroxysmes de fureur et de violence ?
Rédigé par : Exilé | 01 septembre 2022 à 09:41
Cher Philippe,
Vous n'êtes ni étrange ni étranger, vous êtes différent.
Bon anniversaire.
Rédigé par : Lucile | 31 août 2022 à 22:46
Si vous, cher Philippe, qui, invité à participer à un débat, vous vous sentez « étranger » au cercle de vos voisins de plateau, que dire du téléspectateur qui l’écoute ? Dans votre billet, vous vous exprimez avec la retenue que l’on vous connaît. Je serai plus brutal. Y compris sur CNews, trop nombreux sont ces débats qui abordent des thèmes susceptibles d’intéresser le citoyen lambda, qui cherchent à l’intéresser, mais qui, finalement, le laissent sur sa faim, faute d’une contextualisation pertinente - la description du fait est souvent approximative, voire parfois totalement inexacte -, mais surtout en raison de leur pollution par des apartés, des clins d’œil, des interventions qui démontrent l’entre-soi et la connivence des débatteurs, même si leurs opinions sont divergentes, voire strictement opposées.
Encore aujourd’hui, dans la presse écrite - et sur les meilleurs blogs -, la première des consignes est : « Ecrire pour ses lecteurs ». Tout donne l’impression qu’en matière d’information, l’audiovisuel n’adhère pas à cette règle de bon sens. Les « 20h » assènent les nouvelles et ce qu’il faut en penser. Les chaînes d’information continue introduisent dans leurs émissions d’actualité une bonne dose d’artifices « pugilistiques » qui en font des shows. Sans toutefois aller jusqu’à l’incongruité d’un Hanouna, tout juste capable de faire se friter des personnalités qui, excepté Mélenchon, en d’autres lieux, s’opposeraient avec courtoisie.
C’est un problème récurrent, mais qui, probablement, pourrait être atténué en adoptant deux ou trois mesures, elles aussi de bon sens.
D’abord en ayant recours à l’antenne au vouvoiement, certes factice, plutôt qu’au tutoiement, qui, notamment chez les journalistes, est une règle naturelle. Une règle qui, en quelque sorte, marque leur terrain de jeu et en exclut les autres... et le téléspectateur. Rares sont ceux, cher Philippe, qui vous tutoient...
On remarquera d’ailleurs que, pour asseoir leur « autorité », Pascal Praud et la plupart des animateurs vouvoient tous leurs invités, journalistes ou pas.
Il conviendrait aussi, pour améliorer la qualité du débat, que de vrais experts soient invités à s’exprimer avant et pendant celui-ci. Pas des colonels ou des généraux à la retraite qui puisent leur vérité sur ce qui se passe en Ukraine ou dans nos banlieues dans la lecture de la presse du jour... Qui est mieux placé que Philippe pour apporter une réponse exacte à une question sur le droit ? Ce qui n’interdit pas au citoyen Bilger d’apporter son écot pendant la discussion qui suivra... Nul n’est omniscient et ne peut se faire une opinion - comme le proclame CNews - sur un sujet qu’il connaît mal sans un éclairage préalable, le plus neutre et le plus compréhensible possible.
On notera que ce qui avait fait le succès de Zemmour polémiste, outre ses qualités de débatteur, résidait dans sa volonté de toujours contextualiser son sujet pour que le téléspectateur ne soit pas largué dès les premières escarmouches avec son adversaire du jour. Certes, il lui arrivait de prendre quelque liberté avec la vérité établie, mais, soit l’animatrice, soit son « sparring-partner », savaient le lui faire savoir... et l’intérêt du téléspectateur, ainsi averti, redoublait...
Enfin, il est trop souvent évident que l’animateur n’est pas à la hauteur de sa tâche ou qu’on lui a assigné un rôle qui n’est pas le sien... Trop souvent, il ne connaît que très partiellement le sujet qu’il lance et doit avoir recours à l’oreillette pour sembler s’en sortir... Cela tourne vite à la cacophonie... et favorise celui qui parle le plus fort, qui n’est pas nécessairement celui qui apporte du sens et de la profondeur au débat.
Encore plus agaçant est l’animateur qui, avant même de distribuer la parole, donne son opinion... Ce qui, naturellement, fausse la discussion et aboutit à conforter son point de vue, les uns et les autres ne s’exprimant plus par rapport au sujet, mais sur leur adhésion ou non aux arguments mis sur la table par celui qui, pourtant, était censé observer un certain recul pour que ses invités débattent en toute liberté.
Si ces différentes idées sur les remèdes à mettre en place pour optimiser le profit qu’un téléspectateur tire de l’écoute d’un débat étaient adoptées, elles n’effaceraient pas totalement néanmoins le mal-être que ressent Philippe, confronté à des partenaires qui partagent des souvenirs, des secrets, des amitiés, des rancœurs aussi, auxquels il est étranger. Il me semble que cette situation est irréversible, chaque profession - ou loisir - créant un esprit de corps qui lui est propre et inaccessible à « l’étranger », de la confrérie des propriétaires de camping-cars à l’amicale informelle des compositeurs de musique classique, des motards aux grands patrons...
Personnellement, ma connaissance en ce domaine étant ce qu’elle est, si j’avais à m’exprimer sur une question de droit en présence d’un aréopage de magistrats, je me sentirais probablement mal à l’aise... J’espère tout juste que, comme Philippe, je ne renoncerais pas pour autant à ma liberté d’expression. Car, finalement, celle-ci vaut plus que tous les obstacles qui lui sont opposées, qu’ils soient réels ou simplement supposés.
Un seul point de désaccord avec vous, Philippe, mais absolu : Françoise Degois. Pour moi, elle est l’archétype de la journaliste militante et... Risquant d’émettre des propos diffamatoires, je n’en dirai pas plus.
Rédigé par : Serge HIREL | 31 août 2022 à 20:13
« Si c'est à ce prix que doit s'évaluer ma liberté d'expression. » (PB)
…ou que doit s’évaluer ce désir frénétique d’aller vers des contrées médiatiques qui ne sont pas nécessairement dans vos gènes, où vous côtoyez le discours binaire et sans nuance, où votre éducation janséniste ne vous a pas préparé à l’éphémère, au contingent, à la vulgarité des échanges réduits à peau de chagrin…
Votre blog ne vous suffit-il donc pas au regard de votre liberté d’expression ?
Julien W. a remarquablement décrypté partie de vos ombres et de vos lumières .
Happy birthday à vous, cher Philippe.
PS : chères Semtob: remplacez les galets par la galène…c’est moins poétique mais plus efficace… même en cas de retour à l’âge de pierre.
Rédigé par : sbriglia | 31 août 2022 à 20:11
Joyeux anniversaire monsieur Bilger.
Je crois que vous avez l'âme un peu trop sensible pour prêter attention à ce qui n'est qu'un sentiment. Rassurez-vous vous êtes au-dessus de certaines personnes. Et puis il y a Françoise Degois, la décontractée, pour distraire la galerie. Elle tranche dans le vif et se fiche de ce que pensent les gens. Faites de même.
Rédigé par : Ellen | 31 août 2022 à 19:46
@ Julien WEINZAEPFLEN
Je vous invite à regarder les leçons de théâtre à tante Geneviève :
"La construction du personnage a été inventée pour jouer le drame bourgeois, c'est à dire pour interpréter un monde qui est lui-même un théâtre, il nous faut dénouer le songe bourgeois, là est la révolution intime que nous cherchons. Le théâtre commence lorsque deux masques sont superposés, on ne joue pas un personnage, on joue un personnage qui joue un personnage, l'interprétation est impossible, l'incarnation seule est mystère digne d'intérêt, nous ne sommes que des personnages de fiction, il faut mettre fin à la dictature de l'authenticité... Il n'y a pas de vérités, pas de sincérité, il n'y a que du jeu..."
Les scènes intéressantes vont de 36.50 à 44.16 et de 1.09 à l'entracte, le reste comme souvent chez Py tombe dans l'hystérie, mais les deux leçons, comédie et drame lyrique par Michel Fau et tragédie par Philippe Girard sont une leçon magistrale à mon sens de ce qu'est la Verfremdung, pas du tout le gel de toute émotion façon Claude Régy, par exemple :
https://www.youtube.com/watch?v=o7cdcvqgNGs
Le récit seul au-dessus du désastre est un ciel supportable...
Rédigé par : Aliocha | 31 août 2022 à 16:46
Cher Monsieur Bilger,
Vous dites que vous avez l’impression d’être un étranger quand vous êtes en compagnie d’autres chroniqueurs, franchement, vous cachez bien votre inquiétude et vous êtes tout à fait à l’unisson.
Sauf peut-être, il faut que je vous dise. Contrairement à vos collègues tous plus débraillés les uns que les autres, votre tenue est irréprochable. Votre cravate ferme complètement le col et le dernier bouton de chemise est invisible, c’est magnifique. Vous êtes donc toujours sur votre 31.
D’ailleurs, vous êtes né un 31 d’un mois d’août.
Joyeux anniversaire.
Rédigé par : Vamonos | 31 août 2022 à 16:37
Cher Philippe,
Nous venons vous souhaiter un joyeux anniversaire et surtout que le temps garde vos forces et vos faiblesses dans ce monde de fous qui nous inviterait à rejoindre les îles désertes. Avec une radio à galets pour pouvoir vous suivre... bien entendu ! Excellente journée à vous et vos proches.
françoise et karell Semtob
Rédigé par : semtob | 31 août 2022 à 15:18
Vous êtes atypique. Vous êtes "Vous" et c'est déjà beaucoup.
Sans compter que votre blog est l'un des derniers salons où l'on cause librement, doté en outre d'une modératrice bienveillante, attentive et de grand talent.
Rédigé par : Axelle D | 31 août 2022 à 15:03
Cher Philippe,
Doit-on commenter une note intime ? Si mon intimité n'était, ce jour, un peu oisive à force de regrets de si mal m'y prendre pour communiquer avec mon entourage, je me serais abstenu, ayant pris le parti, depuis quelque temps, de ne commenter sur ce blog que les billets qui me requièrent pour ainsi dire personnellement. Mais il faut que je vous dise comment a évolué la manière dont je vous perçois.
Quand je ne faisais que vous écouter au débotté, sans savoir que vous étiez comme vous l'avez dit un jour "un blogueur persévérant", généralement vous déblatériez sur Nicolas Sarkozy et refusiez toute connivence avec l'extrême droite. Je ne comprenais pas où vous vouliez en venir ni pourquoi on vous donnait si souvent la parole, dès lors que bien malin me semblait être qui pouvait décrypter ce que vous vouliez dire.
Et puis je vous ai lu. Je ne sais plus comment j'ai eu vent de l'existence de votre blog, je crois que c'était par Hedwige Chevrillon, dans un entretien au long cours qu'elle vous donnait, comme à beaucoup de personnalités d'influence, la plupart étant des grands patrons. Peu à peu, je vous ai mieux connu, mieux appréhendé, mieux compris. J'ai certes retrouvé la subtilité qui vous fait, comme moi, vous "perdre dans vos nuances" comme le chante Patrick Bruel en ne sachant, pas plus que Jésus, que c'est une chose admirable que de déposer sur le papier toute son ambivalence, sous réserve de ne pas trop tergiverser et de savoir choisir, en faisant le deuil du renoncement que tout choix implique. Mais j'ai senti que votre besoin de déprécier une extrême droite qui intéresse de près ou de loin tous vos commentateurs, répondait à une blessure intime.
Et puis je vous ai entendu intervenir çà et là sur "Sud Radio" ou à "l'Heure des pros". Je n'ai pas approuvé votre tendance à vous imposer, je dirais même à vous incruster partout où le débat fait rage, je me disais qu'on pouvait entendre d'autres voix que celles qui comptent par position. J'y trouvais quelque chose d'indécent et je vous l'ai écrit. Et puis je m'y suis fait, comprenant moins vos raisons profondes que faisant contre mauvaise fortune bon coeur, en me réjouissant de la bonne fortune médiatique d'un homme avec qui ou autour de qui on s'est tellement habitué à dialoguer qu'on finit par se réjouir pour lui de ce qui lui arrive de bon, car il est devenu un ami.
Je vous ressens tendu à "l'Heure des pros", la plupart du temps. Contrairement à ce que vous écrivez, je vous trouve moins à l'aise sur "Sud Radio" depuis la nouvelle formule des "Vraies Voix", mais c'est mon sentiment d'auditeur. Je ne vous sens pas en goguette quand "Sud Radio" surjoue la carte populassière qui rit grassement aux plaisanteries qu'on fait en buvant du gros rouge qui tache. Je vous sens très complice avec Françoise Degois et au fond c'est logique: comme elle, vous admirez Ségolène Royal, votre entretien plus que déférent avec elle en témoigne. Je devrais vous en savoir gré, ayant voté pour elle, mais elle m'a tellement déçu !
Au-delà de ces poses conjoncturelles, je vous sens toujours et partout détaché, en décalage, donnant le change et faisant beaucoup d'efforts pour vous mettre au niveau de vos interlocuteurs, pour vous intéresser à tous et pour produire en vous excusant un discours moins superficiel que le leur. Mais on sent un léger agacement devant la clownerie forcée des autres et on vous sent gêné aux entournures de ne pas pouvoir rester naturellement et discrètement, non pas coincé, mais légèrement guindé. C'est le prix à payer pour pouvoir continuer à vous exprimer, mais vous extravertir est-il une liberté ou un besoin de rester dans l'arène ?
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@ Aliocha 31 août 2022 à 08:36
"Voilà qui est très beau, notre hôte en "Wanderer" qui éprouverait la "Verfremdung" brechtienne, dont la traduction erronée en français par le terme "distanciation" amena certains metteurs en scène de théâtre français à étouffer le sentiment nécessaire au véhicule des idées, vidant les salles comme les caisses de subvention."
Vous posez le premier jalon qui pourrait me réconcilier avec Brecht que je connais mal, tant Jean-Luc Jeener que j'ai beaucoup écouté s'est plu à opposer "le théâtre de distanciation" au "théâtre de l'incarnation". Si je poussais cette opposition jusqu'où il n'y a peut-être pas lieu de le faire, je dirais que le comédien qui incarne ne joue jamais de rôle de composition, ne joue jamais à contre-emploi alors que le comédien qui se distancie de son personnage ne joue jamais aucun rôle. La plupart des acteurs, non pas du théâtre, mais du cinéma français, me donnent l'impression de ne jamais jouer que leur propre rôle. La distanciation a fait des petits: au nom du refus de "typifier", voire du refus du personnage, elle a neutralisé le roman et parfois le théâtre. Le "Verfremdung" me semble en effet être la bonne distance qu'il faut avoir vis-à-vis d'un rôle que l'on joue.
Mais le théâtre doit-il "véhiculer des idées" ? Ne mérite-t-il d'être subventionné que s'il véhicule des idées et donc les idées que l'on sait, comme un art officiel ? Nous faut-il un théâtre pompier ?
Les pièces que mettait en scène Olivier Py à l'Odéon n'étaient pas du tout distanciées, ce que je mets à son actif, si j'en juge par les deux que j'ai vues: "L'Orestie" et "le Soulier de satin". Elles n'étaient pas distanciées, mais sauf avec Claudel, elles véhiculaient les idées d'Olivier Py et ça pouvait friser la caricature.
Rédigé par : Julien WEINZAEPFLEN | 31 août 2022 à 14:19
Bonjour monsieur Bilger. Nous avons au moins un point commun. Nous sommes nés un 31 août. Je vous souhaite un très joyeux anniversaire.
Rédigé par : Antoine Marquet | 31 août 2022 à 14:17
Pour M. Bilger,
En août les raisins sont mûrs, le soleil caresse et la lumière rend fou ! FOLIA...
https://www.youtube.com/watch?v=t8-7LDY7syo
Je suis née en décembre et pour moi, c'est le chœur des trembleurs...
Vous êtes chanceux !
Rédigé par : duvent | 31 août 2022 à 14:04
Magnifique article, auquel on s'en voudrait d'ajouter quoi que ce soit.
Pourtant... Françoise Degois... ce pull... il devrait y avoir des lois contre ça.
Rédigé par : Robert Marchenoir | 31 août 2022 à 12:29
Rien de nouveau sous le soleil.
Celui qui n'a pas fait de terrain, changeant de cercle et de géographie, ne connaît pas ce type de relations.
Alors de temps à autre certains se retrouvent, et puis il y a les nouveaux, et puis certaines relations se nouent quand même, temporaires, la durée de vie du site, le restaurant avec certains, par affinités bien sûr, et puis pour le reste l'entraide non dite mais vraie.
Travailler seul - hormis bien évidemment les réunions de synthèse - a de bons côtés, on s'y habitue, on y fait sa place, un vrai plaisir aussi.
Rédigé par : Giuseppe | 31 août 2022 à 12:07
Un jour pas comme les autres... où la douceur nous vient d'honorer monsieur Philippe Bilger d'un bon et heureux anniversaire !
Rédigé par : J.A | 31 août 2022 à 11:00
« Aussi, sans qu'il faille y voir la moindre hiérarchie qualitative mais peut-être seulement cette certitude que sans gêne il n'y a pas de vérité possible, de soi ou des pensées qu'on propose, je ne me plains pas de me deviner souvent étrange, étranger, trop souvent. C'est une rançon que je vais continuer à payer. Si c'est à ce prix que doit s'évaluer ma liberté d'expression. » (PB)
En fait, c’est exactement le sentiment que j’éprouve quand je viens sur ce blog où je me sens un peu décalé de la tendance majoritaire, résolument inspirée de la droite dogmatique : Retailleau, Bellamy, Ciotti et consort.
J’ai même envisagé pendant un temps de le quitter, plus pour le côté agressif de certains intervenants qui manifestement viennent sur ce blog pour polémiquer, que pour le contenu des billets dont l’orientation politique n’est pas du tout la mienne, mais qui finalement sont bien écrits et donc dignes d’intérêt.
Mais finalement j’ai renoncé car sur bien des aspects, je trouve ce blog de très haute tenue et en dehors des billets qui manquent parfois d’objectivité, il est également possible de trouver des commentaires intéressants.
Rédigé par : Achille | 31 août 2022 à 09:01
« ...comme si j'étais subtilement exclu par les autres chroniqueurs ou participants qui avaient déjà une longue histoire ensemble, des relations, des connivences, des amitiés, des habitudes sociales, tout un passé, qui les faisaient appartenir au même monde bien en amont de la rencontre médiatique... » (PB)
Probablement faut-il voir là une manifestation de l'esprit de corps ou de chapelle répété selon une multitude de cercles ou de centres d'intérêt, qu'ils soient professionnels, éducatifs, intellectuels, culturels, sportifs, religieux, politiques, ludiques etc. faisant que les gens conscients d'appartenir à un même monde se sentent sur la même longueur d'onde sans avoir le besoin de s'expliquer par de longs discours sur ce qui pour eux relève d'évidences « parce que le passé et des relations les rapprochent et les font s'entendre à demi-mot ».
De toute manière, dans la mesure où personne ne peut prétendre appartenir simultanément à toutes les formes de clans imaginables, nous en sommes tous réduits à éprouver à un moment ou à un autre cette sensation d'être plongés dans un milieu qui nous est étranger.
Sans oublier bien évidemment le fait que quiconque n'est pas nous nous est aussi étranger, de façon plus ou moins prononcée.
Mais ceci est une autre histoire...
Rédigé par : Exilé | 31 août 2022 à 08:59
Voilà qui est très beau, notre hôte en "Wanderer" qui éprouverait la "Verfremdung" brechtienne, dont la traduction erronée en français par le terme "distanciation" amena certains metteurs en scène de théâtre français à étouffer le sentiment nécessaire au véhicule des idées, vidant les salles comme les caisses de subvention.
Rendre étrange ou étranger fit tout l'intérêt de Brecht et de ses héritiers berlinois, mettant en exergue le caractère artificiel de toute loyauté, ce que plus tard Olivier Py nomma dictature de l'authenticité, pour mieux dévoiler l'illusion de toute représentation, et par ce dévoilement même pouvoir en décrire l'architecture hypocrite et accéder à l'expression poétique de notre réalité.
Il n'en demeure pas moins que quand plusieurs voyageurs schubertiens se rencontrent, même à Sud Radio, ils n’échapperont à ce mensonge qu'en sachant ne pas imiter ce qu'ils dénoncent en confondant populaire avec populisme, popularité avec réédition du même esprit qui ne saura alors que reproduire les mêmes effets de copinage n'aboutissant qu'à remplacer, à l'image de toutes les révolutions, une caste par une autre sans réellement changer de mode de fonctionnement, quand les honnêtes solitaires n'échappent alors pas non plus aux effets de mode et de foule qui toujours distordent notre appréhension de la réalité:
Je viens de la montagne
La vallée fume, la mer rugit.
Je marche en silence, sans joie,
Et toujours en soupirant, me demande : Où ?
Le soleil me semble si froid ici,
La fleur fanée, la vie révolue,
Et ce qu’ils disent sonnent vide;
Je suis un étranger partout.
Où es-tu mon pays bien-aimé ?
Je t’ai cherché, rêvé, mais ne t’ai jamais connu !
Le pays, le pays vert de l’espoir,
Le pays, où fleurissent les roses.
Là où mes amis vont se promener,
Là où mes morts ressuscitent,
Le pays où l'on parle ma langue,
Ô pays, où es-tu ?
Je marche en silence, sans joie,
Et toujours en soupirant, me demande : Où ?
Dans un murmure, un esprit me répond :
« Là où tu n’es pas, là est le bonheur. »
https://www.youtube.com/watch?v=KJrFcQqmNII
Rédigé par : Aliocha | 31 août 2022 à 08:36
C'est un automne précoce, et le Boss fait sa crise de romantisme.
Du vrai romantisme, avec le sentiment de solitude, l'étrangeté dans la foule qui va avec.
Le voilà le héros romantique de la rentrée !
C'est superbe cet aveu de solitude, il manifeste une jeunesse d'esprit, celle de l'adolescent qui se cherche.
Immédiatement, avant même d'avoir fini la lecture du billet, j'ai pensé au plus romantique des héros de notre littérature: René, que décrit si bien Chateaubriand dans son livre éponyme :
Voici quelques extraits en phase me semble-t-il avec le texte du billet :
"L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. Tantôt j’aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes ; tantôt j’enviais jusqu’au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l’humble feu de broussailles qu’il avait allumé au coin d’un bois. J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays, le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre coeur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs."
ou encore :
"Le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs."
Il reste encore quelques romantiques, rien n'est perdu. ;-)
Rédigé par : Tipaza | 31 août 2022 à 08:15
"Pourquoi ce sentiment d'être étrange, étranger, me saisit-il si souvent quand je me trouve associé à un collectif, quand mon singulier se heurte à du pluriel ?" (PB)
Sentiment qu'on partage totalement quand on se croit Français, se veut Français au point d'être chauvin, et que l'on croit rentrer "chez soi" après une longue absence ailleurs sur la planète par raison de son activité, pourtant honorable, mais qu'on découvre être étranger, pire, être surnommé "l'Américain", quand on constate ce que le pluriel pense des Américains !
Rédigé par : Claude Luçon | 31 août 2022 à 01:29