Dans cette matinée du 17 septembre, j'ai vu deux films : l'un qui est un chef-d'oeuvre, "Chronique d'une liaison passagère", réalisé par Emmanuel Mouret (EM) avec Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne, l'autre qui est une comédie policière très divertissante : "Coup de théâtre".
Ce billet ne sera consacré qu'au premier car je suis si enthousiaste et admiratif qu'un tweet ne suffirait pas. Je vais aussi me faire le plaisir d'aller sur les brisées de ceux qui me reprochent de trop détester alors que la lucidité pour le pire est évidemment nécessaire à celle pour le meilleur.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je découvre le talent de scénariste, de dialoguiste, de metteur en scène (et parfois d'acteur) d'EM. Cela fait longtemps que je vais voir ses films avec une confiance jamais déçue mais je ne pressentais pas qu'il atteindrait une telle qualité proche de la perfection, tant dans le registre technique que dans l'élaboration et l'inventivité de cette histoire profonde et presque toujours à deux personnages...
EM m'était d'autant moins étranger que je lui avais proposé il y avait assez longtemps de m'accorder un entretien dans ma série : "Bilger les soumet à la question". Il m'avait répondu tout de suite très aimablement mais malheureusement nous n'avons pas pu nous accorder sur les dates. Néanmoins je n'ai jamais désespéré de pouvoir un jour revenir à la charge...
J'ai évoqué la qualité technique (au sens large) de ce film parce qu'elle me paraît, dans les détails et pour sa configuration, tellement remarquable que j'ai douté une seconde que ce soit du cinéma français. Imaginez : les acteurs articulent et on les entend clairement, le son est impeccable, aucune longueur, un rythme délicieusement et dramatiquement soutenu, aucun exhibitionnisme ni scènes de nudité inutiles mais une pudeur qui dévoile tout sans rien montrer, à aucun moment nous ne sommes condamnés à subir les protagonistes en train d'uriner, tout ce qui constitue la vulgarité quasi systématique de notre cinéma qui confond l'audace créatrice avec le sordide et l'indécent nous est épargné.
Et, pour l'essentiel, quelle intelligence, quelle sensibilité, quel art du dialogue, quelle finesse rare dans les échanges entre les deux acteurs (Vincent Macaigne est éblouissant et Sandrine Kiberlain cette fois époustouflante), quelle subtile et brillante intrusion dans le domaine du coeur au point - je vais jusque-là - de renouveler ce thème qu'on aurait pu croire rebattu. Quelles magnifiques, douces, subtiles et amères variations sur deux personnalités apparemment différentes mais qui vont se réunir, me semble-t-il, dans cette conclusion implicite qu'il n'y a pas d'amour léger, avec une fin superbe grande ouverte sur le futur, que chaque spectateur interprétera à sa guise...
Des critiques vantant le film ont choisi une comparaison facile avec Marivaux ce qui est à la fois paresseux et excessif : EM a trop de culture pour être dupe de cette surestimation.
D'autant plus qu'à sa manière il s'est servi de la psychologie de ses héros pour que l'une croie faire l'éducation sentimentale (c'en est une que de recommander un détachement du sentiment pour le seul plaisir du sexe) de l'autre et que l'homme d'abord retenu par et dans sa conjugalité découvre le charme troublant et délicieux parce qu'interdit de la marge, du clandestin et de la spontanéité. Le tout baignant dans une atmosphère de délicatesse et de grâce sans qu'à aucun moment les scénaristes (il y en a deux) nous assènent les leçons de crudité et de simplisme propres à aujourd'hui.
Le tour de force est d'autant plus impressionnant qu'EM non seulement ne fuit pas la sexualité libérée - un plan à trois par curiosité et à nouveau sans grossier débridement - mais constitue les appétences homosexuelles comme un ressort capital de l'histoire.
À dire vrai, quand ces séquences sont advenues, j'avoue avoir eu peur face au risque de banalisation de l'irruption de ces scènes dans le récit. Mais, sans le moindre racolage ni outrance, elles viennent bouleverser, avec leur atypisme et leur caractère surprenant, aussi bien la femme qui ne les attendait pas que l'homme fragile les voyant détruire un bonheur auquel il avait fini par s'habituer sans mauvaise conscience parce qu'il n'était pas le même que celui qui aimait son épouse.
J'ai conscience qu'écrire sur un chef-d'oeuvre est quasiment impossible parce qu'il faudrait d'abord le voir pour adhérer.
Il n'y a pas d'amour léger : mon titre exprime ce que cette "chronique d'une liaison passagère" met de gravité, de nostalgie et presque de douleur dans une relation qui feignait de ne jurer que par l'entente des corps pour en définitive percevoir que les élans du coeur sont irrésistibles. La vie est plus forte que ceux qui prétendent la dominer.
Je rêve mais j'aimerais qu'EM lise ce billet.
Le cinéma français, qui fut l’un des meilleurs du monde, est en perdition depuis bien longtemps parce qu’il n’a jamais su accepter d’être aussi une véritable « industrie culturelle », capable d’une offre attendue de son public, d’une stratégie économique basée exclusivement sur ses propres ressources, mais aussi d’une sélection de ses acteurs - réalisateurs et comédiens - sur un critère essentiel : le talent.
Certes, le cinéma est un art, mais il n’est que le septième, né du progrès technologique. Contrairement aux autres, il exige, dès l’élaboration d’un scénario, un financement très important, qui, en France, provient en partie de subventions publiques, versées, comme il se doit dans un Etat respectant la liberté d’expression, sans prendre en compte ni le retour sur investissement, ni la qualité artistique de « l’œuvre » en gestation. Il en est de même des financeurs privés, des soficas bancaires en particulier, qui, eux, trop souvent, s’intéressent au profit sans vraiment jauger la qualité...
Ce qui explique non seulement la proportion inquiétante de navets - exemple en 2022 : « Arthur Rambo », huitième long métrage de Laurent Cantet, 33 000 entrées pour un budget de 4,6 millions d’euros... - et, encore plus alarmant, les multiples dérives de la part d’une faune de cinéastes qui, se prenant pour des cadors, des « élites », se complaisent dans l’expression de leur (petit) « moi », dans leur volonté de peser sur l’évolution politique et sociétale du « peuple » ou dans la fabrication de films dits d’action, où ils étalent violences, perversions et fantasmes sexuels.
Rares, très rares, trop rares sont des professionnels comme Emmanuel Mouret qui, visant l’universel, font le choix d’offrir de l’intelligence à leurs spectateurs plutôt qu’une distraction sans lendemain ou, pire, une « morale » nouvelle... et déviante.
Cette évolution galopante du cinéma français vers l’abîme s’ajoute à la pandémie et aux offres des plates-formes tels Netflix et Amazon pour expliquer la baisse de fréquentation des salles obscures (moins 5,6 % en août 2022 par rapport à août 2021). Elles ne fermeront pas demain, grâce surtout aux « blockbusters » américains. En août, quatre des cinq premières places du classement par nombre d’entrées des films sortis ce mois-là sont occupées par des productions américaines, la cinquième par une japonaise...
On peut le déplorer, mais aussi se dire que les lois du marché vont faire disparaître de nos salles de cinéma ces « rossignols » qui nous chantent le politiquement correct voire le wokisme, la déconstruction et la théorie du genre... Las, ne nous faisons aucune illusion, ils trouveront refuge sur nos petits écrans, dans les téléfilms et autres séries débilitantes, où déjà le niveau culturel est très souvent proche du zéro...
Quand ils n’affichent pas simplement une méconnaissance totale de nos institutions et de nos règles. Il est à croire que les spécialistes du genre « policier » n’ont jamais ouvert un code de procédure pénale et qu’ils imaginent les commissariats comme de vastes lupanars et les enquêteurs comme d’infatigables dragueurs. Au secours, commissaire Bourrel, reviens ! Bon dieu... mais c’est bien sûr : ils sont devenus fous...
Rédigé par : Serge HIREL | 20 septembre 2022 à 14:59
@ Patrice Charoulet
"Je suis allergique à Sandrine Kiberlain. Qu'elle soit choisie par un seul cinéaste est pour moi une énigme."
Rhôôôôô... elle était pourtant hilarante dans "Rien sur Robert" de Bonitzer avec Luchini.
Elle était aussi à bon emploi dans Polisse.
Je trouve par contre qu'elle tourne trop. Elle enchaîne les films.
Rédigé par : F68.10 | 19 septembre 2022 à 17:17
1. Je suis allergique à Sandrine Kiberlain. Qu'elle soit choisie par un seul cinéaste est pour moi une énigme.
2. "des acteurs qui articulent". N'ayant strictement aucun problème d'audition et saisissant le moindre murmure, je déplore comme vous que dans beaucoup de films français actuels le réalisateur néglige cela.
Par exemple, je viens de voir avec retard, à la télé, le film de Dupontel, que j'ai trouvé en dessous de tout. Très souvent, l'acteur principal* et l'actrice principale n'articulaient pas. Il fallait deviner (!) ce qu'ils avaient dit.
*acteur qui devrait changer de métier.
Rédigé par : Patrice Charoulet | 19 septembre 2022 à 14:12
Cher Philippe,
Emmanuel Mouret est une personne très chaleureuse et il est simple de discuter avec lui de ses réalisations. Nous avons eu le plaisir de le connaître en le rencontrant à plusieurs reprises. Ne vous prenez pas le chou car c'est un homme très ouvert au débat d'idées.
Vous présentez un rêve ; notre rêve serait de voir l'archange Saint-Michel, œuvre d'art, garder sa place près de son église. Si les juges se mettent à censurer l'art et la liberté d'expression, c'est qu'ils se déboulonnent eux-mêmes et sont devenus de vulgaires ombres inintéressantes.
Censurer l'art est une dérive totalitaire inacceptable qui porte à penser à certaines heures abjectes !
L'archange Saint-Michel une œuvre d'art à remettre au sommet ou à voiler car on peut la voir de l'espace public !
Les croix, les symboles dans les cimetières bientôt interdits car ce sont des espaces publics ?
Les célébrations des cultes sur France Culture ou autres chaînes publiques bientôt censurées ?
Les œuvres d'art sont-elles en danger?
Finis les Bouddhas au Musée, adieu les Shivas. Good bye les cloches, les peintures, les sculptures, suppression de "Oh Marie si tu savais" de Johnny ?
https://www.youtube.com/watch?v=fkklwDj-Bt4
Bonne soirée à vous.
françoise et karell Semtob
Rédigé par : semtob | 18 septembre 2022 à 20:27
On se gargarise de la survie d’un cinéma français : botoxé aux avances du CNC, il est hideux comme une Béart ou une Deneuve ; il est vulgaire comme les comédies autour des coucheries entre copains ; il est prétentieux comme les adorateurs des fausses idoles du passé tel Godard incapable de dessiner un personnage, incapable de leur faire dire quoi que ce soit d’intéressant ; tout n’est pas à jeter, avec une Kiberlain, un Dupontel (et d’autres …), mais ils sont bien isolés et je rêve d’un souffle nouveau comme celui incarné par Kore-eda (« Une affaire de famille », truculent et picaresque), par Ritesh Batra (« The lunchbox », romantique et désabusé), par Jafar Panahi (« Taxi Téhéran », chronique vivante et inquiétante).
C’est vrai je vais de moins en moins au cinéma, par ennui de revoir les éternels poncifs franchouillards ou les monstruosités américaines. Tiens, le dernier film que j’ai vu était « The Duke » : un mélange de drôlerie et de critique sociale à la Ken Loach ; anglais, pas subventionné, pas à Cannes, des acteurs vieux (dont Helen Mirren qui avait interprété la reine Elizabeth dans « The Queen », là, en femme de ménage !), tout pour être oublié par la critique des Inrocks ou de Télérama, il a fait un flop en France.
Rédigé par : Olivier Seutet | 18 septembre 2022 à 11:00
Ne pas avoir peur des films qui parlent, même lorsque le bavardage n'est pas banni mais laissé à des lieues derrière le débit vocal des acteurs, comme dans le dernier Mouret que vous offrez ici, dont vous savez si bien parler aussi.
Le réalisateur réussit à passer en revue les dialogues des films anciens de ses vieux confrères, le Rien sur Robert de Bonitzer, l'Appartement de Mimouni, etc., en trois mots, trois mouvements, les met au piquet.
La diction claire de Kiberlain est l'outil parfait pour ça, même à l'ombre chinoise de paroles qui rebondissent sur le mur de poils de la barbe bleue de Macaigne, le son et le sens des mots sont portés comme sur du papier musique.
Quel bonheur sur la durée, la partition est là mais reste invisible.
Une barbe qui plaît à Charlotte, qui donne de l'épaisseur et du poids à son amant, gros nounours à rassurer.
L'attraction des corps n'est pas uniquement en jeu, ni un jeu dans le miroir, ce qu'il fait dans la vie la séduit aussi, tout comme lui, Simon, pourrait succomber à la Balasko d'un Depardieu d'hier ; l'important c'est d'être aimé à la hauteur de nos humeurs qui peuvent avoir de l'humour.
La filiforme Kiberlain, dans cette comédie des erreurs non commises, possède des sphères sur lesquelles chacun pourrait étudier la géographie terrestre, comme disait Shakespeare.
Il y a de superbes plans, toujours intelligemment séquencés, signature oblige, vous êtes dans un Mouret.
Beaucoup parlent de Bergman, d'Allen (Central Park à Paris, et son extraordinaire feuillaison de lumière).
Dans son abandon du champ/contrechamp, je vois aussi la caméra d'Ozu (un filmeur de caprices, lui aussi), l'auteur des fameux "plans d'oreiller" (pillow shots, en japonais) qui permettent de passer, de coulisser, d'une scène à une autre.
L'appartement de Charlotte en fourmille.
Conversations des oreillers, libres de dire ce qu'ils ont sur le cœur pour une fois.
Objectif proche du sol ou pas, en recherche perpétuelle des visages (cadrages en or dans les musées) sans qu'il se torde dans des contre-plongées désespérées.
La peinture de personnages devenus des personnes dans la vie.
De belles résonances avec, par exemple, le Quadrille de Lemercier (1997, déjà), tourbillon verbal d'un plan à quatre annonciateur de ce triangle amoureux, délicatement bizarre à la fin, adorablement triste.
Tristesse peut-être souvent recherchée pour elle-même par les amoureux distingués.
Rédigé par : xavier b. masset | 18 septembre 2022 à 06:05
Variation sur le thème :
Emmanuel Macron : il n'y a pas d'amour léger...
Un chef-d'oeuvre, "Chronique d'une liaison continue", réalisé par Emmanuel Macron (EM) avec Brigitte Trogneux !
On change quelques lettres et on revient sur notre sujet favori qui n'est pas du cinéma !
Rédigé par : Claude Luçon | 18 septembre 2022 à 00:23
Le cinéma en général et le français en particulier me bercent dans un ennui profond. J’ai autre chose à faire dans la vie. Même James Bond est devenu insupportable.
Je ne connais absolument pas Emmanuel Mouret, par contre je connais Sandrine Kiberlain depuis ses débuts et cela ne date pas d’hier, elle jouait comme figurante dans « L’Inconnu dans la maison » de Georges Lautner, Jean-Paul Belmondo tenait le rôle principal, celui d’un avocat de la défense qui se transformait en enquêteur, puis en justicier à la barre.
Ce mélange des genres, cette volonté de transgression est devenue répétitive dans le cinéma français. Je déteste cela. Pourtant les scénaristes et les comédiens ont du talent, Sandrine Kiberlain possède une conviction, un charme indéniable. Mais tout ce professionnalisme me semble utilisé pour promouvoir une injuste cause.
Rédigé par : Vamonos | 17 septembre 2022 à 23:28
Deux films dans la même matinée ? Même dans le loisir, vous faites dans le stakhanovisme...
Les voix inaudibles sont effectivement une caractéristique, curieuse, du cinéma français. On a beaucoup perdu depuis Jean-Luc Godard. L'une des choses les plus admirables dans ses films, c'était le son. Il y pratiquait une créativité extraordinaire.
Sur les conseils d'un critique ayant écrit sa nécrologie, j'ai regardé le début d'Une Femme mariée (1964), le Godard favori de ce journaliste, qui ne fait pas partie de ses films les plus connus.
Le premier plan est d'une imagination et d'une beauté à couper le souffle : un fond entièrement blanc, dans lequel pénètre lentement une main de femme. On découvre plus tard celle de l'homme, et l'on comprend qu'ils sont dans un lit.
Godard était effectivement un génie, même s'il est resté un gauchiste enragé jusqu'au bout. J'ai appris à l'occasion de sa disparition ses diverses idioties antisémites.
"Un catholique, je sais ce que c’est : il va à la messe. Mais un Juif, je ne sais pas ce que c’est ! Je ne comprends pas !", ou bien : "Les attentats suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un État palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les Juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’État d’Israël", ou encore : "Au fond, il y a eu six millions de kamikazes".
Peu importe. On ne regarde pas les films de Godard pour s'instruire en politique. Le gauchiste ordinaire, il va vous faire un film où non seulement le son sera massacré, mais où la beauté et la création seront absentes.
Rédigé par : Robert Marchenoir | 17 septembre 2022 à 18:53
Avez-vous vu récemment "les choses qu’on dit les choses qu’on fait" ?
Cette diffusion sur Arte m’a ravie. Le film d’Emmanuel Mouret est certes un peu long et bavard mais toujours empreint de délicatesse et exempt de vulgarité et on pense bien sûr à Rohmer dès qu’il est question des choses du cœur en chassé-croisé.
Merci pour cette critique sensible.
Rédigé par : Martine | 17 septembre 2022 à 18:14