Le président de LR au Sénat, Bruno Retailleau (BR) est qualifié pour le second tour de l'élection pour la présidence du parti, qui aura lieu le 11 décembre. Il est devancé par Eric Ciotti (EC) de quelque 6 000 voix d'écart, ce qui n'est pas mince mais rattrapable, tandis qu'Aurélien Pradié a fait un score honorable avec 22,29 % des voix et qu'il s'est félicité ironiquement de l'attention qu'on lui portait dorénavant.
Durant la campagne, on a pu se moquer de BR avec des appréciations superficielles relevant presque de la condescendance, voire du mépris pour ce "Vendéen", ce "catholique", cette personnalité traditionnelle si peu charismatique, cet ancien collaborateur de Philippe de Villiers... Celui-ci le voue pourtant aux gémonies depuis leur rupture en 2010 puis en 2012 pour des motifs politiques et des ambitions contrariées.
Parce qu'il a été sollicité, BR a décidé de se présenter dans une joute difficile pour y représenter la droite. Mais pas n'importe laquelle.
On lit que LR irait vers une extrême droitisation, serait "à droite toute". Rien n'est plus faux. L'opposition entre EC et BR tient à la nature de la droite et à leur manière de concevoir son futur. Pour s'en convaincre, il suffira de prendre connaissance de l'Entretien que BR m'a accordé le 23 juin 2020.
On pourra relever son approche globale, culturelle (au sens gramscien), cohérente et intelligente de la droite, qui, pour une fois, tranche avec une conception restrictive de celle-ci, privilégiant l'économique et le régalien. Cette distinction est capitale qui permettra à la pensée conservatrice de n'être plus honteuse, comme si elle avait sans cesse besoin de s'excuser d'exister auprès de la gauche. Elle est enfin capable d'opposer à une vision antagoniste une contradiction décisive.
Sans jouer au devin, mais certains signes accréditent mon intuition, je sens combien Emmanuel Macron préférerait avoir comme adversaire à droite un EC plus facile à contrer parce que porteur d'un spectre moins large, moins subtil dans sa dénonciation qu'un BR aux antipodes du Président à tous points de vue : origine, parcours, copinages de privilégiés, manipulations et roueries... Le parisianisme chic du "en même temps" contre la sincérité parfois rude de provinces à qui on ne la fait pas... Le snobisme de peu de poids face au populaire et à ses enseignements...
Ce n'est pas le "tout sauf Ciotti" qu'il faut asséner, ce qui serait une manière péremptoire de ne rien démontrer.
Alors qu'il y a des arguments puissants en faveur de BR.
En effet, quoi qu'on pense d'EC, et malgré ses efforts qui démontrent bien qu'il avait conscience des manques de son projet, il est clair qu'il n'offrira rien d'autre aux adhérents et militants LR qu'une proposition de droite classique, surtout régalienne et impérieuse pour l'autorité de l'Etat. Ce n'est pas rien mais c'est loin d'être tout.

Au risque de tomber dans une personnalisation en l'occurrence inévitable - les tempéraments faisant parfois la différence que les idées ne suffisent pas à expliciter -, EC, sur divers registres et malgré les coups de menton affichés et le volontarisme ostentatoire (loin du pouvoir, il est si confortable !), n'a pas fait preuve d'un courage intellectuel et politique éclatant.
Il a hurlé avec les loups contre Grégoire de Fournas alors qu'il aurait été pourtant simple de rappeler le caractère politique, quoique intempestif, de son interpellation à l'Assemblée nationale.
Plus gravement, il est patent qu'avec EC, LR sera le continuation, mais replâtrée, de l'ancien régime dans lequel il a été partie prenante et qui a permis aux chiraquiens et aux sarkozystes de mettre à bas tout ce qu'il y avait encore d'espérance à droite. Que je sache, EC ne s'est pas distingué de ces fossoyeurs contents d'eux-mêmes et il préfère la décence hypocrite à la vérité cruelle.
Je ne l'ai pas entendu non plus, sauf du bout de l'esprit, blâmer Nicolas Sarkozy pour sa trahison et dans la catastrophe présidentielle, impliquant à titre principal Valérie Pécresse, il n'a pas été non plus sans responsabilité.
Bref, EC est un faux dur et un vrai homme d'appareil. Ce n'est pas ce qu'il faudra à LR pour se redresser radicalement.
Alors que BR n'a jamais été, lui, dans cette mouvance délétère, ce salmigondis droito-centriste qui a peu à peu entraîné le parti conservateur (qui aurait pu rappeler le RPR des années 80 sur le fond) vers une opposition si molle qu'une poussée aurait pu quasiment les faire tomber dans le macronisme.
BR a été le premier à tirer les conséquences de l'attitude néfaste de Nicolas Sarkozy et de son étrange volonté (pour quelles raisons inavouées ?) de faire accepter à un parti qu'il ne soutient plus une alliance avec le président. Et comme ce fut un fiasco pour lui, il incite Emmanuel Macron à tendre la main à LR. Mais il oublie de dire que ce sera pour les étrangler !
Nicolas Sarkozy déteste BR, et si j'osais, je dirais que c'est le principal titre de gloire de de ce dernier. Face à cette hostilité qui en aurait intimidé plus d'un, BR a eu cette audace de répliquer qu'il ne "retiendrait" pas NS et que le "roi était nu". Tous ceux qui aspirent à une droite morale et libre devront lui en faire crédit. Le courage en politique est une denrée trop rare pour être négligée.
Qu'on ne croie pas jeter quelque pierre critique que ce soit dans le jardin de BR parce qu'il a avec fidélité soutenu autant qu'il était possible le projet de François Fillon. Cela n'a pas été de sa faute si ce dernier et la Justice, conjointement, ont brisé net, au bénéfice d'Emmanuel Macron, toute possibilité de victoire.
Pourquoi, au-delà de ces contrastes de caractère et de sincérité, de cette profonde différence des visions, faut-il davantage faire confiance à BR qu'à EC ?
Parce que EC s'inscrit dans une filière d'ambitions personnelles avec son ami Laurent Wauquiez (celui qui a calé à deux reprises devant l'obstacle) alors que BR ne songe, pour l'intérêt de la France, qu'à son obsession de faire surgir une nouvelle droite, libre et fière, et un parti métamorphosé.
Quelle surprenante stratégie, en effet, que celle souhaitée par EC ! Il a affirmé à plusieurs reprises qu'il proposerait, élu président, la désignation immédiate de Laurent Wauquiez comme candidat officiel des LR pour l'élection présidentielle de 2027, avec probablement lui comme Premier ministre. La rhubarbe et le séné jouant à plein, LW soutient évidemment EC.
On ne se soucie pas du tout du résultat des futures élections européennes, qui pourra fragiliser cet adoubement seulement destiné à plier le match, confisquant ainsi le débat et privant les militants de leur exclusive responsabilité.
Le lien entre LW et EC relève de la pire politique à l'ancienne et c'est sur ces arrangements douteux qu'on veut refonder LR ! Ce serait comique si ce n'était pas désespérant mais il est peu probable que les adhérents se laissent duper par ces manoeuvres qui ont le grand tort de mettre au second plan l'intérêt du parti et sa sauvegarde. La seule ambition de BR est au contraire de servir l'un et d'assurer l'autre.
BR et EC sont persuadés que toute alliance avec le macronisme serait un désastre. BR, en invitant le moment venu le parti à réfléchir et à travailler, ne fera que confirmer cette évidence partagée qu'entre Emmanuel Macron et le RN il y a une place singulière, forte, d'humanisme généreux et vigoureux, pour une nouvelle droite, un nouveau parti, des personnalités non engluées dans les échecs et les magouilles d'hier mais prêtes pour un futur qui ne verra plus la droite tendre les deux joues aux soufflets de la gauche, de l'extrême gauche et de Renaissance.
Alors, Aurélien Pradié et ses soutiens ? Quémander auprès du premier, solliciter les seconds serait indécent. Le candidat éliminé n'a pas donné de consigne de vote... La seule question est de déterminer si on veut continuer à écrire la même page avec quelques ajouts et modifications ou commencer un autre livre. Ils choisiront en conscience et en intelligence.
De grâce, pour finir par là où j'ai commencé, qu'on poursuive la dérision à l'encontre de BR, qu'on n'hésite pas à lui reprocher ses valeurs traditionnelles assumées, ses refus conservateurs, son absence de snobisme, même son apparence, et je suis sûr que pas un militant de LR ne manquera à son appel et, j'ose le dire, à celui de l'avenir quand l'autre contraire serait de mort douce !
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