Non pas que ce billet prétende être bouleversant d'originalité mais il me semble, par une intuition subite, se justifier aujourd'hui.
Il m'est venu à force d'entendre que notre président de la République était narcissique et épris de soi et, sans trouver cette appréciation forcément injuste, j'ai remarqué qu'elle méritait au moins de ne pas être appliquée qu'à lui.
En effet il n'est plus un domaine qui échappe à ce que je nomme "la fragile puissance du je".
Même dans ce qui peut apparaître comme l'expression du collectif, les institutions, les grandes entreprises, les sports et l'humanitaire, l'individualisme triomphe. Rien que par l'éclatante évidence de certaines personnalités qui, au sein d'une communauté, d'une pluralité, les font oublier et détournent la lumière sur elles-mêmes.
Ainsi, pour LVMH, Bernard Arnault qui fait se projeter sur lui, sans qu'il le désire, toutes les admirations et toutes les dénonciations.
Il y a un impérialisme du "je" même dans les secteurs où au contraire nous aspirerions à une apothéose du "nous" - par exemple la pratique présidentielle. Mais il est irréfutable que cette autarcie prospère dans des activités intellectuelles ou médiatiques qui ne l'appelleraient pas nécessairement et sont elles-mêmes gangrenées par l'irrésistible montée de l'individualisme.
En littérature, la démonstration est éclatante. La surabondance de l'autofiction, la substitution de plus en plus fréquente du récit intime ou familial à la richesse de l'invention romanesque, ce zeste de présomption persuadant ceux qui écrivent que leur ego ou l'histoire de leurs ascendants seront inéluctablement universels (en oubliant le talent ou le génie qui permet la transmutation), révèlent cette forte tendance contemporaine magnifiant le "je" - et son faible pouvoir, à voir le résultat de beaucoup d'introspections.
Tant se sont engouffrés dans cette voie... Derrière ce déclin il y a l'illusion que soi et ses proches légitiment un récit.
Je pourrais mentionner de nombreux livres - à commencer par notre prix Nobel - qui, dans un genre différent, ne tournent qu'autour de leur auteur, en espérant constituer ainsi la pauvreté du sujet en une grandiose épopée de leur "je". C'est, la plupart du temps, peine perdue.
Quelques-uns de mes livres pourraient mériter ce grief mais aucun n'est exclusivement intime et si je me suis laissé aller à cette pente, c'est en pleine conscience de mon infirmité romanesque. Sans me pousser du col en feignant d'offrir le meilleur quand ce genre de littérature est au contraire une insuffisance.
Pour le football, j'ai été convaincu par l'opinion de Daniel Riolo qui expliquait que les démarches de Michel Platini et de Kylian Mbappé étaient radicalement différentes dans leurs actions de revendication tenant aux affaires de leur sport (publicité, primes, etc.) : le premier plaidait pour tous, le second défend sa seule cause. Pour Platini, hors du terrain le "nous" avait encore sa chance. Pour Mbappé, le "je" est impérieux et impératif (L'Heure des pros du 26 avril).
Je pourrais continuer ainsi à égrener mille exemples qui dans les registres médiatique ou judiciaire établiraient la formidable amplification de la personnalisation au point d'ailleurs qu'il est de bon ton de féliciter les illustres, les célébrités, les animateurs, les stars, ici ou là, de leur modestie vraie ou feinte quand ils en usent. Qu'on songe notamment aux interviews où le questionneur prend trop souvent le pas sur qui doit répondre !
Au risque de noyer la détestation du président dans un opprobre général et de décevoir certains de ses opposants, ne convient-il pas d'admettre qu'Emmanuel Macron est la pointe extrême d'une réduction à soi qui parcourt toute la société dans beaucoup de ses registres ? Il nous ressemble et beaucoup d'entre nous lui ressemblent.
Le remède sans doute le plus efficace pour prévenir cette tentation du "je" et ne pas succomber à sa fragile (elle ne tient qu'à un être) puissance (la force de la solitude), tient dans la volonté d'une considération d'autrui. Souhaitons que mes démarches d'écoute et de formation me gardent autant que possible de cette assurance rarement questionnée.
Quelqu'un devant Paul Valéry s'écriait : "Il faut être soi" ; il répliqua : "Mais soi en vaut-il la peine ?"
Tout est dit.
@ Robert Marchenoir 15h46
"Ainsi, ce tweet de Mélanie Vogel, sénateur Europe Écologie Les Verts, déclarant (en anglais) : "Le sexe, c'est bon, mais que dire de votre pays fermant ses trois dernières centrales nucléaires en 30 minutes ?""...
...Que j'ai entendu déblatérer sur l'écologie politique qui, bien sûr, ne pouvait être que de gauche dans l'émission de France Culture du lundi 24 avril
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/ecologie-cinquante-nuances-de-vert-8045870
Succulent !
ll y avait un autre invité, un certain Pierre Madelin, qui a écrit sur les dangers de l'écofascisme dont je n'avais jamais entendu parler, moi qui suis ce domaine depuis de longues années.
France Culture ne recule devant rien, ni le ridicule, ni la complaisance pour asséner à l'auditeur que oui, décidément oui, la protection de notre environnement ne peut être propulsée efficacement que par les successeurs de Trotski ou de Mao...
Pitoyable et dangereux.
Rédigé par : caroff | 03 mai 2023 à 13:02
Je ne parlerais pas d'individualisme, plutôt de narcissisme. L'individualisme est une bonne chose, surtout s'il s'agit d'opposer le libéralisme à l'irrésistible penchant autoritaire de toute organisation politique.
On ne peut guère ériger Emmanuel Macron en symbole du narcissisme. En 2008, déjà, Ségolène Royal trouvait tout à fait normal de déclarer qu'elle "avait envie" de diriger le Parti socialiste. Elle pensait que c'était un bon argument pour qu'on cède à ses caprices. En 2011, elle nous informait derechef de ses états d'âme, en assurant qu'elle "avait envie" de succéder à François Mitterrand à la tête de l'État. Élisez-moi parce que j'en ai envie, voilà une bonne raison ou je ne m'y connais pas.
Je ne me souviens pas d'avoir lu, à l'époque, de critiques sur cette façon de formuler les choses.
Ces jours-ci, il suffit de se baisser pour ramasser des déclarations de politiciens encore plus ahurissantes. Ainsi, ce tweet de Mélanie Vogel, sénateur Europe Écologie Les Verts, déclarant (en anglais) : "Le sexe, c'est bon, mais que dire de votre pays fermant ses trois dernières centrales nucléaires en 30 minutes ?"
Pour apprécier tout le sel de cette saillie, il faut préciser que la photo qui l'illustre représente Madame le Sénateur, échevelée, passant tendrement son bras autour du cou de Terry Reintke, sa compagne, ancien responsable du parti allemand Les Verts et co-président du groupe écologiste au parlement européen.
Le tweet de Mélanie Vogel se félicite de la fermeture imbécile des trois dernières centrales nucléaires allemandes, qui va obliger ce pays à accroître encore davantage sa consommation de charbon. Son site personnel précise qu'elle est "féministe, queer et anti-raciste". Autrement dit, une lesbienne d'extrême gauche. Quelle surprise...
On atteint le summum du narcissisme, dès lors qu'une décision politique déjà idiote et marquée au sceau du dogmatisme le plus crasse, est revendiquée au nom de la recherche du plaisir sexuel le plus dévoyé.
Rappelons que nous avons affaire à "l'élite de la nation". Une chambre haute, normalement, est le réceptacle de la sagesse la plus éminente du pays...
À côté de ces dames, Emmanuel Macron passe pour un politicien positivement monacal.
Rédigé par : Robert Marchenoir | 02 mai 2023 à 15:46
@ Julien WEINZAEPFLEN | 01 mai 2023 à 13:09
Le désir de célébrité est encouragé et exacerbé par le culte de la célébrité dans lequel nous baignons. Un enfant abreuvé de petits écrans désirera devenir par exemple un footballeur ou un présentateur de télé célèbre plutôt qu'un obscur mais excellent médecin. Et peut-être ses parents aussi le désireront-ils pour lui tant le fait d'être connu, montré et cité est devenu un critère suprême de réussite. Dans la hiérarchie sociale véhiculée par les divers petits écrans que les enfant regardent, K. Mbappé se place bien plus haut que l'ingénieur travaillant sans relâche pour améliorer les rendements agricoles ou pour développer des moyens de conservation d'énergie.
Le billet de Philippe Bilger, me semble-t-il, vise surtout "l'impérialisme", la "formidable amplification" de cette tendance, au détriment de "la volonté d'une considération d'autrui". On ne peut qu'acquiescer. Je pense d'ailleurs que la prolifération du phénomène relève de nos jours de l'esprit moutonnier autant que de l'individualisme, mariage impossible qui rejoint votre idée de "vide".
Au sujet de l'idéalisation des narcissiques que vous évoquez, et qui me paraît être le fond du problème, on voit comment les gens célèbres en viennent à être célébrés pour leur célébrité, davantage que pour les raisons de leur célébrité. On ne leur demande plus autre chose, c'est le summum. On recherche leur compagnie parce qu'ils sont célèbres. Et c'est ainsi qu'ils entretiennent une célébrité qui se nourrit d'elle-même.
Mais à mon avis on ne peut pas critiquer les individus qui y succombent sans critiquer d'abord ceux qui, inconsciemment ou non, en font un modèle.
Rédigé par : Lucile | 01 mai 2023 à 16:50
@ Lucile | 29 avril 2023 à 01:36
"Ce n'est donc pas le "je" en lui-même que je mettrais en cause. Le "nous" peut d'ailleurs être aussi autarcique et exigeant vis-à-vis d'autrui que le "je"."
Je me souviens d'une "amoureuse" (au sens de l'ennéagramme) qui, dans son besoin de dominer pour combler un vide intérieur et de se faire le centre du monde en se payant d'insignifiance (les "pures narcissiques" nous marquent au fer rouge et sont facilement idéalisées, Freud et René Girard l'avaient bien remarqué), inventait un "nous" qui n'existait pas, mais entraînait tout le monde dans son jeu, en sorte que, quand on l'avait quittée ou qu'elle nous avait joués, on se disait (du moins il m'arriva de me le dire) qu'on est souvent le dindon de la farce qu'on a soi-même écrite pour avoir cru en un être qui se surcroyait pour cacher un manque de foi abyssal en sa personne. Or soi en vaut la peine, et je répondrai à duvent qui le souligne avec raison que la phrase de Paul Valéry citée par Philippe Bilger me rappelle la réponse de Talleyrand au mendiant qui se justifiait de le solliciter: "Monseigneur, il faut bien que je vive !": "Je n'en vois pas la nécessité."
"Je désignerais plutôt comme haïssables : le culte de la célébrité, l'indulgence pour la tyrannie, et l'esclavage volontaire de ceux qui en redemandent."
Entendu hier matin cette phrase de Charles Péguy citée par un prêtre: "Je préfère les prosternations d'hommes libres aux agenouillements d'esclaves."
Mais que trahit ce désir de célébrité ? Que le "moi" s'exponentialise en désir de toute-puissance et qu'il se montre mégalomane en ce qu'il préfère le "il" au "on", pour reprendre ma première nomenclature des trois unités pronominales. Il préfère le "il au "on" au point de se faire dans sa critique plus puissant que la raison. Mais, comme le dit à sa manière le titre de notre hôte, cette toute-puissance est illusoire ou "fragile", car on ne peut pas, même à force d'exacerbation de sa personnalité par le "désir de célébrité" que vous évoquez et que vous condamnez, on ne peut pas nier ses limites, on ne peut qu'être fâché avec elles et avec l'idée même de limite, mais le désir illimité n'est qu'un aveu d'impuissance, tout désir même, affirme la psychanalyse, qui postule un manque originel, donc c'est un stoïcisme.
Rédigé par : Julien WEINZAEPFLEN | 01 mai 2023 à 13:09
"Quelqu'un devant Paul Valéry s'écriait : "Il faut être soi" ; il répliqua : "Mais soi en vaut-il la peine ?"" (PB)
Mais Valéry était empêché par qui de faire en sorte que soi en vaille la peine ?
Connais-toi et fais quelque chose pour ne pas demeurer le baltringue si content de l'être…
Quoi ? Je ne suis pas mesurée ? Mais si enfin, je le suis, et tellement que tout devient clair !
M. Bilger, vous écrivez : « La fragile puissance du "je", partout... »
Et j'ai très envie de vous dire que non seulement vous vous trompez, mais aussi que vous avez l'air de prendre du plaisir à vous tromper.
« La fragile puissance », c'est d'un bel effet !
Mais que croyez-vous que vous seriez si votre sentence n'était pas fausse ?
Je vous le demande, mais vous et moi, nous connaissons la réponse...
Le « Je » est, sans que rien ne puisse venir l'empêcher.
Il serait bon d'abandonner ces postures et tenter un pas en avant, et si vous êtes au bord de l'inconnu, du vide sidéral qui vous habite, rien ne dit que ce vide est sans ressource.
Allez ! Un peu de courage, changez la banalité en trésor, dites-nous autre chose, dites-nous par exemple que JE est le début de TOI, par JE, je viens à TOI, toi qui gardes jalousement ton propre vide...
« JE » est grand, « JE » est plein de vie, « JE » croit, « JE » rêve et voit plus loin que nous, que vous, qu'eux, « JE » est seul en lui-même et il cherche la lumière et la vie, « JE », explore et invente, « JE », ne doit pas être enfermé dans le « NOUS » qui n'est rien ; que des peurs assemblées, et accolées les unes aux autres, tremblantes, paralysées par le néant et la vacuité, « NOUS » stérile, et conventionnel, le « NOUS » qui s'accroche désespérément aux vieux chemins, aux vieilles pensées, aux tristes impuissances...
Soyez bon, M. Bilger, et dites que vous ne savez pas où vous allez avec les autres, mais que ne voulant pas être le seul, car se tromper seul est effrayant, vous suivez sans y croire le joueur de pipeau.
Alors, moi qui ne vous connais pas, je vous le dis : JE est ce ridicule ver luisant, ce faible et insignifiant être qui abolit par une extravagance qui laisse sans voix, l'obscurité épaisse, la nuit noire et qui rend visible l'invisible, la voix intérieure, la voie de l'homme ! Et in arcadia ego.
Rédigé par : duvent | 30 avril 2023 à 12:44
Il semble plus naturel, voire authentique de s'exprimer à la première personne, même si d'aucuns un peu trop pressés de juger en mauvaise part vous qualifient de "m'as-tu-vu".
La question est de savoir concernant ceux qui s'expriment plus volontiers à la 3ème personne s'ils le font spontanément ou au contraire par calcul et donc pour paraître ce qu'ils ne sont pas en réalité. Auquel cas, ces gens-là me paraissent beaucoup plus narcissiques et vaniteux que les premiers.
Rédigé par : Axelle D | 29 avril 2023 à 14:50
@ Serge HIREL 29 avril à 00:29
Merci pour votre commentaire éclairant, cela change des profs de collège si prompts à parler d'eux-mêmes.
Nous aussi on a droit aux hors-sujet.
C'est vrai que sur ce coup-là, comme sur d'autres, Hollande n'a pas fait preuve d'une grande lucidité.
Entre Jouyet et Attali, on peut douter de sa capacité à choisir ses amis.
Mais c'est bien connu "on ne connaît vraiment ses amis que quand ils nous ont trahi".
J'en arrive même à me demander comment les résultats ont été finalement aussi corrects.
Maintenant on a Le Maire, le ministre qui soutenait que l'État conserverait le contrôle de Suez-GDF pour que la France garde sa souveraineté énergétique.
Y a-t-il des partants sur ce blog pour un TSLM ? (Tout Sauf Le Maire).
Lisse, sans convictions, retournant sa veste.
Au vu du casting 2027, c'est à se demander si Sarkozy ne serait pas notre sauveur.
Rédigé par : stephane | 29 avril 2023 à 13:53
Le « je » en majesté, le « nous » plus discret et l'éternel oublié l'affreux « on » tapi dans l'ombre en train de tirer les ficelles, ni vu ni connu...
J'ai interrogé une fois de plus Lia - ma consultante en IA - et voici une synthèse de sa réponse à propos du recours parfois abusif au « on » à la place du « nous » :
« En général, “nous” est un pronom pluriel qui s’utilise surtout à l’écrit ou dans un langage formel. Il indique clairement qui sont les personnes incluses dans le sujet. Par exemple :
- Nous sommes très heureux de vous accueillir. (formel)
- Nous avons terminé notre travail. (précis)
“On” est un pronom singulier qui s’utilise plutôt à l’oral ou dans un langage familier. Il peut remplacer “nous” quand on veut être plus rapide ou plus vague sur l’identité du sujet. Par exemple :
- On est très contents d’être ici. (informel)
- On a fini notre boulot. (économique)
“On” peut aussi avoir d’autres sens, comme un sujet indéterminé ou collectif. Par exemple :
- On frappe à la porte. (qui ?)
- On a souvent besoin d’un plus petit que soi. (tout le monde) »
Bien entendu, notre ami l'éminent professeur Charoulet pourra corriger ou compléter cette présentation des choses s'il trouve à y redire.
Rédigé par : Exilé | 29 avril 2023 à 13:51
La lucidité admirable et première confond alors la vraie satisfaction romanesque avec l'extinction du désir, affirmation d'un je qui n'existe que par rapport à son objet.
Cet objet, dont la négation moderne occulte le mensonge illusoire, n'existe que pour favoriser l'opprobre de celui qui voudrait nous en disputer la possession, et dissimuler que notre parole encore ne définit sa grammaire que dans un cadre rivalitaire, l'identité se construisant autour de la dissimulation que le prix accordé n'est que son évaluation par un autre mesurée.
C'est cette véritable dépossession de soi-même qui peut, chez les très grands artistes, véritablement nous convertir à la réalité, et dans ce cadre les références idéologiques et théologiques avouent leur erreur d'enfantement d'un sens, pour placer notre identité qui désire sa prééminence au juste endroit secondaire de sa condition de créature.
Nos moi ne sont pas notre je, mais l'expression d'une parole, mais la porte de communication que l'amour d'un ou d'une autre a pratiqué en nous-même, nous permettant de résister à devenir des choses à posséder, pour enfin devenir ce à quoi nous sommes destinés, des sujets uniques et particuliers, chacun appelé à entrer dans cet espace alors ouvert, où la mort même n'existe pas plus que sa limite, intégrés alors que nous sommes au mouvement de la création, invités à être ces sujets incorporés en la vie même :
"Et pourtant, quelque joie que pût me donner au moment même ce retour, je sentais que bientôt les mêmes difficultés se présenteraient et que la recherche du bonheur dans la satisfaction du désir moral était quelque chose d’aussi naïf que l’entreprise d’atteindre l’horizon en marchant devant soi. Plus le désir avance, plus la possession véritable s’éloigne. De sorte que si le bonheur, ou du moins l’absence de souffrances, peut être trouvé, ce n’est pas la satisfaction, mais la réduction progressive, l’extinction finale du désir qu’il faut chercher. On cherche à voir ce qu’on aime, on devrait chercher à ne pas le voir, l’oubli seul finit par amener l’extinction du désir. Et j’imagine que si un écrivain émettait des vérités de ce genre, il dédierait le livre qui les contiendrait à une femme, dont il se plairait ainsi à se rapprocher, lui disant : ce livre est le tien. Et ainsi, disant des vérités dans son livre, il mentirait dans sa dédicace, car il ne tiendra à ce que le livre soit à cette femme que comme à cette pierre qui vient d’elle et qui ne lui sera chère qu’autant qu’il aimera la femme. Les liens entre un être et nous n’existent que dans notre pensée. La mémoire en s’affaiblissant les relâche, et malgré l’illusion dont nous voudrions être dupes, et dont par amour, par amitié, par politesse, par respect humain, par devoir, nous dupons les autres, nous existons seuls. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, en disant le contraire, ment. Et j’aurais eu si peur, si on avait été capable de le faire, qu’on m’ôtât ce besoin d’elle, cet amour d’elle, que je me persuadais qu’il était précieux pour ma vie. Pouvoir entendre prononcer sans charme et sans souffrance les noms des stations par où le train passait pour aller en Touraine m’eût semblé une diminution de moi-même (simplement au fond parce que cela eût prouvé qu’Albertine me devenait indifférente) ; il était bien, me disais-je, qu’en me demandant sans cesse ce qu’elle pouvait faire, penser, vouloir à chaque instant, si elle comptait, si elle allait revenir, je tinsse ouverte cette porte de communication que l’amour avait pratiquée en moi, et sentisse la vie d’une autre submerger par des écluses ouvertes le réservoir qui n’aurait pas voulu redevenir stagnant."
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Proust_-_Albertine_disparue.djvu/45
Rédigé par : Aliocha | 29 avril 2023 à 11:01
Dans la sphère politique, il y a des « je » magnifiques (« J’accuse »), des « je » ambigus (« Je vous ai compris »), des « je » honteux (« J’ai envie d’em*erder... »), des « je » qui divisent (« Je fais à la France le don de ma personne ») et bien d’autres « je » qui vont de la demande de pardon (extrêmement rare) à l’annonce péremptoire (bien plus fréquente)...
Quant au « nous », seuls les naïfs ne devinent pas qu’il signifie « je »... ou « vous »...
P.-S. : existe-t-il des « je » qui rassemblent ? Hollande s’y est essayé... Il n’a pas tenu parole.
Rédigé par : Serge HIREL | 29 avril 2023 à 10:49
En s'étalant, les gens ne font que répondre à l'injonction de "s'affirmer" et de se "vendre" dans un univers concurrentiel. D'un autre côté, il reste quelque chose de l'injonction contraire de modestie, aussi, chacun est requis de se plier à une double contrainte, s'affirmer sans en avoir l'air.
Bon, qu'est-ce que j'en pense ? Un vainqueur de sport individuel peut s’enivrer d’orgueil, aucun problème, par contre, j'en vois un dès lors que quiconque touche au collectif.
Surtout un politicien. Pourquoi ? Parce qu'alors, on a un homme d'Etat qui ne sert pas ses concitoyens mais lui-même : par désir de briller est plus distingué que de se remplir les poches mais cela revient au même : il se sert de ceux qu'il devrait servir.
L'entrepreneur ? À mon avis, il a le droit de se vanter s'il sort de rien ou de pas grand-chose, moins s'il est un héritier. Il ne me paraît pas décent de renvoyer dans l'ombre le rôle éminent qu'ont eu son ou ses ancêtres.
Et de plus, ses collaborateurs et ses clients, tout ce qui a été créé lui donne certes le rôle éminent de clé de voûte, mais en croyant s'en détacher, il ne peut que tout faire écrouler y compris lui-même.
D'un autre côté, une bête de proie comme un politicien ou un homme d'affaires peut jouer les bêtes de scène de l'intérêt de ce qu'il représente. Tant que cela sert à l'avancement de ses idées pour la nation ou l'entreprise, dans les deux cas les plus évidents qui me viennent à l'esprit. Mais c'est une position dangereuse, on peut oublier ce qu'on représente pour le faire servir à des tendances histrioniques.
Et l'artiste ? À vrai dire, il ne nuit à personne d'autre que lui-même s'il se regarde trop le nombril, à lui-même et à son oeuvre. Au public de prendre le grand air et de refuser l'artiste étriqué.
Dans cette optique, il serait bon de permettre à des artistes de rester dans l'ombre de leur oeuvre, par exemple en se couvrant d'un nom de plume, et de laisser l'éditeur faire son travail d'ambassadeur de l'oeuvre.
Il y a le cas excusable d'un artiste se forçant à jouer les attractions de salon, saisissant la chance inespérée de faire connaître son oeuvre dans un univers ultra-concurrentiel.
On peut difficilement lui reprocher de ne pas étaler sa timidité et ses doutes, parce que s'il se rappelle trop de sa peur, il risque d'y succomber. Autre chose, il peut aussi être sincèrement au sommet du bonheur qu'on l'apprécie, comme un naufragé sur une île requis par un navire, comme un parent montrant à tous son nouveau-né, bref, attestant la réalité de son oeuvre et de lui-même par le regard de l'autre. En vérité, les deux peuvent se mêler, et ceux qui se plaignent d'artistes trop vaniteux n'auraient peut-être pas envie de tomber sur l'artiste en pleine crise de à quoi bon.
Il y a aussi l'artiste qui vous écoute et qui vous regarde, à moitié en se distrayant de son oeuvre, à moitié en se fournissant de quoi la nourrir, et cela en partie de manière consciente, et en partie de manière inconsciente. Pour cela, bien sûr, il ne faut pas être trop imbu de soi, mais en vérité, ce n'est ni l'autre ni soi qui compte, c'est l'oeuvre !
Revenir sur ses inspirations, comme on le demande aux auteurs, sur leur vie ? Mais c'est décréer ce qu'on a créé, Jouer au Lego avec son oeuvre peut plaire à certains artistes, déplaire à d'autres, force est de constater que les premiers sont avantagés. Mais un auteur est-il le professeur de son oeuvre, l'influenceur tout terrain des gens ? J'ai fait ci, j'ai fait ça - ou j'aurais voulu, faites-le, racontez, et j'en tirerai quelque chose. Si vous n'avez pas d'idée, imitez-moi. Faut-il s'étonner après cela que certains le fassent en troupeau et avec le service minimum d'imagination en signant un tas de pétitions parfois jamais lues ?
Bref, je me demande si une réaction saine, pour certains, ne serait pas de rester dans l'ombre, de publier à la limite une lettre à mes lecteurs et autres publics de temps en temps, au gré de l'inspiration et non du désir de publicité et de désir de se montrer... Qui sait ?
Et quand on n'est ni artiste, ni homme d'affaires, ni sportif ? Eh bien cela dépend, il est des professions n'appelant pas du tout la puissance du je, et d'autres, si.
Par exemple, là où il faut capter l'attention (quel grand mot !), l'attention du public, par exemple, un professeur avec son cours. Il y en a qui abusent un peu, comme Brigitte Macron, en en profitant pour enlever un élève, mais en somme, le couple s'en est bien sorti, si chacun reste, comme il semble, charmé par l'autre.
Le seul problème que j'y vois est que pour s'affirmer, Macron a dû provoquer et diviser et qu'il n'a pas compris, si intelligent qu'il soit, qu'il est contre-productif de continuer.
Autre chose, il n'a pas saisi qu'il est au service de tous, y compris des cancres, des "gens qui ne sont rien", à force de se référer à une autorité professorale surplombante, et qui fait des affaires à présent.
Je ne critique pas madame Macron, je signale qu'un pays n'est pas une salle de classe, avec des citoyens devant recevoir la bonne parole, pardon, la pédagogie des gouvernants.
Macron n'est pas le seul sur le créneau, mais il fait fort. D'autre part, on a bien compris qu'en tant qu'entrepreneur, madame Macron fait partie des premiers de cordée, mais s'il admire les hommes d'affaires et sa femme, il n'a pas à s'en servir comme référence afin de mieux mépriser ses mandants.
Autrement, faute "d'aller le chercher", ils font du bruit pour étouffer ses paroles, de même que lui les a méprisés par diverses déclarations et en faisant passer sa réforme par le 49.3.
Dans la vie, c'est mesure pour mesure, comme dit l'autre. De nos jours, celui qui gagne, c'est celui qui se met le plus en avant. Ce n'est pas un bien, pour avoir sa place au soleil, il faut ignorer voire bousculer l'autre, ce qui ne peut qu'alimenter tous les conflits. Quand en plus, ça tombe sur un pays divisé à la base, c'est peut-être la faille de trop qui fera sombrer le pays dans la guerre civile.
Bien sûr, bien sûr, chaque provocation de tous les politiciens et des foules ne fait qu'une petite étincelle de plus, mais j'ai très peur qu'à force, il ne se produise un embrasement.
Bien sûr, d'un autre côté, le collectif, Eglises et guerres religieuses, et totalitarisme avec la même chose en pire, ne sont pas non plus des panacées, d'ailleurs, les Occidentaux seront adultes quand ils se rendront compte qu'il n'y a pas de solution miracle en politique. D'accord, certains prêchent l'équilibre des pouvoirs, mais c'est souvent bien en vain... L'équilibre, de façon plus générale, est désirable, comme le prêchaient bien en vain Aristote et Confucius.
Aristote serait peut-être un peu en colère, et Confucius un peu triste, en supposant que les âmes existent, et qu'elles nous regardent, mais on les rappellerait amicalement à... l'ordre.
Est-ce que Lao Tseu dirait :
"S’abstenir des considérations trop profondes, pour ne pas s’user.
En fait d’amour du peuple et de sollicitude pour l’État, se borner à ne pas agir."
Mais comment veux-tu qu'on s'use, maintenant ? Voilà ce que pourraient dire les deux autres sages.
On agira comme on pourra pour les êtres humains. En leur inspirant de ne pas agir... ou d'agir, selon les cas. On hantera leurs lectures et leurs rêves pour les éclairer.
Rédigé par : Lodi | 29 avril 2023 à 09:19
La personnalité exacerbée qui s'exprime au singulier avec des "je" à répétition est symptomatique d'une personne qui a perdu ses repères ou qui n'a pas trouvé ses limites.
C'est tout à fait le cas de Kylian Mbappé qui est un phénomène, de père camerounais et de mère algérienne, il a quitté très jeune sa ville natale de Bondy où il était surnommé le Kid. Au centre d'entraînement de Monaco, il était difficile à contenir. Il voulait jouer pour marquer des buts, ce qu'il a fait dès l'age de 17 ans avec l'AS Monaco, l'équipe du Rocher. Dès l'age de 18 ans, avec l'équipe de France, il a marqué son premier but. Il est intenable !
Il n'a pas trouvé de limite qui lui résiste, il est déjà capitaine de l'équipe de France. Dans son club actuel, le PSG, son collègue Messi, qu'on ne présente plus, lui fait des passes décisives de manière routinière. Ses entraîneurs n'ont pas trouvé de méthode ou d'arguments pour que Mbappé participe plus à la récupération des ballons, il préfère jouer devant, dribbler, foncer et marquer.
Insaisissable, insatisfait, buteur d’exception, il est encore en train de progresser, il n’a toujours pas de surnom définitivement acquis comme les autres champions du ballon rond. Le surnom de roi lui irait bien car techniquement, c’est souvent lui le patron ; mais ce pseudo a déjà été attribué au brésilien Pelé, le footballeur aux 1000 buts.
Toutefois le Norvégien Erling Braut Haaland qui est surnommé le cyborg, mange 6000 calories par jour pour compenser sa dépense d'énergie phénoménale aussi bien en match qu'à l'entraînement. Alors peut-être qu'Haaland imposera des limites que Mbappé ne pourra pas surmonter. En attendant, il continue à accumuler les trophées et les records, et il donne vraiment l'impression qu'il considère que le foot tourne autour de lui personnellement, "je", impérieusement et surtout impérativement.
Rédigé par : vamonos | 29 avril 2023 à 04:47
Étant jumelle, ce qui n'est pas rarissime, j'ai mis du temps à faire la différence entre "nous" et "je", et je me félicite d'y être à peu près parvenue, quoique par effort autant que par envie, et au prix d'une séparation mutuellement consentie. C'était la condition pour devenir adulte. Le "je", c'est le sens de sa responsabilité, c'est l'accès à sa propre identité, et à sa liberté de choix. Ce que Julien WEINZAEPFLEN (28 avril 2023 à 01:18) résume par le mot "conscience". Avec pour prix la solitude. Et en ce sens, oui le "je" est fragile.
Ce n'est donc pas le "je" en lui-même que je mettrais en cause. Le "nous" peut d'ailleurs être aussi autarcique et exigeant vis-à-vis d'autrui que le "je". Je désignerais plutôt comme "haïssables" : le culte de la célébrité, l'indulgence pour la tyrannie, et l'esclavage volontaire de ceux qui en redemandent.
Rédigé par : Lucile | 29 avril 2023 à 01:36
"Quelqu'un devant Paul Valéry s'écriait : "Il faut être soi"
Allez dire cela à un acteur, c'était un Fau problème !
"il répliqua : "Mais soi en vaut-il la peine ?"
"Que Michel Fau ait eu le sentiment d'une injustice parce qu'il n'avait pas reçu un Molière, je peux le comprendre." (PB)
À l'évidence il n'en valait pas la peine !
Rédigé par : Claude Luçon | 29 avril 2023 à 00:38
@ stephane | 28 avril 2023 à 17:58
« En patientant encore un peu, on réalisera que Hollande a été un bon président. »
Certes, certes... Tout est possible. Mais, ayant toujours considéré qu’un président sortant avait une très lourde responsabilité dans l’élection de son successeur, je pense que Hollande ne fut pas un président parfait : il est allé chercher Macron... et ne l’a pas vu venir...
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@ Patrice Charoulet | 28 avril 2023 à 19:34
« Je signale au commentateur... »
Illustration parfaite du « je » impérieux et impératif... De plus, adresser un commentaire à la cantonade alors qu’il est par ailleurs parfaitement ciblé me paraît particulièrement méprisant vis-à-vis de Xavier Nebout. Vous avez votre diplôme de macroniste en poche. Pour l’Académie, il faudra encore un peu attendre.
Rédigé par : Serge HIREL | 29 avril 2023 à 00:29
@ Ninive
"Mais beaucoup d’entre nous ne lui ressemblent pas et c’est tant mieux car la macronie pompe l’air des autres et s’en fait une joie... imaginez un monde où il n’y aurait que des Macron, il imploserait, condamnant définitivement l’œuvre du créateur..."
Qu'est-ce que l'hypothétique "créateur" vient faire dans cette histoire ??
Rédigé par : F68.10 | 28 avril 2023 à 23:50
@ Patrice Charoulet | 28 avril 2023 à 19:34
"Or, le président a mille qualités et talents."
Ah, mais tout à fait. Ses vertus chatoient au soleil tandis que la route
merdoiepoudroie au loin. En attendant, on ne voit toujours rien venir.Rédigé par : Robert Marchenoir | 28 avril 2023 à 20:39
En matière de « puissance du je » souvenons-nous de l’anaphore de François Hollande .
Pas moins de 15 fois de « moi je ». Et il se dit chez les spécialistes des débats que c’est à cette répartie magistrale qu’il doit son élection. un peu comme VGE avec son "Vous n'avez pas le monopole du coeur, monsieur Mitterrand".
Une élection se joue souvent sur une belle répartie...
Rédigé par : Achille | 28 avril 2023 à 20:28
« L'oeuvre du créateur », « un petit Satan ». On se croirait à Ville-Evrard.
Rédigé par : Marcel P | 28 avril 2023 à 19:42
Je signale au commentateur nommé Xavier Nebout cette définition de "psychopathie", dans la dernière édition du dictionnaire de l'Académie française :
"Maladie mentale et, en particulier, état de déséquilibre psychologique caractérisé par une forte impulsivité, un comportement déviant et très instable."
Oser dire que le président Macron serait un "psychopathe national et international", c'est dire qu'il aurait "une forte impulsivité, un comportement déviant et instable". Or, le président a mille qualités et talents. Dire cela, c'est dire absolument n'importe quoi. Réfléchissez avant d'écrire !
Rédigé par : Patrice Charoulet | 28 avril 2023 à 19:34
Un "je" magistral resté inégalé depuis 2004.
Chirac: "Je décide, il exécute"... Ce Je recadre un ministre qui vibrionne.
On a beau dire, mais Macron n'a pas cette outrance.
Et pourtant c'est Chirac que le bon peuple vénère.
Rédigé par : lucas | 28 avril 2023 à 19:25
C'est étonnant comme les choses évoluent.
Certains farouchement opposés au mariage pour tous y sont à présent favorables, louant même la capacité de François Hollande d'avoir anticipé l'évolution de la société.
Je n'ai jamais été favorable au Hollande bashing. Tout cela a permis à Macron de gaspiller des ressources. Car si Hollande a été fourmi, avec un sérieux budgétaire, ce ne fut pas le cas de Sarkozy et de Macron.
Je ne croyais pas à la recandidature de Hollande, plombé qu'il était d'avoir papoté avec ses potes journalistes et par les mauvais sondages. Mais il n'a pas démérité dans son mandat. Et Valls aussi antipathique qu'il soit a fait un travail sérieux et efficace.
On souhaiterait des ministres aussi engagés.
En patientant encore un peu, on réalisera que Hollande a été un bon président. Pour ma part, son exécution de Sarkozy et son élection en 2012 furent une énorme satisfaction. Par la suite il a eu des soucis avec les frondeurs et Royal/Trierweiler, mais je trouve son bilan globalement positif, comme très peu sur ce blog.
Plus le temps passe, plus son bilan sera reconnu.
Rédigé par : stephane | 28 avril 2023 à 17:58
La condition de l'homme fait qu'il est constamment tiraillé entre son « animalité sociable » et son « animalité égoïste ». Il ne peut en fait se passer des autres et devrait de ce fait avoir pleinement conscience que du bien-être de l'ensemble dépend aussi son propre bonheur mais il ne souhaite pas pour autant céder une parcelle de l'estime, souvent surfaite, qu'il a de soi ou renoncer à la satisfaction de ses propres désirs.
Il ne semble pas inutile de rappeler ici le propos de Kant : « À partir du jour où l'homme commence à s'exprimer en disant Je, il met partout au premier plan, dès qu'il en a la possibilité, son cher Moi, et l'égoïsme progresse irrésistiblement, sinon à découvert (car alors l'égoïsme des autres lui oppose une résistance), en tout cas de façon dissimulée, pour se donner d'autant plus sûrement, sous l'apparence de l'abnégation et avec le masque de la modestie, une valeur éminente dans le jugement des autres. » (Anthropologie du point de vue pragmatique)
Rédigé par : Michel Deluré | 28 avril 2023 à 16:17
« Ce qui s’oppose coopère… »
Il devrait écrire cette belle citation à l’entrée de son bureau présidentiel. Quand un conseil des ministres comprend 41 cerveaux soutenus par quelque 565 conseillers il y a en principe suffisamment de matière grise pour ensuite décider et là c’est le rôle du chef. Hélas, je crains que nos usines à fabriquer les élites forment plutôt des communicants ou l’art et la manière de paraître à la télévision…
L’affaire de la mise au pas de Mayotte est emblématique de la carence de l’État. Certes Napoléon, ce modèle, était un grand (au moins dans la première partie de son règne) parce qu'il savait s’entourer des meilleurs comme le montre la campagne d’Égypte, Aboukir est une défaite mais surtout une victoire. Alors pour Mayotte monsieur le Président que décidez-vous ?
Rédigé par : Louis | 28 avril 2023 à 10:21
Certes, mais avec notre psychopathe national et international, le "je" n'est qu'un symptôme parmi d'autres.
Il faut déjà avoir un brin pour ne pas se rendre compte qu'on se montre trop, et le plus navrant est de voir la complicité de toute la pègre merdiatique.
Quant aux ministres, il s'agit de moins que rien qui la bouclent dans l'attente de la gratifiante nomination de sortie.
Nous connaissions le fou du roi qui pouvait seul dire la vérité parce que fou. Nous, nous avons le fou du peuple qui ne dit que des mensonges.
Vive la République !
Rédigé par : Xavier NEBOUT | 28 avril 2023 à 08:38
« Il y a un impérialisme du "je" même dans les secteurs où au contraire nous aspirerions à une apothéose du "nous" - par exemple la pratique présidentielle» (PB)
Il est vrai qu’au temps de la monarchie, le roi disait « nous » quand il s’adressait à son bon peuple.
Mais ce « nous » faisait référence à sa désignation de droit divin qui aujourd’hui serait très contestée.
Le Général aimait bien parler de lui à la troisième personne. Mais il pouvait se le permettre vu son passé glorieux.
Les années ont passé et aujourd'hui les hommes et femmes politiques ne peuvent plus se targuer d’avoir été des résistants de la dernière guerre, ce qui rend leur personnalité beaucoup moins attractive.
Alors oui, Emmanuel Macron est un brin narcissique, ce qui est sans doute la raison de la détestation dont il est l’objet. Mais comme le souligne Philippe Bilger dans ce billet, il n’est pas un cas isolé. Certains de ses adversaires le sont tout autant. À commencer par ceux qui voudraient bien prendre sa place, persuadés qu'ils feraient bien mieux que lui, ce qui est loin d'être démontré.
Une chose est sûre, aucun n'émerge du lot parmi ses rivaux.
Détester le Président pourquoi pas, mais vénérer un de ses adversaires, le peuple attend toujours !
Rédigé par : Achille | 28 avril 2023 à 07:48
Atteindre l’universel par le « je ».
Y a-t-il oeuvre plus personnelle et plus universelle que « Les Essais » de Montaigne ?
Rédigé par : Marc Ghinsberg | 28 avril 2023 à 07:14
Vieux sujet que celui de "auto-centrage" vulgairement appelé nombrilisme.
Déjà l'ami Blaise Pascal disait dans un texte devenu célèbre, dont voici quelques extraits :
"Le moi est haïssable. (...)
Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours.
En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car c’est chaque moi qui est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice."
Il faut dire que depuis Pascal, la société a bien évolué et que le moi narcissique est devenu la règle, il est même devenu le droit.
Qu'est-ce que l'interprétation des Droits de l'homme, dans la juridiction actuelle, sinon la suprématie du "je", face aux obligations de ce "je" dues à la société?
La juridiction actuelle oublie que l'homme est un animal social, sociable et même sociétal (soyons généreux sur le vocabulaire en usage), et oublie par là même que l'homme n'existe que par son appartenance à une société.
Il ne saurait vivre seul dans le même confort psychologique, même Robinson Crusoé a été bien content de rencontrer son Vendredi pour faire une société à deux. Le minimum réglementaire.
Cette dérive juridique, dont on ne sait si elle a anticipé ce narcissisme nombrilisme ou si elle l'a suivi en l'amplifiant, fait de nos sociétés modernes des ruches d'individualisme.
C'est la ruche qui doit fournir le miel à l'abeille humaine, celle-ci revendiquant un droit au repos, sinon à la paresse, un droit au logement, un droit à la santé, un droit à l'éducation, et même le droit de manifester quand ces autres droits ne sont pas assouvis.
Le devoir est un mot banni de notre nouveau vocabulaire.
Alors, que des auteurs fassent preuve de nombrilisme, en oubliant que la littérature est le domaine de la pensée profonde inspirante ou celui de l'imagination débordante, et nous racontent leurs petites vies, bien malheureuses comme il se doit, comment s'en étonner.
D'autant plus que ce nombrilisme rapporte, puisque ces ouvrages se lisent, à mon grand étonnement.
Car le phénomène est bien pire qu'on pourrait le penser.
Non seulement le nombrilisme est en vogue, mais les gens aiment le nombrilisme d'autrui, favorisé par les médias.
Chacun dévoile sa vie sur les réseaux sociaux.
Les chaînes de télé pensent qu'illustrer des événements collectifs par des micro-reportages individuels, contribue à faire de l'écoute. Et c'est probablement vrai.
Bref, nombrilisme et voyeurisme vont l'amble.
Rédigé par : Tipaza | 28 avril 2023 à 06:46
La question du "je" est à la fois vertigineuse et plonge qui se la pose dans une profonde humilité. Elle se ramène, me semble-t-il, à la question de la conscience, sous ses trois modalités pronominales:
- Comment émerge ma conscience, ou pourrais-je raconter l'histoire de ma prise de conscience et la généalogie de mon "je" sortant de la confusion indistinctive en découvrant son jeu ?
- Qui est mon "tu" ? Qui pense quand je crois penser ? Y a-t-il quelqu'un au centre de ma conscience que je tutoie ou qui me parle comme une voix intérieure ou suis-je un autre ? (Question de Dieu et conscience poétique.)
Et c'est ici qu'on peut être pris de vertige, car il y a un dédoublement dans la conscience du penseur qui tout à coup se voit penser, comme l'origine de "la mémoire involontaire" de Proust est dans cette vision de soi se souvenant beaucoup plus que dans le souvenir, la "double (ou la fausse) reconnaissance" dirait Bergson ou la réminiscence.
- Et comment l'appropriation de la conscience qui m'a distingué et qui se dédouble quand je réfléchis et réfléchis le monde en y réfléchissant peut-elle m'ouvrir à la troisième personne, soit en me faisant accéder au monde commun du "on" si je savoure les joies de la neutralité qui me fait "être avec", dans la bienveillance, ou au pronom critique du "il" si je m'abandonne aux joies superficielles de l'enfant rebelle qui se pose en s'opposant et se prend pour un continent misanthrope réglant ses comptes avec l'insulaire humanité liguée contre son monde intérieur ?
Le "on" cherche les points d'accord de la raison humaine et de ce fait il trouve des points d'appui, le "il" cherche les torts à partir des points aveugles de celui qui réfléchit et prétend s'imposer par différenciation, clivage et conflits.
Le "nous" que je perçois se confond avec le "nous" des Grecs, avec l'esprit du monde, avec la pensée sous-jacente au monde qui le dirige comme son inconscient en dirigeant nos actes, comme l'inconscient du monde beaucoup plus que comme une Providence maîtresse de l'histoire. Je ne le vois pas comme le sentiment du collectif qui est le revers de l'individualisme ouvrant à l'apocalypse structurelle dans laquelle s'enkystent nos rapports humains.
Rédigé par : Julien WEINZAEPFLEN | 28 avril 2023 à 01:18