Quand on admire, on n'a pas à s'excuser de répéter.
Si mon titre insiste sur le fait que Yasmina Reza (YR) est "bien plus qu'une femme", ce n'est pas pour porter atteinte à la catégorie des femmes mais pour montrer qu'il y a des personnalités qui échappent naturellement à leur genre pour susciter une adhésion sinon universelle du moins détachée de toute tonalité de sexe.
Je suis d'autant plus heureux que son actualité - parution le 4 avril de "On vient de loin, Oeuvres choisies" chez Gallimard - justifie ce billet.
Il y a depuis quelque temps un courant prétendument progressiste mais au fond préoccupant, qui met en évidence un communautarisme féminin faisant croire à un univers spécifique pour les femmes. Comme si, sorties de l'humanité rassembleuse, elles avaient besoin qu'on leur adresse des messages à la fois d'une totale banalité et prétendument adaptées à ce qu'elles seraient.
C'est d'abord à cause de sa géniale solitude que j'apprécie plus que tout YR. Qui est par ailleurs, pour ceux qui ont la chance de la connaître, un être d'une délicate et merveilleuse urbanité.
Et mon admiration va vers une finesse et une intelligence hors de pair où on sent, sans qu'elle la présente de manière vulgaire et ostentatoire, une philosophie de pessimisme souriant, de tendre désabusement pour tous ces humains dans lesquels elle se place. En même temps que par la conscience de leur finitude, ils sont habités par l'énergie de vivre et jouent comme ils peuvent dans la comédie cynique, ironique, drôle, tragique et déchirante de leur existence.
Ce n'est pas rien, dans l'entretien qu'elle a accordé à Saïd Mahrane (Le Point) que d'entendre le ministre Bruno Le Maire, écrivain lui-même (et comme il a raison de ne pas jeter l'écriture au prétexte qu'il est ministre !), s'écrier que "YR, c'est la France" et, bien davantage, Michel Houellebecq, lassé face "à l'évocation de grands noms de la littérature contemporaine", soupirer : "Reza ? Ah oui, elle, je l'aime bien".
Alors qu'elle affirme : "Je n'ai pas le cerveau formaté pour la pensée globale. Je traite les choses dans le détail", elle n'hésite pas à révéler ses inquiétudes dont la principale tient "actuellement...à l'absence de liberté. J'hésite à parler d'une perte parce que je ne sais pas si nous l'avons eue à un moment donné. Mais on rencontre de moins en moins de gens libres de penser...L'esprit communautaire - pour ne pas dire totalitaire - de la pensée règne partout. Il y a sommation d'appartenir à un camp. Ce difficile exercice de la liberté m'inquiète, oui" et elle recommande d'inculquer aux enfants avant tout "l'indépendance de pensée. Penser par soi-même".
Je n'aurai pas l'indécence d'instrumentaliser YR pour faire servir son verbe si lucide et sa pensée si juste à la défense de certaines causes médiatiques mais je ne peux m'empêcher de ressentir une familiarité qui m'honore avec son refus de l'inféodation et son indifférence à l'égard des étiquettes de droite ou de gauche qu'on appose absurdement sur elle. Sur ce plan, elle est décisive quand elle souligne qu'on ne peut pas "assujettir l'écriture à la peur de fâcher".
Il y a la douceur un peu mélancolique de ces dernières pensées intimes : "La postérité ne me parle pas du tout. Ce qui me parle en revanche ce sont mes deux enfants. J'aimerais bien ne pas péricliter trop vite de leur vivant. Cela me ferait de la peine pour eux qu'ils n'entendent plus parler de mes livres quand ils auront mon âge".
Inclassable, géniale parce qu'elle dépasse la cause des femmes et ne se laisse pas embrigader dans les débats qui ont pour dénominateur commun de répudier l'universel, rendant tous les autres entretiens promotionnels vides de sens, elle pose sur le monde, les humains, la vie, la mort, l'amitié, l'amour, le regard infiniment tendre et lucide d'une femme revenue de tout mais toujours prête à repartir.
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