Une émission animée par Sonia Mabrouk sur CNews m'est revenue en mémoire. Un tout jeune élève maghrébin, âgé de 12 ans, s'était levé et avait insulté la professeur qui avait eu peur et n'avait pas réagi. SM nous avait questionnés en nous demandant ce que nous aurions fait à sa place. J'avais répondu qu'elle n'aurait pas dû céder et qu'à force, la multitude des abstentions individuelles, un peu partout, créait un climat de frilosité et de défaitisme. On m'a rétorqué que des professeurs avaient été atrocement assassinés, décapités.
Argument irréfutable et décisif apparemment.
Pourtant, plus que jamais, je continue à penser que, où que ce soit, quoi qu'il se fasse ou se dise, devant la plus infime des indécences jusqu'à la plus grossière des attitudes, dès lors que nous en sommes les auditeurs ou les témoins, sur les plans culturel, judiciaire, médiatique, politique ou social, citoyens concernés, engagés forcément, nous devons réagir.
Résister, même au petit pied. Même modeste, même dérisoire, même limitée, la résistance que l'époque nous impose doit être menée avec obstination. Je prends bien garde à ne pas tomber dans le ridicule qui ferait de cette infime exigence au quotidien l'équivalent des héroïsmes et des résistances admirables lors des temps guerriers, des périodes d'occupation.
Mais il n'est pas de petit courage et l'actualité nous sollicite à profusion. On pourrait évidemment se taire mais ce silence ne démontrerait rien d'autre que l'acceptation implicite de l'absurdité ou, pire, de l'ignominie.
Je mets tout en vrac.
Quand Sonia Devillers de France Inter demande à Marion Maréchal la différence entre sa conception de la famille et celle de Pétain, il faut résister et dénoncer.
Mediapart a une idéologie hémiplégique et détestable mais c'est un formidable site d'investigation quand il veut bien oublier la présomption de culpabilité permanente qu'il fait peser par exemple sur la police. Je résiste donc à mon envie d'être partial à son encontre.
Lorsque dans les débats médiatiques, quoi qu'on pense de son projet européen, Marion Maréchal domine techniquement par son oralité et son argumentation, il faut résister et le dire, puisque personne d'autre ne le mettra en lumière.
Quand des députés LFI tombent dans une absolue indécence festive, pleurant sur Gaza à l'Assemblée nationale mais à l'extérieur s'abandonnant à une joie malsaine révélant leur hypocrisie, il faut résister et dénoncer. De la même manière que je m'acharne à ne pas considérer LFI comme un bloc homogène globalement détestable mais que je sauve plusieurs députés de cet opprobre. Pour opérer cette discrimination, il convient de résister et oser cette équité.
Lorsque qu'on oublie sciemment la barbarie du 7 octobre et que certains poussent l'ignominie jusqu'à nier l'existence d'otages, il faut dénoncer. Quand d'autres, par peur de la possible éradication d'Israël, n'évoquent que l'horreur collective du 7 octobre, il faut se battre et mettre sur l'autre plateau de la balance cette légitime riposte inévitablement meurtrière et destructrice, qui dure trop...
Quand un président de la République est grossier dans son langage, il est fondamental de résister à cette pente qui nous rend indulgents face aux dérives de l'allure élyséenne. Je l'ai fait hier avec Nicolas Sarkozy. Je n'ai aucune raison de faire grâce à Emmanuel Macron.
Je veux distinguer chez Les Républicains les personnalités capables de nous sauver des autres qui nous plombent. Je résiste à la tentation de désigner Laurent Wauquiez candidat naturel parce qu'Eric Ciotti et quelques autres le veulent.
Nous devons résister, au prétexte qu'il suit un autre chemin, à la tentation de traiter sans équité Raphaël Glucksmann.
Nicolas Sarkozy, quand il n'est plus directement concerné, voit souvent juste mais je m'obstine à résister à la désinvolture civique appréhendant à la légère ses multiples affaires et sa perception de la morale publique.
Emmanuel Macron et Gabriel Attal, à l'évidence, ne font pas bouger les lignes pour les élections européennes mais je refuse de participer à ce lynchage intellectuel les minimisant l'un et l'autre et jugeant chaque changement de pied du président comme une faute de caractère quand il tente maladroitement de brasser les problématiques au point de s'interdire toute action efficace.
Le garde des Sceaux a été un mauvais choix d'Emmanuel Macron, qui préfère la provocation à la justesse mais je résiste à mon envie de noyer son bilan dans une hostilité générale : quand il est devenu classiquement un ministre et qu'il s'est souvenu de ses déconvenues politiques face au RN, il n'a pas été pire que certains de ses prédécesseurs.
Quand les humoristes prétendus de France Inter s'autocongratulent, je ne veux pas oublier qu'il y a un Tanguy Pastureau qui sauve l'honneur et ne se prend pas pour un maître à penser.
À chaque fois qu'on évoque l'immigration, la délinquance et la criminalité, je relève le lien mais je résiste à la paresse de le constituer comme une implacable logique, sans la moindre exception.
Quand on use de généralités par facilité ou pour provoquer, j'oppose les nuances des multiples exceptions à la règle.
Si le pluriel croit m'asservir, je lui résiste et j'invoque l'irremplaçable singulier.
Si j'entends un ami proférer, selon moi, une absurdité, je ne me retire pas par confort sous ma tente mais j'essaie de résister à ces connivences délétères qui rendent inauthentique toute appréciation et mensongère toute approbation.
Il n'est pas une journée qui, entre les médias classiques, Internet et les réseaux sociaux, ne nous contraigne à des actes ou à des paroles de résistance. Aussi peu signifiants qu'ils soient quand ils demeurent solitaires, ils se justifient si "exister c'est insister", ne rien laisser passer, se mettre au service des offensés et des humiliés, secourir les modestes en ne confondant pas l'exigence de justice avec ses humeurs et sa subjectivité.
Résistant toujours, mais au petit pied. Au fil du temps j'ai éprouvé de plus en plus d'indulgence pour ceux qui lâchaient l'affaire, se désintéressaient des problèmes, acceptaient les injustices, ne se révoltaient pas face aux mille bêtises de la modernité sociale et culturelle : parce que se donner à fond dans cette mission de Don Quichotte sans gloire ni récompense, de justicier dans l'ombre, on n'imagine pas combien c'est épuisant.
Mais je préfère me fatiguer.
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