Il y a des journées qui marquent. Ce fut le cas avec le jeudi 13 février.
Entre une émission passionnante et batailleuse le matin à l'Heure des pros (CNews) et, avant mes irremplaçables Vraies Voix sur Sud Radio, un film de 3 h 30 dur, âpre, éprouvant, singulier : The Brutalist.
Puis un couronnement espéré le soir : Cyrano de Bergerac au théâtre Antoine, avec Édouard Baer (EB). J'attendais avec impatience son interprétation de ce rôle mythique. J'avais lu des entretiens avec lui et avec Anne Kessler (metteur en scène, sociétaire honoraire de la Comédie-Française) et je ne doutais pas que nous échapperions à la médiocrité.
Pourtant, quel défi ! Nous avons tous dans la tête le film magnifique de Jean-Paul Rappeneau avec un Gérard Depardieu indépassable. L'erreur aurait été de chercher à rivaliser avec ce monument artistique alors que déjà la relative pauvreté des moyens du théâtre et le nombre réduit des comédiens auraient rendu impossible une telle gageure.
Nous n'avons pas été déçus parce que délibérément le Cyrano d'EB a été sorti du champ de l'épopée pour s'inscrire dans celui de la fraternité, de la proximité. C'était non plus le Cyrano qu'à l'évidence nous n'aurions pas pu être mais un ami abordant tous les morceaux de bravoure de la pièce avec une sorte de simplicité, de familiarité. Nous étions ainsi accordés avec ce héros, ses fiertés, ses exigences et sa flamme. Il n'était plus à des années-lumière de nous !
Il me semble d'ailleurs que le terme de héros, avec ce qu'il implique de courage, d'audace, d'exemplarité et d'aura charismatique, n'est plus approprié car on cherche à nous montrer, malgré la splendeur du texte qui n'est jamais sacrifié, un Cyrano à ras d'humanité.
Cette démarche artistique révèle à quel point ces vers - tellement connus qu'ils sont consubstantiels à notre patrimoine comme la morale qu'ils expriment - peuvent cependant appeler une autre vision que celle habituelle du panache, de la gloire, de l'affirmation sourcilleuse de soi.
Il y a de la modestie dans le Cyrano d'Édouard Baer, quelque chose de doucement et de tristement pathétique dans la conscience de ce qu'il croit être sa laideur alors que "ses élégances" sont ailleurs, et dans une sorte de fatalisme jamais plaintif que ce grand acteur joue admirablement.
C'est une épopée perdant son lustre pour plus d'humanité. C'est une expression, à la fois navrée mais emplie d'allure, d'un destin que nous aurions à égaler : il y a comme une incitation subtile à nous signifier que Cyrano n'est pas si éloigné et qu'il est un frère qui ne doit pas nous intimider.
Tout au long de la représentation, EB, usant finement d'une palette de sentiment, d'espérance, de mélancolie et de nostalgie contrastée mais jamais forcée, demeure dans une élocution homogène, sans s'abandonner - et c'est le parti pris du spectacle - à des débordements qui le conduiraient, pour être admiré, à se mettre en scène lui-même face aux autres.
Paradoxalement c'est sans doute la seule faiblesse de cette intelligente représentation. Gérard Depardieu, jouant la déchirante scène finale, émeut au-delà de tout parce qu'il y a un gouffre entre son verbe généralement tonitruant d'avant et les murmures affaiblis et si tendres précédant sa mort. Avec EB, il n'y a pas ce changement de rythme. Il meurt doucement comme il a offert ce qu'il était : sans exhibition.
Je craignais tellement la trahison de ce chef-d'oeuvre par des initiatives discutables que, au soir de cette journée exceptionnelle, j'ai poussé un ouf de soulagement et, mieux, de bonheur.
@ Lucile | 19 février 2025 à 13:02
"Le temps n'existe pas dans la mesure où c'est une abstraction..."
Aïe moi qui pensais ne plus intervenir sur le temps, me voilà obligé de vous contredire.
Non, le temps n'est pas une abstraction, c'est une réalité, une réalité tout ce qu'il y a de mesurable.
Mais une réalité multiforme si je puis dire, qui s'amuse à nous manipuler.
C'est un sujet très complexe, probablement la seule vraie énigme qui défiera toujours la pensée de l'homme.
Je vais être très bref à la fois par ignorance personnelle et ignorance collective, le sujet est loin d'être clos scientifiquement.
Le temps prend des aspects différents selon les phénomènes étudiés.
Dans le monde microscopique, celui de la physique quantique, certains phénomènes peuvent être décrits sans appel à la variable temps. C'est pourquoi avec humour on demande si le temps existe.
Dans le monde macroscopique, celui des phénomènes que nos sens observent naturellement, le temps est une variable obligatoire pour la description desdits phénomènes. Et ce temps est un absolu, c'est à dire qu'il est invariable.
En relativité restreinte, là où existent des phénomènes qui sont du domaine du spatial, alors le temps cesse d'être un absolu.
Il est relatif, on dit qu'il se dilate pour des objets en grande vitesse par exemple.
C'est ainsi que des astronautes faisant un grand et long voyage dans l'univers à grande vitesse vieilliraient moins vite que leurs collègues restés sur terre. Ce n'est pas une blague.
Ce phénomène de dilatation du temps a été mesuré par des horloges atomiques, pour des raisons plus sérieuses que celles du vieillissement des astronautes.
Parce qu'il est indispensable d'en tenir compte dans les calculs des satellites qui donnent les informations de GPS.
En relativité générale, le temps dépend du champ gravitationnel. Il passe plus lentement dans un champ gravitationnel élevé que dans un champ faible.
Toujours pour revenir au thème du vieillissement, cela veut dire que quelqu'un vivant au niveau de la mer où la gravité est plus forte, vieillit moins vite que quelqu'un vivant en altitude où la gravité est plus faible qu'au niveau de la mer.
Moralité, j'ai tort de vivre la moitié de l'année dans ma montagne à vaches à plus de 1000 mètres d'altitude et vous avez raison de vivre au bord de l'eau. Vous vieillirez moins vite que moi, mais vous vieillirez quand même. ;-)
Bon là je blague un peu, parce que les mesures faites montrent que cette différence de temporalité est minime. Je n'ai pas les chiffres en tête mais ça doit se jouer en secondes au maximum, ou moins, pour une vie.
Ce qui est important, c'est que dans tous les cas, l'écoulement du temps, ce que l'on appelle en physique, la flèche du temps, se fait toujours dans le même sens, du passé vers le futur.
À ce jour il n'y a qu'en science-fiction qu'on peut remonter le temps et revenir au passé.
Voili, voilou, tout ce que je peux dire pendant le temps d'un commentaire.
Dans un autre ordre d'idées, ne trouvez-vous pas curieux que l'anglais fasse la différence entre le temps mesurable et le temps météo, différence que ne font pas le français, l'espagnol et d'autres langues ?
Rédigé par : Tipaza | 20 février 2025 à 14:41
@ Tipaza | 18 février 2025 à 18:19
Le temps n'existe pas dans la mesure où c'est une abstraction, mais une abstraction dont nous avons besoin pour penser, et pour prévoir. Et si le temps n'existe que dans notre esprit, l'usure du temps, elle, existe dans nos corps. Oui, on peut sans doute dire que le temps n'existe pas, mais cela n'empêche pas que l'histoire existe ; sa trace existe, et c'est une réalité.
Rédigé par : Lucile | 19 février 2025 à 13:02
@ duvent
@ Tipaza
@ Jean sans terre
Puisque le temps n'existe pas : supprimez les montres et les horloges, les minutes et les secondes et pourquoi pas les calendriers.
Aujourd'hui des hommes de bonne volonté se réunissaient à Ryad, j'espère qu'ils n'ont pas perdu leur temps... hier c'était Macron qui le faisait perdre à huit chefs d'État.
Rédigé par : Ugo | 18 février 2025 à 18:30
@ duvent | 18 février 2025 à 16:23
"Cette sentence : « Le temps m'appartient, et moi, j'appartiens au temps... » est donc vraie, si et seulement si, vous ne dormez pas !"
Profonde philosophie, que je me permets de réécrire pour mon usage personnel parce que le temps dont vous parlez n'est pas le même dans ses deux occurrences.
Le premier temps, celui qui "m'appartient" est le kairos, l'instant qui passe.
Dans ce temps-là il faut être éveillé, c'est un vieux principe de philosophie, et pas seulement orientale comme on le croit trop souvent.
Le second est le chronos, le temps qui s'écoule, le temps du destin, celui-là, personnellement, j'ai compris depuis longtemps que je ne pouvais pas le maîtriser, qu'il n'était pas mien et ne le serait jamais.
Avec cette lecture du temps, il me semble que nous pouvons être d'accord.
Et je vous laisse conclure, ne voulant pas encombrer le blog de philosophie, même si le sujet du temps est fondamental.
Rédigé par : Tipaza | 18 février 2025 à 18:19
@ duvent
J’ai mis des années à saisir que ce qui touchait au plus intime de l’âme et à son rapport singulier au monde était par le truchement du langage presque incommunicable à autrui. Je ne suis pas parvenu à me faire entendre de vous car ce que vous en avez retenu m’a semblé se trouver à peu près aux antipodes de ce que j’ai personnellement vécu.
Je crois avoir saisi ce que vous avez bien voulu me répondre. Saint Augustin s’est lassé de sa dissipation et Cervantès a tourné en dérision le délire mimétique d’imagination de son héros. Plus près de nous, l’amant de Consuelo de Saint-Exupéry, le fédéraliste et écrivain suisse Denis de Rougemeont, a tracé l’histoire de la passion en Occident. Cohen dans une inspiration médiévale d’un autre temps l’a sublimement une ultime fois dépeinte.
J’ai vécu cela. La passion consumée se réduit en cendres sales et froides. Mon feu est demeuré vivant et ne s’éteindra qu’au moment où j’expirerai.
Vous me paraissez faire trop de cas de l’intelligence. Elle n’est pas également répartie dans le temps et ne se limite pas à la capacité d’appréhender et de dominer l’univers. L’homme contemporain pourrait se glorifier de sa puissance nouvelle sur la nature. Pourtant ses mœurs, plus que jamais auparavant, culminent d’imbécillité.
Rédigé par : Jean sans terre | 18 février 2025 à 17:45
@ Tipaza | 18 février 2025 à 13:30
« On nous l'a changée, c'est pas possible ! »
Dites-moi en quoi ?
De mon point de vue, Saint Augustin a dit ce qu'il lui plaisait de dire, et en cela il me plaît qu'il l'ait fait, pour une raison facile à comprendre mais je vais simplifier encore : j'aime le poisson et dans le poisson, je ne mange pas les arêtes...
La mère de tous les hommes est exemplaire, Saint Augustin est un homme donc sa mère, blablabla !
« Ensuite quelle prétention, elle ose dire :
"Le temps m'appartient, et moi, j'appartiens au temps..." »
Oui, je l'ose et ce n'est pas par prétention, ce que j'affirme ne doit pas vous troubler, que le temps m'appartienne, par une extraordinaire machination, ne prive personne du temps.
Ces deux questions :
« D’abord, le temps existe-t-il vraiment ?
Ne s’agit-il pas plutôt d’une illusion ? »
sont des questions sans profondeur, mais je vous y réponds ainsi :
Le temps existe pour moi, puisque la nuit et le jour me l'ont dévoilé, puisque les saisons me l'ont découvert, puisque les êtres me l'ont rendu précieux, mais vous avez la futilité d'évoquer l'illusion, je vous dirai que tout n'est qu'illusion sauf le temps, lui est là, pour dévorer les incrédules et dans sa gueule béante tous plongeront, sans distinction aucune, les petits et les grands, les bons et les mauvais, vous et moi et toutes les merveilles englouties ne laisseront rien derrière elles...
Vous avez convoqué les philosophes et les physiciens, ce qui n'a aucun effet sur moi et c'est un grand mystère, qui interroge ceux qui m'entourent, de me regarder vivre d'une façon absurde mais qui inquiète par la quiétude extravagante, je vous le dis à vous, et faites-en votre profit, le temps qui vous appartient a plus de valeur que celui qui fuit sans que vous le sachiez, le notiez, ni même le ressentiez, il vous échappe secrètement et ce n'est pas une illusion !
Cette sentence : « Le temps m'appartient, et moi, j'appartiens au temps... » est donc vraie, si et seulement si, vous ne dormez pas !
Rédigé par : duvent | 18 février 2025 à 16:23
@ duvent | 18 février 2025 à 10:14
On nous l'a changée, c'est pas possible !
D'abord duvent cite Saint Augustin, celui qui a dit gentiment :
"Qu'elle soit épouse ou mère, peu importe il y a toujours une Ève à craindre en toute femme."
Saint Augustin qui considérait sa mère comme exemplaire parce qu'elle acceptait d'être maltraitée par son mari !
https://www.youtube.com/watch?v=vLDKJfT-rk8
Ensuite quelle prétention, elle ose dire :
"Le temps m'appartient, et moi, j'appartiens au temps..."
D’abord, le temps existe-t-il vraiment ?
Ne s’agit-il pas plutôt d’une illusion ?
De fait, au cours... du temps, les philosophes ont convoqué à peu près autant d’arguments pour prétendre que le temps existe que pour prétendre qu’il n’existe pas. La physique a-t-elle quelque chose à dire à ce propos ? Et si oui, quoi ? (Étienne Klein)
Pour en savoir plus, écoutez donc cette vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=g_VyDZ5HWOQ&t=4s
Ou encore, parce que, chère duvent, je vous trouve bien péremptoire avec un maître, le temps, qui peut-être n'existe pas, écoutez donc ce que dit Carlo Rovelli :
"Et si le temps n'existait pas ?"
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/carlo-rovelli-et-si-le-temps-n-existait-pas-8283198
Je précise que Étienne Klein et Carlo Rovelli sont tous deux des physiciens de haut niveau... mais y a-t-il des physiciens de bas niveau ?
La réponse est non, évidemment ;-)
Rédigé par : Tipaza | 18 février 2025 à 13:30
@ Jean sans terre | 17 février 2025 à 22:51
La vache ! Vous en avez gros sur la patate !
Je ne sais pas si vous êtes un vieillard ou un vieux tout neuf, mais votre ton est désabusé, et il n'y a vraiment pas de quoi...
Si vous avez quelques provisions de savoirs, rien ne devrait vous conduire à autant de lassitude pour ne pas dire plus...
Je n'ai pas votre rapport au temps et je vous épargne le discours long et ennuyeux sur la temporalité, le temps et tutti quanti.
Le temps m'appartient, et moi, j'appartiens au temps, je suis du passé autant que du présent, seul l'avenir me tient la dragée haute, mais un jour ou l'autre, n'est-ce pas, il tombera dans mon escarcelle, et je pourrai alors lui rire au nez, il ne sera plus l'avenir et je serai insensiblement devenue autre, ou toujours la même, qui sait ?
Dès lors, à quoi sert de gémir ? Le temps est un, il n'y a que l'homme pour avoir osé le diviser, le valoriser, le capitaliser, le vider, le bourrer, le tuer...
Par peur, par ignorance, par audace il croit échapper à « ultima necat », mais non, rien ne dure, rien ne meurt, rien n'est superflu, rien ne peut être déconsidéré, et rien ne peut valoir plus que la conscience de cette unité du temps inexorable.
Vous écrivez : « Objectivement, il ne sert à rien de trop réfléchir car l’on tourne en rond et les têtes sont tellement mal faites que plus de réflexion ne rendra pas la décision plus intelligente ».
Si vous arrivez à ce résultat c'est que vous ne réfléchissez pas, mais que vous ruminez, et ruminer n'est pas réfléchir...
Soit vous réfléchissez, soit vous ne réfléchissez pas.
Le résultat sera en rapport de l'effort accompli, mais il est vrai que souvent les idiots ont l'air de réfléchir, ce qui est particulièrement drôle c'est que les moins idiots tombent dans le panneau, et cela a pour conséquence de voir qu'il n'y a que des idiots doctes et ignorants qui se tiennent la main pour ruiner les espérances...
Je ne parlerai pas du mariage qui est une mascarade idiote pour des gens dont le cerveau n'a pas encore atteint le niveau de maturité nécessaire à l'accord parfait entre des êtres libres, vous parlez d'une époque où les parents avaient des entrailles de fer, ils sont désormais dépourvus d'entrailles...
Vous nous dites : « Je me sais naturellement peu capable d’aimer ».
Vous devez savoir d'autres choses sur vous, qui ne vous présentent pas comme un chevalier sacrifié sur l'autel du mariage. C'est un comble, qu'un chevalier à qui on a dit « je te la confie ! » n'ait pas eu la présence d'esprit de répondre : « Certes non, j'ai beaucoup à faire ! Mais voyez ici mon jeune cousin, il est d'une couardise délicieuse, d'une sottise irréprochable, et puis il est si timoré qu'il s'imaginera sans nul doute accomplir un devoir lorsqu'il renoncera plaisamment à combattre le temps, à le conquérir et à le soumettre fugacement à sa fantaisie de roseau pensotant... »
Constater n'est pas vivre ! Pleurer n'est pas vivre ! Détruire n'est pas vivre !
Vivre, puisqu'il nous reste un peu de temps, c'est : Nondum amabam et amare amabam et secretiore indigentia oderam me minus indigentem. (Je n'aimais pas encore, et j'aimais à aimer ; dévoré du désir secret de l'amour, je m'en voulais de ne l'être pas plus encore." Saint Augustin)
Rédigé par : duvent | 18 février 2025 à 10:14
@ duvent
Dans la querelle des anciens et des modernes, j’aurais tendance à pencher pour les anciens : le meilleur a déjà été créé et je n’imagine pas une seconde que deux ou trois générations feront mieux que toutes celles qui les ont précédées. Je laisse les bigots révolutionnaires rêver de progrès.
J’ignore dans le fond si avant était mieux que maintenant et d’ailleurs peu m’importe puisque je ne m’occupe que du monde dans lequel je vis. Ni le lieu, ni le temps n’ont d’importance. Où que l’on aille, on s’emporte toujours avec soi.
Depuis mon plus jeune âge, ce qui m’était présenté pour enviable m’ennuyait prodigieusement et m’apparaissait du plus médiocre attrait. Je n’ai pas eu d’autre choix que de m’en détourner au plus vite et de n’en faire qu’à ma tête, qui est diablement revêche mais qui encaisse bien les coups. J’en suis d’ailleurs tout cabossé.
J’ai peu écouté mon père, moins encore ma mère. Le peu qu’ils se sont mis en tête de me transmettre se réduisait à portion congrue. Ils suivaient l’air insipide du temps. Pour cette histoire de mariage, je n’ai pas suivi la recommandation de mon père. Toutefois, je lui donne raison, à supposer que j’ai compris ce qu’il lui a plu me dire. Ou bien j’interprète à ma manière.
Vous êtes trop sévère au sujet de mon père car vous jugez à partir de votre expérience. Mon père n’a pas choisi la voix du confort mais celle de son devoir. Il n’a pas réfléchi bien longtemps. Il a assumé. Il était à peine majeur et j’arrivais. Lui avait écouté son père. À bien y regarder, il se pourrait que les deux hâtassent par devoir leur trépas. Ma mère s’est une première fois mariée mineure. C’était une façon pour elle de s’échapper du foyer parental et d’éprouver sa liberté.
Par nature, je ne me laisse pas entraîner par les passions, non que je n’en éprouve pas, j’en éprouve de plus virulentes que les autres, mais de tout temps j’ai su les dominer, les placer à l’échelle de ma vie entière et jauger lesquelles valaient des autres qui n’avaient nulle importance.
Objectivement, il ne sert à rien de trop réfléchir car l’on tourne en rond et les têtes sont tellement mal faites que plus de réflexion ne rendra pas la décision plus intelligente. On présume beaucoup trop l’intelligence. Les doctes sont souvent co*s.
Je n’aurais pas fait une épouse de la plupart des femmes avec qui j’ai couché. Je ne les aurais pas voulues pour mère de mes enfants. Dans mon succès, la chance et le goût ont eu une part inégale malgré moi ! En presque toutes, un je ne sais quoi me déplaisait. Je ne veux en dire du mal d’aucune. Il ne s’agit pas de misogynie. J’estime encore plus moindrement les hommes et en plains les femmes. Non, il s’agit d’inclination naturelle à une forme désuète de beauté. Je n’ai point voulu dénier mon goût par conformisme ou nécessité.
Je pense avoir été bien inspiré de ne pas avoir fait faire dépendre la naissance de mes enfants d’une passion. J’eus le bonheur de ne pas confondre passion et amour, même s’il survient quelquefois que l’un en l’autre se mêle et se transforme. Depuis Tristan, je sais que le terme inexorable de la passion d’amour lorsqu’on ne la vit pas tièdement est la mort. Poète aventureux, j’ai frayé avec elle. Je m’en suis détourné car plus lumineux et beaux sont l’amour et la vie.
Revenons à l’idée du mariage. On se marie désormais par passion. La chose est récente, circonscrite au septentrion et n’a pas passé l’épreuve des siècles. Lui est associée l’idée amusante de liberté personnelle. Ce que l’on peut en voir en ses conséquences est que la chose est superbement insane et n’est pas sans rapport avec la désagrégation de toute la société. Encore trente ans et l’on fera comme les Américains à se marier quatre ou cinq fois en une vie par toquade. Est-il aujourd’hui encore nécessaire de durer ou est-il plus sage de laisser la plus large part au hasard ? La majesté d’Apollon me plaît plus que la furie de Dionysos. Autant que je le pourrai, je maintiendrai. Sinon, il est bel et bon de se marier et de faire des enfants le plus tôt qu’il est possible contre toute raison. La nature est plus sage que ces hommes fous qui se mirent dans la tête de juger mieux que les dieux.
Lorsque j’y songe, je me trouve dépourvu d’explication personnelle. J’entends au fond de moi ce commandement impérieux venu de je ne sais où et qui m’ordonne : « Je te la confie ». Je me sais naturellement peu capable d’aimer. Autant que je peux en comprendre, je sais que ma destinée est de m’y conformer et que ce ne peut être que de la sorte que m’est accessible l’amour. Ai-je choisi ? La grâce est irrésistible.
Rédigé par : Jean sans terre | 17 février 2025 à 22:51
@ Jean sans terre | 16 février 2025 à 19:32
De fait, je n'ai rien compris à votre propos...
Il est étrange de constater qu'aujourd'hui tous les sujets abordés sont, par un mystère que je n'ai pas encore percé, conduits insensiblement à une conclusion lamentable, laquelle semble nous dire « c'était mieux avant », ce qui est non seulement idiot, mais aussi peu nouveau...
J'attends avec impatience que les vieux de notre temps nous proposent une chose nouvelle et belle (la nouveauté germe dans les vieilles caboches), et que les jeunes si prompts à nuire à l'ancien monde cherchent à faire naître dans notre temps, autant que ceux qui ont précédé, ont osé...
Pour le dire simplement, on s'em*erde à mort ! Ce monde sans imagination se regarde le nombril en gémissant ! Je vous le dis, Jean, il ne faut pas suivre les conseils de votre père, il n'a rien compris, et si c'est trop tard et que vous l'ayez écouté, vous avez eu tort !
Je ne vois pas dans son conseil la moindre lueur de bon sens, j'y vois le confort de l'habitude et la sottise qui conseille la peur (sans offense !)...
Je n'ai pas eu à suivre les conseils de mon père, ni de ma mère, ils étaient si confiants en l'ancestrale domination... et je me suis mariée mineure contre eux... Quelle bonne idée !
Quant à Cyrano, tout son propos consiste à faire l'éloge de lui-même et par voie détournée, il s'imagine convaincre son auditoire, s'il y parvient c'est que l'auditoire est venu parce que « asinus asinum fricat » !
Cyrano ! Ô Cyrano !
Si tu en avais dans le falzar
tu n'aurais pas consenti
Même par hasard
À te priver, car elle gémit,
de ce trésor comme l'eau pure
qui sans lumière luit,
Il ne dépend que du cœur
et non de l'esprit !
Et je t'en prie
ne me dis pas « non, merci ! »
La réponse d'un imbécile
est aussi pertinente qu'inutile,
et pour cette raison, je m'en vais ici
te donner ce que depuis longtemps tu cherchais, cochon !
Voici, pour toi, l'oubli, ce poison...
Il était laid et lâche, sa Roxane cousine
De lui se moque avec la Scapigliata, elle badine !
Rédigé par : duvent | 17 février 2025 à 13:43
@ Tipaza | 16 février 2025 à 09:53
Contente de vous avoir inspiré. Et bravo.
P.-S. 1 : il y a une petite erreur dans mes trois vers pseudo-élisabéthains. Je ne sais pas si elle est de moi ou si c'est mon ordinateur qui se mêle de ce que j'écris et finit les mots pour moi ("spark", étincelle, au lieu de "sparkle", éclat, brillance). J'aurais dû mieux relire. Toujours est-il que Chat n'a rien vu, ouf !!! Il est vrai que ça peut passer pour de la poésie, on ne retiendra pas ça contre lui.
Rédigé par : Lucile | 16 février 2025 à 23:09
Je devais m'y atteler, j'ai commencé, c'est un travail de Romain, des cotons-tiges, du Miror, de l'alcool F et de la micro-fibre et... de la poudre à glacer le marbre, je suis dans mon élément.
Je voulais redonner de l'éclat à ce que je trouve beau et qui ravit les oreilles, je l'ai beaucoup entendu jouer, il est extraordinaire. Je ne le décevrai pas.
Alors j'ai commencé à démonter tout ce qui gêne, j'ai envoyé un message en Italie, la maison mère, une responsable m'a répondu rapidement et avec une grande efficacité courtoise, le charme à l'italienne même à travers des mots.
Sirius Millennium, il mérite toute mon attention, cm2 après cm2 j'avance, le résultat est à la hauteur de l'effort fourni, il est vrai qu'il est en descendance directe d'un chef de musique d'un ministère régalien.
Il a en plus une histoire particulière extraordinaire... Ce sera pour une autre fois.
https://youtu.be/LNcp5GWBLBs?feature=shared
Pas le droit à l'erreur, Glenn Gould me regarde, lui c'était le piano, mais Bach apprécie aussi cette voix, j'en suis sûr.
Rédigé par : Giuseppe | 16 février 2025 à 21:24
@ duvent
Ronsard dans son célèbre sonnet « Quand vous serez bien vieille » tentait déjà avec une ultime argutie d’incliner vers lui Mademoiselle de Surgères, la belle Hélène, indifférente aux transports du poète, pour elle un vieillard. La belle était inconsolable depuis que son jeune amant avait péri à la guerre. Elle quitta la cour pour revenir sur sa terre natale auprès de son frère. Il se dit qu’elle mourut pucelle.
Mon père, dans une de ses rares leçons, alors que je n’étais qu’adolescent et que nous nous promenions dans la campagne, me dit un jour très sérieusement :
« Mon fils, lorsque il te prendra d’épousailler une jeune dame, suspends provisoirement ton émoi et regarde la mère ». Je crus d’abord qu’il ne me parla que de beauté.
Quelques années plus tard, me stupéfiait toujours ce qu’il restait quand la beauté avait passé. Se marier est chose trop sérieuse pour la faire déprendre seulement du sentiment comme les Américains qui se marient autant de fois qu’ils éprouvent de passades. Dans celle qui sera la mère de ses enfants (si d’aucunes désirent encore être mères, quelle étrange idée d’être en dévotion devant un être qui n’a d’autre finalité que lui-même), il faudrait deviner la femme qu’elle deviendra. On le peut discerner presque toujours. Quand le sang est encore vif, la passion arde d’un feu plus fort que celui de la roide raison. L’expérience montre tardivement qu’il n’est rien de plus sot que de se mal marier pour avoir cédé hâtivement à une fugace passion.
Désirer posséder une femme est autre chose. Parfois, la belle mérite les efforts de la conquête. Il ne faut point toutefois s’illusionner et persister dans un assaut sans espoir. Il est un nombre incalculable de femmes qui n’ont d’atours que dans leur prime âge et qui revêtent un masque de sorcières dès que leur jeunesse a passé. En icelles, il ne faut révérer que la beauté furtive et s’interdire toujours de tomber pour elles en amour.
Je n’admire pas chez la vieille les vestiges de la beauté ancienne. Un cœur point trop flétri par les douleurs de la vie a pour moi infiniment plus d’attraits que les ruines de la beauté. On ne commande pas ses inclinations. Marie vieillissante m’attendrit et s’il m’est possible encore de chérir, ce n’est que parce que je révère dans le corps fatigué de la vieille femme son âme toujours jeune. Cette part d’elle est autant corruptible que son corps mais lorsque la vieille est parvenue à en préserver le mieux qu’elle pouvait l’intégrité, alors oui, sans conteste, je peux clamer que la femme est belle et l’admirer.
De nos jours, la chose est si peu courante qu’il pourrait être tentant de virer à l’homosexualité. Dieu m’en gardera. Les hommes sont pires encore. Aimer une enfant, comme Ronsard ? Dieu aussi m’en préserve. Comme les fruits blets des supermarchés, les pétales de leurs âmes sont tristement dès avant flétries qu’elles n’ont écloses.
Qu’est-ce donc qui a pris Cyrano de s’enticher de Roxane et quelle toquade funeste que Christian mourut de désespoir ? Assurément, Roxane n’avait pas le sentiment si haut jusqu’à se retirer au couvent. Ma pitié et mon indulgence vont à Christian même si le personnage est improbable.
Rédigé par : Jean sans terre | 16 février 2025 à 19:32
J'ai expliqué trois mois durant et plusieurs années de suite la pièce d'Edmond Rostand en collège. Cela se terminait par la diffusion du film avec Depardieu.
Grand texte.
Ne bougeant plus de ma petite ville de province, je n'aurais pas vu voir la pièce que vous avez vue. Mon loyer est de 1000 euros par moi pour 80 m2 avec garage. Je n'ai pas l'intention de déménager.
Rédigé par : Patrice Charoulet | 16 février 2025 à 15:37
Non-spectateur, provincial définitivement cloué à sa résidence par les ans, j'enrage de ne pouvoir assister à ce spectacle, et ceci conforté par le visionnage de la séquence célébrissime dite par Daniel Sorano. J'avais, il y a fort longtemps, vu le film et, adolescent naïf, il m'avait enthousiasmé. Aujourd'hui, le reportage fait par notre hôte me le fait voir comme un Mounet-Sully dans les Burgraves. Le visage, les expressions ravies de Sorano, son cuivre étincelant font souffrir mes yeux usés et mes oreilles rétives.
Je crois que j'aimerais Édouard Baer dans le questionnement de ce guerrier sceptique, amoureux d'une veilleuse, au courage résigné, s'essayant au panache du langage, coloré du gris de la lassitude et du renoncement, n'attendant plus que le bleu du seuil de l'Éternité.
https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00331/daniel-sorano-dans-cyrano-de-bergerac-d-edmond-rostand.html
Rédigé par : genau | 16 février 2025 à 14:48
@ Jean sans terre | 16 février 2025 à 05:41
Voici Catulle :
CATULLE À LUI-MÊME
« Infortuné Catulle, mets un terme à ton délire ; ce qui te fuit, ne cherche plus à le ressaisir. De beaux jours ont brillé pour toi, lorsque tu accourais à ces fréquents rendez-vous où t’appelait une jeune beauté, plus chère à ton cœur que nulle ne le sera jamais ; heureux moments ! signalés par tant de joyeux ébats : ce que tu désirais, Lesbie ne le refusait pas. Oh ! oui, de beaux jours alors brillaient pour toi ! mais, hélas ! elle ne veut plus ; ne pouvant mieux, cesse toi-même de vouloir ; ne poursuis plus la cruelle qui te fuit : pourquoi traîner tes jours dans le malheur ? Supporte l’infortune avec constance, endurcis ton âme. Adieu donc, ô Lesbie ! déjà Catulle est moins sensible ; tu ne le verras plus chercher, supplier une beauté rebelle. Toi aussi, perfide, tu gémiras, lorsque tes nuits s’écouleront sans que nul amant implore tes faveurs. Quel sort t’est réservé ? Qui te recherchera maintenant ? Pour qui seras-tu belle ? Quel sera ton amant ? De qui seras-tu la conquête ? Pour qui tes baisers ? Sur quelles lèvres imprimeras-tu tes morsures ?… Mais toi, Catulle, courage ! persiste ! endurcis ton âme. »
Edmond Rostand a traduit Catulle...
Pourquoi donc ce personnage de Cyrano ?
Je ne l'aime pas, ni lui ni les autres...
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@ Robert Marchenoir
Voici pour vous LUC 12.5
« Je vous montrerai qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne ; oui, je vous le dis, c'est lui que vous devez craindre. »
Ne trouvez-vous pas que ce texte et Trump ont un je-ne-sais-quoi ?
Rédigé par : duvent | 16 février 2025 à 12:02
Tout le monde connaît l'histoire de l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours et qui le décrit mieux que le premier.
Aujourd'hui je serai l'homme qui a vu l'homme qui a vu Édouard Baer jouer Cyrano.
Le billet n'en parle pas, c'est donc qu'il manque dans l'interprétation d'Édouard Baer, la fameuse scène où Cyrano sous le balcon de Roxane déclame sa flamme, en ces vers :
"À l'enfant qui me demanderait qu'est-ce que la beauté ?
Je répondrais, c'est ce qui rend heureux.
Et s'il me demandait alors ; qu'est-ce que le bonheur ?
Je répondrais, c'est l'accomplissement de la beauté.
Et j'ajouterais :
On n'enferme pas le vent dans une boîte,
L'infini dans une cage,
La beauté dans une définition.
Et la femme qui est tout cela à la fois, toujours nous échappera."
Ces quelques vers m'ont été directement inspirés par Lucile qui ayant ajouté quelques vers au Hamlet de William Shakespeare, si j'en crois ChatGPT, a suscité en moi, l'envie d'en faire autant avec le Cyrano d'Edmond Rostand. ;)
Rédigé par : Tipaza | 16 février 2025 à 09:53
Depuis quelques centaines de milliers d’années, la journée s’est terminée par une veillée devant le feu, et il devait en être ainsi de l'homme de Néandertal dont le visage reconstitué du musée des Eyzies ressemble tant à Gérard Depardieu. Invoquait-il déjà la puissance lumineuse d’Agni ? Lui offrait-il quelque sacrifice ?
Il y a un siècle à peine, ceux du hameau se retrouvaient encore le soir devant la grande cheminée de l'un d'entre eux, chacun apportant sa part de bois ; c'est pourquoi celle-ci paraît souvent disproportionnée dans les maisons de campagne. On racontait les histoires ancestrales et potins du château comme les petites associations féminines du troisième âge en ont encore le secret, et la veillée se terminait par la prière du soir.
La veillée de l'éclaireur - celui qui éclaire le chemin de l'Esprit - se termine encore dans les mouvements traditionnels, sous la tente, avant de sombrer dans le sommeil, dans le silence de la nuit à peine troublé par les bruissements de la nature ; ce précieux silence dans lequel s'accomplit le scoutisme, l’humanité.
Les vils de la ville, eux, vont au théâtre voir des comédiens vendre leur âme et parfois même aussi leur corps à simuler des émotions, et cela si bien parfois, que le spectateur y laisse son verbe s’empreindre d’amour, d’honneur et de panache, mais l’illusion s’évacue dans les applaudissements. On gagnera son lit plus ou moins dans la nostalgie - la douleur de l’âme, tant Dieu n’accorde alors pas son image pour s’endormir.
Rédigé par : Xavier NEBOUT | 16 février 2025 à 07:55
Il est une chose que je n’ai jamais comprise dans la pièce de Rostand, dont l’acte final, pourtant admirable de romantisme, est tellement étranger à l’esprit français, tant celui-ci par conformisme fait habituellement peu preuve en société de véritable audace : comment se peut-il que Cyrano, ou même Christian, aima une sotte bouffie de vanité, comment se peut-il qu’il se mésestima tant au point d’offrir à un rival l’objet de son désir qu’il avait pourtant à portée de main et dont il craignait lamentablement la conquête ?
De Cyrano, j’admire l’intransigeance tout en déplorant la passion maladive où il se ridiculise. Pour tout dire, sa lâcheté amoureuse me déplut tellement que j’en préférai le beau Christian qui, n’étant point poète mais était-ce bien important, était doté d’autres aimables atours. Je suis à peu près sûr que la très grande majorité des femmes, se dispensant d’affecter de la préciosité et s’affichant de bonne foi, seront du même avis que moi. Je doute que beaucoup l’avoueront. Il se voit plus communément que les femmes cèdent aux entreprises audacieuses plutôt qu’aux approches piteuses.
Quel dommage que Cyrano n’ait pas vécu au XXIe siècle. Ès entreprises amoureuses, il lui aurait été plus heureux de suivre les recommandations de Mademoiselle d’Escufon. Quant à son courage querelleur, il aurait dû beaucoup en rabattre, ou être opportunément hypocrite, sans quoi ses chances d’avoir une place dans la société aurait été à peu près nulles. Le soldat qui veut se prouver à lui-même son courage n’est guère plus louangé aujourd’hui que le jour où sa mort inutile est annoncée et aussitôt oubliée. Autres mœurs, autres héros.
Cyrano, aujourd’hui, s’appelle Emmanuel. Il a été banquier et Roxane est un peu fanée et a fait profession d’éduquer. L’amour n’y est plus depuis longtemps courtois. Il se consomme sans chichi romantique, tout comme la vie. Après tout, aujourd’hui, il n’est plus d’autre valeur que celle impérieuse de profiter sans retenue et sans frein de sa vie et de rejeter comme le mal absolu de n’en pas jouir le plus qu’il est possible.
Un Cyrano, de nos jours, serait complètement anachronique et dans les faits n’aurait presque pas de chances d’exister. À la moindre incartade, tout dans la société s’empresserait de l’accabler et de l’étouffer. Peut-être existe-t-il encore quelques rares hommes de cette trempe ? On les trouvera oubliés et méconnus dans le cachot d’un monastère ou dans une caserne de la légion étrangère. S’il leur prenait l’idée d’aimer une femme, je doute beaucoup qu’ils jettent leur dévolu sur une Roxane à l’attrait passable, sauf à être faible comme Cyrano et à y perdre le meilleur d’eux-mêmes.
Sinon, ès matières amoureuses Christian était sans talent littéraire mais beau et audacieux, Cyrano, lui, avait du talent, du courage sauf vis-à-vis des femmes avec lesquelles il se comportait comme un nigaud. Roxane a bien fait de préférer coucher avec Christian plutôt qu’avec Cyrano. Bien ou pas bien, peu importe, il est à peu près certain que c’est ce qu’aurait fait une Roxane contemporaine, sans même l’once d’un léger regret.
D’ailleurs, à y regarder de près, elle ne s’appellerait pas Roxane mais Christiane. Comprenne qui pourra ! Ici encore, je doute que beaucoup d’hommes comprennent. Ce doit être le petit côté Cyrano dont chacun est pourvu, à l’instar peut-être de ce qu’a voulu proposé Édouard Baer dans son interprétation. Qui sait ? Il est au moins une chose qui n’a pas varié. Hommes et femmes sont toujours aussi peu enclins à se comprendre. Sans doute même, avec l’égalité et la guerre des sexes qui l’accompagne (clin d’œil à la rivalité mimétique chère à Aliocha !), leurs rapports ont-ils empiré.
Rédigé par : Jean sans terre | 16 février 2025 à 05:41
Pardon d’interrompre cette conversation - je serai bref. Donald Trump vient de twitter ceci :
"Celui qui sauve sa Patrie ne viole aucune Loi."
En version originale anglaise, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté :
"He who saves his Country does not violate any Law."
C'était déjà évident avec les interventions du vice-président James D. Vance et du ministre de la Défense Pete Hegseth à la Conférence de Munich sur la sécurité cette semaine.
C'est maintenant officiel. Il ne se cache même plus : Donald Trump se revendique lui-même comme un fasciste. Ou un dictateur, ou un tyran, appelez ça comme vous voulez.
L'opération d'espionnage la plus extraordinaire de l'histoire, lancée il y a 45 ans par l'URSS et achevée par la Fédération de Russie, vient d'atteindre son point culminant : un agent du KGB est à la tête des États-Unis, et il s'emploie à détruire le monde libre.
Rédigé par : Robert Marchenoir | 16 février 2025 à 05:10
@ Achille 15/02/25 06:04
Vous avez parfaitement raison de rappeler le souvenir de cet immense et élégant acteur que fut Jean Piat mais la liste est longue de tous les autres, et pour certains immenses acteurs, qui ont endossé avec plus ou moins de bonheur ce rôle monumental. Comme dirait François Bayrou, affronter ce rôle c'est s'attaquer à l'Himalaya !
Rédigé par : Michel Deluré | 15 février 2025 à 18:41
Four places to be en une seule journée, n’est-ce pas too much ? Eh bien non pour notre hôte, qui, après avoir supporté benoîtement le brutal Praud, avalé avidement une épopée made in USA, ferraillé radiophoniquement pour dire sa vérité, s’est transporté rapidement au théâtre pour applaudir vivement un nouveau Cyrano et nous régaler délicieusement de son admiration d’un acteur revenu miraculeusement de l’enfer des féministes, décidément broyeuses d’hommes.
Quel panache ! Assurément... Que dis-je... Certainement !
Rédigé par : Serge HIREL | 15 février 2025 à 14:14
Belle revue, vous pourriez être de l’ancienne Compagnie du Masque et la Plume.
Rostand, dans sa pièce, soufflette Ibsen, Dumas, Strindberg, et même G.B. Shaw, les place d’autorité sous le burlesque de l’acte I sis en l’Hôtel de Bourgogne, qui soudain les subsume.
Sensible je suis à tout ce que vous dites du rythme au théâtre.
Le dramaturge français remet les quelques vieilles bûches jadis ennemies du naturalisme et du lyrisme à rôtir doucettement jusqu’à mêler leurs effusions derrière l’aquarium en verre de l'insert -- qui pulse par la convection de multiples tirades la puissance de chauffe de ses mots -- d’un nouvel âtre.
Peu de déperdition, avec toujours des Perdican, mais alors électriques, peu de pertes en ligne pour la scansion de ses remuants alexandrins, même si j’ai toujours eu un faible pour les brûlis scéniques de Musset.
Sans nous accabler, sans chute de tension, donc, Rostand est à deux doigts de ceinturer par le nombril le ventru Dante Alighieri et de le rendre comique dans les enjambements et les chevilles de ses souples presque tercets.
Je continue de voir en M. De Bergerac un simple personnage.
Surtout dans la dernière scène, devenu moins jeune, impossible pour lui de faire son âge.
De chair et de sang de papier, même par Sorano -- dont la diction reste sans pareille, proche de celle d’un Fernandel qu’on moque.
Trop facilement, car pourtant très fine à l’oreille, qu’il avait grande comme un pavillon chinois de la Cité interdite pillé par les armées anglo-françaises de l’époque.
Rostand était comme à la parade.
Il refusait de donner par anticipation dans la systématique brechtisation de son théâtre, comme Peter Brook ne pourra se retenir de le faire avec les pièces de Shakespeare sur différentes estrades.
À ce propos, je me souviens de fructueux échanges entre deux de vos commentateurs lettrés qui comparèrent les voix de gorges profondes de Gielgud et de Guinness avec la fausse platidude planière de celle de Olivier dans Shakespeare.
Une comparaison qui rappellerait les anicroches entre les voix de Depardieu et de Weber, fausses amies, fausses commensales, deux déchiqueteuses de mots qui, sous des dehors conviviaux, servaient leurs propriétaires à se désentripailler l’un l’autre l’artistique réputation, tels de vrais loups-cerviers qui, à la fin de l’envoi, pour le bonheur de tous, expirent.
Torreton et Vuillermoz ne furent pas si mauvais (la peur d’un regain de la guerre en dentelle ne les conduisirent jamais à Munich).
Il y avait quelque chose en eux de la nef de la cathédrale de Beauvais (un lieu unique).
À mon avis, Édouard Baer (juste en passant, le : "je vous demande de vous arrêter !" de M. Balladur, vient en droite ligne d’une réplique de Cyrano adressée à un indiscipliné parterre : "je vous demande de vous taire !"), le connaissant un peu, n’aurait pas craché sur une représentation et une mise en scène à la Robert Wilson.
On peut imaginer un Cyrano, entouré de citadelles en béton, devoir s’accrocher, comme le László Thót du film The Brutalist que vous mentionnez, à une vision purement architecturale de la pièce de Rostand, et faire le mur, le quatrième, comme cette fois-ci un Quasimodo, son frère en laideur, sinon en beauté psychique, afin que le tocsin théâtral enfin sonne comme personne.
Loin des personnages des débats télévisés de CNews.
Où pourtant un certain journaliste porte le même nom que le confident intime du héros au long nez, Henry Le Bret, originaire peut-être de Saint-Hilaire-de-Briouze.
Pascal Praud, qui n’est pourtant pas doté d’un énorme appendice nasal, loin de là, approuve.
Il est une mère pour lui, aux yeux de Chimène comme de Roxane, il est et reste une romaine louve.
Rédigé par : xavier b. masset | 15 février 2025 à 13:46
Je suis jeune, elle adorait tout ce qui est classique on en garde toujours le goût, et la tirade pour l'éternité:
https://fresques.ina.fr/en-scenes/fiche-media/Scenes00331/daniel-sorano-dans-cyrano-de-bergerac-d-edmond-rostand.html
Parlez-moi de musique, Bach pour l'éternité aussi.
Rédigé par : Giuseppe | 15 février 2025 à 13:17
Il existe encore des hommes intègres à la surface de la terre et qui n’ont pas peur de faire une leçon de morale à la plupart des ripoux qui dirigent actuellement l’Europe.
https://www.lesechos.fr/monde/europe/conference-de-munich-vance-attaque-les-europeens-sur-la-liberte-dexpression-2148937
Rédigé par : Ugo | 15 février 2025 à 11:38
Des qualités, dont je ne doute pas, de la représentation de ce monument de notre patrimoine culturel qu'est Cyrano de Bergerac ou de votre capacité à endurer l'emploi du temps qui fut le vôtre, Philippe, en ce jeudi 13 février, je ne sais ce qui me questionne le plus et suscite le plus mon admiration !
Rédigé par : Michel Deluré | 15 février 2025 à 11:17
Concernant l’interprétation de Cyrano de Bergerac, il ne faudrait pas oublier Jean Piat, homme de théâtre, dont le rôle le plus marquant est celui de Cyrano de Bergerac qu'il a interprété plus de deux cents fois avec brio.
Excellent également dans le rôle du comte d’Artois dans "Les rois maudits" de Maurice Druon. J’ai toujours admiré cet acteur.
Ceci étant, cela n’ôte rien à l’excellente prestation de Gérard Depardieu dans le rôle de Cyrano et son emphase qui le caractérise.
Rédigé par : Achille | 15 février 2025 à 06:04