Des vigies des libertés, on en a pléthore. Des défenseurs de l'État de droit intangible, on en a une multitude. Des humanistes prêts à faire endurer le pire jusqu'au dernier citoyen français, on en surabonde.
Certes ils n'ont pas tous la même qualité ni le même savoir que Patrice Spinosi (PS), avocat près la Cour de cassation et le Conseil d'État, qui fait l'objet d'un portrait élogieux par Stéphane Durand-Souffland dans le Figaro et dont le titre est précisément "Patrice Spinosi, vigie des libertés".
Aujourd'hui ce sont des "vigies de la sécurité" qui nous manquent.
Parce que cette exigence fondamentale pour la tranquillité publique, pour la protection des biens et des personnes, pour la sauvegarde des plus modestes qui ont le droit de disposer au moins de cet élémentaire capital qu'est leur sûreté, et pour une démocratie apaisée, n'est pas aujourd'hui servie comme elle le devrait.
Dans cet arbitrage sans cesse à effectuer entre nos libertés et notre sécurité, les premières gagnent trop souvent parce qu'elles fleurent bon le progressisme, elles relèvent de l'attitude des belles âmes, des sensibilités délicates et se qualifiant elles-mêmes d'élite, elles ne sont pas gangrenées par la contagion de l'utilitarisme ni du pragmatisme, le réel ne les insupporte pas puisque globalement il leur demeure étranger. La passion pour les libertés est le havre de sérénité et de bonne conscience d'une société privilégiée qui regarde de loin les malheurs de la masse et profondément s'en lave les mains.
Si on feint de pouvoir cultiver également les libertés et la sécurité, on sait bien que c'est impossible. La sécurité sera toujours perdante puisqu'elle pèse moins dans la tête des pouvoirs et dans l'esprit collectif, malgré les apparences. La rançon de l'État de droit est claire et sans équivoque : il fait mourir la France à petit feu... mais dans les formes...
Il faut reconnaître à PS le mérite de la franchise. Il manifeste avec éclat et talent ce qui se se cache derrière l'obsession actuelle de l'État de droit dont pour ma part je ne souhaite évidemment pas la disparition mais l'adaptation.
Ce n'est pas une vache sacrée et l'état de la France, menacé aussi bien de manière interne que par des dangers externes, impose de réfléchir à l'élaboration d'une légalité qui ne ferait pas fi de l'efficacité. Ce qui compte n'est pas la perfection formelle de nos démarches juridiques, quelles que soient les juridictions saisies - le Conseil constitutionnel nous offre assez régulièrement des exemples de pureté totalement détachés de la défense sociale et de la protection des citoyens et de leur identité - mais la manière dont le droit, dans ses structures essentielles sans lesquelles nous serions réduits à une "sauvagerie" légale , peut s'accorder avec la finalité ultime d'une civilisation mise en péril un peu plus gravement, parfois horriblement chaque jour : ne pas sombrer, ne pas disparaître à cause d'une impuissance trop longtemps théorisée en dignité et en tolérance.
PS, qui voit des populismes partout - ceux qui ne partagent pas sa conception de l'État de droit - décrète "qu'un populiste arrivant au pouvoir considère comme illégitime tout contre-pouvoir. Et impose une dictature de la majorité qui s'en prend prioritairement aux minorités de tous ordres. Or nous sommes tous la minorité de quelqu'un d'autre".
Le procès expéditif est lancé avec une brillante mauvaise foi. PS n'est peut-être pas "un activiste" ni un "indigné professionnel", comme l'exclut son ami François Sureau, Il demeure que sa définition du populisme est tellement large qu'il intègre dans sa dénonciation "Laurent Wauquiez et d'autres qui désignent l'État de droit comme l'ennemi à abattre". Personne n'a été assez sot dans le camp conservateur pour aspirer à un tel extrémisme.
Derrière son argumentation, PS cache en réalité la condescendance, voire le mépris des élites pour ce peuple dont la simplicité d'esprit et la vulgarité le conduisent même à s'occuper de ce qui le regarde et qui les indiffère parce qu'elles vivent dans le ciel des abstractions quand la majorité des citoyens sont confrontés à une quotidienneté qui les laisse brutalement sur terre.
Au risque d'être étiqueté membre d'une telle cohorte indigne, des événements récents, sur les plans national et international, loin de me démontrer l'urgence d'un État de droit statufié et impuissant pour mille raisons, m'ont convaincu que le scandale était ailleurs : dans la gravité des transgressions, des crimes et des délits et le caractère ridicule du traitement judiciaire ou administratif qu'on leur appliquait. On prétendait combattre l'enclume avec une mouche.
La remise en cause de l'État de droit, en le dépouillant de ses facettes bureaucratiques, de son incurable lenteur et de ses incompréhensibles contradictions (l'exemple de l'autoroute A69 est éclairant - franceinfo), serait une chance démocratique. Et un bonheur de simplification pour tous. Il n'est donc pas anormal, dans l'alternative entre libertés et sûreté, faute de pouvoir concéder de manière équitable aux deux branches, de s'en tenir fermement à la seconde qui garantira la protection de la société en me privant d'un zeste de ma liberté.
PS, dont l'intelligence et la finesse sont indiscutables, devrait prendre conscience du fait que c'est en jetant le peuple par la fenêtre de la démocratie qu'on fera entrer par la porte le vrai danger de la République : le risque que face au réel, son déclin soit plus accompagné qu'entravé par un État de droit trop mythifié.
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