Gérard Fesch demande la "réhabilitation" de son père Jacques, exécuté le 1er octobre 1957 pour le meurtre d'un agent de police. La Cour de cassation a débattu de cette requête le 6 juin.
Gérard, qui avait moins de trois ans à la mort de son père, a été confié à l'Assistance publique. Il a décidé aujourd'hui de mettre en oeuvre cette procédure qui n'a rien à voir avec l'amnistie ni la révision. C'est la première fois qu'elle concerne un condamné à mort. Il s'agit, selon lui, d'une sollicitation pour un "pardon laïc" : "J'aimerais montrer autre chose que le côté obscur de cet homme".
Cette envie lui est venue au mois d'avril 1994 quand il a appris la destinée exceptionnelle de son père en prison. Celui-ci a découvert la foi avec une sincérité bouleversante et il est devenu l'auteur d'écrits mystiques publiés à titre posthume, qui ont à ce point impressionné que le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, a ouvert un procès en béatification dès 1987, toujours en cours (radiofrance).
Le pire, condamné par la peine capitale, a été suivi, lors de l'incarcération, par une rédemption admirable comme s'il convenait, pour Jacques Fesch, de changer l'abjection en lumière.
Cette histoire à la fois exemplaire et tragique suscite évidemment une réflexion sur la peine de mort.
Le président René Coty, qui ne l'a pas gracié, a répondu ainsi à son avocat Maître Paul Baudet le 24 septembre 1957 : "Dites bien à votre client qu'il a toute mon estime et que je désirerais beaucoup le gracier mais, si je le fais, je mets en danger la vie d'autres agents de police. Demandez-lui, je vous prie, d'accepter le sacrifice de sa vie pour la paix de l'État".
C'était beaucoup exiger de Jacques Fesch et sur un mode particulièrement hypocrite quoique enrobé dans la raison d'État. Cette argumentation du président Coty me rappelle celle du président Giscard d'Estaing qui était hostile à la peine de mort, sauf dans certains cas... Ce qui est une manière discutable de se parer d'humanisme tout en gardant une poire pour la dureté et la guillotine.
La justification de René Coty était d'autant plus choquante qu'il aurait eu quelques motifs pour asseoir une décision de grâce, notamment l'étrange collusion d'un président de cour d'assises dînant, la veille du verdict, avec l'illustre avocat de la partie civile Me René Floriot. S'ajoutait le "tripatouillage" de la feuille de questions soumise au jury afin que soit refusé à Jacques Fesch le bénéfice des circonstances atténuantes.
Scandale donc que cette condamnation à mort mais que dire de cette peine de mort ayant "coupé en deux", selon une formule de Robert Badinter, Jacques Fesch : réveillé à 5 heures 21, il est livré à l'exécuteur public à 5 heures 27 et tout est consommé à 5 heures 29.
Je dois admettre, au regard de ces obscures péripéties, que moi qui ai été à l'origine hostile à l'appel criminel, je suis convaincu qu'en l'occurrence il aurait été pour Jacques Fesch, plus que pour tout autre condamné, nécessaire.
Ce qui ne signifie pas que je partage l'avis de Me Patrice Spinosi, conseil de Gérard Fesch, qui a déclaré : "Au-delà de la personne de Jacques Fesch, la Cour de cassation est appelée à affirmer son opposition fondamentale à la peine de mort qui, par nature, interdit l'exercice d'un droit, celui de revenir au sein de la communauté des hommes".
Je ne crois pas qu'on puisse utilement tirer des exemples décisifs contre la peine de mort de ces très rares trajets pénitentiaires qui se rapportent à des personnalités qui, même avant leurs crimes, devaient être habités par des germes latents de renaissance.
J'ai moi-même eu l'occasion, au sujet de Philippe Maurice gracié par le président François Mitterrand et devenu en prison un spécialiste de l'Histoire du Moyen Âge, de questionner l'avocat général qui avait requis la peine de mort sur cette réinsertion extraordinaire : sans doute troublé, il a été frappé quelques minutes après par un ictus amnésique...
En réalité, au risque de battre en brèche les considérations humanistes ressassées contre la peine de mort - auxquelles il serait facile de répliquer argument par argument -, je m'en tiens à cette injonction capitale qui m'a toujours paru représenter à la fois un argument à la fois humain et technique : il faut être contre la peine de mort parce que, sanction absolue, elle exigerait une justice absolue. À l'évidence elle ne peut l'être, même pour quelqu'un qui est très éloigné de la mythologie de l'erreur judiciaire. Je ne peux que confirmer la substance de mon billet du 5 novembre 2019 : "Un intellectuel pour la peine de mort !".
Je souhaite la réhabilitation de Jacques Fesch. Que mort il obtienne ce dont, de son vivant, il a été injustement privé : une authentique justice.
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