On a toujours un peu mauvaise conscience quand dans ce monde fou et violent, on détourne le regard des choses graves pour s'attacher au futile, au divertissement. Pourtant il me semble qu'on a tort car la curiosité n'a de sens que si elle est plurielle. Même du dérisoire ou du superficiel, on peut tirer des leçons.
Il n'est donc pas honteux de s'intéresser à la chanson. Pourquoi, soudain, écoutant une musique, des paroles, cela va-t-il rester dans nos oreilles et y demeurer longtemps, comme une pincée de joie venant enchanter la vie ?
Je n'ai même pas besoin, pour me justifier, de faire référence à Louis Aragon pour qui la chanson était "la poésie du XXe siècle". En effet, si certains de ses poèmes ont donné lieu à de superbes chansons interprétées par Catherine Sauvage ou Jean Ferrat, il n'est pas nécessaire d'offrir à l'auditeur une telle qualité verbale pour qu'il soit ému ou enthousiaste.
Au contraire, le miracle tient à ces chansons parfois imparfaites dans leur expression, entêtantes dans leur rythme et leur mélodie et qui, grâce à ce mélange, apparaissent tels de petits chefs-d'oeuvre capables, dans leur apparente modestie, de transmettre des messages qui les dépassent. Une relative facilité du texte, n'appelant aucune difficulté de compréhension et d'écoute, magnifiée par un air inoubliable, constitue dans la quotidienneté l'exemple le plus éclatant d'une distraction qui nous fait du bien.
Il y a toujours eu débat sur l'importance dans une chanson des paroles plus que de la musique. Sur ce plan, le maître Georges Brassens, qui savait composer des mélodies que l'oreille retenait, a clairement tranché en affirmant que la musique était capitale, lui qui l'enrichissait avec des textes qui non seulement n'ont pas vieilli mais sont plus modernes que jamais. Parce que les thèmes qu'il traitait dépassaient l'actualité immédiate pour s'ancrer dans l'esprit collectif et l'humeur familière.
La mélodie, en effet, est fondamentale pour qui, comme moi, comme beaucoup, la variété est une richesse dont on ne se lasse pas. À dire vrai, je n'aurais pas écrit ce billet si ces derniers jours je n'avais pas écouté, de manière compulsive, au moins deux chansons. Que ce soit "Puisses-tu" par Jean-Louis Aubert et "La semaine prochaine" par Marc Lavoine. Cette répétition est un délice. Loin de lasser, l'oreille est encore mieux disposée à entendre ce qu'elle ne va plus découvrir mais goûter comme une évidence.
Avoir le talent, voire le génie - pour les rares créateurs sachant inventer musicalement des rythmes à la fois basiques et raffinés - de composer ce qui va rester, telle une grâce, dans la tête de beaucoup de gens, est un cadeau qui leur a été fait et qu'ils nous rendent.
Je pourrais, bien en amont, revenir sur l'indépassable Jean-Jacques Goldman et la générosité avec laquelle, par exemple, il a offert à Johnny Hallyday cette merveille qu'est "Je te promets".
Il me semble que ce qui consacre l'identité forte d'une chanson est l'idée qui l'a inspirée. Il y a des paroles maladroites, même faibles, mais qui ne sont pas indignes parce que leur concept originel est délicat ou puissant. Jamais vulgaire. Et alors quand "la musique est bonne"...
J'ai commencé ce post par le risque de la mauvaise conscience. Je le finis par la contradiction que je m'apporte ainsi qu'à tous ceux qui traiteraient de haut cet art mineur (Serge Gainsbourg a raison) mais qui jouit de ce formidable privilège : vous accompagner tout au long des jours, parfois tout au long d'une vie...
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