Les chroniques de Michel Guerrin sur la culture, dans le Monde, m'intéressent toujours, que je les approuve ou non. Stimulantes, elles tranchent radicalement avec l'esprit général de ce quotidien, qu'une distinction un peu condescendante éloigne du sentiment populaire.
Elles sont d'autant plus remarquables qu'on pourrait craindre le pire dans le domaine de la culture dont Michel Guerrin écrit justement "qu'elle est dominée par la gauche depuis toujours (...) et que la bataille idéologique en cours se propose d'en finir avec l'hégémonie de la gauche sur la culture institutionnelle".
L'un des fers de lance de cette résistance est David Lisnard, le maire de Cannes, qui a écrit que l'argent public "n'avait pas à financer des spectacles hostiles aux valeurs républicaines, militants, contraires à nos principes". Cette argumentation est habile car elle n'ostracise pas. Elle peut être approuvée par une droite et une gauche de bonne foi.
"Quand les peuples se droitisent, l'argent public peut-il encore être monopolisé par les oeuvres de gauche ?" : on a le devoir, en effet, de se questionner ainsi.
Michel Guerrin, aux antipodes de la conception d'une culture clivante et d'une arrogance élitiste, s'interroge précisément pour savoir comment on peut rendre la culture populaire pour qu'une majorité de citoyens, notamment dans les provinces, ne se sente pas délaissée. Cette question centrale est fondamentale pour une authentique politique culturelle. Le rédacteur de la chronique énonce tout ce qui pourrait paraître rejoindre la vision de gauche dans la culture d'aujourd'hui et il reprend ce qui est perçu comme une évidence par beaucoup : "Offenser est consubstantiel à la définition de l'artiste".
C'est cette conception de l'artiste que je me permets de discuter. Si j'en avais envie, je pourrais généraliser ma contestation et m'étonner, par exemple, du fait que dans plusieurs activités intellectuelles, notamment médiatiques, on considère que l'essentiel est de pourfendre, d'être moins un pouvoir qu'un contre-pouvoir permanent. C'est ce dont se réclame le journaliste de base, qui s'estimerait déshonoré par un mécanisme d'adhésion.
Je m'inscris en faux à l'égard de ce poncif qui imposerait l'offense pour être un véritable artiste. J'ai des exemples dans la tête, au fil des siècles, qui au contraire démontrent que l'artiste a d'abord été un créateur, un esprit, un talent qui rassemblent. Qui, par l'universel, loin de déchirer l'humanité qui l'écoute, l'admire ou le critique, favorise son unité, sa concorde et, pendant quelques heures, sa sensibilité et son intelligence tendues vers un même but : le spectacle qui la fait s'aimer parce qu'elle aime en même temps la même chose.
J'entends bien que dans la définition par l'offense, il y a une humeur âpre, acide, belliqueuse, qui correspond au désir de subvertir le monde et de se camper en intrépide même sans risque. J'avoue préférer le bel unanimisme engendré par l'artiste authentique qui ne nous blesse pas mais nous rejoint, édifiant un pont entre lui et nous.
Acceptons cette idée provocatrice que l'art soit destiné à nous faire du bien.
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