Le citoyen a le droit d'exiger des politiques un comportement irréprochable, ainsi que le respect de la morale publique. Ils ont des obligations que lui n'a pas à assumer.
Ce n'est pas vrai seulement de la politique mais de tous les domaines où l'éthique, la manière non seulement compétente mais vertueuse dont on exerce sa mission, doit être prise en considération.
Pourquoi, m'exprimant ainsi, ai-je la nette impression de crier dans le désert ou d'écrire sur du sable ? Parce que je n'ai jamais cessé d'être pris soit pour un doux naïf, soit pour un puritain qui osait prétendre que les conduites professionnelles, de quelque genre qu'elles soient et encore davantage quand leur façade sociale, publique et médiatique les inscrivait au premier rang de la visibilité. Avais-je tort ? Je ne crois pas mais je sous-estimais les ressorts qui constituent la morale comme une denrée accessoire, une affaire strictement personnelle, une exigence ne concernant en rien le pragmatisme efficient de tous les jours, dont la seule finalité est précisément d'être efficace.
Parce qu'il est tellement plus facile, plus confortable, plus reposant de ne pas s'embarrasser d'éthique pour soi - comme on est indulgent à son égard ! - et pour juger les autres - ils pourraient un jour vous le retourner en pleine face !
Derrière cette paresse, il y a la certitude qu'il n'y a pas d'humanité et de pratiques exemplaires et qu'on n'a même pas à essayer de s'en rapprocher. Comme si la volonté de mêler compétence et éthique était en elle-même indécente, la décence consistant à passer sous silence ces contraintes périphériques et superfétatoires de la morale.
J'ai longtemps cru qu'Outreau par exemple avait convaincu qu'il n'existait pas de qualité professionnelle qui ne rassemblait pas une absolue compétence et le souci éthique. À force d'avoir laissé celui-ci dans un coin de la pièce, on avait négligé le fait que l'autre en serait gravement altérée.
Il n'y a pas de jour où je ne tombe dans le pessimisme. Parce que tout démontre, du dérisoire au sérieux, de l'artistique à la vie du pouvoir, qu'on ne se préoccupe pas de l'exemplarité des choix, des conduites, des sélections et des exclusions, qu'on ne s'impose pas une vigilance sourcilleuse pour prévenir ou éradiquer l'intolérable ou le véritablement indécent.
Avant de revenir au monde politique, je voudrais faire un sort à une distinction qui au festival de Cannes a été octroyée à Ladj Ly : il fait partie du jury sous la présidence de Vincent Lindon (dont les goûts genre "Titane" me font peur pour la suite !!). Ce cinéaste a été lourdement condamné pour de graves infractions. Qu'il ait envie de réaliser d'autres films s'il trouve des producteurs et un public pour les regarder, pourquoi pas ? En revanche, de manière insigne le mêler à un tel aréopage comme si son passé, son passif étaient négligeables et n'auraient pas imposé une légitime discrimination, m'est apparu aberrant. Il y a des honneurs qu'on ne confie pas à n'importe qui s'il y a des libertés dont l'usage ne nous regarde pas.
Quand j'entends la Première ministre Elisabeth Borne déclarer sincèrement "moi, je ne mentirai pas aux Français" (JDD) - au sujet des retraites mais je suppose qu'elle en fait un devoir général -, je ne peux que me féliciter de cette volonté qui, respectée, représenterait un bouleversement intellectuel et politique. Car il s'agit d'un univers qui la plupart du temps ne tient qu'à cause de dissimulations tactiques et de précautions embarrassées de langage.
Mais à peine s'est-elle formulée cette injonction que dans le même entretien elle se contredit. Pour justifier le calamiteux maintien du garde des Sceaux, elle surestime, en le sachant, son bilan et fait l'impasse sur tout ce qui - morale comprise et considération des magistrats intégrée - aurait dû conduire à son exfiltration.
Et la Première ministre est une personnalité non seulement intelligente mais honnête. Alors, pour qu'elle-même ait tant de mal à se dépêtrer de l'approximation voire de la fausseté, imaginons ce qu'il en serait pour tous les autres !
Cette morale publique que je réclame, qu'on l'édicte tel un préalable ou qu'on sanctionne sur-le-champ sa violation, n'est pas du tout contradictoire avec les accusations qui semblent surgir ou renaître inéluctablement dès qu'un ministre est nommé. Comme si on attendait le meilleur moment politico-médiatique pour les remettre au goût du jour !
Ainsi, pour Damien Abad qui, traître aux LR, s'est rallié au macronisme. Contestant avoir jamais forcé le moindre consentement, il fait l'objet de mises en cause pour des faits allégués de viol et d'agression sexuelle en 2010 et 2011: en 2017, l'une des plaintes a été classée sans suite. La Première ministre affirme qu'il n'y aura "aucune impunité" alors qu'apparemment la même rigueur n'est pas appliquée pour toutes les autres entorses à l'éthique gouvernementale.
J'entends bien que rien n'est plus difficile que de soumettre la complexité et l'imprévisibilité du réel, l'infinie liberté et inventivité, pour le pire comme pour le meilleur, des conduites humaines et politiques à l'emprise d'une morale tentant de mettre sans cesse du bon grain dans l'ivraie.
Mais il faut essayer.
Recherche éthique désespérément. Est-il utopique de croire qu'un jour on la trouvera ?
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