La vie, dans tous ses registres, sous toutes ses latitudes, est un problème dont nous avons à trouver la solution, qui que nous soyons, où que nous soyons. Il y a une infinité de situations personnelles, familiales, amicales, professionnelles, politiques, médiatiques qui nous contraignent à formuler cette interrogation : Comment faire ? Comment résoudre ce qui, souvent, sur un mode grave ou dérisoire, nous oblige à nous questionner sauf à demeurer impavide face au labyrinthe de l'existence et à ses pièges ?
J'ai eu l'idée de ce billet, qui relève presque d'un arbitrage philosophique, en prenant connaissance des modalités de la visite de notre ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot en Syrie, en compagnie de sa collègue allemande. Le chef islamiste qui les a reçus n'a pas serré la main de la seconde, délibérément, alors qu'il l'a fait avec notre ministre (Le Point). Immédiatement mon sentiment a été que celui-ci aurait dû réagir pour dénoncer cette démonstration ostentatoire de mépris et d'inégalité mais, compte tenu des circonstances diplomatiques, comment aurait-il dû faire, quelle attitude adopter, de quel courage aurait-il dû faire preuve ? Il n'a pas semblé d'ailleurs être affecté par sa passivité lors du Grand Jury du 5 janvier (LCP).
Il est risqué d'induire de cet épisode spécial un enseignement général mais il me semble pourtant que sans cesse nous sommes confrontés à des péripéties intimes ou sociales qui pourraient nous conduire, si nous allions au bout de nous-mêmes, à des choix qui en définitive se résumeraient de la manière suivante : devons-nous tout accepter par principe, par bienveillance ou par lâcheté ou être un homme véritable imposerait-il au contraire que du plus anodin au plus préoccupant nous soyons sur le qui-vive, en état de combat permanent ?
Qu'on fasse le compte, dans les domaines intellectuel, politique, médiatique et artistique, des innombrables opportunités qui nous sont offertes pour nous éprouver sincères ou non. Dans mon parti, cette personnalité est médiocre et fait du tort : comment faire pour le lui dire ? Cet ami a écrit un livre qui n'est pas bon : dois-je me taire ou l'affronter et peut-être le perdre ? Il y a des journalistes, des animateurs, des chroniqueurs qui ne me plaisent pas : est-il honteux de faire comme si je les appréciais ou mon honneur serait-il de les critiquer de la même manière qu'eux auraient le droit de me fustiger ? Ce président de la République commet beaucoup d'erreurs : convient-il de le blâmer jusqu'à me brouiller avec lui ou au contraire la sagesse est-elle d'accepter ses imperfections et de ne retenir que la part positive ?
Comment faire, pour tous et partout, en ne cédant pas sur les ombres sans effacer les lumières ?
Sur le plan du coeur et de l'affection, est-il beau d'appréhender sa famille tel un bloc formidable par principe ou doit-on s'arroger le droit de la juger au détail au nom d'une authenticité louable quelles que soient ses conséquences ?
Comment faire pour ne jamais occulter ce qu'on a envie de proférer, pour demeurer digne de l'image qu'on a de soi ? Comment procéder quand on a la certitude que son exigence de vérité entraînera des catastrophes et que son jusqu'au boutisme noble engendrera le pire ?
J'ai bien conscience qu'il y a des univers encore plus difficiles à gérer que d'autres parce que leur logique est plutôt celle du silence et de la discrétion que celle de la transparence et de l'exhibitionnisme. Pourtant, en dépassant l'exemple de Jean-Noël Barrot, il n'est pas simple, quand le scandale est trop éclatant pour ne pas être dénoncé, dans ce monde feutré, ouaté, où d'une certaine manière l'hypocrisie est un outil de travail, de se révolter et d'affirmer que l'intolérable, l'indignité humaine le demeurent même quand les conventions dicteraient l'abstention...
Mon tempérament capable d'excès sur ce plan m'inciterait à justifier, partout, quel que soit le secteur concerné, cette absolue et impérieuse exigence de vérité. En admettant que, si elle fait courir des risques, elle est en elle-même une telle valeur que tout devrait plier devant elle. Je suis cependant suffisamment lucide pour reconnaître qu'une telle conception poussée à la limite mettrait le monde à feu et à sang, sur ses registres géopolitique, international, national ou personnel.
C'est sans doute cette conscience que la civilisation est précisément l'art de ne jamais se laisser totalement aller qui a fabriqué, dans les domaines les plus divers et pour nous éviter le pire, des boucliers, des obstacles.
La politesse conseille de ne jamais s'abandonner à l'affirmation d'une vérité dont les dégâts seront beaucoup plus insupportables que le silence contraint.
Le refus du droit d'ingérence est une manière de prévenir ce que des caractères impétueux sur le plan international pourraient susciter.
Il y a ainsi, face à toutes ces interrogations sur le comment faire ?, des abstentions qui ne seraient pas des lâchetés, des délicatesses qui ne seraient pas des hontes, des silences qui ne seraient pas des reniements de soi ?
Dois-je aller jusqu'au bout profond et paradoxal de ce billet : Jean-Noël Barrot a-t-il eu raison de faire, en Syrie, comme si tout était normal ?
Les commentaires récents