Aimer lire, c'est aussi avoir le bonheur de collectionner les citations, c'est savoir goûter la pensée des autres.
J'en ai pris conscience tout particulièrement ces derniers jours où j'ai fini le livre si intelligent, profond mais brillamment accessible, d'Alain Finkielkraut (AF) "Pêcheur de perles". Où également j'ai pu prendre connaissance d'une citation, justement de AF, grâce à l'article d'Eric Naulleau démolissant le "Lilliputien" Geoffroy de Lagasnerie, qui ose dans son dernier livre s'en prendre au géant Kafka (JDD).
AF évoque dans son livre Jean Cau, qui avait dit que "l'âge adulte, c'était de l'enfance pourrie".
Et Eric Naulleau nous apprend qu'AF a écrit qu'"il y a deux antidotes à la disparition du particulier dans le général : la littérature et le droit".
Je n'ai jamais, avec rigueur et méthode, noté scrupuleusement ou compulsivement toutes les citations qui suscitaient mon intérêt. Je n'étais pas non plus de ces orateurs qui éprouvaient le besoin d'alourdir chacune de leurs phrases par une citation, comme Christiane Taubira le faisait systématiquement avec de la poésie.
Il faut tout de même accepter que l'oralité, si elle s'adresse à autrui, est cependant un exercice solitaire qui doit mettre à contribution le locuteur bien plus que ceux qui ont pu l'inspirer.
Reste qu'il n'y a pas de plus grand plaisir pour la réflexion, la dénonciation ou l'admiration que de se pencher sur une pensée, un propos qui surgissent dans votre espace et vous sollicitent. Comme s'il attendaient de vous une réplique, comme s'ils étaient voués à vous sortir de votre autarcie.
Je sais que Jean Cau sera approuvé par beaucoup, et d'abord par AF lui-même. Il n'empêche que pour ma part - et je me serais passé de cette contradiction - je suis presque tenté de soutenir que l'âge adulte a été pour moi la réparation, l'amélioration d'une enfance et d'une jeunesse heureuses malgré tout mais qui n'ont pas correspondu aux canons classiques. Je suis sur la ligne de Paul Nizan affirmant "J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie".
Mon enfance a été loin d'être "pourrie" même si l'absence de ma mère pendant trois mois, durant mes années de primaire puis de collège à Montargis, m'a donné un cafard que j'ai eu du mal parfois à surmonter. Elle arrivait quand elle le pouvait et chacun de ses départs était un déchirement tel que j'aurais parfois préféré qu'elle ne vînt pas.
L'âge adulte, même si j'ai adoré le "il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adulte" de Jacques Brel, m'est apparu comme le moment magique, la période où je n'étais plus seul, où je n'avais plus à attendre et donc à désespérer.
En revanche, comme AF voit profondément juste quand il souligne que la littérature et le droit sont en effet les deux seuls moyens pour éviter de faire tomber le particulier dans le général.
Parce que, dans un genre différent, l'invention de la première et la rigueur du second constituent une apothéose du singulier et de la nuance. Les deux représentent ce qui n'a de sens que dans les marges indisciplinées des règles, soit par la liberté s'abandonnant à la richesse d'une vie fictionnelle, soit par la volonté de ne pas apposer sur la complexité des situations et des êtres en contentieux le lourd marteau de principes abstraits et inadaptés.
Je mesure à quel point les pensées de Jean Cau et d'AF ont été stimulantes, comme toutes les citations qu'on a envie de noter ou de retenir, parce qu'elles ouvrent des perspectives. On ne peut pas se contenter de les approuver ou de les désapprouver, il faut les traduire pour soi, les actualiser, les adapter à ce qu'on est.
La pensée des autres comme un don qui nous est fait. Après c'est à nous de jouer, de penser !
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