Roman Polanski a été choisi par le bureau de l'Association pour la promotion du cinéma (APC) pour présider le 24 février la 42ème Cérémonie des César.
Immédiatement, parce qu'il a été accusé de viol en 1977 - et les modalités de ce viol étaient particulièrement honteuses -, une indignation collective s'est manifestée. Sur les réseaux sociaux, de la part d'associations féministes et de citoyens interloqués par sa désignation (Le Parisien).
Face à cette fronde, les mêmes justifications émanant de certains membres de l'APAC et d'Alain Terzian, président de l'Académie, invoquant l'immense cinéaste et faisant fi du reste
Aurélie Filippetti, pour sa part, se réfugie derrière "la liberté absolue" de l'Académie et rappelle que cette affaire s'est passée "il y a quarante ans" (Le Monde).
Heureusement Audrey Azoulay n'a pas encore réagi, dans son sens habituel, pour rendre cette apologie officielle encore plus insupportable !
Il faut pourtant raison garder et équité respecter !
Je n'ai pas vu tous les films de Polanski, mais presque, et parmi ceux-ci, Le Pianiste m'est apparu comme un chef-d'oeuvre et Tess, pour une réussite. Dans tous les cas il s'agit d'un réalisateur d'envergure et sa réflexion sur le cinéma est de haut niveau.
Mais là n'est pas l'essentiel et je conçois que l'argumentation artistique puisse exaspérer face à l'opprobre éthique d'autant plus que je ne partage pas la vision de la vie de Roman Polanski et son relativisme. Même en n'oubliant aucune de ses tragédies.
Je n'ai jamais apprécié la cérémonie des César. J'y vois le paroxysme de l'engagement mondain et confortable, d'un corporatisme s'applaudissant dans son autarcie, un mélange de futilité mêlée à du militantisme verbalement violent ou soyeux, le culte obligatoire de la gauche, tout ce que je dénonce par ailleurs. Je pourrais me contenter de livrer Roman Polanski tel quel aux César en alléguant qu'il serait tout à fait accordé à ce milieu, à ses ridicules et à ses fausses gravités. Mais l'exigence de justice me tenaille tellement que je ne peux pas m'empêcher de venir à son secours autrement.
Je ne vais pas m'accommoder lâchement de cette tradition politique et culturelle française qui, dans l'immense champ du possible, va choisir, par exemple, un discutable Frédéric Mitterrand pour le ministère de la Culture.
En effet, si Roman Polanski est contesté pour présider les Césars, il ne s'agit pas de la même perversion. Même si, en général, nos élites se soucient comme d'une guigne du caractère vertueux ou non de leurs choix.
Il m'importe de démontrer qu'il y a des moments où le besoin de justice d'abord compréhensible à l'encontre d'une personnalité - puisque c'est souvent contre l'éclat d'une vie que se perpétue un durable ressentiment et que quelques célébrités en sont victimes - se mue ensuite en une obsession qui néglige délibérément tout ce qui serait de nature à la calmer.
L'ancienneté du crime évidemment. Le fait que depuis quarante ans Roman Polanski traîne cela sur sa réputation comme une tache indélébile alors que tant de transgressions plus récentes ont été reléguées dans les oubliettes de la tolérance ou de l'indifférence.
L'épisode suisse, qui a duré et a constitué une répression larvée et éprouvante pour lui et sa famille. Ce n'est pas parce que la plupart des réactions politiques et culturelles en sa faveur ont été alors grotesques que je dois faire l'impasse sur ces péripéties initiées par les Etats-Unis. Et ne pas les retenir, d'une certaine façon, comme un châtiment infiniment tardif.
Surtout, nous savons comment l'affaire s'est déroulée en 1977 et comment la jeune victime a été droguée et abusée.
Elle a accepté les excuses et le bénéfice d'une considérable transaction financière proposée par Roman Polanski : nous sommes en Amérique. Elle a été conduite ainsi à inciter les autorités américaines à lever l'interdiction pour le cinéaste de revenir aux Etats-Unis. Ce point me semble capital et, allié à l'année 1977, autorise qu'on dise aujourd'hui que cela suffit et que Roman Polanski, âgé de 83 ans, a lui aussi droit à un peu de paix et, si cela le comble, à la présidence des César.
Même les causes les plus justes, à force de durer, deviennent haineuses et font du coupable si ancien une victime aujourd'hui. N'offrons pas cette chance équivoque à Roman Polanski.
Les commentaires récents